* Journaliste, agitateur culturel et témoin de son époque*
Ce site archive tout un travail journalistique accompli pendant les 12 dernières années (2013 – 2025)....
«Mon espoir… Ma douleur», dernière création en date signée Naoufel Azara, entame un nouveau cycle de représentations à l’occasion de la rentrée culturelle et artistique de 2025. La scène d’ «El Teatro» arbore les couleurs de la Palestine et dénonce atrocités et sévices commises par l’Etat israélien colonisateur. Avec 120 acteurs en devenir sur scène, le metteur en scène cultive un devoir de mémoire.
Un génocide, c’est l’effacement d’un peuple, son histoire, sa culture. Le théâtre a pour vocation première d’entretenir l’aspect historique, la mémoire collective, sensibiliser, inciter à la réflexion, interroger l’époque, ou plus simplement relater des faits anciens et d’actualité. Le 4e art est, par essence, «engagé».
Le metteur en scène, en collaboration avec Amel Laouini, Yousra Ammouri, et sous l’égide artistique de Taoufik Jebali, partage une vision, une interprétation de l’actualité palestinienne et de son passé, avec l’engagement de 120 participants – acteurs. De nombreux actes scéniques défilent mais ne se ressemblent pas. Ils ont comme fil conducteur la Palestine, d’hier / d’aujourd’hui et son patrimoine culturel. La création est traversée par des œuvres littéraires, des textes, de la chanson et de la littérature arabes, ponctuée de poésie et d’effets visuels.
L’hommage aux artistes et auteur(es) palestiniens prend forme sur la scène d’El Teatro sur 1h15 de temps. Au fil des groupes d’acteurs, des scènes de bataille, de vie, de luttes et de faits reconstitués prennent vie. Dans cette foulée scénique, des chansons retentissent, des lettres défilent, de la poésie ancienne ravive la mémoire, et des visuels nourrissent les yeux.
Les faits évoqués se confondent forcément aux noms mythiques qui transcendent les générations : Fadwa Touqan, Mahmoud Darwish, Ghassan Kannafi, Jabra Ibrahim Jabra, Samih Al Kassem, Tamim Al Barghouti, sans oublier la chanson contemporaine et ses porteurs d’espoir tels que Faraj Suleiman, Camelia Jubran, Rim Banna, Nay Barghouti ou encore Lina Makhul.
Le titre de la création prône l’espoir collectif, puisé dans la douleur et le chaos. Les mots et les arts se confondent aux maux profonds d’une patrie résistante. 120 participants sur scène se sont engagés à porter de nombreuses voix palestiniennes, ont mis en pratique leur savoir autour de cette cause humaine. Les dialogues retentissent en langue arabe, entrecoupés par des intermèdes musicaux. De nombreuses apparitions traversent la scène, parfois éloquentes, souvent confuses.
Des interprétations courtes, mais qui interpellent, s’enchaînent. La création, produite par «El Teatro», est un hommage d’actualité rendu à une patrie, qui oscille entre la vie et la mort. Mention spéciale à la centaine d’acteurs participants à ce projet qu’on ne pourrait énumérer toutes et tous.
Les passants semblaient happés par les photographies exposées à l’espace Sidi Ben Aïssa à Hammamet. Soigneusement prises par Sadok Ben Salem, elles témoignent de sa passion pour la ville en écumant ses coins les plus connus, en figeant son golfe avec son mythique coucher de soleil et son activité de pêche quotidienne.
Présentées sous différents formats, les photographies de Sadok Ben Salem attirent des visiteurs curieux. Les scruter sur les murs de l’édifice historique Sidi Ben Aïssa du centre-ville… c’est redécouvrir la ville autrement. Sadok Ben Salem a fait une carrière dans l’enseignement avant de se consacrer à la photographie. Une passion qui est née par hasard, en maniant téléphones, logiciels et réseaux sociaux. « Instants suspendus » est sa 2e exposition solo maintenue sous le patronage de l’ASM, Association de sauvegarde de la Médina.
A travers ses prises, le chasseur d’images magnifie autrement la ville, en captant son heure dorée mythique, ses arbres, la quiétude de ses moments hivernaux, les remparts de son fort et ce qui reste de l’architecture typique propre à la ville, celle qui caractérise encore quelques constructions anciennes. S’adonner à cette activité, c’est exprimer son amour pour sa ville natale perpétuellement.
Dans un coin de l’espace ASM, un lieu pris aussi par le photographe qui n’existe pas à Hammamet. Il s’agit d’un site romain « Damous Lahlelfa », situé aux environs d’El Jem. Lors d’un passage dans la zone, il s’y arrête et découvre tout un site historique, bien visible, doté d’un sous-terrain immense.
C’est au gré de ses évasions que Sadok Ben Salem fige d’autres lieux, en dehors de la ville, toujours en domptant la lumière. Des prises du mythique site berbère de Zriba Olya sont aussi exposées. D’autres régions comme Takrouna, Hergla ou le Cap Bon verront sans doute le passage de Sadok Ben Salem, qui prend soin de suspendre des instants de vie, des parcours… et de les épingler dans le temps.
«Je n ’oublie pas le soutien de l’ASM, d’amis et de copains qui m’ont encouragé à m’adonner à cette passion. J’aspire à exposer ailleurs prochainement à Tunis ou Nabeul», indique le photographe. En usant de la technologie et du Net, il met en relief quelques éléments visibles sur ses prises.
Arrêt sur l’unique participation tunisienne en 2025 à la Paris Design Week de l’architecte et designer lumière Hassene Jeljeli. Il exposera à Paris sa collection inédite « Mystic Lamps ».
Son travail inédit risque de sublimer une capitale des lumières automnale. Paris s’apprête à accueillir son événement annuel consacré aux créateurs et aux designers français et internationaux. Après avoir représenté la Tunisie à la «Milan Design Week» et au «Salone Satellite», le jeune créateur continue de porter haut les couleurs de la scène design émergente tunisienne avec sa nouvelle collection «Mystic Lamps». «Mystic Lamps» est une collection née de la rencontre entre le marbre tunisien et l’acier perforé. Un travail où la lumière dialogue avec la matière brute, révélant une poésie minérale inédite. Elle explore la rencontre entre géométrie sacrée, matériaux bruts et transparence, dans un geste à la fois architectural et sensible.
Installé à Tunis, Jeljeli revendique une approche intuitive et engagée, ancrée dans son territoire mais résolument tournée vers l’international. Cette participation à la Paris Design Week confirme la volonté du designer lumière de placer la création tunisienne au cœur des grandes plateformes internationales du design contemporain.
Hassene Jeljeli est né à Tunis en 1991. Il est architecte de formation et designer autodidacte. Après des études à l’École nationale d’architecture et d’Urbanisme de Tunis (Enau), il fonde JK Lighting en 2018, une aventure lumineuse née de l’héritage paternel, qu’il transforme en laboratoire de recherche formelle et matérielle. Entre marbre récupéré, acier perforé et assemblages poétiques, ses créations révèlent un langage sculptural où la lumière devient matière.
Finaliste du IMA Design Prize à Paris en 2024 et double exposant au Salone Satellite de la Milan Design Week (2024 & 2025), il développe une esthétique minimaliste nourrie de récits personnels et de savoir-faire locaux. Il a été récompensé à plusieurs reprises par le Tunisia Design Week (Emergent Talent, Designer of the Year) ainsi que par les «International Lighting Design Competitions» de «Designmilk» (2022, 2023). Son travail a déjà été présenté à la Milan Design Week et à la galerie Musk and Amber à Tunis lors d’une exposition solo événement. L’exposition de «Mystic Lamps» a lieu à la galerie Joseph, rue de Turenne à Paris du 4 au 8 septembre 2025.
Lors de son récent passage à la 79e édition du festival d’Avignon, Afif Riahi, fondateur d’« Echos Electrik » et professionnel de la musique et des outils numériques, a participé à une table ronde qui a traité «des mutations dans le monde arabe», celles artistiques et culturelles. Il a assuré un partage d’expérience des plus édifiants et a éclairé un large public. Cet entretien revient sur cette table ronde, avec un focus sur « Echos Electrik » et « No Logo », qui ne cessent d’œuvrer en Tunisie.
Votre participation à la 79e édition du festival d’Avignon, maintenue, cette année, en hommage à la langue arabe, s’est faite dans le cadre d’une discussion édifiante. Parlons–en !
La langue arabe, selon moi, n’était pas assez présente. Il n’y avait pas assez de temps pour une meilleure représentation de la langue arabe et de l’arabité à Avignon. Pas dans le cadre du festival, en tout cas, mais c’est toujours bien qu’il y ait des focus. J ait été invité au festival d’Avignon pour parler de mon association «Echos Electrik». Créée en 2007, elle a pour objectif de démocratiser la culture numérique en Tunisie. J’ai fait ma scolarité dans mon pays d’origine, et je n’ai cessé de travailler sur place. «Echos Electrik» a développé le projet «E – Fest», qui s’est déroulé à la Cathédrale de Carthage en 2007. Un projet qui traitait de la culture numérique mais pas d’un point de vue «Musique – DJing» seulement : il s’agissait d’inclure les outils numériques créatives dans d’autres disciplines artistiques. Plein d’expositions et d’interventions ont eu lieu notamment dans des endroits publics.
Quelles ont été les disciplines ciblées ?
Les principaux axes de l’« E- Fest » ont touché la musique et les arts visuels. Le projet a perduré de 2007 jusqu’en 2017 et a permis de démocratiser les pratiques et de fédérer de nombreux artistes qui se sont questionnés sur ces outils, s’y sont imprégnés et ont vécu l’« E – Fest ». Une manifestation qui, auparavant, a marqué une génération. On a arrêté le festival, par la suite, quand on a senti que la mission était accomplie, celle de rendre le numérique à la portée, et nous nous sommes focalisés sur une décentralisation de nos activités dans les régions, en dehors de Tunis. « No Logo » a donc été créée et s’est développée pendant 5 ans, même pendant la pandémie. C’est une forme d’« E- Fest » mobile, qui s’est déroulé dans 9 villes, et dans d’autres algériennes et marocaines. On était un collectif de 15 personnes, artistes et techniciens, qui passait les trois quarts du mois dans une ville où on y crée des initiatives avec les locaux, en collaborant avec les structures culturelles, éducatives, associations, écoles… Chaque ville connaîtra au fur à mesure son programme, qui prendra la forme « d’une bulle de création ».Une structure imposante qui atteint les 400 m2, de 15 mètres de haut et qui a accueilli de nombreuses personnes. Une bulle a vu le jour dans chaque territoire, avec 400 personnes dedans.
Qu’est-ce que « cette bulle » ?
La bulle est un objet architectural, conçu à base de plastique, avec un design, qu’on construit dans des ateliers avec des participants. La bulle devient un objet gonflable qu’on peut installer dans l’espace public. Cela crée un espace culturel éphémère qui n’existait pas dans un espace public et c’est dans cette bulle qu’on rendait compte de tout ce qu’on a créé et travaillé avec le tissu local de chaque territoire. Un « No Logo » Tataouine a vu le jour, d’où le retour récent de « l’E – Fest » là-bas. Le numérique reste présent mais avec davantage de volonté de développer la culture sur le terrain. De mettre les arts au service d’un territoire et de les développer. On propose des projets qui aident au développement territorial dans les régions éloignées. On utilise toujours nos outils mais pas d’une manière première. On valorise plutôt le numérique et on le diffuse en soutenant ainsi un territoire en y insérant des formes d’expressions artistiques transversales.
Que voulez–vous dire par « transversale » ?
C’est quand les disciplines artistiques peuvent se croiser. La musique, avec l’art numérique, ou le Dj-iing, par exemple. L’idéal c’est de créer un festival qui soit ouvert sur un maximum de disciplines, en les questionnant, sans retenu. Chaque action artistique questionne le territoire et reste au service du public local, pour qu’il puisse y participer. Cette transversalité existe dans l’expression artistique mais aussi @dans cette possibilité d’en faire un« festival ». « L’E – Fest » a fonctionné en billetterie libre. Chacun pouvait payer ce qu’il souhaite. L’argent ramassé a été investi dans la restauration du Ksar où on avait fait « l’E – Fest ». Nous construisons dans la durabilité et nous voudrions laisser une trace des projets culturels conçus.
Que faut-il retenir de cette table ronde autour du monde arabe ?
Dans ce contexte, il y a à la fois notre approche, qui questionne tout ce qui se crée d’une manière actuelle et ce que nous créons au niveau des territoires, qui a été évoqué dans le cadre de cette rencontre dont le thème est « La mutation du monde arabe ». Un titre que je ne valide pas : le monde arabe est en évolution, il ne mute pas. J’ai tenté d’apporter un regard sur ce qui existe dans notre territoire avec cette jeunesse riche d’envie, de talents et d’idées. Les outils numériques sont partagés d’une manière universelle. Pendant l’intervention j’ai valorisé un territoire qui a beaucoup à apporter, dans un monde connecté et des jeunes conscients des enjeux de l’époque. La table ronde avait comme thématique le prochain programme méditerranéen « Saison méditerranéenne » et un lot d’interrogations : est ce qu’il y a une scène arabe ? Une seule identité ? Comment peut-on les qualifier ?. J’ai valorisé une diversification totale des identités et des scènes. Il ne faut pas nous mettre tous dans le même sac. Nos vécus et nos histoires dans le monde arabe sont tellement différents. Des personnes sont venues instinctivement me parler vers la fin de la discussion et ont exprimé leur joie de m’avoir écouté décloisonner cette pensée « mono-forme » sur le monde arabe. Cela leur a fait du bien d’avoir un témoignage d’expérience et de connaître ce qui se passe dans d’autres territoires. Cela a été favorablement accueilli.
Que pensez–vous de la scène visuelle et artistique actuelle en Tunisie ?
On a vraiment une nouvelle génération plus attentive et plus actuelle que la nôtre. A l’époque de l’« E- Fest », beaucoup de médiation a eu lieu afin de faire connaître les arts numériques et cet univers des outils, autrefois méconnu. Quand on fait des ateliers sur des outils numériques, de nos jours, beaucoup savent ce que c’est. Cela dit quand même que le domaine des nouvelles technologies et la jeunesse sont ultra à la page. Ce qui manque en revanche, ce sont des espaces où ils peuvent montrer leur travail, leur création et même où se former. Des espaces où ces jeunes peuvent échanger, s’exprimer, créer ensemble.
Dans le cadre d’un festival aussi réputé que celui d’Avignon, la metteuse en scène, Marwa Manai, participe à un projet prestigieux, titré « Transmission impossible », conçu par l’équipe de la 79e édition du festival et par la chorégraphe Mathilde Monnier. Il s’agit d’une « Villa créative », une villa d’incubation, avec restitution de projets, présentés ensuite publiquement. Une sorte de résidence artistique et immersive qui permet de vivre le festival comme un laboratoire d’expérimentation. Marwa Manai, également autrice et comédienne, nous livre son expérience…
L’été 2025 est le vôtre. Vous accumulez les expériences, dont « Transmission impossible », accomplie dans le cadre du festival d’Avignon. Pouvez–vous nous faire un retour sur cette expérience ?
Le projet « Transmission impossible » a été marqué par la participation de 32 artistes, issus du monde entier. Nous sommes issus de différents contextes, feed-back et formations diverses, avec de nombreuses pratiques et plusieurs disciplines : la chorégraphie, le théâtre, le stand up… Le programme était un peu chargé et intense. On a vu des pièces de théâtre et avons été accompagnés par des créateurs de renom. On devait aussi présenter une sortie de résidence : une performance, comme un petit projet réalisé en trois jours. C’était agréable, certes, intense, mais surtout complexe par rapport au contexte politique actuel. La thématique de la langue arabe, en 2025, oui, certes, mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? Le choix artistique aussi de certaines pièces programmées, notamment celle de Marlène Monteiro Freitas, artiste « vedette ou complice » de l’édition, et sa pièce « NÔT », qui revisite le chef-d’œuvre des « 1001 nuits ». A quel point c’était un bon choix de l’avoir mis en scène ? A quel point elle fait écho à la région arabe, son histoire, son actualité dure ? Être apolitique dans le monde actuel, est-ce possible ? Qu’est-ce que cela signifie ? J’étais la seule Tunisienne, avec des Maghrébins, et autres… Cette année, il y a eu plus d’inclusion et de nationalités.
La restitution du résultat final s’est-elle faite en présentant un seul et unique projet commun ou sous un autre format ?
Nous avons été 32, divisés sur 4 groupes avec un mentor sur chaque groupe. Chacun essayait d’animer le programme, proposer des idées, rapprocher les artistes, modérait… Chaque groupe a fait son propre projet avec quelques collaborations effectuées, entre deux groupes. J’ai pu présenter ma propre idée et vision. Personnellement, j’ai été très préoccupée par la question des choix politiques du festival. J’ai fini par présenter mon propre travail, ma restitution finale. Une lecture-performance personnelle que j’ai écrite et qui fait un peu la chronique d’Avignon tout en valorisant la simultanéité temporelle : on s’amuse et on fait la fête à Avignon, en même temps qu’un génocide à Gaza est toujours en cours. J’ai questionné des faits, une chronologie, deux temporalités différentes, tout en prenant le temps d’étaler cette réflexion. Beaucoup d’artistes voulaient s’exprimer dans l’urgence, d’autres étaient dans l’aspect technique et logistique. Plusieurs ont fait des présentations de groupes et des performances.
Comment votre lecture-performance a-t-elle été reçue ?
Le texte est parsemé d’extraits de phrases qu’on a beaucoup entendus depuis le génocide à Gaza. Des phrases qui revenaient en espagnol, en français et en plusieurs langues. L’accueil était donc positif. Le texte était en anglais, principalement avec des parties lues en d’autres langues. La lecture s’adressait à un public non francophone, encore plus large et plus intéressé par cette question. Le texte ne caresse pourtant pas dans le sens du poil. L’audience était réceptive. J’ai eu comme mentor Bouchra Ouizguen. « Transmission impossible » est un projet qui se cherche encore et qui reste ambitieux. D’un point de vue pédagogique, certains points restent à revoir et à réfléchir. Pareil pour les méthodologies à adopter. Les mentors devraient encore revoir et réviser le projet.
D’une manière plus générale, comment avez–vous vécu cette édition ?
C’est ma 3e fois à Avignon. Je réalise et souligne à quel point ce festival a les moyens de tout faire, à quel point il peut être luxueux, truffé de privilèges. D’où mes questionnements : à qui il s’adresse ? Les artistes du Sud peuvent-il s’identifier ou se reconnaître dans toute cette effervescence ? A quel point c’est représentatif d’un autre monde, en particulier du Sud ? Comment les organisateurs ont établi la programmation orientée vers l’arabité cette année ? Sur quels critères ont–ils retenu ces spectacles ? Autant de questions dans un milieu qui reste, en grande partie, eurocentré.
La dernière création scénique en date d’Ali Chahrour «Quand j’ai vu la mer», présentée au festival d’Avignon, miroite pour le public les vécus traumatiques de femmes éthiopiennes et libanaises, réduites à une forme d’esclavage moderne au Liban. Ali Chahrour dénonce le système «Kafala», qui fait des ravages, en pleine guerre, dans son pays natal, à travers trois femmes migrantes, victimes de traite.
Par Haithem Haouel, envoyé Spécial au festival d'Avignon
Tena, Zenei et Rania portent haut et bien fort, sur la scène de l’espace FabricA à Avignon, les voix de centaines de femmes migrantes, qui, après une longue traversée, se retrouvent piégées, dénuées de toutes formes de liberté primaires, séquestrées, maltraitées, enfermées, privées de mobilité, déshumanisées.
Dans une mise en scène d’une grande technicité et d’une maîtrise remarquable, mouvements du corps et sonorités fusionnent afin de crier sévices et injustices, lutte sans merci et résistance féminine pour dénoncer un fléau, celui de l’exploitation «d’êtres humains», spécifiquement, celles des femmes travailleuses, soumises à des conditions insoutenables. A Avignon, le public a retenu son souffle durant, au moins, trois représentations. Quand l’art devient un rempart à l’injustice ou quand le cruel est exprimé à travers le beau et l’esthétique, le message prôné parvient, en grande partie, à interpeller.
«When I Saw the Sea» est le titre original de la création phare. Elle s’impose dans la continuité des précédents accomplissements de Chahrour comme «Told to My Mother», ou «The Love Behind My Eyes». A la différence près qu’en 2025, Chahrour s’ouvre sur des problématiques récurrentes qui sévissent dans les pays du sud, tout en partant de son Liban natal, broyé par la guerre et les difficultés économiques.
L’artiste parvient à narrer et à créer des liens entre souffrances communes de peuples en difficulté et de leurs franges sociales, aux prises à des épreuves de survie.
Le cri d’alerte lancé à travers «When I saw The Sea» s’est propagé à travers le pouvoir du corps et de l’expression artistique des interprètes, à commencer par le chant, le théâtre et la danse. Bien qu’elles ne soient pas issues du domaine artistique, les trois protagonistes, d’origine éthiopienne et libanaise, transcendent par leurs gestuelles et leurs voix magnétiques.
La création est portée par la musique de Lynn Adib et Abed Kobeissy, en apparence discrets sur scène, mais qui nourrissent la création en musique. Une partie du public, qui est familière aux créations d’Ali Chahrour et à ses thématiques, découvrira finalement une tentative nouvelle du créateur, de vouloir décortiquer, raconter, traiter de thématiques plus larges, et de s’ouvrir ainsi au-delà des frontières de son pays. Raconter d’innombrables maux de l’époque moderne, telle est la vocation principale du théâtre et des arts vivants… après tout.
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