Lors d'une rencontre dans le cadre des JTC, ce sont des professionnels qui ont parlé de la création de ce manifeste qui a changé le visage du théâtre tunisien, cinquante ans plus tôt.
C’est dans l’enceinte de la salle des conférences, très peu éclairée « Malawi », à l ’Africa, que s’est tenue une rencontre - débat sur le « manifeste des onze » qui a fortement imprégné l’histoire du théâtre tunisien. Devant une vingtaine de participants, Lassaad Jammousi, président des Journées Théâtrales de Carthage, accompagné de Ali Louati et de Fradj Chouchane, porte – parole du groupe du Manifeste se sont, exprimés sur la création de ce traité, cinquante ans plutôt …
Outre l’aspect humain qui les a réunis, Chouchane, le plus âgé de cette poignée de jeunes tunisiens autrefois révolutionnaires, retrace au public le cheminement d’une révolution théâtrale historique, avec ses collègues, alors étudiants de la première école de théâtre dans le pays. Tous, y compris Moncef Souissi, décédé récemment, étaient influencés par l’école de Bertolt Brecht et celle de William Shakespeare. Ensemble, ils ont transgressé le théâtre classique de son maître Ali Ben Ayed, en 1966.
Avec l’implication des jeunes de sa génération et le soutien de certains sympathisants dont Tawfik Jebali, Abdelraouf Basti, Hichem Rostom, Naceur Chemam, Taoufik Guiga, ils ont lancé les prémices d’un théâtre nouveau, aux allures révolutionnaires.
Fradj Chouchane se remémore de l’époque et plus précisément, des circonstances ou a été conçu ce manifeste qui a vu le jour dans un contexte historique glissant durant lequel la Tunisie post-indépendante commençait à peine à s’ériger. Même à l'échelle du monde, l'époque était sans cesse en effervescence.
Toute la clique se réunissait, durant pas moins d’une semaine, à l’ancien café du « capitole » ou au « Studio 38 », situé en plein cœur de Tunis. Ils décortiquaient l’actualité nationale ou internationale, débattaient, s’échangeaient des idées à n’en plus finir. Rassemblés tous par un seul rêve : cette envie pressante de rénover. Une jeunesse qui aspirait à un changement radical grâce au 4ème art, celui de « la représentation » par excellence. Un miroir social qui permet à ses adeptes de mieux cerner les failles d’une société en construction.
Les signataires du « manifeste » étaient issus de la première école de théâtre dans le pays, le premier établissement qui enseignait toutes les ficelles du métier dont la réalisation, la direction d’acteur etc Ces adhérents et supporters étaient profondément alimentés par l’actualité mondiale : la guerre du Vietnam, le conflit israélo-palestinien, l’Apartheid, mai 68 et les révolutions estudiantines à caractère culturelle et artistique.
« On était forcément au courant de ce qui se passait au quatre coins du monde ». Se souvient Chouchane, qui, la même année, a fini par réadapter une célèbre pièce de théâtre "brechtienne" en langue arabe. Un travail honorable, qui leur a valu, à sa troupe et à lui, maintes récompenses, dont la principale était ce voyage d’une vie à Avignon, cette ville française qui abrite l’un des plus grands festivals de théâtre européens. Sur place, ont succédé des rencontres qui ont changé le cour de leur vie : George Wilson, Roger Planchon, Jean Vilar, Boris Béjart, entre autres.
Fortement secoués après cette virée, une révolution culturelle devait absolument remédier à un théâtre tunisien précaire, fortement sclérosé par l’école archaïque de Ben Ayed, qui prônait des valeurs bourgeoises et été considérée comme « élitiste », d’où ce différend d’envergure qui l’a opposé aux « jeunes loups ».
Il n’y avait plus de doute, la révolution était en marche et s’apprêtait à permettre « au théâtre de l’heure » d’émerger, composé de 30 adhérents, chaperonnés par Samir Ayedi, qui ne faisait pas parti des « Onze ». Le manifeste commençait par et « si nous parlions théâtre, et si nous faisions du théâtre… » ; Une incitation directe à un dynamisme inédit.
Une page nouvelle commençait alors dans l’histoire du théâtre tunisien… Ces « Grands papas » étaient porteurs d’un changement, d’un souffle nouveau, qui aurait très bien pu aboutir à une révolution culturelle plus approfondie.