De nos jours, fonder une maison d’édition peut s’avérer difficile, pourtant, Aïcha Boubaker, éditrice et communicatrice, a entamé à bras-le-corps le lancement de «Hkeyet édition» depuis 6 mois. Imbibée de récits nouveaux et soucieuse de la pérennité du livre, l’amoureuse des livres et des lettres n’est pas passée inaperçue lors de la 39e édition de la Foire internationale du livre, mais pas que… «Hkeyet édition» est visible sur les réseaux sociaux et puise dans le digital pour attirer lecteurs, mais aussi auteurs… confirmés et surtout émergeants. Focus !
L’équipe de « Hkeyet édition » mise sur des outils numériques innovants et sur le pouvoir du digital pour maximiser sa visibilité. Votre maison d’édition a été lancée en janvier 2025. Qu’avez-vous à nous dire sur ce démarrage ?
C’est voulu, en effet, de miser sur le numérique. La naissance de « Hkeyet » est récente. On ne savait même pas qu’on allait être à temps à la Filt (sourire), et qu’on allait pouvoir annoncer la parution d’ouvrages. Cette maison d’édition est née d’une rencontre entre deux visions : celle de mon père et de la mienne. « Hkeyet édition » est cofondée par mon père imprimeur, Mourad Boubaker, fondateur de « MIP Imprimerie », qui existe depuis plus de 30 ans. Je suis imprégnée par le monde du livre et des lettres depuis toujours. Également communicantrice, j’ai mis mon savoir en œuvre. Mon père et moi avons fusionné nos deux visions pour un projet qui est dans l’air du temps, tout en ayant une ligne éditoriale précise, celle des « Primo-auteurs ».
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre ligne éditoriale ?
C’est celle qui vise à créer un terrain favorable aux personnes qui écrivent et qui ne savent pas ou ne trouvent pas où se faire publier. Pour le lancement, je cite l’exemple d’Ines Mghribi, Wassim Ayari, Oussama Kassabi, etc. Nous avons démarré avec 4 primo-auteurs et 13 parutions en tout. Beaucoup n’en sont pas à leur première publication. Je rencontre des gens qui écrivent partout. Ils méritent d’être mis en valeur. Une communication différente s’impose aussi.
Comment doit se faire cette communication ?
On doit miser sur les réseaux sociaux, le pouvoir du digital et les différents canaux des réseaux sociaux qui sont primordiaux. On dit souvent à tort, ici ou dans le monde, que « les jeunes n’aiment pas la culture et sont désintéressés ». C’est faux ! Les jeunes d’aujourd’hui ne se documentent pas de la même manière que les adultes de plus de 60 ans et ne se servent pas des mêmes outils. Même s’informer ou se cultiver se fait différemment d’une génération à une autre. Les podcasts et les youtubeurs n’ont rien à voir avec la télévision et la radio classique. Aucun des deux audimats ne fait ça vainement, ils agissent juste différemment. Pour mettre en valeur nos auteurs, nous allons vers le public, vers les book clubs, nous privilégions les échanges, les discussions, la proximité. On ne se contente pas uniquement des signatures ou des passages médias ! Il faut donner envie et susciter l’intérêt. A travers la magie du Net, je peux accéder à l’univers d’auteurs qui vivent n’importe où dans le monde. Le travail se fait en équipe qui est composée de mon associée Nour Bouaziz, moi-même, mon père, Fatma Chouraki et Walid Ferchichi, fondateur des Editions Arcadia.
Pour la sélection des textes et des écrivains, comment opérez-vous ?
Pour les primo-auteurs, ils se sont présentés en cherchant à se faire éditer. Beaucoup ont été retenus de bouche à oreille. Ça a marché et cela procure un grand sentiment de satisfaction. Une jeune étudiante s’est présentée à nous pendant la Filt et nous a confié vouloir se faire éditer. Elle a trois récits prêts. C’est très gratifiant. On a un comité de sélection et la qualité compte pour nous. Nous faisons des retours aux écrivains et cette interaction édifiante s’avérera fructueuse. C’est sûr.
Qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui pensent que les jeunes de nos jours ne lisent plus ?
Ils sont déconnectés de la réalité. Les jeunes lisent, écrivent et produisent de différentes manières. Des créateurs de contenu culturel font fureur. Il faut leur tendre la main et j’ai besoin qu’on coopère toutes et tous ensemble. Nous vivons une ère qui bouillonne de talents. La culture doit être en phase avec les mutations technologiques de l’époque. Le pouvoir immense de la communication incite drastiquement à la lecture et à l’écriture. Il faut utiliser ces outils à bon escient, y compris l’Intelligence artificielle ou les liseuses. Nos livres sont aussi disponibles en version numérique, en ligne, grâce à « Clic 2 Read ».
Il brille par sa couverture attrayante, rouge, criarde d’amour. L’ouvrage « Hob Kira » du jeune écrivain Wassim Ayari a drainé de jeunes curieux, lecteurs et visiteurs à la 39e édition de la Foire Internationale du livre de Tunis lors de sa première séance de dédicace-lancement. Nous ne connaissions pas l’auteur avant cette parution- évènement chez « Hkeyet édition ». Et nous nous sommes posé la question : Qui se cache derrière cette histoire d’amour, tissée en langue arabe ? Entretien avec Wassim Ayari.
«Hob Kira » est un des premiers romans parus aux éditions « Hkeyet ». Que pouvez-vous nous dire sur votre livre sans trop en dévoiler à nos lecteurs ?
Une mise dans l’univers s’impose ! Il s’agit d’une fusion entre réalité et imaginaire. J’ai édifié un monde qui m’est propre en puisant dans la réalité. Elle suit Wajdi, un jeune homme orphelin, qui lutte pour subvenir à ses besoins, en travaillant durement, jusqu’au jour où il apprend que son père est vivant. Il part à sa recherche et dans sa quête, il rencontre « Kira ». Je n’en dis pas plus ! (Sourire).
Peut-on en savoir plus sur le processus d’écriture et sa dynamique ?
C’est le fruit de nombreux essais d’écriture, qui se sont longtemps succédé et qui ont finalement abouti. Depuis le primaire, j’ai toujours aimé écrire et faire paraître un livre. Mon amour pour l’écriture est incommensurable.et pouvoir le faire était un rêve d’enfant. Je faisais des jets dans différents cahiers, en langue arabe. Quand j’ai quitté ma région natale « Makther », ma perception du monde a changé. Elle a grandi. Toujours sur PC, je n’ai cessé d’écrire, jusqu’à mon accident de voiture, qui n’a fait que m’encourager finalement, à terminer le roman. J’ai commencé à 17 ans à l’écrire et à le réécrire. Et depuis cette épreuve, je n’ai cessé d’écrire. En 2021, j’ai terminé « Hob Kira ».
Votre formation était pourtant scientifique au lycée…
Oui, spécialisé dans la « géologie ». Depuis toujours, je tiens à écrire en toute liberté.
Vous avez commencé par la grande porte : le roman long et non pas par des nouvelles. N’est-ce pas risqué ?
Quand je commence à écrire, je ne peux m’arrêter. Je ne sais pas si c’est positif ou négatif. (sourire). Le brouillon a atteint plus de 456 pages. Et pourquoi pas prochainement, je procéderai en tomes. C’est ma première Filt en mode écrivain. L’accueil du public a été exquis. Je suis content même je me considère comme un projet. J’use des réseaux sociaux, spécialement Facebook pour maintenir un lien avec les fans. Entretenir cette idée, c’est s’ouvrir sur le monde.
Une étude académique réalisée en langue française a été publiée chez « Sud éditions » par Sofiane Jaballah, sociologue. Comme son titre le révèle, l’ouvrage « Devenir salafiste en Tunisie : le Comment du Pourquoi » revient sur le processus d’une radicalisation ou « d’une conversion » comme l’auteur le cite dans son synopsis. Il effectue un retour aux origines, une plongée temporelle dans le passé, jusqu’à nos jours. Sofiane Jaballah est aussi assistant à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, il milite pour le développement des sciences humaines et sociales en Tunisie, enracinées empiriquement, décolonisées et engagées.
«Le Comment du Pourquoi» interpelle dans votre titre. Annoncez-vous décortiquer le salafisme ?
L’approche est explicative (le Comment ?) et compréhensive (le Pourquoi ?). Je pose les deux questions : le comment c’est la motivation individuelle, c’est le processus. La 2e partie est causale, c’est le phénomène par l’extérieur. L’humain a-t-il le choix de l’être ? Ou subit–il un déterminisme social ?
Quelle est la genèse de cette étude ?
C’est une thèse de doctorat et un article de revue publié dans la revue Ibla, qui ne s’adresse pas à un large public. A un lectorat qui peut être profane mais qui s’intéresse à la question religieuse, le fondamentalisme. L’objectif ambitieux du livre c’est de donner un processus commun de devenir «autre» : je les appelle, les trans comme les autres ou les trans-religieux. Comme les transclasss, transfuges. Le mot transmission, transition, trans-passé. Je suis dans la transposition. J’ai déjà élaboré des réflexions et des études sur plusieurs strates sociales, publiées dans des ouvrages, des articles, comme mon étude sur «Rue d’Espagne» ou la prochaine qui tournera autour des «Barbécha» et une autre sur les gardiens des parkings, le secteur de l’informel en Tunisie, qui émane du précariat et des zones exclues ou isolées.
Est–ce que le contexte international ou ce qu’on a connu auparavant au niveau national vous a poussé à publier cette étude ?
Bien sûr ! Dans le livre je consacre un chapitre à la «Sociologie de la sociologie », qui tente de préciser si j’étudie sur le salafisme ou si j’analyse mon rapport au salafisme. Tenter d’y faire face à travers la recherche ou s’ériger en sauveur… non ! J’ai choisi juste un sujet complexe et j’ai envie de le diffuser le plus possible et de le traduire. J’aimerais mieux faire connaître cette étude à travers des vidéos.
Dans le cadre de la 5e rencontre du théâtre arabe à Hanovre, la découverte de l’auteur de « L’artiste imperméabilisé » s’est imposée par elle-même. Youness Atbane manie plusieurs disciplines artistiques, dû à son rapport précoce aux objets. Dès son plus jeune âge, il manie la matière, et développe au fil des années son savoir-faire jusqu’à en faire un support solide lui permettant d’interroger l’art contemporain et sa pérennité en 2025. A travers sa création « The waterproofed artist », il bouscule le langage scénique afin d’interroger pertinemment son public. Entretien.
Par Haithem Haouel : Envoyé Spécial à Hanovre (Allemagne)
Vous êtes artiste pluridisciplinaire, interprète. Vos performances en live fusionnent plusieurs arts de la scène dans le but de titiller la réflexion. C’est le cas dans « The waterproofed artist », présentée à l’occasion de la 5e rencontre du théâtre arabe d’Hanovre. C’est l’art contemporain que vous épinglez dans votre création …
J’appartiens à des disciplines multiples : l’art visuel et contemporain. Je me posais toujours la question : comment vais – je combiner les deux ? Ce style de lecture – performance est arrivé comme une solution au problème d’adaptation. Je me suis détaché de la galerie et de la scène classique. Ce que je vis en tant qu’artiste est devenu un sujet intéressant à traiter : le rapport avec les institutions, avec le politique, la géopolitique, les rapports de force : tout cela est devenu un espace intéressant à mettre en lumière pour le public. Ce qui se passe dans le monde de l’art visuel avec le marché de l’art, les tendances, les attentes d’une esthétique, de la narration… Tout m’a incité à conclure que le milieu de l’art comme sujet reste pour moi la meilleure façon de combiner les deux pratiques : les arts visuels et la danse. En même temps, c’est devenu un processus de travail. Quand je suis sur scène, je manipule l’objet. Etant originaire d’une famille de potiers, j’ai hérité de ce savoir. Une pratique qui me permet d’être entouré d’interprètes – objets, devenant de potentielles œuvres d’arts pour un projet d’exposition.
Alors, d’où émane la genèse de « The Waterproofed artist » ?
Elle est née d’une simple situation : ma présence à la Biennale de Venise sur place en 2011. On est dans un milieu où tous les pays s’exposent artistiquement … Je présentais une performance. Je vois les pays qui s’entre – critiquent, qui prônent l’universalisme dans une ville qui coule littéralement, polluée par une couche d’huile, et avec un pavillon palestinien qui a créé beaucoup de tension. C’est comme une géopolitique, en mini – monde, érigée sous mes yeux. Une situation qui m’a marqué, sans vouloir en faire une analyse. J’ai été par la suite confronté à des situations de postcolonialisme compliquées. C’est comme l’ancien exotisme qu’on est en train de combattre : celui qui nous renvoie à l’identité, aux origines, et qui pousse les artistes à créer uniquement dans une vision du sud, la leur. Ma création se passe en 2048, le grand déluge de Venise, avec son pavillon flottant qui se perd tout en montrant cette logique et vision occidentale. Une île palestinienne imaginée deviendra une terre sacrée, en référence à l’arche de Noé et dans le but d’entretenir l’espoir d’une paix, d’une solution. Même si on en est loin …
Quelle est la portée de votre propos ?
Cette question représente de nos jours l’extension de l’image postcoloniale, le cœur du postcolonialisme dans son rapport critique est lié à cette question. On a arrêté le colonialisme mais le postcolonialisme perdure toujours dans nos rapports avec une académie qui s’est détachée du peuple, qui s’est replié sur elle – même et qui ne s’adresse qu’à l’Occident. Je pense que si ce langage-là avait existé dans nos systèmes éducatifs, il y aurait eu moins de violence. Le discours du large public est tout autre. Les académiciens ont abandonné leurs peuples de suite de leur formation occidentale, et je vois ce rapport à la décolonialité, qui est adressé uniquement aux pouvoirs concernés qui les subventionnent. L’exemple de l’Afro- futurisme m’avait beaucoup inspiré. La conception futuriste offre un espace d’échange, d’espoir. J’utilise l’humour pour m’adresser directement au public. Quand on place une question dans le futur, le public suit plus facilement. Je me place en tant qu’artiste, et je place un chercheur académicien et deux curateurs.
Le métier de curateur a été épinglé dans votre création, comme beaucoup de métiers annexés à l’art …
Ces nouveaux artistes responsables. Les curateurs créent la légitimité, en sont responsables et éclipsent les artistes. Ils combinent l’académique et l’artistique. Artistes, académiciens et curateurs sont pointés du doigt. Dans une autre création, il y a aussi les directeurs de musées.
Dans vos accomplissements, est-ce que l’époque s’est imposée par elle-même ou est- ce dans la continuité de votre cheminement ?
Plutôt dans la continuité. Je fais partie des gens qui détestent entendre dire « Qu’avant, c’était meilleur ». C’est archi – faux. C’était la galère. Le rapport à l’époque, c’est quand avant, on l’a vécu, aujourd’hui, on est inquiets, et le futur est flou. Ce rapport à la nostalgie est placé en 2048, dans ma dernière création, comme un temps de paix après des années de conflits qui peuvent surgir à tout moment. L’exercice de la fiction est parfaitement collectif. Les gens projettent leur propre fiction, sous différentes visions. Cet exercice de disponibilité permet d’émettre des propos différents.
Comment auriez-vous aimé que les gens rebondissent autrement que de se réfugier dans le passé ou la nostalgie ?
C’est justement faire appel à l’imaginaire et pratiquer la fiction. Ils ne peuvent que s’y plaire. Ils adorent puisqu’ils sont imprégnés par le cinéma, la littérature et sont habitués à l’imaginaire. C’est leur imagination qui est entretenue. Je n’apporte pas de réponse, je pose un exercice et c’est au public d’interpréter. C’est mon 5e projet autour de la fiction et c’est très satisfaisant.
D’où est-ce que découle cette métaphore autour de « l’artiste imperméabilisé », titre intrigant de votre création ?
Elle émane des artistes du sud de la Méditerranée qui s’adressent au nord. Le débat se fait dans la Méditerranée et il faudrait être imperméable. Ils peuvent nager dans la Méditerranée et assurer ce débat et pour le garantir il faut être imperméable et ne pas couler ou être atteint. C’est une image métaphorique qui reflète le débat lourd en cours et dénonce le rapport de pouvoir entre les deux pôles. La scène est une thérapie pour moi. Elle nous permet d’avoir du recul et c’est un espace qu’on augmente et qu’on contrôle.
Vous, qui êtes artiste des deux rives, quelle résonnance a votre travail, à Casablanca, votre ville d’origine et en Europe ?
Je me découvre actuellement, tout en ne parvenant pas à trouver de réponse : quand je présente une création au Maroc, je le fais avec le dialecte marocain et quand je suis en Europe, je le fais en anglais ou en français. Quand je finis le spectacle, je reçois ce spectateur lambda, qui me dit que ton texte, « tu l’as fait dans telle ou telle langue parce l’autre côté va le lire de la sorte et vice-versa ? ». Le fait que le public commence à créer une idée sur l’autre, ce n’est plus un rapport de dominé / dominant, c’est ce que pense ou perçoit l’autre qui compte. Je suis surpris et je ne sais comment agir dans les deux côtés. La crise se cristallise et le schisme avec. C’est une matière à creuser pour les académiciens.
Criant d’humanité et de vérités, la 5e rencontre du théâtre arabe à Hanovre prend vie grâce à ses invités triés sur le volet, sa sélection d’œuvres arabes, et sa poignée de spécialistes et académiciens qui ne cessent de faire et de défaire l’actualité. Cette rencontre allie engagement, solidarité et dialogue en puisant dans les arts scéniques, élégamment présentés dans le Pavillon culturel de cette cité allemande. Derrière la façade, une armée de l’ombre qui veille sur le bon déroulement du festival. Kaouthar Slimani, responsable artistique et de production, évoque le travail de toute une équipe, résistante face aux affres du temps. Interview.
Par Haithem Haouel, Envoyé spécial à Hanovre
Qu’est-ce qui distingue cette édition des quatre précédentes ?
Le travail en amont qui s’est fait au gré des mouvements, des révolutions, des guerres, des explosions, vécues sur une dizaine d’années déjà, et particulièrement, au fil de ce qui se passe dans le monde arabe de nos jours. Ça bouillonnait depuis des années et la vie des artistes avec qui on avait envie de collaborer, issus des pays arabes, devient précaire. Ils vivent une crise, d’où l’urgence de lancer cette édition et de réaliser le festival, avec ses invités, tout en ajoutant un aspect académique en plus, en présence des Dr Torsten Jost et Khaled Amine. Tout s’est fait sous le prisme d’une conscience collective. Ce qui se passe dans le monde arabe change à une vitesse hallucinante, et empire. Les rencontres émanent d’un sentiment de doute, de crainte, mêlé à celui de la résistance, sujette à des dilemmes et à de l’hésitation. Cette 5e édition fait écho à l’absurdité de l‘époque et à sa gravité. Autant de composantes qui nous ont incités à maintenir ces rencontres, aujourd’hui plus que jamais auparavant.
De qui s’est composée l’équipe ?
Fetah Diouri et Sabine Trötschel sont les fondateurs depuis 2012. Pour la prod, Elke Cybulski et moi–même qui étions à la dernière édition du festival en date de 2022. Pour ma part, je m’occupe du département théâtre au Pavillon d’Hanovre avec Tomy Nugyen, mon collègue. Erik Veenstra et Mich Belkhir gèrent l’aspect technique. Les deux assurent une coordination technique de haut niveau. Sans oublier, Abdalrahman Alqalak, poète palestinien et Matthias Alber, responsable Booking.
Il y a le projet Magma et la 5e rencontre du théâtre arabe d’Hanovre. Est-ce qu’ils sont dissociés ?
«Magma», c’est la thématique choisie. Nous valorisons l’art scénique dans une époque bouillonnante, glissante, de crainte et de peur. Pour des raisons administratives, nous avons dû choisir et garder les deux appellations. L’appellation d’un projet séparé, avec un thème choisi doit être élaboré. Pour «Magma», on a hésité à le retenir de peur que les gens ne saisissent pas le sens du terme, surtout quand on le traduit en arabe. Ce qui se passe dans le monde arabe, on le sent à l’échelle organique, physique. C’est profond, douloureux et changeant. Comme un vrai Magma… Chaque édition est ancrée dans son époque et la raconte. La sélection des productions est faite selon des thèmes. La sélection se fait selon les créations qui résonnent le plus dans l’ère que nous vivons.
L’équipe a-t-elle eu des problèmes liés aux visas ?
En 2022, oui, avec sa thématique «Héritage, perspectives, horizons». Mais cette année, on a eu la chance d’avoir toutes les productions, ayant déjà leurs visas ou qui ont des doubles nationalités. On a établi des relations fortes avec les centres Goethe Institut dans le monde arabe et en Allemagne pour faciliter la circulation des artistes. On a pu trouver des manières pour renforcer le soutien.
Ces rencontres qui ont eu lieu depuis 2012. Pourquoi ne s’organisent-elles pas plus fréquemment ?
Pour des raisons financières et liées à la pandémie du Covid-19 aussi.
Maintenir une manifestation spécialisée dans le théâtre arabe en Allemagne, par ces temps, c’est un défi…
Au niveau des bailleurs de fonds, ils veulent comprendre quel impact peut avoir une manifestation comme celle-ci auprès des communautés arabes en Allemagne. Quelle est son importance ? Quel effet va–t-elle produire ? Quel est son ampleur ? Son influence auprès des Allemands aussi. C’est pour rapprocher les nations, et les cultures qu’on maintient cette manifestation. C’est pour susciter le débat, chasser les préjugés, les stéréotypes. Nous tenons à donner une autre image des Arabes. Beaucoup de questionnements foisonnent sur le travail artistique vu et à chacune de nos manifestations.
Quel impact ont ces rencontres sur les artistes arabes conviés ?
Il y a des troupes ou des artistes qui sont habitués à l’Europe ou à l’Allemagne. Celles et ceux qui m’ont donné leur impression étaient surtout impressionnés par le Pavillon d’Hanovre, l’endroit où se déroule la manifestation et la vocation qu’il a d’être ouvert gratuitement à tout le monde y compris et surtout pour les nécessiteux. Ces derniers, de passage, succombent à l’endroit et sont attirés par les activités du centre culturel. C’est cette alchimie avec les artistes venus du monde arabe qui ensorcelle et prend vie, au final.
Les parutions varient mais ne se ressemblent pas pour Raouf Medelgi, auteur de « Papillon de nuit », recueil de 11 nouvelles captivantes, paru chez « AC éditions ». Concises, les nouvelles racontées prônent des histoires tissées autour de la femme et puisées dans notre société. Cet éventail de 11 histoires courtes reflète la volonté de l’écrivain de varier les genres littéraires, de sortir d’une zone de confort, d’entretenir une écriture, sans cesse changeante. Invité du « Club de lecture à Haute Voix de Hammamet » pour une soirée littéraire ramadanesque le 20 mars 2025 à « Fausse note », le nouvelliste naissant se confie sur son récent écrit.
Vous avez consacré votre premier livre « Bonjour monsieur Bussac » (Edition Arabesques) à la biographie de François G.Bussac, l’écrivain des deux rives. Cette année, vous avez fait paraitre « Papillon de nuit », votre recueil de nouvelles, alternant ainsi deux genres littéraires totalement différents. Que pouvez-vous nous dire sur votre 2ème livre, sans trop en révéler à notre lectorat ?
J’avais déjà envie d’écrire et de publier la fiction depuis longtemps. Le choix de la nouvelle était voulu. Après la biographie, qui était un exercice, un essai, j’ai franchi le pas. La bio est consacrée à un autre auteur. L’élaborer fut contraignant par moments : respect de la chronologie, le déroulement, le respect des évènements. C’était un défi. Dans la biographie, on ne peut pas se permettre d’écrire n’importe quoi, et d’inventer. Ecrire sur une personne de ce monde est toujours fort passionnant. La bio concilie le respect de la vie de la personne et la particularité de raconter cette vie. Je tenais à écrire de la fiction, en trouvant le ton juste. Pourquoi la nouvelle ? Je dis qu’il faut toujours « commencer petit ». (Rire). Le roman, c’est bien plus élaboré. Il s’agit d’un travail de longue haleine sur plusieurs années. Quoique l’exercice de la nouvelle soit stimulant : C’est dur de condenser une histoire en quelques pages et ménager l’effet de surprise à la fin de chaque nouvelle.
Vous vous êtes mis à l’écriture de ces 11 nouvelles. Est-ce qu’elles étaient imaginées, préparées en amont ? Comment s’est passé le processus de l’écriture ?
Il y a beaucoup de travail derrière ce résultat final. Il y en a une qui était prête : « L’orage ». Elle a déclenché l’écriture des nouvelles suivantes. Cette histoire vient d’un fait personnel, une relation personnelle chaotique. Un chaos qui a coïncidé avec les déclarations d’un ancien politicien, qui avait fait des commentaires misogynes à propos de la condition de la femme, de ses désirs. C’était inspirant pour écrire ! J’ai donc fait parler une femme de son propre désir dans une des nouvelles de « Papillon de nuit ». Ce n’est pas fluide d’écrire des nouvelles, c’est beaucoup de réflexions, de modifications, c’est puisé dans soi, dans son enfance, dans sa jeunesse, dans ses sensibilités, dans sa mémoire visuelle. Deux histoires se sont greffées au départ, ensuite, deux autres, inspirées de deux rencontres qui sont venues après…
Les nouvelles doivent être concises. Je suis enseignant à l’origine et je pense que ce qui rebute un lecteur, c’est la longueur. Ce qui m’intéresse, c’est amener les gens à lire. A encourager la lecture, et le format « nouvelle » aide, parce que c’est court. Opter pour les phrases courtes et raconter l’action, c’est voulu. La description n’existe presque pas dans « Papillon de nuit ». Dans une des nouvelles, j’ai dû condenser 5 années d’existence en quelques pages. C’était éprouvant.
Vous nous dites que la mémoire joue un rôle crucial dans l’écriture de vos nouvelles. Est-ce le cas ?
Absolument ! La mémoire est prodigieuse : il y a des détails et des histoires qui surgissent. Je pars de détails réels, mais je brode autour : je rajoute les histoires, les mixtures, avec l’ajout de traits, de caractéristiques… J’ai vécu dans un univers dominé par les femmes. J’ai été très sensible à ce vécu. Il s’agit donc de souvenirs glanés partout et que j’ai recomposés. Ce n’est sans doute pas des histoires inventées de bout en bout et je ne suis pas inventeur d’univers littéraire ou fantaisiste. Mon intérêt c’est de me rapprocher de la société et de faire de la fiction parlante, celle qui évoque les sujets relatifs à la femme de 7 à 77 ans.
La dernière nouvelle du livre porte le même titre que le recueil « Papillon de nuit ». Quelle est sa particularité ?
C’est la nouvelle qui me bouleverse le plus mais en même temps elle finit bien. Je me suis beaucoup attaché à son personnage principal : quand la vie commençait à lui sourire, il est parti. Pour le choix du titre, il m’a paru presque une évidence de lui attribuer ce même titre. D’une manière plus générale, je tiens à faire connaître tous ces récits pluriels. On ne va pas trop en dire davantage ! En attendant, je peux d’ores et déjà annoncer la préparation du 3e livre, dans lequel je renoue avec la biographie.
Unique participation marocaine à la 47e édition du festival international de Clermont-Ferrand, dédié aux courts métrages, le film Chikha saisit par sa portée engagée. Véritable immersion dans un univers musical, festif, dansant typique et 100% féminin qu’est le «Aïta», l’histoire nous fait pénétrer dans le quotidien des «chikhat», véritables gardiennes d’un art ancestral. Leur chant est aux prises avec les difficultés de l’époque mais perdure toujours, grâce à la sauvegarde de cette pratique musicale, de nos jours revisitée, fusionnée avec d’autres sonorités modernes, mais toujours valorisée.
Par notre envoyé spécial à Clermont-Ferrand Haithem HAOUEL
"Chikha", le film nous transporte en 1994 et nous présente Fatine, jeune fille de dix-sept ans, qui vit avec sa mère Nadia, chikha de profession, et son grand-père Hamid, à Azemmour, dans le sud-ouest du Maroc. Bac en poche, Fatine est tiraillée entre deux voies opposées: soit perpétuer la tradition artistique familiale, soit mener une vie plus rangée avec son amoureux Youssef, qui dénigre son héritage artistique sulfureux. Un ultimatum imprévu l’oblige à prendre une décision radicale. Le synopsis en dit long sur la pertinence de l’histoire. C’est le récit d’un affranchissement, d’une émancipation féminine et un hymne à la liberté des « Chikhat », qui ont joué un rôle important dans l’histoire du pays.
Retenu en compétition internationale des courts métrages à Clermont-Ferrand, le film a été présenté aux JCC 2024 et au Red Sea. Réalisé par Zahoua Raji et Ayoub Layoussifi, il poursuit actuellement son bout de chemin. Prochainement, il est attendu au Malmö arab film festival en Suède, dans un festival panafricain organisé à L.A, nominé dans «le best Short Narrative», à Aspen, en Grèce et au Canada. L’interprétation des acteurs Sanaa Gueddar, Rita Kribi et Oussama Fal ne nous laisse pas indifférents et l’accueil du public a été unanimement positif en France. Entretien avec un duo qui se fraye un parcours distingué.
Tout un art est dévoilé au goût du jour à travers votre film « Chikha ». Véritable plongée dans les us et coutumes festifs et traditionnels du Maroc, votre court métrage est tissé autour d’une condition féminine fascinante et résistante. Tout un processus de recherche a été effectué autour de cette pratique d’el « Aïta ». Parlons–en.
Ayoub Layoussifi : Pour cette condition et au fur et à mesure de nos recherches, tout s’est confirmé pour nous : l’« Aïta » est un véritable art à part entière. C’est un art musical, avec des textes poétiques ancestraux. Les textes se transmettent comme des poèmes, d’une mère à sa fille, ou d’une façon intergénérationnelle. Les femmes qui pratiquent cet art s’appellent couramment les « Chikhat » et c’est un univers musical essentiellement féminin. Elles chantent et dansent, dans des ambiances masculines, le soir, entourées de musiciens hommes, à l’époque de la colonisation, et ce, jusqu’à l’époque moderne. Il y en avait parmi elles, qui étaient résistantes, dans leur manière, leur façon de pratiquer «l’Aïta». Par exemple, elles assuraient leurs spectacles courageusement dans des soirées de colons. Pour exprimer leur mécontentement et leur résistance, elles disaient des textes formulés par elles, tels des messages codés et ce, pour envoyer des messages d’une tribu à une autre, dénoncer des collaborateurs ou des taupes, insulter les colons, dire où les armes sont cachées… les «Chikhat» le faisaient aisément. Au fil du temps, sept genres de «Aïta» ont vu le jour dans plusieurs régions du Maroc. Les textes sont mélancoliques, chantent l’amour, la sensualité, ce sentiment du déracinement d’un pays ou d’une région qu’on a quittés. Dans les années 90, il y a eu une régression de cet art, avec l’arrivée de la modernité musicale venue d’Egypte ou d’Orient.
Zahoua Raji : Avant, les mariages duraient sept jours. Maintenant, c’est 2 ou 3 jours, pour la plupart. Les familles préfèrent rebudgétiser. Ceux qui ont les moyens reviennent à l’art «Aïta». Récemment, de nombreuses familles renouent avec le patrimoine musical et les spectacles des «Chikhat». Cette envie commune de conserver une tradition ou une partie de notre patrimoine musical marocain s’est imposée. Et c’est tant mieux. L’art d’El «Aïta» et les «Chikhat» ont toujours été évoqués dans de nombreux documentaires, comme pour conserver les dernières bribes autour de ce savoir ancestral. Il y a des historiens qui travaillent dessus, des livres parus et autres réalisations… et des genres d’« Aïta », revisités et modernisés. La jeune génération puise dans son patrimoine ancien et le modernise comme par exemple Widad Mjama, rappeuse marocaine et son travail musical élaboré avec EPI, musicien tunisien. Ils ont réalisé un mélange d’« Aïta » et de rock électro.
A.L. : Dans des concerts ou des cérémonies très officielles, cette musique résonne toujours autant. Les « Chikhat » chantent « Al Aïta », et les chants populaires. Ce sont des ambiances propres à elles, et les gens réclament des registres et de nombreuses chansons.
Ce film est coréalisé par vous deux. Comment cet intérêt a vu le jour ?
A.L. : L’idée originale, c’est celle de Zahoua. Quand elle m’en a parlé, après quelques recherches et des prises de contact avec des « Chikhat », ça tombait bien pour moi, parce que le sujet m’intéressait beaucoup.
Z.R. : Je voulais faire un film sur les «Chikhat», mais je n’avais pas un background cinéma. Je suis photographe initialement. Je n’étais pas sûre de pouvoir le faire. J’écrivais, j’arrêtais, j’interrompais, et je m’en remettais, et puis il y a eu la maternité, et les tournants de la vie… Et puis, à un certain moment, on a commencé à écrire ensemble, mais ce n’était pas facile au quotidien. On a donc fait appel à Yamina Zarou, notre coscénariste, et Ayoub a scénarisé le film en mettant mes idées sur papier. Tout un scénario a été écrit autour de ce couple de jeunes Marocains qu’on voit dans le film. Le scénario est co-écrit par Yamina et Ayoub. La post-prod s’est enchaînée. L’écriture a pris beaucoup de temps à cause des financements et de la levée des fonds. Les scènes visuelles pour moi, on les voyait, et elles étaient faciles à réaliser. Il fallait leur donner vie.
Pourquoi ne pas avoir traité de ce sujet dans un documentaire ?
Z.R. : J’avais tellement d’images dans ma tête que ça ne fonctionnait pas avec le documentaire. La scène finale est une scène forte, intense. Sur le documentaire, il fallait tricher. Si j’avais fait un doc, il aurait été «Freestyle». Quand on dirige les comédiens et quand on écrit, c’est davantage cadré, maîtrisé. C’est donner vie à un spectacle. J’espère que cet art sera traité aussi souvent dans d’autres films.
A.L. : On a voulu pour notre mise en scène qu’elle soit brute et sans artifices. La caméra bouge, elle participe. Les scènes de danse, d’ouverture, de clôture du spectacle… Nous les avons filmés sur le tas, ou en studio, et cela nous a permis de faire plein de trouvailles, de captations live… Il y a du vrai, du réel et notre style de mise en scène est imprégné par le documentaire qu’on aime beaucoup et qui n’est pas loin.
Les événements du film se passent en 1994. Pourquoi cette année précisément ?
Z.R. : Personnellement, je trouve que la période florissante de cet art, c’était pendant les années 90. Les «Chikhat» étaient très présentes dans les mariages durant cette décennie-là. C’était comme si je leur donnais rendez-vous en pleine saison des mariages. Ce sont des atmosphères qui ont imprégné mon enfance. C’était aussi une époque qui a vu naître la télé, les cassettes VHS, et cet art commençait à décliner et à devenir vieux, au fil des ans.
A.L. : On a trouvé intéressant d’écrire l’histoire avec une jeune fille de 17 ou 18 ans, d’une famille de troubadours. Une jeune fille qui voudrait reprendre le flambeau des « Chikhat », l’entretenir, et le mettre au goût du jour. Chikha est une histoire d’héritage à conserver. La jeune fille est révolutionnaire, rebelle ayant une certaine fierté qu’elle exprime et met en lumière l’héritage de sa mère et de son milieu.
La musique de votre film se distingue. Quel travail a été fait autour du son et du Sound Track ?
A.L. : Au fur et à mesure de l’écriture, nous avons retenu des morceaux, extraits du patrimoine « Aïta ». On en a choisi 4, interprétés et réinterprétés et par les personnages féminins, et enregistrés en studio et en live. Dans le mixage son, il y a eu les prises live, l’ambiance du public. Un grand travail s’est fait autour du montage son. Ça nous a pris beaucoup de temps, bien plus que le montage images.
L’actrice Mariem Sayeh porte sur grand écran le court métrage « Bord à bord » de Sahar El Echi, qui fait son chemin, depuis sa première au Red Sea Festival en 2024, son Tanit de bronze raflé en compétition officielle et sa projection spéciale à la 47e édition du festival international des courts métrages de «Clermont-Ferrand » dans la section « Regards d’Afrique ». Prochain arrêt le Fespaco. Dans le cadre du plus grand festival de courts métrages au monde, entre réactions des spectateurs et brouhaha festif, la rencontre s’est créée.
Par notre envoyé spécial à Clermont-Ferrand Haithem HAOUEL
Depuis de nombreuses années, vous avez accumulé les courts et quelques longs métrages, en interprétant différents rôles. Cette aventure filmique semble être distinguée. L’est-elle vraiment ?
J’ai joué dans 15 films courts et longs, très exactement. « Bord à bord » me rappelle mon tout premier film long réalisé par Nasreddine Shili. J’avais le premier rôle aux côtés d’Atef Ben Hassine et Salha Nasraoui. Artistiquement, en tant qu’actrice, cette expérience récente m’a beaucoup rappelé l’ancienne, de par son casting, mes partenaires à l’écran, le tournage… Il y a des rappels dans la construction des personnages. La profondeur du personnage féminin dans le film de Sahar El Echi porte le film.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans Mounira, le personnage principal féminin ?
Son existence dans un lieu complètement masculin. Sa condition sociale qu’elle n’a pas choisie, comme sa gargote… ce lieu difficile où elle vit, et qu’elle a hérité de son défunt père. Elle essaie de s’en sortir comme elle peut.
Selon vous, le film lève-t-il le voile sur une frange sociale qui n’est pas assez visible ?
Evidemment. Ce lieu, qui est une casse où on trouve des voitures délabrées, jetées, encastrées, est un lieu de vie. Une population y vit, avec des règles, des lois sauvages. Un univers à part. Cela dit, Mounira peut exister dans toutes les classes sociales masculines et patriarcales. Elle fait de la résistance, souffre des hommes qu’elle croise et qui tentent de l’écraser. Elle ne fait que survivre au quotidien en tant que femme. Le tournage s’est déroulé dans une vraie casse, le lieu dans le film est un personnage à part entière. J’ai dû m’immiscer un peu dans un endroit comme celui-ci, apprendre à faire des fricassés. J’ai fait en sorte d’interpréter Mounira avec un jeu minimaliste.
L’héroïne rencontre au gré de son quotidien deux hommes différents, qui vivent dans cette casse géante, broyeuse d’âmes et de vies. L’élan de liberté qu’elle recherche s’est déclaré vers la fin. Ces deux l’ont- ils propulsé vers sa liberté ?
Mounira a toujours été en quête de liberté. Elle les voyait souvent, c’est vrai mais ils ne sont pas en relation. Elle prend sa voiture, part, et ce départ laisse libre cours à de nombreuses interprétations. A Clermont-Ferrand, les gens nous arrêtaient dans la rue parce qu’ils tenaient à savoir où Mounira est partie. C’est une métaphore de la liberté, un clap de fin qui illustre ce moment vécu en solo. D’ailleurs, « Bord à bord », c’est mon 2e travail effectué avec une réalisatrice femme. Il y a une marge de confiance instaurée dès le départ entre nous. Une sensibilité réciproque, différente de celle ressentie avec un réalisateur homme. Sahar El Echi est talentueuse. Elle a une idée qu’elle tient à appliquer, patiente dans des conditions de tournage difficiles mais entourée d’une équipe technique extraordinaire.
Entre le 31 janvier et le 8 février 2025, la réalisatrice et vous êtes présentes à la 47e édition du festival international des courts métrages de « Clermont-Ferrand », unique présence tunisienne cette année malgré la programmation extra – large. Comment se vit cette aventure ?
L’expérience est unique. C’est un festival classe A mais quand on y assiste, c’est un vrai festival de cinéma. Ce n’est pas une vitrine. La programmation extrêmement riche attire et la réaction du public après les projections est extraordinaire. C’est une ville festival et l’interaction autour du film et du cinéma se fait sans cesse partout pendant toute sa période. Cette réception du film, c’est ce qui séduit le plus.
Pouvez-vous nous faire un rappel de votre actualité et et nous dire s’il y a des projets en vue ?
J’ai créé mon propre monodrame, qui s’appelle « Mère Nature – Madre Natura » et j’ai eu une mention spéciale du jury suite à sa présentation italienne, à l’instant même où « Bord à bord » gagne le Tanit de bronze. (rire). Un moment unique. Le monodrame est expérimental pluridisciplinaire, fusionne danse, musique, cirque, et j’ai eu la possibilité de participer avec au festival international du monodrame de Turin. Je le reprends dans quelques semaines pour d’autres festivals et pour une représentation en Tunisie, bien sûr. La reprise de « Prometheus », un spectacle tuniso-italien, est pour bientôt. Je reste dans la recherche du pluridisciplinaire sur scène et j’assure les rendez-vous « Studio Fan » à l’Agora, une fois par mois.
Seule participation mauricienne à la 47e édition du festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, la jeune réalisatrice Kim Yip Tong bouleverse par la portée de son sujet, sublimement esquissé dans son court métrage titré «Pie Dan Lo» ou «Black Tide» en langue anglaise. A l’aune d’une époque chamboulée par les catastrophes environnementales, la réalisatrice fait voyager son public dans sa terre d’origine, l’île Maurice.
Propos recueillis par Haithem HAOUEL, envoyé spécial au festival de Clermont-Ferrand
A travers son film, elle raconte une tragédie, qui, cinq ans auparavant, a marqué durablement la conscience collective des habitants de son île. Un trauma qui, de nos jours, persiste et se mue dans un silence douloureux vécu en collectivité. Le récif de l’île Maurice, mondialement connu pour sa biodiversité unique, est frappé de plein fouet par un paquebot de pétrole, qui échoue et déverse sa matière dévastatrice sur une bonne partie des côtes de l’île. Véritable catastrophe naturelle, qui a fait écho en pleine pandémie, elle a chamboulé à jamais les vies des péninsulaires sur place. Contre l’oubli et dans le but de rendre hommage à son peuple plus que jamais solidaire face à cette tragédie, «Kim Yip Tong» tenait à faire revivre les faits dans un film d’animation, construit en témoignages audio et en dessins et peintures. Rencontre au sommet !
Quelle est la genèse de cette réalisation filmique courte mais distinguée, sélectionnée dans la catégorie «Kids» et «Regards d’Afrique» au festival de Clermont-Ferrand de 2025 ?
Je suis plasticienne de base, influencée par des films expérimentaux visionnés dans des planétariums ou des résidences artistiques. Je me suis déjà essayée à la réalisation en sortant un petit film en 2018. Cette fois–ci, «Black Tide» est concrètement mon premier film produit. C’est un court métrage documentaire d’animation qui évoque la marée noire qui a ravagé l’île Maurice en 2020. Il est retenu dans la sélection «enfants» des plus de 9 ans et dans «Regards d’Afrique» à Clermont-Ferrand.
Qu’est-ce qui vous a urgemment poussée à raconter cette tragédie de la marée noire dans un film court ?
C’est l’histoire d’un pétrolier japonais qui s’est écrasé sur le récif de l’île Maurice et qui est resté sur place pendant deux semaines avant de commencer à couler et a déversé toute sa matière polluante. Face à l’inaction des autorités, ce sont les habitants qui se sont soudés afin de faire face à la catastrophe. C’est un élan de solidarité sans précédent qui a eu lieu. Ils se sont servis de leur propre bateau, et en usant de moyens et d’anecdotes efficaces pour contenir ce pétrole déversé. Pour moi, c’est ainsi que naissent les mythes. Ça puait la mort, il y a eu évacuation des écoles et de lieux, des familles ont perdu leur travail, et le tout vécu en pleine pandémie mondiale. Les habitants ont été solidaires plus que jamais, et cette tragédie a été le début de manifestations et de contestations uniques. C’est l’histoire d’un pays qui se soulève pour l’écologie et la mer. Cette histoire m’a profondément imprégnée et m’a poussée à la raconter dans «Pie Dan Lo». Une société de dépollution grecque est intervenue bien plus tard pour nettoyer le désastre pétrolier. Cette même société a une fondation qui commissionne les films qui traitent de désastres écologiques spécialement provoqués par le pétrole. J’ai eu un petit budget pour le réaliser.
Peut-on en savoir plus sur le processus de création ?
Cette histoire a détruit des vies, des familles, a bousillé la santé d’individus, et une biodiversité entière. Mon travail a consisté à recueillir les propos et témoignages des habitants, en créole ou en français. A partir de témoignages, j’ai dessiné et peint les faits. Une manière de faire appel à ma discipline première et initiale, qui est de peindre. Ça a fait un film documentaire par la puissance des témoignages, génériques, métaphoriques et symboliques et par ses images. Pendant un mois et 3 semaines, j’ai retranscrit et écouté les audios recueillies et créé la bande-son. Ensuite, je me suis focalisée sur l’animation et la levée de fonds. Le film est produit par «Gao Shan Animation Studio Maurice»/ «Gao Shan Pictures» et «We Film». Tous les décors sont peints à la main. L’animation, la rotoscopie et la colorisation sont réalisées par Amandine Boyer, Pénélope Camus, Gloria Vivien, Uma Burrenchobay et moi–même.
Comment avez-vous vécu la catastrophe ?
Le bateau est arrivé le 12 juillet 2020. Il est resté 12 jours avant de commencer à couler. Je suis allée toute seule sur place. Il y avait déjà une centaine de personnes déjà présentes. La citoyenneté et la solidarité créées autour m’avaient marquée. J’ai ressenti l’entraide et pris quelques images, mais j’avais plus envie de vivre l’instant présent et de m’imprégner de tout ce que je vivais et vivaient les Mauriciens autour, et de ne pas tout vivre derrière un écran. C’est un film qui a vu le jour, avec beaucoup de ressentis, de sentiments. Je l’ai vécu de l’intérieur sans beaucoup d’images ou de vidéos prises. Ce dont je reste fière c’est la réception du public à l’île Maurice. Bouleversant à souhait, il a suscité énormément d’émotions. Nous l’avons projeté devant plus de 700 personnes pas loin de l’endroit où a échoué le paquebot. C’est un travail de mémoire qui a été fait.