Ali Chahrour, metteur en scène et chorégraphe libanais, rend solaire sur la scène du théâtre arabe d’Hanovre un amour interdit, englué dans les non-dits et étouffé par le poids du traditionnel, du religieux et du patriarcat. Depuis sa création il y a 4 ans, «L’amour derrière mes yeux» résonne toujours comme un hymne universel à la tolérance.
C’est à travers les yeux, que se vit cette performance d’une heure. Principalement dansante et physique, elle s’harmonise entre deux artistes hommes. La regarder, c’est assister à l’enchevêtrement de deux corps, dans un fond noir, à peine éclairé par un faisceau de lumière. Un rayon, révélateur d’espoir, dans des temps rongés par l’exclusion, les phobies, la violence. De la danse parlante, mais aussi du chant, en guise de fond sonore, criant d’humanité, d’amour, de valeurs. Cette musique épouse le propos de la chorégraphie, l’enveloppe. Un chant magnifiquement interprété par Leila Chahrour, 3e protagoniste sur scène.
Leila Chahrour interpelle par sa présence, son absence, et ses va–vient. Des mouvements qui se font souvent en musique, et qui sont parfois, discrets, mais utiles sur scène. Leila est le symbole d’une figure maternelle bienveillante, aimante, adoucissante. Une figure de paix, d’union, profondément protectrice. Toujours sur scène, et par le biais d’un langage du corps, parfaitement synchronisé, harmonieux, les mouvements racontent tout un récit de passion réprimée, dénué de mots, mais criblé de maux, avec seulement deux silhouettes masculines qui fondent dans un noir scénique. Chadi Aoun et Ali Chahrour ne font qu’un. Chahrour qui s’auto–dirige sur scène : un autre défi relevé amplement.
L’histoire se déroule au 19e siècle, durant l’époque des Abbassides. Mohamed Ibn Daoued, un savant de renom, s’amourache aveuglement d’un autre. Baghdad vivra officieusement et en secret aux rythmes de cette passion brûlante. Ali Chahrour a porté un intérêt aux histoires d’amour singulière, aussi diverses soient-elles, broyées par les idéologies et totalement non-normatives. Trêve de verbalisation, place aux mouvements du corps pour crier justice et acceptation de l’autre.
Le duo de chorégraphes, et la présence féminine en musique, redessinent les contours de l’amour sur scène à travers une scénographie sobre, juste et d’une grande maîtrise, bercée par des chants au registre spirituel, religieux.
Dans un panel organisé en marge du spectacle par l’équipe organisatrice des rencontres du théâtre arabe d’Hanovre, modéré par l’académicienne, spécialiste du théâtre arabe Dr Nora Haakh, Ali Chahrour se livre sur l’éloquence du récit, tissé derrière cette création. Une aventure sur scène, qui raconte des aléas et des luttes, dans un contexte hostile. Cette création fait partie d’une trilogie qui raconte des histoires d’amour, bannies, et interdites, comme celle-ci, qui fut en grande partie, malmenée par un Mufti, un homme religieux qui fait la loi et réprimande.
Les premières prémices de la création ont commencé en 2020, quand Ali Chahrour a invité son acolyte Chadi Aoun à répéter, et à penser une danse. Leila Chahrour, qui n’est autre que la grande cousine du metteur en scène, n’a pas tardé à rejoindre l’aventure scénique au fil des séances de répétition, d’écriture qui se faisaient d’une manière fluide, quasi-instantanées, à Beirut. Le travail a été totalement bouleversé par l’explosion du port de Beirut. Une tragédie qui ne les a pas empêchés de mener à bout leur création.
La première a eu lieu en 2021. « La danse est un acte de liberté et cette performance est plus considérée comme une chorégraphie, qui raconte une histoire, telle un livre ouvert ». Précise le metteur en scène et chorégraphe de « The Love Behind my Eyes ». Ali Chahrour a présenté, deux fois, deux autres créations à succès à guichets fermés en Tunisie : « Du temps où ma mère racontait » et « Iza Hawa », lors des JTC 2023.