Emily Sarsam, cofondatrice et membre du collectif «Jaridet LeMdina» : «Penser la ville autrement»

10 / 12 / 2020ENTRETIENSEmily Sarsam, cofondatrice et membre du collectif «Jaridet LeMdina» : «Penser la ville autrement»

Pour son numéro de 2020, le collectif «Jaridet Lemdina», composé de jeunes Tunisiens, a tenu à relancer «le Journal de la Médina» en prônant une thématique épineuse, celle de la «Politique urbaine-Urban Politics» à adopter pour un Tunis plus éclatant, cosmopolite. Ce numéro est une prouesse rédactionnelle, multilingue, «tunisifié» et qui traite de l’art, de l’architecture, de l’humain et du social, réalisé bénévolement par des contributeurs. Emily Sarsam, cofondatrice du collectif de «Jaridet Lemdina», revient sur la genèse de cette initiative du début jusqu’à la sortie de son dernier exemplaire annuel.


«Jaridet Lemdina» a marqué son retour cette année. Quels sont les nouveautés ?


Effectivement, il y a eu des changements. L’époque n’est plus la même déjà. 4 ans auparavant, tout a commencé dans le cadre d’un programme d’échange, soutenu par un fonds allemand. Ce programme d’échange se déroule entre l’Allemagne et les pays du Moyen-Orient, l’Amérique du Sud… etc. Le collectif de la Médina, à l’origine de cette initiative, est composé des amis de la Médina, des jeunes Tunisiens et résidents sur place ou d’ailleurs, comme Nader Khelifi, Raoul Cyril, Aymen Gharbi, Molka Haj Salem, etc. On en a parlé, et on s‘est dit qu’on pouvait créer un journal participatif, écrit en tunisien sur la vie contemporaine à la Médina. Une thématique pas du tout «romantisée», mais on évoquerait plutôt la vie quotidienne, les traditions locales, dans un contexte contemporain, actuel. La communication autour du projet s’est faite de bouche-à-oreille et la communauté autour s’est formée. Le collectif, avant, rédigeait les articles, mais maintenant, c’est ouvert aux contributeurs essentiellement qui étaient bénévoles, conduits par leur passion pour la Médina autour des légendes urbaines, des rues, de leurs symbolismes, de leurs histoires, leurs mausolées… toujours dans une perspective contemporaine.


Le journal est paru régulièrement avant, ensuite il y a eu une interruption.


On était ouvert aux contributions, productifs, ensuite, avec mon départ précédent, deux solutions se sont proposées afin d’assurer la continuité du projet : Iheb Kassmi et Yosr Hizem, mon amie et collègue voulaient prendre le flambeau, mais avec le temps, la communauté commençait à s’effriter. Il y a eu des désaccords avec une autre association connue de la Médina qui soutient beaucoup de projets culturels et qui tenait à prendre en charge le journal. La 2e solution, c’était la mise en veille du projet jusqu’à récemment : on l’a redémarré avec d’autres membres, citons Yasmine Houemed, Syrine Siala, Siavash Eshghi, Aya Rebaï, Mariem Essaadi, Aziza Gorgi (designer et directrice artistique du journal), Sarah Bouzgarrou, Frederike Meyer, Kathleen de Meeûs, Lea Djaziri, Issam Smiri, le 5015 et au moins une quinzaine d’autres contributeurs. On est revenu avec une édition annuelle titrée «Urban Politics»-la politique urbaine, soutenue par le «Heinrich-Böll-Stiftung» et tous les contributeurs. Cette thématique riche, autour de la politique urbaine, nous permet aussi de voir en dehors du périmètre de la Médina.

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Pouvez-vous nous en dire plus sur les axes principaux du journal, les sujets traités, les rubriques … le contenu en général ?


Il n’y a pas de rubriques déjà et le numéro est multilingue : français, anglais et tunisien. Pour cette année, c’était la politique urbaine : une approche qui nous permettrait de jeter la lumière sur les points faibles ou les problèmes de la cité, de son infrastructure, des bémols sociaux, habitats… c’est assez ouvert. Ce dernier numéro est plus à caractère sociopolitique mais on reste ouvert. Notre but c’est d’approcher la cité à travers l’art, le design, l’urbanisme, la cuisine, tout en mettant en lumière les problèmes existants autour. Cyrine Douss, chorégraphe, a parlé de son spectacle présenté dans le cadre des Journées chorégraphiques de Carthage à Bab Bhar avec son collectif «El Maghroumine». L’artiste a critiqué «l’objectivation du corps féminin dans l’espace public» et le manque d’exploitation de l’espace public via l’art. Sinon, on fait un appel ouvert à tous les contributeurs désireux d’écrire : illustrateurs, artistes, critiques, universitaires, chercheurs, etc. Un seul bémol, cette année, c’était le manque d’articles en tunisien : notre but principal pourtant était de «tunisifier» le journal. On devait se focaliser sur la traduction, grâce à Aymen Gharbi. Comment aborder la Médina en tunisien. Avec le vocabulaire académique, ça ne sera pas accessible et le langage sera soutenu. On voudrait faire un glossaire en dialecte tunisien, mais ça demande de l’argent et du temps. Les langues sont très importantes, une ouverture sur le monde, mais le tunisien est aussi capital afin de toucher davantage les Tunisiens. Le contenu du journal avant était en grande partie tunisien et on voudrait continuer dans ce sens. C’est le journal du public tunisien.


De nos jours, se lancer dans le papier, c’est risqué, avec la crise…


En effet ! C’est un challenge. Mais on a tenu à avoir la version papier. C’est primordial ! Le digital ne nous permet pas de bien lire sur le net. Le contact avec le papier est unique. On a tenu à valoriser le papier et on tient à ce que les gens le gardent et l’archivent. «Jaridet Lemdina» paraîtra une fois par an et le contenu reste consistant. Le journal est paru en papier, mais pas mis en vente. Le HBS nous a permis de vendre une partie afin de financer le prochain numéro. Nous ciblerons un public passionné de politique urbaine, afin de pouvoir surtout couvrir le coût de l’impression et de la distribution. Nous le donnerons gratuitement à des gens qui ne peuvent pas se payer le numéro.


Comment «Jaridet Lemdina» pourra contribuer à améliorer la scène locale artistique, culturelle et la vie urbaine à Tunis ?


On voudrait penser la ville autrement via cette initiative. Etre utopique pour l’avenir de la ville. Créer des connexions, s’ouvrir sur les problématiques liées à la ville, à sa scène culturelle et artistique, à son mode de vie. L’exploitation de l’espace public, on y tient. On voudrait créer une plateforme médiatique. Parler d’urbanisation politique, c’est traiter d’une politique citoyenne. Sans oublier, l’usage du dialecte tunisien. Ne pas avoir d’hiérarchisation dans le collectif assurera la pérennité du journal et de l’initiative qui est créée pour tout le monde.


COPYRIGHT PHOTO : AZIZA GORGI

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