Deux nouvelles ont retenti cette semaine sur les réseaux sociaux, ébranlant l’univers des arts et de la culture : la fermeture définitive de la salle de cinéma Amilcar à El Manar, après 8 ans de bons et loyaux services, et l’annulation de Mûsîqât, manifestation musicale tout aussi importante. Deux disparitions regrettables, révélatrices d’une détresse économique.
L’endroit et le rendez-vous musical possèdent leur public. Une notoriété acquise depuis bien après 2011. Le Cinéma Amilcar est opérationnel depuis 2015, sous l’égide du distributeur de films tunisiens «Hakka Distribution». Composé d’un noyau de jeunes passionnés, cinéphiles, engagés, «Hakka» est parvenu à créer une dynamique nouvelle dans le secteur cinématographique à travers la gestion d’au moins deux autres salles en Tunisie, celle de Menzel Bourguiba, et Cinémadart Carthage. Les salles prônent un cinéma tantôt commercial, tantôt indépendant, très varié. Cinéclubs, rencontres, masterclass, évènements musicaux, ciné-concerts ont fait partie intégrante de leur programmation. Cette salle était la plus prisée du côté d’El Menzah-Manar-Mutuelle-ville, et même du centre-ville de Tunis. La voir disparaître est une perte pour le cinéma, dans une époque où les salles se font rares.
Le communiqué est posté sur les réseaux par l’équipe «Hakka». L’équipe informe que le 12 mars 2023, la salle fermera ses portes. «Annonce importante, après une magnifique aventure qui a commencé depuis octobre 2015, notre collaboration avec la salle Amilcar se termine. Nous fermerons à partir du dimanche 12 mars et rendons la salle à ses propriétaires (…) Nous appelons les autorités compétentes et particulièrement le ministère de la Culture à se pencher sérieusement sur la situation des salles de cinéma. Ce secteur continue d’exister grâce au courage des exploitants et à leur passion, mais l’Etat doit prendre ses responsabilités pour préserver et faire avancer ce secteur, pilier majeur de la vie culturelle en Tunisie. L’aventure Amilcar s’achève là, mais notre dévouement aux auteurs tunisiens et aux cinéphiles se poursuit au Cinémadart Carthage et au Métropole à Menzel Bourguiba». Lit-on dans cette annonce.
L’équipe tente d’attirer l’attention des autorités et du ministère de la Culture, quant à la dégradation des salles de cinéma et de l’importance de les garder. Les exploitants rendent la salle à son propriétaire, après avoir essayé de surmonter les aléas économiques des deux dernières années, causées par la pandémie. La conjoncture globale du pays reste très critique. Cette volonté collective de maintenir et de sauver le lieu s’est dissipée, face à un ministère de la Culture indifférent, peu réactif. L’entretien des machines et du matériel n’est plus faisable. Les multinationales s’imposent également dans le paysage : elles possèdent une autonomie financière et ont davantage de moyens pour garantir leur fonctionnement. La concurrence est rude et les salles tunisiennes indépendantes voient de nos jours leur pérennité sérieusement menacée. Amilcar a consacré sa dernière semaine à un public désireux de (re)découvrir les plus grands films qui ont fait le succès de l’année 2022. Un marathon qui clôt en beauté un lieu dont on se souviendra longtemps. *
Une manifestation musicale à l’arrêt
Mûsîqât, évènement prisé et fédérateur de la scène musicale tunisienne, n’aura pas lieu aussi cette année. La nouvelle a déçu les plus mélomanes, public, musiciens et passionnés. D’après le communiqué de presse, repris par l’agence TAP et d’autres médias locaux, nous pouvons lire :
«Le Festival Mûsîqât, événement phare de la scène musicale traditionnelle et néo-traditionnelle, ainsi que de la musique du monde, ne pourra malheureusement pas être organisé cette année encore..."
Créé en 2006, en co-production entre Scoop Organisation et le Cmam, le Festival Mûsîqât a été le premier PPP culturel. Après plusieurs années de programmation de qualité, la direction du Cmam a finalement décidé de ne plus allouer de budget, malgré l’obligation contractuelle de cette institution de prendre en charge le budget artistique.
Malgré les efforts des co-organisateurs, le ministère des Affaires culturelles n’a pas réagi aux différentes sollicitations et problèmes persistants dans le secteur, probablement trop occupé (ou préoccupé) par la bonne douzaine de festivals qu’il gère et finance directement, faisant ainsi de l’ombre aux initiatives privées.
Les années 2022 et 2023 auraient dû être les années de reprise de Mûsîqât, mais il faut maintenant se faire une raison : la politique culturelle en Tunisie a d’autres préoccupations et objectifs.
"Nous sommes profondément attristés de ne pas pouvoir vous proposer une nouvelle édition de Mûsîqât cette année, mais nous tenons à remercier tous les artistes et les partenaires qui ont contribué à faire de cet événement un beau succès au fil des ans. Nous espérons que la situation évoluera favorablement et que le Festival Mûsîqât pourra renaître, probablement différemment, dans le futur pour le plus grand plaisir des amoureux de la musique traditionnelle et néo-traditionnelle ainsi que de la musique du monde». Lit-on dans le communiquée.
Deux disparitions provoquées par une politique culturelle précaire, fragilisée, au plus haut point, une crise économique suffocante, et sans doute par les conséquences de la pandémie. Prémices d’une agonie inévitable ?