La sortie nationale de « Thala mon Amour », de Mahdi Hemili étanchera la soif des cinéphiles qui l’ont raté durant les dernières Journées Cinématographiques de Carthage. Après plus de trois ans effrénés de préparation, cette première fiction du jeune Hemili voit, le jour. Le titre du film téléporte le spectateur à Thala, berceau de la révolution tunisienne et ville natale du scénariste. L’œuvre relate le parcours de Mohamed (interprété par Ghanem Zrelli), ancien prisonnier du régime répressif de Ben Ali, parti à la recherche de Houria (Najla ben Abdallah). Un périple effectué en pleine période ou l’oppression en Tunisie avait atteint son paroxysme. Un hommage cinématographique, conçu par ce jeune scénariste, réalisateur, poète, ex – footballeur, passionné de théâtre et d’art, avec le soutien de son équipe. Un artiste polyvalent, issu de cette nouvelle vague de jeunes cinéastes tunisiennes qui ne cessent de donner un souffle nouveau au 7ème art tunisien. Ce long - métrage est un hommage à une révolution qui s’essouffle, à ses victimes, aux tunisiens de Kasserine, de Thala, aux victimes du bassin minier, aux femmes battantes tunisiennes, le tout, porté par un casting solide. L’avant – première a eu lieu à Kasserine. En pleine promotion, Mahdi Hemili, nous en parle davantage….
Parle – nous de la genèse de cette fiction ?
On s’était revus Mohamed Ali ben Hamra (le producteur) et moi, après nos retours presque simultanés de Paris et de Torino, peu avant l’éclatement de la révolution, en 2010. Je lui ai fait part de mon envie de réaliser ma toute première fiction intitulée « Ville Ouverte », qui parle de cette dictature. J’avais imaginé un univers totalement futuriste d’une Tunisie ou règne le chaos, et ou le spectateur se retrouverait totalement plongé dans un futur chaotique, en 2020, plus précisément. Il y’avait un homme qui cherchait une femme et cette femme là, était la dernière qui reste, toutes les autres sont parties. Etc Etc C’était un film d’anticipation, que je voulais réaliser en noir et blanc, un peu comme mes précédents courts – métrages. Le scénario de cette fiction a été finalisé, très exactement le 25 décembre 2010… en pleine période ou ça commençait à bouger en Tunisie. Et je n’arrêtais pas de dire « mais, on est dans le film, on est dans le film ! »… Et la révolution éclata ! Ensuite, en évoquant le scénario, on a commencé à le recadrer, le remodeler, à mon insu, au tout début, au gré des événements actuels historiques qui se déroulaient. Je tenais absolument à la version originale. Après rectification, le scénario a été déposé auprès d’une commission, qui a approuvée. On l’a présenté à l’ « Atelier des pro » à Torino et on ne cessait de nous dire qu’on décrédibilisait cette révolution « Du Jasmin ». Je voulais voir ma vision des faits, qu’on sente ma touche… à travers l’histoire d’un homme qui cherche une femme. Il s’attendait à ce qu’on réalise un film « épique », « politiquement correct » sur la révolution, ou l’amour triomphe etc etc… mais, au retour ils ont trouvé un film complètement personnel, qui pose des questions, et s’en prend à la racine des problèmes régionaux, sociaux, provoqués par le soulèvement de 2011 …
Qu’est ce qui distingue « Thala mon amour » des autres films qui traite cette thématique de la révolution ?
Les autres films, je ne veux pas en parler… Mais ce que je peux vous dire, par contre, est que « Thala mon amour », le film en lui - même est lassé de la révolution. Il vomit la révolution ! C’est pour cela que je laisse la fin ouverte, parce que je crois encore au changement. Il faut voir le coté humain, intimiste que dégage le film, c’est ce qui m’intéresse. « Les slogans et les magouilles politiques », ça ne m’intéresse pas… . Ce que je veux montrer, c’est le vécu de des personnages, qui reflète le vécu des tunisiens durant la révolution. Ça parle de l’intime. Les spectateurs sont invités à regarder et à penser à demain… un demain incertain, flou ! On vit l’instant présent… et ce n‘est pas forcément rassurant.
Peut – on le considérer comme un film politique ?
Ce film est subversif, mais il est essentiellement politique et poétique à la fois. Avec un net penchant pour le poétique que je voudrais voir triompher, parce que le politique est à gerber, c’est sale, c’est malsain, malveillant. En amour et en poésie, tu ne peux pas mentir, c’est pure …
Comment s’est passé le casting ?
Au départ, j’avais déjà en tête deux acteurs. Faute de disponibilités et d’à priori sur la production, ça n’a pas aboutit… Le tout s’est enchainé par la suite, j’ai donc aussitôt lancé un casting, il le fallait ! Et il fallait être ouvert, partir à la découverte de ce nombre important d’acteurs et d’actrices… Je cherchais sans arrêt « Houria », j’ai fait appel à une assistante de casting dont le but était de dénicher celle qui va endosser ce rôle principal. Beaucoup sont venues… de très bonnes comédiennes. Et pourtant, personne ne m’a convaincu ! Le dernier jour, Najla ben Abdallah est venue ! Puisque moi, je ne regardais pas la télé, j’avais pas du tout de Background télévisuel, je ne la connaissais pas du tout … Et là, j’ai vu autre chose chez elle… Donc, je me suis dis autant prendre cette tête connue, et tout transformer… j’ai vu en elle la femme, ouvrière dans une usine, très loin du coté Bling- Bling auquel elle nous a habituée. Et Ghanem, je l‘avais aussi découvert le dernier jour. J’avais écrit son rôle pour moi, initialement. C’était clair que j’allais galérer en réalisant et jouant en même temps. Et du coup, Ghanem est venu, on a parlé de tout et de rien, de l’art, de l’amour du football, et j’ai trouvé en lui mon double cinématographique, comme un alter – égo. Rim Hamrouni, j’ai écrit son rôle exclusivement pour elle. Fatma ben Saaïdane, c’est venu naturellement aussi, parce que je cherchais quelqu’un qui incarne une femme forte. On a fait des séquences trop belles. Je sentais la fragilité chez Dahech, dans le rôle du mari cocu… C’était une très belle équipe et le tout s’est fait précipitamment, spontanément, au feeling… Une réussite totale !
Et en ce qui concerne la musique du film ?
J’ai travaillé avec le compositeur Dimitri Scarlato, un italien qui a vu le film et l‘a aimé. Ce dernier a auparavant collaboré avec Paolo Sarrentino sur son film « Youth ». Et j’ai fait appel également à Amel Mathlouthi, pour qu’elle nous fasse un Acapella. Elle a magnifiquement accompagné la fin du film. Depuis New York, Mathlouthi m’a envoyé l’enregistrement et le résultat était à la hauteur de ce que je cherchais. Le film repose sur l’instantané ! Tout s’est construit à la dernière minute.
Vous avez dû surmonter des difficultés de taille lors de la réalisation …
Bien sûr ! Des difficultés financières essentiellement. Très peu d’argent mais beaucoup de courage de la production de s’être investit dans le film. On a résisté, malgré le manque de sous. La post production était éprouvante aussi. Le tournage s’est terminé en 2014, et depuis, j’ai passé les pires dernières années de ma vie.
Des projets en perspective ?
Oui. Ma prochaine fiction qui a comme thème le foot ! Une passion de toujours que j’ai du abandonné à cause d’une blessure. Le film parle d’une famille prolétaire dont le père est footballeur. Le scénario est déjà prêt depuis 2008, et a gagné de nombreux concours. Il est déjà soutenu par le « Doha Film Institut » et je participe avec, dans un grand atelier « Le grand nord », très prochainement au Canada, à coté de 15 autres scénaristes du monde entier. C’est un film sombre autour d’une famille, qui cherche à se faire une place dans ce monde violent, dénué de moral et de valeurs. Une fiction qui se déroule presque entièrement la nuit. C’est un film sur la condition humaine, sur l’idée de la rédemption, du pardon et de l’amour. Et il y’a énormément d’espoir vers la fin ! Et j’espère le tourner dans un an. Notons qu’il se passe en Tunisie, entre l’attentat du Bardo et de Sousse.
Un message à transmettre à la jeunesse actuelle ?
Protéger ses rêves. Ne vivez pas pour rêver la vie des autres, vivez à fond pour concrétiser vos propres rêves. Ne râlez plus, passez à l’action, et soyez persévérants. N’ayez crainte de souffrir et de ramer pour atteindre vos rêves.