Statut de l’artiste : Entre interrogations et résignation

8 / 15 / 2021PORTRAITS / PÊLE - MÊLE Statut de l’artiste : Entre interrogations et résignation

S’interroger sur le statut de l’artiste en pleine période de flottement artistique est justifié. La carte professionnelle définit-elle l’artiste ? Reflète-t-elle son art ? Le valorise-t-elle? Etoffe-t-elle le statut de l’artiste déjà flou, ou au contraire, pourra-t-elle provoquer un changement au niveau des institutions ? Parole libre aux artistes.


Ichraf Sallem, chanteuse d’opéra


« Pour l’opéra, le marché est déjà très restreint. Les concerts ne se font pas beaucoup chaque année… et maintenant, avec le covid-19, il n’y a plus rien. Pour ma part, l’enseignement a été une alternative de survie. Je n’aurais pas pu me contenter des spectacles seulement. Pour la carte pro, j’ai pu avoir la mienne cette année pour la première fois. Les diplômés peuvent l‘avoir d’office et les amateurs doivent passer des auditions. Je trouve que c’est un mode de fonctionnement injuste parce qu’il crée des inégalités : entre quelqu’un qui a fait tout un parcours académique, universitaire et un amateur, qui exerce parce qu’il est mélomane ou simple passionné : on se retrouve, au final, sur un pied d’égalité… et c’est dévalorisant. Cependant, je ne généralise pas : je trouve que de nombreux amateurs méritent amplement la carte pro et sont doués. Auprès de certains recruteurs, posséder la carte est primordiale et définit l’artiste, hélas… Dans mon cas, je n’ai pas fait usage de ma carte encore. On verra… Elle peut nous être utile pour les formalités administratives, pour le visa… Si le système doit changer, je suis pour parce qu’il reste foncièrement discriminatoire. Malheureusement, à l’Institut Supérieur de Musique, les étudiants affluent de moins en moins sur la formation académique, parce qu’ils sont conscients, qu’au final, ils peuvent obtenir cette carte professionnelle, facilement et autrement que d’entamer des études. Ce système nuit déjà à l’enseignement supérieur face à des étudiants de moins en moins présents, des enseignants qui partent et nous assisterons à un délitement progressif du secteur. Il n’y a plus de niveau, en plus, entre professeurs et autres, formés ailleurs ou autodidactes : la différence est fine voire inexistante, puisque tout le monde a sa carte au final… Personnellement, en tant que professionnelle, je préfère faire appel à un amateur passionné que de travailler avec quelqu’un de beaucoup plus formé sur le plan universitaire, ou académique et qui pourrait être réticent, ou exigeant… J’espère voir un jour notre statut de « chanteurs d’opéra » sous de meilleurs auspices et légal. »

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Yasser Jradi , artiste musicien et auteur compositeur


« Ce hic m’a personnellement nui. J’ai fait des études à l’école des Beaux-arts, et parallèlement, j’ai entamé un parcours en musique, qui m’a finalement beaucoup plus attiré. Je suis autodidacte et ayant un souci de lecture, je n’ai pas pu passer le concours d’obtention de la carte professionnelle et je n’ai pas moyen de l’avoir. J’ai subi de nombreux refus de concerts et de participation à des festivals… y en a d’autres qui acceptent avec cette diminution de 17% effectuée parce qu’on n’a pas de carte pro… C’est dévalorisant. Cette carte définit l’artiste, non pas son art. C’est tellement administratif comme système. En l’absence de critiques artistiques qui peuvent modérer, sensibiliser davantage quant à ce dysfonctionnement… les choses ne peuvent pas changer facilement. Dans l’histoire de l‘art, les critiques ont un impact et sont annonciateurs de changements ou sinon, c’est l’embrouille… J’ai du mal à participer facilement aux festivals. Avant, à Hammamet et Carthage, on m’a appelé mais je ne peux pas aller vers eux. Auparavant, pour le festival de la Médina, il y a eu une fois où je m’étais embrouillé avec les organisateurs qui m’avaient contacté en 2011, mais quand moi j’ai voulu y participer plus tard, j’ai essuyé un refus de leur part, sous prétexte que « c’est la loi ». Ce système est ridicule et les autorités restent silencieuses. Pour avoir la paperasse, si on ne l’a pas aussi cette carte, ça peut traîner … quand on m’invite à l’étranger, des refus de visa peuvent se faire encore et toujours. Ça dépend des hôtes. La solution serait que le système devienne plus artistique et moins administratif…»

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Rym Charfi alias Noy Ara, artiste-DJ


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