L’acteur Fares Landoulsi : « La célébrité est importante, mais l’art est infiniment plus précieux »

4 / 17 / 2021ENTRETIENSL’acteur Fares Landoulsi  : « La célébrité est importante, mais l’art est infiniment plus précieux »

Fares Landoulsi est Youssef El Ghoul dans « Ouled El Ghoul », série ramadanesque, actuellement diffusée, de Mourad Ben Cheikh. Il s’agit de son premier grand rôle sur le petit écran tunisien. Pourtant, l’acteur s’est frayé tôt un début de parcours distingué à l’international, en incarnant notamment Samir, jeune réfugié livré à lui-même dans la série « Messiah » (Messie), diffusée sur Netflix. Son prochain tournage est prévu à Londres en septembre. Rencontre.


Actuellement, vous campez le rôle de Youssef El Ghoul, de la fratrie El Ghoul dans le feuilleton tunisien « Ouled El Ghoul » de Mourad Ben Cheikh, diffusé sur Attessia TV. Que pouvez-vous nous dire sur ce premier grand rôle à la télévision tunisienne ?


La proposition m’a été faite récemment par Salem Daldoul, en qui j’ai confiance et avec qui je suis à l’aise de travailler. Je ne m’y suis pas encore essayé à la télé tunisienne auparavant. Mourad Ben Cheikh, le réalisateur, est une valeur sûre. Les deux étaient ambitieux. Mourad Ben Cheikh m’avait remarqué dans « Messiah » sur Netflix. J’ai été au Kef pour un autre tournage, je l’ai terminé et me suis engagé dans « Ouled El Ghoul ». Vertigo Prod, la production, m’a tout aussi stimulé. A la lecture du scénario, j’ai été happé. L’axe de la relation fils/père mené aux côtés de Fathi Haddaoui était très bien ficelé. J’ai, donc, été entraîné dans cet univers très riche. En termes stratégique et artistique, l’opportunité était à ne pas rater. Mais l’autre défi était d’interpréter ce rôle à la perfection : Youssef est musicien, joue de l’oud, étudiant à l’Institut supérieur de musique de Tunis. Je devais parvenir à manier cet instrument sans doublure. Une coach m’a assisté pour cela. Convaincre la prod dès le départ était un but crucial comme celui de jouer réellement le rôle du début à la fin. Les entraînements n’ont pas cessé sur un mois pour manier l’oud, mais aussi savoir faire de l’équitation. Alia Sallami — meilleure voix féminine pour moi dans le monde arabe — m’a également chaperonné. Sa voix était le fil d’Ariane qui remplaçait la maman de Youssef, mon personnage. C’était une véritable plongée dans le répertoire musical tunisien. Les premiers jours de tournage, je devais directement manier cet instrument dans des scènes : l’épreuve était celle de s’approprier cet instrument de musique. Le trac était à son comble, mais tout s’est finalement bien passé. Il y a eu une doublure de son dans quelques scènes. Sans oublier, la psychologie complexe du personnage qui a grandi dans une famille violente, rigide, une belle-mère dénuée de sentiment, un père autoritaire… Ce personnage est scindé en deux comme celui que j’ai joué dans « Messiah » et il est l’élément déclencheur de cette pluri-tragédie, basée sur les non-dits sociaux, de grands conflits, l’hypocrisie sociale, les libertés individuelles, la problématique de l’héritage, le régionalisme… Etymologiquement, le prénom Youssef renvoie au prophète : son naturel, sa sensibilité, sa beauté, le gâté, fils préféré de son père. Beaucoup de similitudes à noter.


Toujours dans l’actualité, vous avez également enchaîné avec le tournage du film « Ghodwa » de Dhafer Al Abidine, mais pas en tant qu’acteur. Pouvez-vous nous en dire davantage ?


J’en suis très heureux, effectivement. J’étais programmé dans le dernier spectacle théâtral-hommage à feue Raja Ben Ammar, et qui ne s’est pas fait finalement avec moi. Il était prévu que j’y sois en tant qu’acteur sur scène, mais une certaine rigueur devait être entretenue : « Ouled El Ghoul » s’est présenté, et « Ghodwa » a suivi. Le rythme était intensif. Dans « Ghodwa », j’y ai participé derrière la caméra : je devais faire le « making-of ». Dhafer El Abidine est un exemple à suivre : il a les qualités nécessaires. Je me suis adressé à Nomadis prod et j’ai embarqué. Ma rencontre avec Dhafer était mémorable : je devais le voir jouer, travailler sur terrain. Ce n’était pourtant pas mon modèle avant, mais ce fut une grande découverte. Il y a eu des scènes qui m’ont bouleversé : « Ghodwa » promet. J’étais donc sur le tournage et je pouvais filmer tout, j’avais carte blanche. C’était formateur. Le « making of » que je dois réaliser est d’environ 45 minutes. Le tournage est bouclé, et tout s’est bien passé.


Peut-on considérer que « Messiah », la série américaine Netflix créée par Michael Petroni, est cruciale dans votre carrière ? Que gardez-vous de cette expérience, vécue tôt à Hollywood ?


Beaucoup (rires). Je garde tout. Mon expérience dans « Messiah » m’avait appris que le champ du possible était infini, que s’ouvrir sur le monde n’est pas chose difficile. Quand j’ai été présélectionné pour les Emmy Awards, j’y ai cru et il le faut afin de pouvoir avancer. Il ne faut pas se cantonner dans un pays, un registre. La célébrité est importante, mais notre art est infiniment plus précieux. « Messiah » est une réelle formation, un voyage spirituel, celui d’une vie. Tomer Sisley, Michelle Monaghan, Mahdi Dahbi, mes partenaires, étaient en or.


Aux Etats-Unis ou en France, comment est perçu le cinéma tunisien ?


Positivement, même dans les écoles de cinéma. Spécialistes et critiques compris. Récemment, « Un fils » de Mehdi Barsaoui a cartonné. La qualité et le niveau de notre cinéma ne font pas défaut. C’est indéniable, mais financièrement, on reste limité par rapport aux autres industries cinématographiques dans le monde.


Vous avez campé des rôles complexes, variés, audacieux dans des courts métrages, comme « Omertà», « Face à la mer », « Le retour ». Des choix qui se distinguent avant d’avoir percé dans « Messiah ». Sur quels critères vous choisissez ces personnages ?


Des rôles que je n’aurais pas acceptés s’ils n’étaient pas aussi bien construits, écrits. La rencontre avec le personnage s’installe par un geste, son souvenir. Le film doit refléter un message, avoir une portée, un impact. Le profil de l’homme que j’ai interprété dans « Rajaa / Le retour » de Charlie Kouka était repoussant. Pourtant, j’ai foncé parce qu’il racontait la société. Je l’ai joué avec son refoulement et en étant un refoulé par excellence, contrairement au rôle de Yassine dans « Omertà » qui voulait s’affranchir, se libérer. Je suis attiré par les personnages qui me provoquent : qu’ils soient bons ou mauvais ou cassés, ce n’est pas important.


Est-ce que c’était un rêve d’enfant pour vous d’embrasser cette carrière d’acteur ? Comment avez-vous attrapé ce virus de l’acting ?


Très jeune, pour ne pas dire enfant. J’adorais enfiler différents habits, je jouais des rôles de femmes et d’hommes : mannequin, acteur, docteur à la maison et en solo. J’ai zappé la case « jardin d’enfants », la passion a commencé chez moi en achetant Picsou, mon magazine pour enfants préféré. Ma mère m’a inscrit à des cours de peinture, d’acting, d’activités artistiques diverses à la maison de la culture du Kram. L’univers du cinéma m’intriguait. J’étais curieux de découvrir tout. A 11 ans, j’ai fait de la figuration dans le film de Fadhel Jaziri « Thalathoun ». Une étape bouleversante à vie ! C’était ma première fois sur un set de tournage : habits, maquillage, répét … tout me faisait rêver. Ma mère voulait que j’entame une autre carrière, tout en m’encourageant à faire ce que j’aime, mais je me suis finalement consacré entièrement à cet art.


Est-ce que vous visez une carrière entièrement menée à l’étranger ou comptez-vous rester dans un « entre deux » et, donc, ouvert à des opportunités en Tunisie ?


Je suis tunisien, patriote, mais en tant qu’acteur, je reste ouvert sur le monde, universel. C’est important de rester en Tunisie et dans le monde arabe. Les langues ouvrent des portails à l’infini. Je suis en train d’en apprendre au maximum. Les langues riment avec ouverture sur le monde. De plus, tout ce qui peut être réalisé en Tunisie pourra s’exporter dans le monde entier, de nos jours.


Le statut d’artiste et spécifiquement d’acteur reste flou en Tunisie. Qu’avez-vous à dire sur cette situation en tant que jeune acteur ?


Concernant le statut d’acteur, je trouve que la création des agences d’acteurs est une priorité en Tunisie, y compris pour l’optimisation des métiers annexes liés aux tournages. C’est pour une meilleure gestion du secteur. Des agences qui garantissent les contrats des acteurs, les valorisent, les guident, les forment en quelque sorte, et lui facilitent l’accès à l’étranger. L’urgence, selon moi, est d’assurer l’ouverture de ces agences à l’échelle locale.

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