Avant d’être élue 4ème femme à la tête de la Fédération Tunisienne des Cinéclubs, Manel Souissi, médecin de formation a toujours été membre actif pendant des années au sein de cet organisme historique réputé pour son militantisme pour la diffusion d’une culture cinématographique accessible à tous les citoyens sans concession. Avec l’émergence d’un cinéclub à Hammamet, depuis 2012 et plus d’une trentaine d’autre à travers toute la Tunisie, la présidente nous livre un bilan des acquis, des travaux réalisés et nous donne un avant-gout des objectifs à atteindre.
Puisque votre actualité récente a davantage tourné autour de la 2ème édition de « Regards de femmes - Biouyounihonna », pouvez-vous nous dire comment cette initiative a vu le jour ?
Tout d’abord, il faut retenir que le festival « Regards de femmes » est le 4ème festival réalisé par la Fédération Tunisienne des Cinéclubs : le cinéma de la Paix, le festival des Courts métrages à Gabes, et un autre à Menzel Bourguiba. Pourquoi un festival ? Parce qu’au sein de la FTCC, on croit fort que ce type d’initiatives peut refléter une vision qui peut être compatible avec la diffusion de la culture cinématographique à travers les cinéclubs mais aussi les festivals et toutes les journées ciné organisés, notamment dans les régions. Des journées qui peuvent avoir un impact important dans des villes et des régions qui n’ont jamais connu le 7ème art auparavant. Ces citoyens peuvent connaitre une cohésion sociale, iront dans des endroits qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter et connaitront les passionnés actifs au sein de la FTCC. Ils peuvent s’y initier et seront là également à guetter les retombés économiques grâce à ces manifestations : les jeunes auront plus de chance de travailler. Ils œuvrent pour un paysage cinématographique meilleur qui a surtout besoin d’une distribution. Puisqu’il n’y’a pas de salles de cinéma, les cinéclubs et les festivals les remplacent et serviront de plateformes de distribution de films en Tunisie ou ailleurs. Des festivals aux petits budgets et à la thématique récurrente comme la paix, la femme…
Pourquoi la femme ?
La femme parce qu’à Hammamet par exemple, tout est partie sur la discrimination : le festival repose essentiellement sur une rencontre des femmes cinéastes en Tunisie ou dans le sud de la méditerranée. Elles sont dans l’échange, rencontrent leur public et présentent leurs films. L’important est que l’œuvre soit créée par une femme peu importe la thématique traitée. En plus des formations consacrées aux enfants, les résidences d’écriture pour les jeunes cinéastes femmes dirigées par Besel Ramsis, les tables rondes pour parler d’un sujet précis. L’année dernière c’était l’écriture féminine, cette année, c’’était l’aide à la production. Une table ronde en présence de réalisateurs, de femmes cinéastes. Dire, qu’il y’a des ouvertures sur différents axes aux participants. Il faut citer aussi les statistiques qui attestent que le nombre des femmes cinéastes ou travaillant dans le domaine du cinéma est bien plus qu’inférieur aux hommes. J’ai jeté un coup d’œil sur le programme des Journées Théâtrales de Carthage, j’ai trouvé que dans chaque catégorie il n’y avait que 2 ou 3 femmes … c’est peu. Le festival valorise la place de la femme dans le secteur. La 2ème édition, on l’a aussi attaché aux « films Festival Academy » qui est une formation pour des jeunes cinéastes organisée presque en parallèle par la FTCC et qui se déroulait à Hammamet, au centre culturel de la ville sur 4 sessions. Les participants à cette formation ont pu y participer et apprendre beaucoup notamment en matière de « Branding », d’écriture, de journalisme… Ces mêmes jeunes qui conserveront ainsi en même temps la pérennité du festival.
Vous dirigez également la Fédération Tunisienne des Cinéclubs depuis un an. Un petit bilan de vos travaux accomplis s’impose …
On a opté en premier lieu pour un retour aux fondamentaux et aux cinéclubs. Les festivals par la suite, et aussi les formations. Le cinéclub de Tunis à un très bon atelier. Les autres cinéclubs tentent de lancer les leurs aussi. Je vois dans cette effervescence la naissance d’un mouvement cinématographique alternatif. Les clubs pullulent partout, à Tibar, Médenine, dans toutes les régions… ce réseau alternatif qui est accompagné, encadré … on diffuse la culture cinéma, et on accorde de l’importance aux débats, aux sorties tunisiennes inédites. Armé les spectateurs pour leur permettre d’être mieux réceptifs aux productions cinéma quelque soit son genre, son thème, son origine, et grâce aussi au maintien des formations.
Et quels sont les projets d’avenir de la Fédération ?
Cette année par exemple, on a assisté au lancement de l’initiative « Cinéma fi Houmetna » dans 26 régions. On a transporté du matériel afin de projeter des longs, courts et moyens métrages dans toute la Tunisie et dans des quartiers divers principalement les régions isolées. Les projections ont eu lieu sur les murs, dans des places publiques. L’expérience est importante et est aux cœurs des objectifs de la FTCC. On compte en faire à long terme un cinéma ambulant.
Le cinéclub Hammamet a été conçu par une équipe de jeunes dont vous, en 2012 et il poursuit ses activités depuis au centre culturel international d’Hammamet. Une programmation est – elle à l’heure du jour ?
Bien sur ! Le temps de terminer les Journées Culturelles de Carthage et les activités reprendront comme chaque année. Le cinéclub de la ville a acquis une notoriété importante, il possède son public, ses habitués. Comme elle est en manque de salle de cinéma, Hammamet doit bénéficier d’un cinéclub, d’un festival. On va vers l’ouverture de nouveau projet comme on a fait avec « Tfannen », et on a des projets prochainement avec le réseau des cinéclubs algériens. On était à Bjaïa, le réseau algérien a vu le jour dans ce cadre là. Ils ne savent pas encore si c’est une association ou un réseau. On s’est partagé notre expérience mutuellement à travers des formations. Dans un moyen terme, on assistera espérons à la naissance d’un festival itinérant entre la Tunisie et l’Algérie.
En tant que jeune femme active dans l’engagement cinématographique local, quels sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée ?
Je sens par moment, qu’on est toujours réticent à l’idée qu’on puisse compter sur une femme dans ce milieu, celui de l’engagement, ou du militantisme. Mais je signale que je suis volontaire, pas du tout professionnel et qu’entre les deux, ce n’est pas pareil. Le combat de la femme sur ses deux fronts n’est pas comparable.
Etes – vous toujours optimiste face à cette fuite des cerveaux et celles des jeunes talents en particulier ?
On ne reste pas indifférent face à cette fuite que je vis depuis la médecine. Je suis médecin et pendant mon cursus, on n’a pas cessé de voir les jeunes partir. De nos jours, il s’agit d’une politique, que je comprends. Je ne blâme pas ceux et celles qui partent, parce qu’en restant ici ils ne trouvent pas d’alternatifs, rien qui puisse réellement subvenir à leur attente. Y’en a qui restent, qui ne sorte pas de leur bocal : ils se résignent. La résignation que je considère comme un acte de résistance de nos jours. Il s’agit d’un concept qu’on discute beaucoup de nos jours, très récurrent d’habitude dans le domaine de la psychiatrie. C’est des épreuves qu’il faut surmonter pour instaurer de force et parfois malgré le manque de moyens, la culture des cinéclubs. Heureusement qu’il y’en a qui restent, qui s’accrochent et qui aspirent aux changements. Je reste quand même optimiste.
Comment définiriez – vous le paysage cinématographique tunisien actuel ?
On vit une renaissance ! Il y’a un mouvement important qui se créé. Une nouvelle vague de jeunes créateurs qui ne cessent d’émerger, qui innovent, qui surprennent des fois, malgré le manque de budget. On voit davantage les films d’animation : à la FIFAK par exemple, j’ai vu des créations sur l’environnement. Les jeunes sont sensibles à divers sujets internationaux. Ça fait plaisir.
La FTCC sera présente lors des prochaines JCC ?
Evidemment ! Comme chaque année. On est un partenaire historique. On va faire la présentation de tous les films retenus dans la compétition officielle et hors compétition, les 4 focus avec l’aide de nos cinéphiles venus de toute part. On les prend en charge, ils animent au retour les rencontres, les débats, les présentations. On donne cet aspect là au festival, pour qu’il ne devienne pas un marché du film. Et on travaille sur le décorticage des œuvres cinématographiques, le rapprochement entre public et réalisateurs. Etc