Yasmine Dimassi : «Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès»

5 / 4 / 2020ENTRETIENSYasmine Dimassi : «Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès»

Nous l’avons découvert au cinéma dans «Dachra» ensuite dans la première saison de «Nouba» d’Abdelhamid Bouchnak. Yasmine Dimassi a longtemps baigné dans le théâtre : El Teatro est pour elle sa seconde demeure, si ce n’est la première. En 2019, elle commence à se frayer un chemin prometteur, et ce, dans différentes disciplines artistiques. Actuellement, nous la retrouvons dans la 2e saison de «Nouba», dans le même rôle, mais totalement métamorphosée. Entretien.


Votre rôle dans «Nouba» a beaucoup évolué depuis l’année dernière. Quels sont ces changements ?


Il s’agit d’un changement de cadre en premier lieu. Mon personnage était dans un tout autre contexte l’année dernière, chargé d’une mission bien déterminée. Cette année, c’est toujours la même personne mais dans un cadre tout autre, avec un ressenti, un relationnel et un recul nouveau. Blessée, fragilisée ou pas, nous allons le découvrir au fil des épisodes. Je préfère faire durer le suspense pour ne rien vous gâcher. Je n’en dirai pas plus.


Avec l’arrivée des figures comme Fathi Haddaoui, Kamel Touati ou Rim Riahi, comment s’est passé le contact avec eux ? Peut-on parler d’«un choc des générations» ?


Non. Je ne dirai pas cela… de toute façon, il s’agit de personnes mentalement bien plus jeunes que nous. Je n’ai pas tourné personnellement avec Fathi Haddaoui et Kamel Touati. Je n’en sais pas trop. Rim Riahi est extraordinaire. Je sais qu’ils avaient hâte, qu’ils étaient tout aussi excités et même bien plus stressés que nous. L’équipe était là à les rassurer… surtout Rim. On l’a adoptée. C’est notre esprit d’équipe : nous défendons le même projet, nous avançons ensemble tout en étant le plus possible soudés.


En quoi l’ambiance du tournage de la saison 1 était différente de la saison 2 ?


Oh que oui ! Elle était très différente pour moi, en effet. Je peux parler de moi- même, de mon propre ressenti : je ne peux pas parler de l’ambiance globale du tournage : l’année dernière, j’étais entourée de personnes que je connaissais étroitement, dans un lieu précis, des repères… J’avais Héla Ayed comme partenaire… et quelle merveilleuse partenaire ! Cette fois, j’ai glissé dans un autre univers totalement différent, un peu moins connu, avec des personnes bosseuses et tout aussi intéressantes. Mon coup de cœur de cette année, c’est sans doute Rabeb Srairi, mon ancienne professeure. Contente aussi d’avoir retrouvé Assem Bettouhami qui était mon prof. J’étais très heureuse d’être à leurs côtés. L’année dernière, on était davantage dans l’aventure. On avançait ensemble, spontanément… Personnellement, je ne pensais pas beaucoup aux retombées, à plaire coûte que coûte à un immense public, etc. On était réunies autour d’un projet, et chacun (e) y participait à fond. Cette année, on avait comme mission de répondre à des attentes. Construire de rien n’est pas comme rebondir sur un succès. La peur et le stress planaient, et avec le corona, on était encore plus sous pression. D’ailleurs, on n’a pas pu achever convenablement le tournage. Une réécriture est même en train d’avoir lieu pendant le montage. On voit avec la version initiale, on compare et on essaie de faire avec ce qu’on a.

Yasmine Dimassi dans la saison 1 de Nouba.jpg

Comment s’est déroulée l’intégration des nouveaux acteurs comme Rabeb et Assem ?


Très bien. On se connaissait déjà depuis longtemps. A El Teatro, au théâtre, on s’est connu sur scène et c’était nos professeurs. Leur présence nous a beaucoup enrichis. Au-delà de l’artistique, c’est l’aspect humain qu’on retient le plus dans une expérience comme celle-ci menée surtout avec Rabeb et Assem.


Comment est Abdelhamid Bouchnak sur le tournage ?


C’est différent pour nous. On est là à le consulter et vice-versa, à interagir, émettre des remarques d’ordre scénaristique. On est beaucoup dans l’échange. Il y a une grande complicité entre nous. Après, c’est une personne qui travaille passionnément, avec plaisir… Personnellement, je n’ai pas encore connu de réalisateurs tyranniques, violents, désagréables… J’ai travaillé avec Bouchnak et Lassaad Oueslati. Ils sont zen, détendus… Je suis chanceuse jusque-là. Il y a eu un stress fou cette année, mais on a essayé toujours de gérer ensemble. Et lui il s’en sort très bien… Un seul bémol avec Abdelhamid, je dirai qu’il opte souvent pour une seule prise avec son acteur sans plus et cela peut être frustrant. La première est toujours bonne pour lui.


Le public est excessivement impatient cette année. Parfois, il peut paraître exigeant, souvent jusqu’à tomber dans la violence ou le lynchage. C’est en tout cas ce qu’on peut souvent voir sur les réseaux sociaux. Vous gérez comment cette pression en tant qu’équipe ?


Ma réponse peut vous étonner : mais personnellement, la réaction du public, peu importe son intensité, son ampleur, elle ne me touche pas tant que cela. Ce qui m’importe, c’est les critiques fondées, constructives. Le public peut être exigeant, et ça ne peut que me faire plaisir parce qu’en un sens, cela veut dire qu’il a adopté le projet. C’est bien de nous complimenter simplement… mais cela ne nous aide pas à avancer. Le regard critique compte vraiment. Quelques téléspectateurs prennent mal qu’on se juge nous-mêmes (rire). Ça fait plaisir… Une proximité s’est créée avec une certaine tranche du public. Dans certain cas, on subit un tollé de réactions violent qui n’a pas de sens et n’avance personne. J’en profite d’ailleurs pour souligner à quel point de nos jours, on est incapable de discuter ou de débattre autour d’une œuvre ou même d’être dans l’échange convenablement. On est de plus en plus fermé aux autres, intolérants. Une stratégie de formation constructive, qui initierait le public au débat de fond et à la critique, doit être relancée le plus tôt possible comme celle qu’on faisait grâce à la Ftcc, aux cinéclubs, la Ftca… Avoir le sens de l’analyse, discuter d’une œuvre sans se taper dessus. Pour moi, c’est une urgence ! C’est désolant ce qu’on voit de nos jours, surtout avec l’émergence des réseaux sociaux. Désolant certes, mais ça ne m’affecte pas parce que comme je l’ai dit, ce n’est pas constructif. Avec des proches, des collègues, on n’hésite pas se critiquer mutuellement… et cela nous réussit. C’est ce qui nous aide à avancer et à nous autocritiquer, nous remettre en question sans cesse. La richesse se crée à partir de ce comportement. Il y a un vide énorme, il faut penser à le combler. Le lynchage y compris en ligne génère un terrorisme intellectuel et c’est totalement contreproductif.


Avec quel acteur ou actrice de «Nouba» vous sentez-vous le plus à l’aise pendant le tournage?


Hela Ayed… sans aucune hésitation. Un simple regard avec elle peut faire la différence. C’est une partenaire extraordinaire. Elle fait l’exception pour moi. Amira Chebli est généreuse dans son jeu d’acteur… Parfois, tu oublies que tu bosses avec certains comédiens. C’est si agréable. Jouer avec Rabeb aussi est un pur plaisir. Je pense que je suis plus à l’aise avec les actrices finalement. (Rire) Aziz Jbali et Mhadheb Rmili sont magnifiques également.


Si vous deviez revenir sur les polémiques récentes autour de «Nouba»…


Je laisse couler, franchement. Bon… pour les réactions autour de la rediffusion sur Youtube, je trouve cela dommage parce qu’on voulait soutenir notre œuvre en évitant le piratage. C’est réducteur en tant qu’artistes de voir notre travail fuité en ligne. «Artify» est une excellente alternative. Cette plateforme tunisienne pourra bénéficier du travail, le spectateur pourra le découvrir en HD, avec les droits d’auteur… L’équipe «Artify» peut gérer son projet en s’adaptant et en améliorant toujours davantage son rendu.


Vous alternez aisément théâtre, cinéma et télé… Vous avez une préférence pour une discipline en particulier ?


Bien sûr… je préfère le théâtre, sans aucun doute. Après place au cinéma… Pour la télé, si le projet me paraît bon, j’accepte. Je ne suis pas très tentée par les feuilletons en général qui ne se laissent consommer que pendant les dîners ramadanesques. Je suis hyper contente pour Lassaâd Oueslati qui va pouvoir présenter son feuilleton «Harga» pendant la grille hivernale. C’est courageux. Je suis fière de lui. Heureuse de le voir prendre une telle décision. J’espère qu’il pourra montrer aux annonceurs, aux médias et à tout le monde que le meilleur moment dans l’année pour faire de l’audimat, ce n’est pas uniquement le Ramadan et qu’il est temps que les choses changent. Je suis optimiste.


Quels sont vos projets futurs ?


Rien de très concret pour l’instant. En parlant de théâtre, je profite du confinement pour écrire. Je suis dans une phase de documentation. Si on ne joue pas assez avec les autres autant créer et inciter d’autres comédiens à venir jouer. On est riche d’El Teatro et merci à Taoufik Jebali qui nous assiste pendant toutes nos folies créatrices.

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