Les parutions varient mais ne se ressemblent pas pour Raouf Medelgi, auteur de « Papillon de nuit », recueil de 11 nouvelles captivantes, paru chez « AC éditions ». Concises, les nouvelles racontées prônent des histoires tissées autour de la femme et puisées dans notre société. Cet éventail de 11 histoires courtes reflète la volonté de l’écrivain de varier les genres littéraires, de sortir d’une zone de confort, d’entretenir une écriture, sans cesse changeante. Invité du « Club de lecture à Haute Voix de Hammamet » pour une soirée littéraire ramadanesque le 20 mars 2025 à « Fausse note », le nouvelliste naissant se confie sur son récent écrit.
Vous avez consacré votre premier livre « Bonjour monsieur Bussac » (Edition Arabesques) à la biographie de François G.Bussac, l’écrivain des deux rives. Cette année, vous avez fait paraitre « Papillon de nuit », votre recueil de nouvelles, alternant ainsi deux genres littéraires totalement différents. Que pouvez-vous nous dire sur votre 2ème livre, sans trop en révéler à notre lectorat ?
J’avais déjà envie d’écrire et de publier la fiction depuis longtemps. Le choix de la nouvelle était voulu. Après la biographie, qui était un exercice, un essai, j’ai franchi le pas. La bio est consacrée à un autre auteur. L’élaborer fut contraignant par moments : respect de la chronologie, le déroulement, le respect des évènements. C’était un défi. Dans la biographie, on ne peut pas se permettre d’écrire n’importe quoi, et d’inventer. Ecrire sur une personne de ce monde est toujours fort passionnant. La bio concilie le respect de la vie de la personne et la particularité de raconter cette vie. Je tenais à écrire de la fiction, en trouvant le ton juste. Pourquoi la nouvelle ? Je dis qu’il faut toujours « commencer petit ». (Rire). Le roman, c’est bien plus élaboré. Il s’agit d’un travail de longue haleine sur plusieurs années. Quoique l’exercice de la nouvelle soit stimulant : C’est dur de condenser une histoire en quelques pages et ménager l’effet de surprise à la fin de chaque nouvelle.
Vous vous êtes mis à l’écriture de ces 11 nouvelles. Est-ce qu’elles étaient imaginées, préparées en amont ? Comment s’est passé le processus de l’écriture ?
Il y a beaucoup de travail derrière ce résultat final. Il y en a une qui était prête : « L’orage ». Elle a déclenché l’écriture des nouvelles suivantes. Cette histoire vient d’un fait personnel, une relation personnelle chaotique. Un chaos qui a coïncidé avec les déclarations d’un ancien politicien, qui avait fait des commentaires misogynes à propos de la condition de la femme, de ses désirs. C’était inspirant pour écrire ! J’ai donc fait parler une femme de son propre désir dans une des nouvelles de « Papillon de nuit ». Ce n’est pas fluide d’écrire des nouvelles, c’est beaucoup de réflexions, de modifications, c’est puisé dans soi, dans son enfance, dans sa jeunesse, dans ses sensibilités, dans sa mémoire visuelle. Deux histoires se sont greffées au départ, ensuite, deux autres, inspirées de deux rencontres qui sont venues après…
Les nouvelles doivent être concises. Je suis enseignant à l’origine et je pense que ce qui rebute un lecteur, c’est la longueur. Ce qui m’intéresse, c’est amener les gens à lire. A encourager la lecture, et le format « nouvelle » aide, parce que c’est court. Opter pour les phrases courtes et raconter l’action, c’est voulu. La description n’existe presque pas dans « Papillon de nuit ». Dans une des nouvelles, j’ai dû condenser 5 années d’existence en quelques pages. C’était éprouvant.
Vous nous dites que la mémoire joue un rôle crucial dans l’écriture de vos nouvelles. Est-ce le cas ?
Absolument ! La mémoire est prodigieuse : il y a des détails et des histoires qui surgissent. Je pars de détails réels, mais je brode autour : je rajoute les histoires, les mixtures, avec l’ajout de traits, de caractéristiques… J’ai vécu dans un univers dominé par les femmes. J’ai été très sensible à ce vécu. Il s’agit donc de souvenirs glanés partout et que j’ai recomposés. Ce n’est sans doute pas des histoires inventées de bout en bout et je ne suis pas inventeur d’univers littéraire ou fantaisiste. Mon intérêt c’est de me rapprocher de la société et de faire de la fiction parlante, celle qui évoque les sujets relatifs à la femme de 7 à 77 ans.
La dernière nouvelle du livre porte le même titre que le recueil « Papillon de nuit ». Quelle est sa particularité ?
C’est la nouvelle qui me bouleverse le plus mais en même temps elle finit bien. Je me suis beaucoup attaché à son personnage principal : quand la vie commençait à lui sourire, il est parti. Pour le choix du titre, il m’a paru presque une évidence de lui attribuer ce même titre. D’une manière plus générale, je tiens à faire connaître tous ces récits pluriels. On ne va pas trop en dire davantage ! En attendant, je peux d’ores et déjà annoncer la préparation du 3e livre, dans lequel je renoue avec la biographie.
Unique participation marocaine à la 47e édition du festival international de Clermont-Ferrand, dédié aux courts métrages, le film Chikha saisit par sa portée engagée. Véritable immersion dans un univers musical, festif, dansant typique et 100% féminin qu’est le «Aïta», l’histoire nous fait pénétrer dans le quotidien des «chikhat», véritables gardiennes d’un art ancestral. Leur chant est aux prises avec les difficultés de l’époque mais perdure toujours, grâce à la sauvegarde de cette pratique musicale, de nos jours revisitée, fusionnée avec d’autres sonorités modernes, mais toujours valorisée.
Par notre envoyé spécial à Clermont-Ferrand Haithem HAOUEL
"Chikha", le film nous transporte en 1994 et nous présente Fatine, jeune fille de dix-sept ans, qui vit avec sa mère Nadia, chikha de profession, et son grand-père Hamid, à Azemmour, dans le sud-ouest du Maroc. Bac en poche, Fatine est tiraillée entre deux voies opposées: soit perpétuer la tradition artistique familiale, soit mener une vie plus rangée avec son amoureux Youssef, qui dénigre son héritage artistique sulfureux. Un ultimatum imprévu l’oblige à prendre une décision radicale. Le synopsis en dit long sur la pertinence de l’histoire. C’est le récit d’un affranchissement, d’une émancipation féminine et un hymne à la liberté des « Chikhat », qui ont joué un rôle important dans l’histoire du pays.
Retenu en compétition internationale des courts métrages à Clermont-Ferrand, le film a été présenté aux JCC 2024 et au Red Sea. Réalisé par Zahoua Raji et Ayoub Layoussifi, il poursuit actuellement son bout de chemin. Prochainement, il est attendu au Malmö arab film festival en Suède, dans un festival panafricain organisé à L.A, nominé dans «le best Short Narrative», à Aspen, en Grèce et au Canada. L’interprétation des acteurs Sanaa Gueddar, Rita Kribi et Oussama Fal ne nous laisse pas indifférents et l’accueil du public a été unanimement positif en France. Entretien avec un duo qui se fraye un parcours distingué.
Tout un art est dévoilé au goût du jour à travers votre film « Chikha ». Véritable plongée dans les us et coutumes festifs et traditionnels du Maroc, votre court métrage est tissé autour d’une condition féminine fascinante et résistante. Tout un processus de recherche a été effectué autour de cette pratique d’el « Aïta ». Parlons–en.
Ayoub Layoussifi : Pour cette condition et au fur et à mesure de nos recherches, tout s’est confirmé pour nous : l’« Aïta » est un véritable art à part entière. C’est un art musical, avec des textes poétiques ancestraux. Les textes se transmettent comme des poèmes, d’une mère à sa fille, ou d’une façon intergénérationnelle. Les femmes qui pratiquent cet art s’appellent couramment les « Chikhat » et c’est un univers musical essentiellement féminin. Elles chantent et dansent, dans des ambiances masculines, le soir, entourées de musiciens hommes, à l’époque de la colonisation, et ce, jusqu’à l’époque moderne. Il y en avait parmi elles, qui étaient résistantes, dans leur manière, leur façon de pratiquer «l’Aïta». Par exemple, elles assuraient leurs spectacles courageusement dans des soirées de colons. Pour exprimer leur mécontentement et leur résistance, elles disaient des textes formulés par elles, tels des messages codés et ce, pour envoyer des messages d’une tribu à une autre, dénoncer des collaborateurs ou des taupes, insulter les colons, dire où les armes sont cachées… les «Chikhat» le faisaient aisément. Au fil du temps, sept genres de «Aïta» ont vu le jour dans plusieurs régions du Maroc. Les textes sont mélancoliques, chantent l’amour, la sensualité, ce sentiment du déracinement d’un pays ou d’une région qu’on a quittés. Dans les années 90, il y a eu une régression de cet art, avec l’arrivée de la modernité musicale venue d’Egypte ou d’Orient.
Zahoua Raji : Avant, les mariages duraient sept jours. Maintenant, c’est 2 ou 3 jours, pour la plupart. Les familles préfèrent rebudgétiser. Ceux qui ont les moyens reviennent à l’art «Aïta». Récemment, de nombreuses familles renouent avec le patrimoine musical et les spectacles des «Chikhat». Cette envie commune de conserver une tradition ou une partie de notre patrimoine musical marocain s’est imposée. Et c’est tant mieux. L’art d’El «Aïta» et les «Chikhat» ont toujours été évoqués dans de nombreux documentaires, comme pour conserver les dernières bribes autour de ce savoir ancestral. Il y a des historiens qui travaillent dessus, des livres parus et autres réalisations… et des genres d’« Aïta », revisités et modernisés. La jeune génération puise dans son patrimoine ancien et le modernise comme par exemple Widad Mjama, rappeuse marocaine et son travail musical élaboré avec EPI, musicien tunisien. Ils ont réalisé un mélange d’« Aïta » et de rock électro.
A.L. : Dans des concerts ou des cérémonies très officielles, cette musique résonne toujours autant. Les « Chikhat » chantent « Al Aïta », et les chants populaires. Ce sont des ambiances propres à elles, et les gens réclament des registres et de nombreuses chansons.
Ce film est coréalisé par vous deux. Comment cet intérêt a vu le jour ?
A.L. : L’idée originale, c’est celle de Zahoua. Quand elle m’en a parlé, après quelques recherches et des prises de contact avec des « Chikhat », ça tombait bien pour moi, parce que le sujet m’intéressait beaucoup.
Z.R. : Je voulais faire un film sur les «Chikhat», mais je n’avais pas un background cinéma. Je suis photographe initialement. Je n’étais pas sûre de pouvoir le faire. J’écrivais, j’arrêtais, j’interrompais, et je m’en remettais, et puis il y a eu la maternité, et les tournants de la vie… Et puis, à un certain moment, on a commencé à écrire ensemble, mais ce n’était pas facile au quotidien. On a donc fait appel à Yamina Zarou, notre coscénariste, et Ayoub a scénarisé le film en mettant mes idées sur papier. Tout un scénario a été écrit autour de ce couple de jeunes Marocains qu’on voit dans le film. Le scénario est co-écrit par Yamina et Ayoub. La post-prod s’est enchaînée. L’écriture a pris beaucoup de temps à cause des financements et de la levée des fonds. Les scènes visuelles pour moi, on les voyait, et elles étaient faciles à réaliser. Il fallait leur donner vie.
Pourquoi ne pas avoir traité de ce sujet dans un documentaire ?
Z.R. : J’avais tellement d’images dans ma tête que ça ne fonctionnait pas avec le documentaire. La scène finale est une scène forte, intense. Sur le documentaire, il fallait tricher. Si j’avais fait un doc, il aurait été «Freestyle». Quand on dirige les comédiens et quand on écrit, c’est davantage cadré, maîtrisé. C’est donner vie à un spectacle. J’espère que cet art sera traité aussi souvent dans d’autres films.
A.L. : On a voulu pour notre mise en scène qu’elle soit brute et sans artifices. La caméra bouge, elle participe. Les scènes de danse, d’ouverture, de clôture du spectacle… Nous les avons filmés sur le tas, ou en studio, et cela nous a permis de faire plein de trouvailles, de captations live… Il y a du vrai, du réel et notre style de mise en scène est imprégné par le documentaire qu’on aime beaucoup et qui n’est pas loin.
Les événements du film se passent en 1994. Pourquoi cette année précisément ?
Z.R. : Personnellement, je trouve que la période florissante de cet art, c’était pendant les années 90. Les «Chikhat» étaient très présentes dans les mariages durant cette décennie-là. C’était comme si je leur donnais rendez-vous en pleine saison des mariages. Ce sont des atmosphères qui ont imprégné mon enfance. C’était aussi une époque qui a vu naître la télé, les cassettes VHS, et cet art commençait à décliner et à devenir vieux, au fil des ans.
A.L. : On a trouvé intéressant d’écrire l’histoire avec une jeune fille de 17 ou 18 ans, d’une famille de troubadours. Une jeune fille qui voudrait reprendre le flambeau des « Chikhat », l’entretenir, et le mettre au goût du jour. Chikha est une histoire d’héritage à conserver. La jeune fille est révolutionnaire, rebelle ayant une certaine fierté qu’elle exprime et met en lumière l’héritage de sa mère et de son milieu.
La musique de votre film se distingue. Quel travail a été fait autour du son et du Sound Track ?
A.L. : Au fur et à mesure de l’écriture, nous avons retenu des morceaux, extraits du patrimoine « Aïta ». On en a choisi 4, interprétés et réinterprétés et par les personnages féminins, et enregistrés en studio et en live. Dans le mixage son, il y a eu les prises live, l’ambiance du public. Un grand travail s’est fait autour du montage son. Ça nous a pris beaucoup de temps, bien plus que le montage images.
L’actrice Mariem Sayeh porte sur grand écran le court métrage « Bord à bord » de Sahar El Echi, qui fait son chemin, depuis sa première au Red Sea Festival en 2024, son Tanit de bronze raflé en compétition officielle et sa projection spéciale à la 47e édition du festival international des courts métrages de «Clermont-Ferrand » dans la section « Regards d’Afrique ». Prochain arrêt le Fespaco. Dans le cadre du plus grand festival de courts métrages au monde, entre réactions des spectateurs et brouhaha festif, la rencontre s’est créée.
Par notre envoyé spécial à Clermont-Ferrand Haithem HAOUEL
Depuis de nombreuses années, vous avez accumulé les courts et quelques longs métrages, en interprétant différents rôles. Cette aventure filmique semble être distinguée. L’est-elle vraiment ?
J’ai joué dans 15 films courts et longs, très exactement. « Bord à bord » me rappelle mon tout premier film long réalisé par Nasreddine Shili. J’avais le premier rôle aux côtés d’Atef Ben Hassine et Salha Nasraoui. Artistiquement, en tant qu’actrice, cette expérience récente m’a beaucoup rappelé l’ancienne, de par son casting, mes partenaires à l’écran, le tournage… Il y a des rappels dans la construction des personnages. La profondeur du personnage féminin dans le film de Sahar El Echi porte le film.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans Mounira, le personnage principal féminin ?
Son existence dans un lieu complètement masculin. Sa condition sociale qu’elle n’a pas choisie, comme sa gargote… ce lieu difficile où elle vit, et qu’elle a hérité de son défunt père. Elle essaie de s’en sortir comme elle peut.
Selon vous, le film lève-t-il le voile sur une frange sociale qui n’est pas assez visible ?
Evidemment. Ce lieu, qui est une casse où on trouve des voitures délabrées, jetées, encastrées, est un lieu de vie. Une population y vit, avec des règles, des lois sauvages. Un univers à part. Cela dit, Mounira peut exister dans toutes les classes sociales masculines et patriarcales. Elle fait de la résistance, souffre des hommes qu’elle croise et qui tentent de l’écraser. Elle ne fait que survivre au quotidien en tant que femme. Le tournage s’est déroulé dans une vraie casse, le lieu dans le film est un personnage à part entière. J’ai dû m’immiscer un peu dans un endroit comme celui-ci, apprendre à faire des fricassés. J’ai fait en sorte d’interpréter Mounira avec un jeu minimaliste.
L’héroïne rencontre au gré de son quotidien deux hommes différents, qui vivent dans cette casse géante, broyeuse d’âmes et de vies. L’élan de liberté qu’elle recherche s’est déclaré vers la fin. Ces deux l’ont- ils propulsé vers sa liberté ?
Mounira a toujours été en quête de liberté. Elle les voyait souvent, c’est vrai mais ils ne sont pas en relation. Elle prend sa voiture, part, et ce départ laisse libre cours à de nombreuses interprétations. A Clermont-Ferrand, les gens nous arrêtaient dans la rue parce qu’ils tenaient à savoir où Mounira est partie. C’est une métaphore de la liberté, un clap de fin qui illustre ce moment vécu en solo. D’ailleurs, « Bord à bord », c’est mon 2e travail effectué avec une réalisatrice femme. Il y a une marge de confiance instaurée dès le départ entre nous. Une sensibilité réciproque, différente de celle ressentie avec un réalisateur homme. Sahar El Echi est talentueuse. Elle a une idée qu’elle tient à appliquer, patiente dans des conditions de tournage difficiles mais entourée d’une équipe technique extraordinaire.
Entre le 31 janvier et le 8 février 2025, la réalisatrice et vous êtes présentes à la 47e édition du festival international des courts métrages de « Clermont-Ferrand », unique présence tunisienne cette année malgré la programmation extra – large. Comment se vit cette aventure ?
L’expérience est unique. C’est un festival classe A mais quand on y assiste, c’est un vrai festival de cinéma. Ce n’est pas une vitrine. La programmation extrêmement riche attire et la réaction du public après les projections est extraordinaire. C’est une ville festival et l’interaction autour du film et du cinéma se fait sans cesse partout pendant toute sa période. Cette réception du film, c’est ce qui séduit le plus.
Pouvez-vous nous faire un rappel de votre actualité et et nous dire s’il y a des projets en vue ?
J’ai créé mon propre monodrame, qui s’appelle « Mère Nature – Madre Natura » et j’ai eu une mention spéciale du jury suite à sa présentation italienne, à l’instant même où « Bord à bord » gagne le Tanit de bronze. (rire). Un moment unique. Le monodrame est expérimental pluridisciplinaire, fusionne danse, musique, cirque, et j’ai eu la possibilité de participer avec au festival international du monodrame de Turin. Je le reprends dans quelques semaines pour d’autres festivals et pour une représentation en Tunisie, bien sûr. La reprise de « Prometheus », un spectacle tuniso-italien, est pour bientôt. Je reste dans la recherche du pluridisciplinaire sur scène et j’assure les rendez-vous « Studio Fan » à l’Agora, une fois par mois.
Seule participation mauricienne à la 47e édition du festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, la jeune réalisatrice Kim Yip Tong bouleverse par la portée de son sujet, sublimement esquissé dans son court métrage titré «Pie Dan Lo» ou «Black Tide» en langue anglaise. A l’aune d’une époque chamboulée par les catastrophes environnementales, la réalisatrice fait voyager son public dans sa terre d’origine, l’île Maurice.
Propos recueillis par Haithem HAOUEL, envoyé spécial au festival de Clermont-Ferrand
A travers son film, elle raconte une tragédie, qui, cinq ans auparavant, a marqué durablement la conscience collective des habitants de son île. Un trauma qui, de nos jours, persiste et se mue dans un silence douloureux vécu en collectivité. Le récif de l’île Maurice, mondialement connu pour sa biodiversité unique, est frappé de plein fouet par un paquebot de pétrole, qui échoue et déverse sa matière dévastatrice sur une bonne partie des côtes de l’île. Véritable catastrophe naturelle, qui a fait écho en pleine pandémie, elle a chamboulé à jamais les vies des péninsulaires sur place. Contre l’oubli et dans le but de rendre hommage à son peuple plus que jamais solidaire face à cette tragédie, «Kim Yip Tong» tenait à faire revivre les faits dans un film d’animation, construit en témoignages audio et en dessins et peintures. Rencontre au sommet !
Quelle est la genèse de cette réalisation filmique courte mais distinguée, sélectionnée dans la catégorie «Kids» et «Regards d’Afrique» au festival de Clermont-Ferrand de 2025 ?
Je suis plasticienne de base, influencée par des films expérimentaux visionnés dans des planétariums ou des résidences artistiques. Je me suis déjà essayée à la réalisation en sortant un petit film en 2018. Cette fois–ci, «Black Tide» est concrètement mon premier film produit. C’est un court métrage documentaire d’animation qui évoque la marée noire qui a ravagé l’île Maurice en 2020. Il est retenu dans la sélection «enfants» des plus de 9 ans et dans «Regards d’Afrique» à Clermont-Ferrand.
Qu’est-ce qui vous a urgemment poussée à raconter cette tragédie de la marée noire dans un film court ?
C’est l’histoire d’un pétrolier japonais qui s’est écrasé sur le récif de l’île Maurice et qui est resté sur place pendant deux semaines avant de commencer à couler et a déversé toute sa matière polluante. Face à l’inaction des autorités, ce sont les habitants qui se sont soudés afin de faire face à la catastrophe. C’est un élan de solidarité sans précédent qui a eu lieu. Ils se sont servis de leur propre bateau, et en usant de moyens et d’anecdotes efficaces pour contenir ce pétrole déversé. Pour moi, c’est ainsi que naissent les mythes. Ça puait la mort, il y a eu évacuation des écoles et de lieux, des familles ont perdu leur travail, et le tout vécu en pleine pandémie mondiale. Les habitants ont été solidaires plus que jamais, et cette tragédie a été le début de manifestations et de contestations uniques. C’est l’histoire d’un pays qui se soulève pour l’écologie et la mer. Cette histoire m’a profondément imprégnée et m’a poussée à la raconter dans «Pie Dan Lo». Une société de dépollution grecque est intervenue bien plus tard pour nettoyer le désastre pétrolier. Cette même société a une fondation qui commissionne les films qui traitent de désastres écologiques spécialement provoqués par le pétrole. J’ai eu un petit budget pour le réaliser.
Peut-on en savoir plus sur le processus de création ?
Cette histoire a détruit des vies, des familles, a bousillé la santé d’individus, et une biodiversité entière. Mon travail a consisté à recueillir les propos et témoignages des habitants, en créole ou en français. A partir de témoignages, j’ai dessiné et peint les faits. Une manière de faire appel à ma discipline première et initiale, qui est de peindre. Ça a fait un film documentaire par la puissance des témoignages, génériques, métaphoriques et symboliques et par ses images. Pendant un mois et 3 semaines, j’ai retranscrit et écouté les audios recueillies et créé la bande-son. Ensuite, je me suis focalisée sur l’animation et la levée de fonds. Le film est produit par «Gao Shan Animation Studio Maurice»/ «Gao Shan Pictures» et «We Film». Tous les décors sont peints à la main. L’animation, la rotoscopie et la colorisation sont réalisées par Amandine Boyer, Pénélope Camus, Gloria Vivien, Uma Burrenchobay et moi–même.
Comment avez-vous vécu la catastrophe ?
Le bateau est arrivé le 12 juillet 2020. Il est resté 12 jours avant de commencer à couler. Je suis allée toute seule sur place. Il y avait déjà une centaine de personnes déjà présentes. La citoyenneté et la solidarité créées autour m’avaient marquée. J’ai ressenti l’entraide et pris quelques images, mais j’avais plus envie de vivre l’instant présent et de m’imprégner de tout ce que je vivais et vivaient les Mauriciens autour, et de ne pas tout vivre derrière un écran. C’est un film qui a vu le jour, avec beaucoup de ressentis, de sentiments. Je l’ai vécu de l’intérieur sans beaucoup d’images ou de vidéos prises. Ce dont je reste fière c’est la réception du public à l’île Maurice. Bouleversant à souhait, il a suscité énormément d’émotions. Nous l’avons projeté devant plus de 700 personnes pas loin de l’endroit où a échoué le paquebot. C’est un travail de mémoire qui a été fait.
Dans le cadre d’une tournée en Tunisie, effectuée à l’occasion de la parution de «Kaléidoscope», une anthologie de poésie québécoise, traduite en arabe, Catherine Cormier-Larose entretient ce dialogue entre deux cultures, deux nations, et s’adresse au monde à travers la poésie. Cette aventure littéraire est un foisonnement de mots qui magnifie l’époque, menée collectivement.
«Kaléidoscope», votre anthologie de poésie, a été présentée à un large public à la librairie Al Kitab Mutu, ensuite, dans le cadre d’un club de lecture à haute voix, fondé récemment à Hammamet et prochainement, elle sera présentée à l’Institut Français de Sousse. Que pouvez-vous nous dire de plus sur cet ouvrage de poésie distingué ?
Dans le cadre du festival international de la poésie qui a eu lieu en avril 2024, il y a eu une présence québécoise importante. Poètes et poétesses ! On a tenu à ce que leur passage en Tunisie et leur participation demeurent. Que leur partage de la poésie reste ! C’est difficile de se lire à l’international et d’avoir accès à la poésie mondiale. En créant cette anthologie de 30 poètes et poétesses québécois, on les a traduits en langue arabe, ainsi les Tunisiens pouvaient les lire, nous permettant de les faire entrer dans une poésie québécoise qui dialogue avec la Tunisie, et en entretenant cette croyance en une poésie… qui est salvatrice. Avec Moez Majed, le fondateur du festival, nous trouvons que la poésie peut être un vecteur de paix, qui rend accessible tout ce qui est inaccessible, qui renforce le partage des valeurs, crée une communion universelle, au-delà des différences. La poésie a été traduite par le Tunisien Ashref Kerkeni, révisée par Khalil Khalsi, les deux sont spécialistes en lettres. Moez Majed a assuré la direction littéraire du projet, en faisant attention à bien traduire les expressions québécoises.
Comment s’est passé ce processus de traduction poétique ?
Initialement, on a travaillé avec une équipe qui croit profondément en une poésie traduite, en une poésie qui doit l’être et qui doit être faite par des poètes. Le poème est plus important que « le mot à mot » ou du mot juste. Ce sont des traductions créatives. L’écriture a une âme. On a traduit en gardant l’idée du poème en langue arabe. On écrit avec le cœur.
Parlez-nous de votre festival international de la poésie à Montréal ?
Depuis quelques années, la direction du festival de la poésie de Montréal, qui est un festival uniquement dédié à la poésie, très local et annuel, essaie d’attirer des poètes de partout du Québec avec un aspect lié à la francophonie. Chaque année, on essaie de travailler, discuter et échanger avec des poètes de par le monde, de la Tunisie et du monde arabe. D’où notre connexion au festival international de la poésie de Sidi Bousaid. En Tunisie, on publie beaucoup en français, d’où ce rapport fluide qui s’est créé. On est en train de travailler sur une revue de 12 poètes tunisiens et tunisiennes, 6 arabophones et 6 francophones, qu’on veut avoir dans une revue spéciale. Emna Louzir a d’ailleurs été enregistrée. Il y a des choses de ce partage qui perdurent, créant ainsi des liens, en changeant les idées, afin de communier et de communiquer. On fait de la poésie un vecteur de changement.
Pour « Kaléidoscope », votre dernière anthologie, comment s’est faite la sélection des 32 poètes et poétesses ?
La sélection d’une anthologie est toujours un brise-cœur. Avec Nora Attala, j’ai codirigé la publication. C’est une poétesse québécoise et le travail s’est fait à deux. Elle voyage beaucoup, partout dans le monde. C’est une poète qui sème la poésie québécoise partout. On a choisi des poètes très importants, qui écrivent et font œuvrer la poésie, qui la publient et la tissent, avec des poètes moins connus d’ailleurs : D’Ottawa, d’origine italienne, autochtone, du Guatemala. En mélangeant, on a créé ce « Kaléidoscope ». Les poétesses arabes retenues sont canadiennes avec des origines arabes. La poésie québécoise a mis beaucoup de temps à s’ouvrir sur le monde. Nous sommes la seule région francophone du Canada, et avons bataillé pour notre patrimoine linguistique, qui fut un véritable combat. C’est tout un travail de générations. La peur de perdre notre langue est omniprésente. Nous vivons dans un monde avalé par le culture « américaine », des Etats-Unis spécifiquement. C’est l’époque ou jamais de se protéger contre cette culture mondialisée.
Quelle place a la poésie au 21e siècle, particulièrement en 2025 ?
Les gens souffrent beaucoup de nos jours. Sur le plan personnel mais aussi à cause de l’état de notre monde, des guerres qu’on n’a pas choisies de vivre, du capitalisme ambiant, de la violence inerrante. La poésie allège les maux. C’est une manière de rassembler, d’unir, de créer des communautés tout en étant rebelle et résistant. J’ai cette certitude que la poésie embellit le monde. C’est une fenêtre qui permet d’entendre les voix des autres.
Un dernier mot sur la couverture remarquable de l’ouvrage « Kaléidoscope » ? Nous ne restons pas indifférents à la photographie choisie.
Pour l’anthologie, on cherchait une manière de la présenter. Cette publication est importante au Canada et en Tunisie, mais nous espérons qu’elle fasse échos dans le monde arabe et ailleurs. La photo sublime qu’on a choisit fait référence à la Tunisie. Elle est signée Mehdi ben Temessek, photographe, poète et architecte de formation. Elle évoque l’artisanat, le ciel ouvert, le drapeau blanc, la carte et la page blanche. Ce tissu visible sur la couverture est tunisien.
En enchaînant les rôles remarquables de mères battantes et fortes, Salha Nasraoui effectue son grand retour en 2024 pour son public connaisseur. Elle a été aussi une grande découverte pour d’innombrables spectateurs férus de théâtre et de cinéma, mais qui ne la connaissaient pas. A l’affiche de « La source » de Meryem Joober, en salles à partir du 15 janvier, elle sublime l’écran au cinéma et conquiert par son interprétation, y compris au théâtre. Rencontre.
Vous êtes à l’affiche de « Mé Al Ain » ou « La source » de Meryem Joober qui sort le 15 janvier dans toutes les salles de cinéma. Précédemment, en 2019, beaucoup vous ont remarquée dans « Brotherhood », signé par la même réalisatrice et nominé aux oscars. Vous y campez le rôle d’une mère meurtrie mais résiliente face à la destinée de son enfant. Selon vous, comment s’est passée cette transition du film court à sa version longue ?
Les deux films paraissent similaires parce qu’il s’agit de la même famille, qu’il y a aussi le retour du jeune garçon de Syrie. Dans « Brotherhood » — le court — l’histoire était plutôt vue par le mari. La réalisatrice a eu l’idée de faire du film un long métrage, mais raconté du point de vue de la mère. Comment elle vit le déchirement, la séparation d’avec ses enfants, la tourmente ou la déroute. A partir de cette idée, tout le personnage a été développé pour raconter l’histoire autrement. « La source » raconte une histoire autrement, d’un autre point de vue.
Vous jouez le rôle de la figure maternelle, par excellence. Comment s’est passée votre incarnation de ce personnage assez complexe ?
Ce n’était pas facile, comme tout personnage composé. Façonner et s’imprégner d’un rôle comme celui-ci n’est pas facile. Je ne banalise rien. Je ne prends rien à la légère. Il faut de la persévérance, de l’ardeur. Il s’agit d’un travail ficelé. C’est le théâtre qui nous apprend à être minutieux, à bien s’imprégner d’un personnage, bien le connaître, tisser sa vie, tout savoir sur sa personnalité, ses qualités, ses défauts. On a beaucoup écrit, et on a formé les autres acteurs plus jeunes du film. « Aïcha », je l’ai beaucoup adopté et j’ai su comment lui donner vie. Faire de sa résilience, sa force, sa tranquillité un point fort. La direction d’acteurs de Meryem Joober était excellente : on connaissait ce qu’on voulait, nous, acteurs. Sa direction est si douce. Elle nous a fait comprendre qu’on peut arriver à bout d’un très bon travail, sans être dur, forcément sur un plateau de tournage. Elle est d’une bienveillance exemplaire.
Comment s’est passé le travail avec les jeunes acteurs du film et avec Mohamed Grayaâ? Il y a beaucoup d’esthétique dans le film, notamment celle du lieu. Très naturel. Que gardez-vous en souvenir du tournage ?
On a effectué des ateliers classiques et indispensables d’acting : avec exercices de base, de respiration, de mouvement, d’allures. Ce sont des cours de théâtre qu’il a fallu pour eux en premier, pour bien les initier. La réalisatrice a suivi le processus dès le départ et ils ont vite appris. Avec Grayaa, nous formons un très bon tandem à l’écran. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Pendant 6 semaines, j’ai été coupé du monde en fermant mon téléphone. (Rire) Le paysage était splendide, avec des plaines arides, naturelles et il ventait beaucoup. C’était un tournage sans doute très physique avec ses petites difficultés mais surmontables et qui reste très plaisant. Ça a duré 6 semaines et c’était magnifique.
« Le Bout de la mer », dernière pièce de théâtre en date de Fadhel Jaibi, vous a fait connaître dans le rôle extrêmement complexe et dur d’Atika, une autre mère à la destinée tragique. Une œuvre dure mais remarquable qui me pousse à vous interroger sur le lien que vous avez à la scène. Quelle est la différence pour un acteur de jouer dans le cinéma et d’être sur scène ?
J’ai fait du théâtre, ensuite, du cinéma, et je suis revenu au théâtre. Ce sont les outils et la formation qu’on a qui comptent le plus. Notre prestation, nos corps, notre présence scénique, visage, gestuel. Notre mental, la voix. Ce sont des outils qui doivent tout le temps être entretenus. C’est ce qui nous forge en tant que comédiens. Ce qui nous forme. Tout cela à la fois doit être dosé sur scène ou à l’écran, et c’est au metteur en scène ou au réalisateur de le faire. Il ne s’agit pas de disciplines différentes. Un acteur reste un acteur avec une bonne direction, un bon encadrement. Nous avons « un témoin » en tête, en tant qu’acteur qui nous permet de sentir quel résultat avoir dans une création. L’acteur s’adapte à un film comme dans une pièce théâtrale avec peut-être un peu plus d’effort physique fourni sur scène, et avec plus de sentiments, d’émotions exprimées.
Après « Jounoun », pièce de Fadhel Jaibi, mise en scène en 2000, vous avez retravaillé avec lui en 2023 sur « Le bout de la mer ». Que gardez-vous en tête des deux expériences ?
Dans « Jounoun », j’ai été étudiante. Je faisais encore du théâtre et j’ai été flattée qu’il m’ait choisie. J’étais jeune, honnêtement. On a fait le tour du monde avec. Elle a été jouée 150 fois partout. J’étais poussée par ma passion et mon envie effrénée de travailler, sans arrêt, sans parvenir sur le moment à cerner exactement ce que j’ai acquis comme savoir. Ce n’est qu’en enchaînant les expériences après « Jounoun » qu’une prise de conscience s’est déclenchée et que j’ai su à quel point j’ai tellement appris de Jaïbi. Renouer avec lui récemment m’a fait comprendre qu’il était bien plus important que je ne l’imaginais.
Dans les trois rôles que vous présentez actuellement, vous jouez le personnage de la mère-totem. Comment s’est faite cette succession de choix de rôles ?
Franchement, ça s’est fait par hasard. Ce sont des figures maternelles très différentes que j’ai eu plaisir à jouer. C’est une question de timing et j’ai fait avec pour « La source », comme pour « Les enfants rouges » de Lotfi Achour (Qui sort prochainement) ou pour « Le bout de la mer » de Jaibi.
Penser l’environnement lors des Journées cinématographiques de Carthage s’est concrétisé à travers la création d’une petite section consacrée à de longs métrages engagés et a sensibilisé les festivaliers et organisateurs au devenir d’un festival, responsable écolo. L’heure était à des JCC un zeste plus vertes. Naoures Rouissi, fondatrice de cette nouvelle section et directrice de la programmation du festival, nous en parle davantage.
En quoi consiste très concrètement cette nouvelle section « Green Carthage », qui a vu le jour aux JCC 2024 ?
«Green Carthage» est une initiative qui devait se faire et qui a, finalement, vu le jour dans un essai pilote. C’est un premier pas pour penser l’environnement et faire de notre festival national de cinéma une manifestation engagée écologiquement, dans la lignée des plus grandes manifestations cinématographiques dans le monde. C’est une préoccupation mondiale, une action importante, menée individuellement ou collectivement, pour la sauvegarde de notre planète et pour la lutte contre la pollution. Les festivals de culture et d’art doivent être engagés écolo dans le monde, les JCC aussi, donc. D’où l’émergence de cette idée de créer une section de films axés sur l’écologie à l’image du festival de Cannes, la Berlinale, Venise ou d’autres, mais surtout de penser tout un festival autrement. La participation des festivaliers aussi doit être responsable : diminution du papier, taxes symboliques sur les tickets des films, digitalisation, lutte assidue contre le plastique pendant toute la manifestation. Pour les JCC 2024, nous avons fait appel à «Chkarty», pour des «Totebags» écologiques, puisque l’enseigne tunisienne est fondée sur le recyclage. C’est vrai qu’un festival fait bouger toute une ville, mais, en contrepartie, la pollution augmente : plastiques, carburants, cigarettes, déchets.
«Green Carthage» était une petite section dans cette 35e édition. Est-ce parce qu’il s’agit de son lancement ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les films verts retenus pour cette année ?
C’est une section sans compétition, au format petit, avec 5 films seulement programmés. C’est un test avec projections et débats. Nous avons l’ambition de la faire évoluer, de faire un prix «Green» pour les prochaines années et de sensibiliser sur une industrie de fabrication de films moins polluante, aussi parce que les tournages de films polluent beaucoup l’environnement. Parmi les films nous citons «Sh’hili» de Habib Ayeb et l’espagnol «Papillons noirs» de David Baute et trois autres. Le réalisateur était aussi engagé et a soutenu l’idée directement, lui qui a toujours réalisé des films qui visent à traiter des sujets liés à la protection de l’environnement. Même en feuilletant le programme, vous trouverez une mention verte «Green » qui montre qu’un titre de films est classé dans notre section écologique. Nous voudrions nous ouvrir sur le cinéma à réalité virtuelle. Je n’oublie pas «Breath» d’Ilaria Congiu. La réalisatrice italienne a eu un réel plaisir à mener le débat avec ses spectateurs après la projection. Les révélations faites dans les films verts interpellent et choquent. Ce sont des films qui suscitent clairement le débat.
Pourquoi cette initiative a pris autant de temps à voir le jour ?
La question était soulevée, depuis longtemps. Elle s’est concrétisée cette année avec la volonté de la faire clairement évoluer dans un avenir proche. Il était temps que les choses bougent et qu’on adopte des initiatives orientées «écologie». Les rapports des ONG et des associations à travers le monde sont alarmants. Il faut que la Tunisie suive cette manière de faire et suive d’autres exemples internationaux de manifestations engagées.
Dans son premier court métrage d’une durée de 19 min, Bechir Zayene, réalisateur, sensibilise à une cause juste, celle de la lutte contre les violences faites aux femmes et, globalement, faites aux personnes à capacité réduite. « Au-delà de la réalité » ou « Beyond Reality » lève le voile sur une dure réalité. Il est retenu en compétition officielle Court métrage fiction lors de la 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage. A l’affiche, Fatma Sfar, Kahena et la participation spéciale de Nadia Boussetta et Najla ben Abdallah.
Vous êtes connu en tant que photographe, et à travers le court métrage « Beyond Reality », vous voici réalisateur. Comment cette conversion a eu lieu et comment est née votre réalisation ?
C’était dans le cadre d’une action que je devais accomplir au sein d’ONU Femmes. L’équipe a pensé qu’il serait utile de faire quelque chose pour sensibiliser contre les violences faites aux femmes. C’était la genèse de « Beyond Reality », d’où l’idée de réaliser ce court métrage, qui mettrait à nu de nombreuses formes de violences. Mon inspiration, je l’ai puisée de la série à succès «Black Mirror». Je l’ai structurée en créant un lien conducteur, d’où l’émergence de ce court scénario que j’ai écrit en consultant Ahmed Essid, scénariste, qui m’a accompagné dans ce processus. Je suis autodidacte, et je me devais d’être accompagné. C’était un appui d’une grande utilité et qui m’a permis d’étoffer mon histoire le plus possible.
Comment expliquer l’omniprésence de la très haute technologie dans votre film et son lien avec les violences faites aux femmes ?
La femme, ou tout humain qui subit une violence, est marquée. Les agressions mentales ou physiques ne disparaissent pas. Face à l’émergence de l’Intelligence Artificielle et aux réseaux sociaux, générateurs de violences diverses, les limites sont enfreintes totalement. Technologie et violences vont de pair ! L’I.A. remplacera bientôt plusieurs fonctions, plusieurs métiers. Peut–être qu’elle atteindra, un jour, un seuil d’intelligence émotionnelle développé. Tout est possible ! Nous vivons une période de transition profonde.
Pour le scénario, est-ce qu’il a vu le jour rapidement ?
Pas vraiment. Une dizaine de jours ! Je me suis isolé pour le réfléchir et j’ai dû rassembler les idées que j’avais. D’ailleurs, on le sent dans le film : c’est une succession d’événements qui sont liés les uns aux autres. J’ai fait un brainstorming utile finalement qui a donné vie au film. On voit l’héroïne passer un entretien symbolique, aux prises avec son passé et les événements d’après ont suivi d’une manière fluide.
Le titre du film en anglais est «Beyond Reality» ou «Au-delà de la réalité». Quelle réalité pointez–vous du doigt ?
C’est la nôtre : l’image qu’on voudrait vivre, qui n’existe pas, qui est derrière les écrans, celle des apparences, du Bling–Bling, jusqu’à la déconnexion de la réalité, de notre vrai contexte, de la vie. Le moment de la documentation prétournage du film m’a reconnecté à la réalité. On vit des traumatismes collectivement jusqu’à la banalisation. Nous vivons dans une réalité dissociée des artifices créés par les écrans et Internet.
Avez-vous eu à élaborer une documentation fournie ?
Oui, avant, mais pas en tant que réalisateur. C’était l’année dernière. Je prenais les informations, je les fouillais et les mettais à bon escient. Je raconte des faits dans la subtilité. Les violences courantes telles que vous les avez vues dans le film en mettant en évidence le manque d’empathie, les agressions digitales, la société écrasante et sans merci. Le manque de soutien.
Le personnage principal passe un entretien. Elle le fait pour qui ?
Pour la société elle–même. Pour avoir son approbation et ses attentes. C’est une image métaphorique.
Le personnage principal est celui d’une jeune femme, «Hayet», qui souffre d’une malsurdité. Pourquoi avoir esquissé un personnage fragile ?
Afin d’inclure les violences faites aux personnes à capacité réduite. Après plusieurs études effectuées avec ONU Femme, ceci nous a tenus à cœur. Le handicap devait apparaître furtivement à la base, ensuite on s’est dit autant l’inclure totalement. Le handicap génère souvent un manque de communication, une incapacité à se défendre souvent ou à exprimer une détresse.
C’est la rentrée pour l’équipe de « Tajrabti ». Une expérience collective prometteuse est annoncée à Hammamet et finement orchestrée par ces fournisseurs d’expériences immersives. Pendant 4 ans, les jeunes de « Tajrabti », plateforme et start-up, renforcent bien-être et développement personnel, en offrant diverses expériences orientées plus vers le culinaire, la nature, la culture, l’art thérapie ou encore le sport. A l’occasion de cette évasion programmée, nous avons rencontré le fondateur de « Tajrabti » Akram Bouslama.
Comment est né « Tajrabti » ?
« Tajrabi » a été pensée avant 2020. Initialement, je suis ingénieur informatique, et je résidais en France. Ayant accompli un long parcours dans l’IT et la finance, j’ai fini par arrêter, en voulant explorer de nouveaux horizons… et en partant pour l’Amérique du Sud. J’y suis resté un an. En prenant du recul, j’ai exploré davantage des aspects liés à la psychologie, à l’artistique ou au bien-être. J’ai été imprégné par des livres de développement personnel, reliés à l’humain, à l’essence de notre existence, au mental. Ensuite, je suis revenu en Tunisie en voulant insuffler un projet nouveau, tout en pensant essentiellement à ce que je pouvais apporter d’inédit. Pendant le premier confinement, j’y ai pensé longuement. A travers « Tajrabti », je tenais à partager ce que j’ai appris et à le mettre au service des autres et de leur bien-être. « Tajrabti » est une plateforme/start up. Elle a fini par avoir le label et fonctionne comme une plateforme de service.
En quoi consiste votre mission ?
On se positionne comme étant « des fournisseurs d’expériences » dans l’art, le bien-être, les évasions dans la nature, le sport… en faisant appel à des participants tunisiens ou étrangers et à des spécialistes. Les besoins du marché m’ont fait comprendre qu’on n’a pas assez de produits pour les proposer sur une plateforme. La qualité fait défaut et tenir une plateforme de service en Tunisie est dur. « Tajrabti » crée des évènements pour mieux gérer le stress, optimiser la gestion de soi, développer l’exploration ou la conscience de soi, améliorer le bien-être des participants, l’entretenir. On agit en entreprise en offrant des services pour le grand public.
Pouvez-vous nous préciser comment « Tajrabti » agit au niveau individuel et collectif ?
On ne peut évoquer le collectif sans cibler l’individuel, et pour qu’il y ait une cohésion dans le collectif, il faut qu’on prenne soin de l’individu. On valorise ce dernier à son échelle humaine, parce que la gestion des émotions ou le manque de connaissance de soi peut impacter le groupe et le collectif. Si l’individu n’est pas bien avec lui-même, il ne peut être bien en groupe. On valorise l’individu en l’amenant vers le collectif et en créant un Safe Space, qui voit le jour à travers les expériences au programme et la mise en scène. On crée des évasions immersives, sensorielles à vivre en groupe et qui incitent à se focaliser sur soi. Les valeurs de partage, d’authenticité et la proximité sont entretenues au fil des expériences et sont mises en avant.
Veillez-vous à bien choisir vos endroits pour garantir ces immersions ?
C’est très important pour nous de garantir l’immersion. On opte pour des espaces, où il n’y aura que des participants dans des lieux en plein air, délimités, mais en même temps ouverts, qui garantissent la cohésion du groupe. Nous théâtralisons le bien-être à des fins thérapeutiques dans des endroits propices au développement de l’art-thérapie, par exemple, ou, au partage. Nous travaillons avec des bénévoles, qui veulent garantir un apport à « Tajrabti ». Nous avons collaboré avec des associations et des organismes pour travailler avec des franges sociales dans le besoin. Nous ne dépendons d’aucune subvention étatique ou privée. Nous sommes parfaitement autonomes. « Tajrabti » est un rêve pour moi. Elle évolue en se créant une communauté autour, épanouie à l’échelle humaine. « Tajrabti » fait de la concurrence à l’échelle locale et à l’étranger, malgré les doutes liés au marché de l’entrepreneuriat. C’est un travail d’équipe, composé d’un responsable communication/événementiel, d’un metteur en scène/