* Journaliste, agitateur culturel et témoin de son époque*
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Lors de son récent passage à la 79e édition du festival d’Avignon, Afif Riahi, fondateur d’« Echos Electrik » et professionnel de la musique et des outils numériques, a participé à une table ronde qui a traité «des mutations dans le monde arabe», celles artistiques et culturelles. Il a assuré un partage d’expérience des plus édifiants et a éclairé un large public. Cet entretien revient sur cette table ronde, avec un focus sur « Echos Electrik » et « No Logo », qui ne cessent d’œuvrer en Tunisie.
Votre participation à la 79e édition du festival d’Avignon, maintenue, cette année, en hommage à la langue arabe, s’est faite dans le cadre d’une discussion édifiante. Parlons–en !
La langue arabe, selon moi, n’était pas assez présente. Il n’y avait pas assez de temps pour une meilleure représentation de la langue arabe et de l’arabité à Avignon. Pas dans le cadre du festival, en tout cas, mais c’est toujours bien qu’il y ait des focus. J ait été invité au festival d’Avignon pour parler de mon association «Echos Electrik». Créée en 2007, elle a pour objectif de démocratiser la culture numérique en Tunisie. J’ai fait ma scolarité dans mon pays d’origine, et je n’ai cessé de travailler sur place. «Echos Electrik» a développé le projet «E – Fest», qui s’est déroulé à la Cathédrale de Carthage en 2007. Un projet qui traitait de la culture numérique mais pas d’un point de vue «Musique – DJing» seulement : il s’agissait d’inclure les outils numériques créatives dans d’autres disciplines artistiques. Plein d’expositions et d’interventions ont eu lieu notamment dans des endroits publics.
Quelles ont été les disciplines ciblées ?
Les principaux axes de l’« E- Fest » ont touché la musique et les arts visuels. Le projet a perduré de 2007 jusqu’en 2017 et a permis de démocratiser les pratiques et de fédérer de nombreux artistes qui se sont questionnés sur ces outils, s’y sont imprégnés et ont vécu l’« E – Fest ». Une manifestation qui, auparavant, a marqué une génération. On a arrêté le festival, par la suite, quand on a senti que la mission était accomplie, celle de rendre le numérique à la portée, et nous nous sommes focalisés sur une décentralisation de nos activités dans les régions, en dehors de Tunis. « No Logo » a donc été créée et s’est développée pendant 5 ans, même pendant la pandémie. C’est une forme d’« E- Fest » mobile, qui s’est déroulé dans 9 villes, et dans d’autres algériennes et marocaines. On était un collectif de 15 personnes, artistes et techniciens, qui passait les trois quarts du mois dans une ville où on y crée des initiatives avec les locaux, en collaborant avec les structures culturelles, éducatives, associations, écoles… Chaque ville connaîtra au fur à mesure son programme, qui prendra la forme « d’une bulle de création ».Une structure imposante qui atteint les 400 m2, de 15 mètres de haut et qui a accueilli de nombreuses personnes. Une bulle a vu le jour dans chaque territoire, avec 400 personnes dedans.
Qu’est-ce que « cette bulle » ?
La bulle est un objet architectural, conçu à base de plastique, avec un design, qu’on construit dans des ateliers avec des participants. La bulle devient un objet gonflable qu’on peut installer dans l’espace public. Cela crée un espace culturel éphémère qui n’existait pas dans un espace public et c’est dans cette bulle qu’on rendait compte de tout ce qu’on a créé et travaillé avec le tissu local de chaque territoire. Un « No Logo » Tataouine a vu le jour, d’où le retour récent de « l’E – Fest » là-bas. Le numérique reste présent mais avec davantage de volonté de développer la culture sur le terrain. De mettre les arts au service d’un territoire et de les développer. On propose des projets qui aident au développement territorial dans les régions éloignées. On utilise toujours nos outils mais pas d’une manière première. On valorise plutôt le numérique et on le diffuse en soutenant ainsi un territoire en y insérant des formes d’expressions artistiques transversales.
Que voulez–vous dire par « transversale » ?
C’est quand les disciplines artistiques peuvent se croiser. La musique, avec l’art numérique, ou le Dj-iing, par exemple. L’idéal c’est de créer un festival qui soit ouvert sur un maximum de disciplines, en les questionnant, sans retenu. Chaque action artistique questionne le territoire et reste au service du public local, pour qu’il puisse y participer. Cette transversalité existe dans l’expression artistique mais aussi @dans cette possibilité d’en faire un« festival ». « L’E – Fest » a fonctionné en billetterie libre. Chacun pouvait payer ce qu’il souhaite. L’argent ramassé a été investi dans la restauration du Ksar où on avait fait « l’E – Fest ». Nous construisons dans la durabilité et nous voudrions laisser une trace des projets culturels conçus.
Que faut-il retenir de cette table ronde autour du monde arabe ?
Dans ce contexte, il y a à la fois notre approche, qui questionne tout ce qui se crée d’une manière actuelle et ce que nous créons au niveau des territoires, qui a été évoqué dans le cadre de cette rencontre dont le thème est « La mutation du monde arabe ». Un titre que je ne valide pas : le monde arabe est en évolution, il ne mute pas. J’ai tenté d’apporter un regard sur ce qui existe dans notre territoire avec cette jeunesse riche d’envie, de talents et d’idées. Les outils numériques sont partagés d’une manière universelle. Pendant l’intervention j’ai valorisé un territoire qui a beaucoup à apporter, dans un monde connecté et des jeunes conscients des enjeux de l’époque. La table ronde avait comme thématique le prochain programme méditerranéen « Saison méditerranéenne » et un lot d’interrogations : est ce qu’il y a une scène arabe ? Une seule identité ? Comment peut-on les qualifier ?. J’ai valorisé une diversification totale des identités et des scènes. Il ne faut pas nous mettre tous dans le même sac. Nos vécus et nos histoires dans le monde arabe sont tellement différents. Des personnes sont venues instinctivement me parler vers la fin de la discussion et ont exprimé leur joie de m’avoir écouté décloisonner cette pensée « mono-forme » sur le monde arabe. Cela leur a fait du bien d’avoir un témoignage d’expérience et de connaître ce qui se passe dans d’autres territoires. Cela a été favorablement accueilli.
Que pensez–vous de la scène visuelle et artistique actuelle en Tunisie ?
On a vraiment une nouvelle génération plus attentive et plus actuelle que la nôtre. A l’époque de l’« E- Fest », beaucoup de médiation a eu lieu afin de faire connaître les arts numériques et cet univers des outils, autrefois méconnu. Quand on fait des ateliers sur des outils numériques, de nos jours, beaucoup savent ce que c’est. Cela dit quand même que le domaine des nouvelles technologies et la jeunesse sont ultra à la page. Ce qui manque en revanche, ce sont des espaces où ils peuvent montrer leur travail, leur création et même où se former. Des espaces où ces jeunes peuvent échanger, s’exprimer, créer ensemble.
Dans le cadre d’un festival aussi réputé que celui d’Avignon, la metteuse en scène, Marwa Manai, participe à un projet prestigieux, titré « Transmission impossible », conçu par l’équipe de la 79e édition du festival et par la chorégraphe Mathilde Monnier. Il s’agit d’une « Villa créative », une villa d’incubation, avec restitution de projets, présentés ensuite publiquement. Une sorte de résidence artistique et immersive qui permet de vivre le festival comme un laboratoire d’expérimentation. Marwa Manai, également autrice et comédienne, nous livre son expérience…
L’été 2025 est le vôtre. Vous accumulez les expériences, dont « Transmission impossible », accomplie dans le cadre du festival d’Avignon. Pouvez–vous nous faire un retour sur cette expérience ?
Le projet « Transmission impossible » a été marqué par la participation de 32 artistes, issus du monde entier. Nous sommes issus de différents contextes, feed-back et formations diverses, avec de nombreuses pratiques et plusieurs disciplines : la chorégraphie, le théâtre, le stand up… Le programme était un peu chargé et intense. On a vu des pièces de théâtre et avons été accompagnés par des créateurs de renom. On devait aussi présenter une sortie de résidence : une performance, comme un petit projet réalisé en trois jours. C’était agréable, certes, intense, mais surtout complexe par rapport au contexte politique actuel. La thématique de la langue arabe, en 2025, oui, certes, mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? Le choix artistique aussi de certaines pièces programmées, notamment celle de Marlène Monteiro Freitas, artiste « vedette ou complice » de l’édition, et sa pièce « NÔT », qui revisite le chef-d’œuvre des « 1001 nuits ». A quel point c’était un bon choix de l’avoir mis en scène ? A quel point elle fait écho à la région arabe, son histoire, son actualité dure ? Être apolitique dans le monde actuel, est-ce possible ? Qu’est-ce que cela signifie ? J’étais la seule Tunisienne, avec des Maghrébins, et autres… Cette année, il y a eu plus d’inclusion et de nationalités.
La restitution du résultat final s’est-elle faite en présentant un seul et unique projet commun ou sous un autre format ?
Nous avons été 32, divisés sur 4 groupes avec un mentor sur chaque groupe. Chacun essayait d’animer le programme, proposer des idées, rapprocher les artistes, modérait… Chaque groupe a fait son propre projet avec quelques collaborations effectuées, entre deux groupes. J’ai pu présenter ma propre idée et vision. Personnellement, j’ai été très préoccupée par la question des choix politiques du festival. J’ai fini par présenter mon propre travail, ma restitution finale. Une lecture-performance personnelle que j’ai écrite et qui fait un peu la chronique d’Avignon tout en valorisant la simultanéité temporelle : on s’amuse et on fait la fête à Avignon, en même temps qu’un génocide à Gaza est toujours en cours. J’ai questionné des faits, une chronologie, deux temporalités différentes, tout en prenant le temps d’étaler cette réflexion. Beaucoup d’artistes voulaient s’exprimer dans l’urgence, d’autres étaient dans l’aspect technique et logistique. Plusieurs ont fait des présentations de groupes et des performances.
Comment votre lecture-performance a-t-elle été reçue ?
Le texte est parsemé d’extraits de phrases qu’on a beaucoup entendus depuis le génocide à Gaza. Des phrases qui revenaient en espagnol, en français et en plusieurs langues. L’accueil était donc positif. Le texte était en anglais, principalement avec des parties lues en d’autres langues. La lecture s’adressait à un public non francophone, encore plus large et plus intéressé par cette question. Le texte ne caresse pourtant pas dans le sens du poil. L’audience était réceptive. J’ai eu comme mentor Bouchra Ouizguen. « Transmission impossible » est un projet qui se cherche encore et qui reste ambitieux. D’un point de vue pédagogique, certains points restent à revoir et à réfléchir. Pareil pour les méthodologies à adopter. Les mentors devraient encore revoir et réviser le projet.
D’une manière plus générale, comment avez–vous vécu cette édition ?
C’est ma 3e fois à Avignon. Je réalise et souligne à quel point ce festival a les moyens de tout faire, à quel point il peut être luxueux, truffé de privilèges. D’où mes questionnements : à qui il s’adresse ? Les artistes du Sud peuvent-il s’identifier ou se reconnaître dans toute cette effervescence ? A quel point c’est représentatif d’un autre monde, en particulier du Sud ? Comment les organisateurs ont établi la programmation orientée vers l’arabité cette année ? Sur quels critères ont–ils retenu ces spectacles ? Autant de questions dans un milieu qui reste, en grande partie, eurocentré.
La dernière création scénique en date d’Ali Chahrour «Quand j’ai vu la mer», présentée au festival d’Avignon, miroite pour le public les vécus traumatiques de femmes éthiopiennes et libanaises, réduites à une forme d’esclavage moderne au Liban. Ali Chahrour dénonce le système «Kafala», qui fait des ravages, en pleine guerre, dans son pays natal, à travers trois femmes migrantes, victimes de traite.
Par Haithem Haouel, envoyé Spécial au festival d'Avignon
Tena, Zenei et Rania portent haut et bien fort, sur la scène de l’espace FabricA à Avignon, les voix de centaines de femmes migrantes, qui, après une longue traversée, se retrouvent piégées, dénuées de toutes formes de liberté primaires, séquestrées, maltraitées, enfermées, privées de mobilité, déshumanisées.
Dans une mise en scène d’une grande technicité et d’une maîtrise remarquable, mouvements du corps et sonorités fusionnent afin de crier sévices et injustices, lutte sans merci et résistance féminine pour dénoncer un fléau, celui de l’exploitation «d’êtres humains», spécifiquement, celles des femmes travailleuses, soumises à des conditions insoutenables. A Avignon, le public a retenu son souffle durant, au moins, trois représentations. Quand l’art devient un rempart à l’injustice ou quand le cruel est exprimé à travers le beau et l’esthétique, le message prôné parvient, en grande partie, à interpeller.
«When I Saw the Sea» est le titre original de la création phare. Elle s’impose dans la continuité des précédents accomplissements de Chahrour comme «Told to My Mother», ou «The Love Behind My Eyes». A la différence près qu’en 2025, Chahrour s’ouvre sur des problématiques récurrentes qui sévissent dans les pays du sud, tout en partant de son Liban natal, broyé par la guerre et les difficultés économiques.
L’artiste parvient à narrer et à créer des liens entre souffrances communes de peuples en difficulté et de leurs franges sociales, aux prises à des épreuves de survie.
Le cri d’alerte lancé à travers «When I saw The Sea» s’est propagé à travers le pouvoir du corps et de l’expression artistique des interprètes, à commencer par le chant, le théâtre et la danse. Bien qu’elles ne soient pas issues du domaine artistique, les trois protagonistes, d’origine éthiopienne et libanaise, transcendent par leurs gestuelles et leurs voix magnétiques.
La création est portée par la musique de Lynn Adib et Abed Kobeissy, en apparence discrets sur scène, mais qui nourrissent la création en musique. Une partie du public, qui est familière aux créations d’Ali Chahrour et à ses thématiques, découvrira finalement une tentative nouvelle du créateur, de vouloir décortiquer, raconter, traiter de thématiques plus larges, et de s’ouvrir ainsi au-delà des frontières de son pays. Raconter d’innombrables maux de l’époque moderne, telle est la vocation principale du théâtre et des arts vivants… après tout.
C’est au Palais des Papes à Avignon, lieu emblématique du théâtre mondial, que la metteure en scène capverdienne Marlene Monteiro Freitas souffle un vent nouveau, baptisé « NÔT » ou « nuit » en français. « L’artiste complice » — comme tout le monde a aimé l’appeler en 2025 — est une vedette de cette 79e édition. Freitas a revisité, sur commande, l’œuvre des « Mille et une nuits », en hommage à la langue arabe.
Par Haithem Haouel, envoyé spécial au festival d'Avignon
On n’y croirait presque pas… Pourtant, dans un élan audacieux, Marlene Monteiro Freitas l’a accompli. A travers sa vision apocalyptique, propre à elle, la metteure en scène s’est servie de ce chef-d’œuvre du patrimoine oriental comme support de base, pour recréer son propre monde, sur scène, le maintenir, et l’entretenir chaque jour, face à plus de 2000 spectateurs venus du monde entier.
Afin de mieux cerner l’ampleur du travail scénique accompli, il faut rappeler l’intrigue initiale des « Mille et une nuits », qui nous renvoie à une autre époque, un autre temps, sous le règne d’un sultan. Meurtri et profondément choqué par une infidélité, le régent nourrit, depuis, une haine envers les femmes, et en tue une au quotidien. Une nouvelle victime désignée d’emblée et qu’il a pensé épouser la veille.
Un massacre misogyne perpétué, sur 1001 nuits. Jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de Shéhérazade, jeune femme qui se porte volontaire de l’épouser et qui, pour rester en vie, lui raconte un conte passionnant, qu’elle n’achève pas de narrer, afin de revenir le lendemain, le finir, ajournant ainsi sa mort.
Comme une succession de tableaux scéniques, les versions se succèdent, ne se ressemblent pas et la restitution d’une version autre des « Mille et une nuits » s’installe. Une version grotesque, burlesque, qui réussit le pari d’accompagner le spectateur jusqu’au bout de cette frénésie. Freitas réinvente un univers, le modernise à sa manière et prend ses aises en maniant, et en modifiant très librement la version originale.
Le vice se confond avec l’audacieux, l’inattendu, l’ambigu. Les anecdotes, histoires, héritage oral jaillissent et, à sa manière, la metteure en scène en fait un mélange, présenté, sans retenue, sans pudeur, au risque d’ébranler les âmes sensibles.
Disons également que Marlene avait pu obtenir la cour du Palais des Papes pour laisser libre cours à son imaginaire. Munie des moyens techniques et logistiques nécessaires à l’aboutissement de sa version disjonctée des « Mille et une nuits », la splendeur du Palais sublime l’univers débordant, décapant, futuriste, apocalyptique de « NÔT ».
Encore plus fou que la narration proposée, les protagonistes tiennent les rênes d’un show sur 1h45, d’une main de maître. Profondément transgressifs, les personnages transmettent une charge émotionnelle d’une rare intensité, à travers leurs performances, gestuelles, chorégraphies et expressions corporelles ou faciales. L’espace, n’ayant pas de frontières pour elles / eux, est remodelé et adapté selon leur attente.
Les acteurs cassent les codes liés aux mouvements scéniques, s’affranchissent « presque » de la maîtrise de Freitas et partent à la rencontre des spectateurs de plus près … et jusqu’à très près même.
C’est comme s’ils échappaient au contrôle de la metteure en scène, dans une scène explosée, au mille et un détails maîtrisés.
L’absence totale ou presque de textes n’entrave pas l’immersion cauchemardesque dans cette dimension parallèle, dotée d’effets visuels et de musique rythmée, recherchée. La musique étant un des points forts de l’œuvre, si ce n’est pas sa force première.
« NÔT » est un monde qui peut agacer, répulser, attirer certains, ou créer, au contraire, fascination, curiosité et rêves. La réception de l’œuvre est d’une subjectivité changeante, que les retombées laissent finalement libre cours aux échanges, et débats à n’en plus finir et une pluie de critiques.
Paru chez Sarra édition en 2025, le recueil de nouvelles de Mondher Marzouki est magnifiée par un imaginaire singulier.. Paru initialement en langue arabe, il a été traduit en langue française par la traductrice Leyla daâmi, ensuite, en langue espagnole par Dr Hela Saidani, universitaire linguiste, francophone et hispanophone. La spécialiste en lettres s’est laissé tenter par cette aventure pour créer des ponts entre cultures, de confondre les récits oraux et écrits, et de s’enrichir mutuellement entre cultures.
Hela Saidani, vous signez la traduction en langue espagnole de quatre histoires extraites du recueil de Mondher Marzouki titré en version française «L’arbre fantasmagorique et les rêves sublimes». Vous qui êtes francophone et francisante, comment cette aventure a pu être menée à bout ?
En tant qu’universitaire linguiste, je suis profondément passionnée par les langues et les passerelles culturelles qu’elles permettent de construire. Cette aventure de traduction m’a beaucoup honorée et touchée : celle de traduire 4 nouvelles de « L’arbre fantasmagorique et les rêves sublimes » de Mondher Marzouki, et ce, du français vers l’espagnol. Leyla Daâmi, traductrice en langue française, s’est minutieusement mise à traduire le livre en entier en langue française depuis plus d’un an. Par hasard, les deux versions en espagnol et en français sont parues en même temps. Le livre en arabe est paru dans sa première édition en 2023. J’ai repris le titre en le traduisant mot à mot du français à l’espagnol, tout en me basant sur la version originale en arabe. Cela était plus qu’un exercice linguistique, je dirais plutôt que je m’étais lancée dans une forme de médiation interculturelle.
Ce projet de traduction s’est inscrit dans une triple démarche : Académique, artistique et personnelle. «Académique», car il s’agit de respecter la richesse stylistique de l’auteur, sa profondeur philosophique et ses images poétiques. «Artistique», car il fallait recréer l’univers onirique de ces nouvelles dans une langue à la fois différente et complémentaire. «Personnelle», car en tant que Tunisienne arabe, francisante de formation, francophone, francophile et hispanophone (à travers mes années d’études en Espagne), je me suis retrouvée, consciemment ou non, dans un triple dialogue entre les cultures arabe, francophone et hispanophone.
Pendant la traduction, je ne me suis pas contentée d’une simple transposition linguistique, il a fallu penser en profondeur les équivalences culturelles, les nuances émotionnelles et les rythmes propre à chaque langue. Cette richesse due à des allers-retours entre les langues a rendu l’expérience stimulante et édifiante.
Ce projet est né d’une double volonté, celle de l’auteur qui m’a découverte, et de la mienne. Je l’ai consulté à plusieurs reprises, et discuté longuement autour de ce projet de traduction. J’ai pris en considération une réalité culturelle liée à l’Espagne. Je me suis occupée de la mise en page du recueil. Je suis heureuse d’avoir pu faire rayonner une œuvre tunisienne à l’étranger à travers l’une des langues que je maîtrise le plus « L’espagnol », prolongeant ainsi les récits en dehors des frontières tunisiennes.
Je remercie Germinal Gil, directeur de centre Cervantes, qui m’a beaucoup soutenue et m’a relue afin de mener à bout cette démarche.
Comment s’est passé ce processus de traduction ? Y a-t-il eu un intermédiaire espagnol ou français qui s’est joint à votre travail?
Le processus de traduction s’est déroulé avec beaucoup de rigueur et de passion. Il est important de préciser que je n’ai traduit que vers la langue espagnole. Leyla Daâmi l’a fait en version française. Pendant ce processus, le recours à la version arabe originale et à la française se faisait tout le temps, ce qui m’a permis d’explorer les récits sous différentes perspectives.
Mon plurilinguisme m’a beaucoup aidée. Il m’a permis d’aborder les textes différemment. L’expérience était fascinante. Les langues citées ont toujours cohabité sur la rive méditerranéenne. L’arabe et l’espagnol ont toujours fusionné. C’est une grande richesse que nous partageons, entre deux pays, mutuellement au niveau historique, linguistique, économique.
L’accompagnement de Germinal Gil, le directeur du Cervantes, m’a été d’une grande aide. J’ai pu affiner la qualité de la traduction grâce à lui. Il n’est pas juste intermédiaire, j’évoquerais plus un appui, un soutien, une collaboration et un partage de savoir immense qui s’est fait entre nous. Les deux langues brandissent des valeurs humaines, célèbrent la vie et bouleversent l’humain par leur richesse.
Un défi de taille et sans doute des difficultés. Le challenge primaire est celui de traduire du texte initial en usant de votre lexique hispanophone, à votre manière, sans écorcher la portée originale du texte. Pouvez-vous nous citer toutes ces épreuves contournées pour parvenir à une traduction aussi maîtrisée, finalement ?
Traduire une œuvre, c’est bien plus qu’un passage d’une langue à une autre. C’est un exercice d’équilibre entre fidélité au texte source, l’arabe et créativité dans la langue cible, l’espagnol. Conserver l’âme du texte original, tout en trouvant une voie authentique en espagnol, qui ne trahisse ni le style de l‘auteur ni la charge émotionnelle des récits, c’est un exploit ! Il a fallu contourner plusieurs épreuves en rapport surtout avec la richesse symbolique de la langue arabe et de sa poésie, pleines d’images fortes et de métaphores culturelles qu’il fallait rendre d’une manière identique dans une langue autre qui n’a ni les mêmes structures ni les mêmes références. L’arabe est une langue casuelle et l’espagnol est une langue de position.
Les spécificités syntaxiques sont à prendre en considération et, l’enjeu culturel aussi, en évitant les traductions trop littérales. Il faut préserver la profondeur philosophique et l’étrangeté poétique. Le travail de révision a été fondamental et amplement mené par Germinal Gil, qui a veillé à perfectionner les textes d’une manière exigeante certes mais qui reste gratifiante.
Le travail a-t – il été effectué avec Mondher Marzouki, l’auteur du texte initial ? Jusqu’à quel degré la traductrice en langue française Leyla Dâami vous a-t-elle aidée ?
Bien sûr que j’ai travaillé en étroite collaboration avec l’auteur, en échangeant avec lui sur certains passages complexes, sur les intentions narratives, ou encore les choix lexicaux les plus fidèles à son univers. Ces éclaircissements m’ont permis de saisir la portée philosophique et symbolique de certains éléments du texte, essentielle pour avoir un résultat final de la traduction juste et respectueuse de la vision de l’auteur.
La version française de Leyla Daâmi m’a servi de point d’appui dans la mesure où elle constitue la première transposition du texte original. Même si nous n’avons pas travaillé ensemble directement, sa traduction m’a offert un éclairage précieux sur certains passages et elle a agi comme un intermédiaire subtil entre l’arabe et l’espagnol. Cela m’a permis de mieux comprendre des nuances, attentions, compréhensions, ou même certaines métaphores. Il y a eu un travail collaboratif et diversifié entre nous trois.
Que signifie «Être aussi polyglotte» pour vous en 2025 ?
Être polyglotte, c’est bien plus un atout ou une compétence, c’est habiter le monde autrement, avoir plusieurs fenêtres ouvertes, sur les cultures, les sensibilités, les imaginaires. C’est pouvoir lire un texte en arabe, penser en français et rêver en espagnol, comme c’est notre cas à travers ce livre.
C’est dialoguer avec l’altérité sans filtres. Dans un monde où les frontières se déplacent et où les identités se croisent, parler plusieurs langues, c’est aussi refuser les simplifications. C’est embrasser la complexité, écouter plus finement et comprendre en profondeur. C’est un engagement à tisser des liens, à créer des ponts entre des univers, à défendre la diversité comme une richesse fondamentale. Être polyglotte, c’est résolument choisir l’ouverture, la curiosité et la rencontre.
Pour son 2 ème livre « Les coups de minuit » paru aux éditions Arabesques en 2025, le jeune auteur Aziz Dridi tisse pour son lectorat une intrigue sombre, captivante, à l’écriture cinématographique.
Dans « Les coups de Minuit », deux allures d’hommes debout font la couverture du livre, digne de l’affiche d’un film d’action rétro, mais très curieuse. D’emblée, le lecteur fait la connaissance de Youssef, policier et de Taher, boxeur. Le premier mène une investigation dans un club de boxe clandestin et forcément intrigant, véritable bourbier de brutalité. Le 2 ème est Taher qui est féru de sport de combat, personnage esquissé au vécu mystérieux et au charisme qui ne laisse pas de marbre. Ce dernier canalise sa brutalité dans cet espace de boxe, faisant face à sa manière et au quotidien, aux aléas de la vie.
L’intrigue est annonciatrice de deux destins qui vont s’entrechoquer, laissant ainsi des péripéties surgir. L’enquête fructueuse sur ce club de boxe aux dessous troubles, commencent à porter ses fruits et les révélations finissent par jaillir…
« Les coups de minuit » est un modeste essai littéraire, fort de son style d’écriture concis et précis, dénué de bavardise. Le lecteur ne tarde pas à se familiariser aux personnages et à créer un lien, avec eux au fil des pages, malgré la complexité qui les enveloppe, leur caractère peu avenant. Les deux hommes fictifs, au centre de l’intrigue, nourrissent le mystère et l’intrigue au fil d’actions et de tournures inattendues. « Les coups de minuit » se lit d’une seule traite et entraine le lecteur dans un monde, qui rappelle dans la forme, celui de « Fight Club », chef d’œuvre du 7 ème art, signé David Fincher, avec Brad Pitt et Edward Norton, sorti en 1999.
Bien plus abouti que « L’homme qui voyait demain », le premier livre d’Aziz Dridi, paru aussi chez Arabesques, le jeune écrivain nous livre une intrigue à rebondissements, forte de son écriture maitrisée. Aziz Dridi entame son 3 ème livre. Le jeune écrivain montant, est initialement étudiant en chimie industrielle à l’INSAT. Sa passion pour les lettres et la publication ne cesse de croître. « Les coups de minuit » est en vente en ligne sur ceresbookshop ou dans les librairies et points de vente de livre en Tunisie.
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