Souhir Ben Amara a rempilé sur le petit écran dans «El Foundou», dirigée par Sawssen Jomni. Succès public garanti qui survient après son passage sur scène, dirigée par Cyrine Gannoun et au cinéma, dans l’onirique «Tlamess» de Alaa Eddine Slim. Rencontre avec une valeur sûre qui s’innove.
«El Foundou», série ramadanesque réalisée par Sawssen Jomni, est votre dernier travail en date. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle ?
C’est la complexité du rôle. C’est ce que porte le personnage comme contradictions. Ce qu’il porte comme traumatisme, comme trame dramatique. Son aspect fragile. Ce rôle dans «El Foundou» est très différent de ce que je suis. Plus il est loin de ce que je suis et de ce que je ressens, mieux c’est. C’est ainsi que je peux me sentir dans la création et dans la recherche. Avec Sawssen Jomni, le contact s’est très bien déroulé. On se connaît depuis longtemps, même si ça faisait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Elle a évolué. Elle a le sens du détail. C’est une réalisatrice qui opte davantage pour les gros plans : c’est une approche que j’apprécie. Il y a beaucoup de confiance entretenue entre nous deux.
Est-ce que vous êtes de ces artistes qui trouvent qu’une réalisatrice femme travaille différemment qu’un réalisateur homme ? Est-ce que vous trouvez que leur sensibilité diffère ?
C’est la même chose pour moi. J’apprécierais plus s’ils étaient différents. Chacun sa vision, son approche, sa méthode de diriger les acteurs. Ça ne peut être qu’enrichissant. Il faut certes assurer, mais c’est surtout un exercice qui s’adapte à la vision, à la façon de travailler de l’acteur.
«El Foundou» a reçu un accueil public largement favorable, mais a été par moments critiqué à cause de l’image dite « péjorative qu’il véhicule de la femme ». Je cite également « de la violence physique explicite », etc. Qu’avez-vous à dire sur ces critiques ?
Ce qui se passe dans la vraie vie est mille fois plus grave que ce qu’on peut voir dans une fiction. Ce qu’on ne voit pas est pire. Admettons que tout ceci existe, ça choquera quand même quand on le voit. Autant voir la réalité telle qu’elle est. Par ailleurs, on peut se sentir responsables quand on sait que cet ailleurs-là, ou la rue, est certes tout aussi cruel, mais on pourrait, en tant qu’artiste, pousser davantage vers le rêve, vers plus de valeurs. Un artiste ne fait pas dans le social et ne remédie pas forcément à ces problèmes sociaux. Le débat sur la violence reste large. : C’est la force de l’image et on est dans l’ère de l’image : qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce que qu’on doit dissimuler ? La violence et le sang que l’histoire a connus sont bien plus graves que ce qui a été montré dans l’histoire du cinéma. Mais est-ce qu’il faut questionner le traitement ? Et comment est-il filmé ? Est-ce qu’il est adapté à la réalité, à la nôtre ? Est-ce à l’artiste d’y remédier ? Large débat et j’interroge.
Juste avant «El Foundou», le public vous a découvert sur scène dans «Club de chant» de Cyrine Gannoun. Pourtant, le théâtre ne vous est pas très familier. Qu’avez-vous à dire sur cette expérience ?
Je me suis promis d’en faire dès que l’occasion se présente. Dans «Club de chant», j’étais dans la découverte, dans l’épanouissement, le plaisir, la fatigue, dans les doutes. Je m’en suis pris au personnage et vice-versa. Il y a des couches profondes. On peut s’exploiter en tant que citoyenne, artiste, femme. Il y a des disciplines inatteignables dans le théâtre. Le théâtre est dénué de faux semblants: ce n’est sûrement pas mentir sur scène.
Durant votre carrière, une prise de risque reste tout de même distinguée : c’est celle de votre rôle dans «Tlamess» d’Alaa Eddine Slim, un long métrage qui a subit les aléas de la crise sanitaire lors de sa sortie en salles mais qui a fait échos dans le monde entier…
Ce qui stimule, c’est ce saut dans le vide. L’intégration d’une dimension autre, que j’ignore et que je continuerai à ignorer même en lisant le scénario plusieurs fois. Je ne connaîtrai cette expérience qu’en la vivant. Je n’ai pas beaucoup, réfléchi, hésité ou discuté du thème. Dans «Tlamess», il n’y avait pas de dialogues. Ce qui nous pousse à nous focaliser sur la communication non verbale, ce que transmet l’artiste comme affection ou feeling. C’est spécial pour l’acteur, pour le public. On est dans la contemplation. Tous les retours sont tellement différents. «Tlamess» était une véritable aventure. Je disais souvent que le film doit se voir avec le cœur.
La culture et les arts subissent de plein fouet les conséquences du covid-19, de la politique et de l’économie en berne. Qu’avez-vous à dire en tant qu’artiste désireuse d’y remédier en Tunisie ?
C’est une accumulation de dégâts provoqués successivement pendant les dix dernières années. Honte à nos politiciens de nos jours. Ils devraient davantage entretenir le pays et mettre leurs différends de côté. Je refuse en tant qu’artiste de voir la Tunisie faire faillite sur tous les plans : Toutes les décisions qu’un artiste doit prendre doivent être prises en considération par la classe politique.