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Belhassen Handous, artiste visuel : �«Il y a un devoir de mémoire, de dénonciation et de thérapie globale sociétale»
ENTRETIENS11 / 2 / 2021

Belhassen Handous, artiste visuel : «Il y a un devoir de mémoire, de dénonciation et de thérapie globale sociétale»

La dernière exposition en date de Belhassen Handous, photographe, documentariste et artiste visuel, se poursuit jusqu’au 13 novembre 2021 à Central Tunis. L’occasion pour les visiteurs de (re)vivre cette déambulation vertigineuse dans le temps et dans l’espace. « La syncope du mérou » relate une parcelle de l’histoire de La Goulette, celle d’« El Bratel », où a, jadis, vécu l’auteur de ce chantier d’ampleur, mené méticuleusement à terme. A travers une série de photographies, de vidéos, d’enregistrements visuels et sonores, d’images personnelles et de documents, nous apprenons beaucoup et prenons en compte la recherche titanesque élaborée sur 8 ans autour de la conservation de la mémoire collective et individuelle.


« La syncope du mérou » est le titre de votre dernière exposition en date. Métaphore marquante, intrigante, qui interpelle. D’où a émergé une telle appellation et comment ce travail a pu aboutir après 8 ans de recherche ?


C’est le titre d’un travail pluridisciplinaire que j’ai entrepris sur 8 ans avec des arrêts, des allers, des retours, des avis, des partages… Il s’agit d’un travail intime. Cela a émané d’un traumatisme personnel, dû à la perte de cette maison dans laquelle j’ai grandi. « La syncope du mérou » est une appellation qui a finalement été retenue au lieu de « Machrou Halk El Oued » (Projet de La Goulette). Un jour, j’ai aperçu deux poissons mérous suspendus dans un restaurant à La Goulette. Cela m’a inspiré parce que la « Syncope » est un mot polysémique, qui signifie « l’arrêt », qui se réfère à la condition, au rythme, à un retour aux sources et le mérou est l’un des poissons les plus prisés à La Goulette. Une espèce protégée et qui fait partie des traditions. Comme je travaille sur cette ville, je trouve que cela donne beaucoup de sens. Ce travail n’était pas gai : je suis parti d’une envie de filmer cette ville, qui a été une chose très dure. J’étais parti de l’idée de filmer tous les jours, sans arrêt, en voyant La Goulette qui chante, qui danse, qui vit… Ensuite, j’ai viré vers les chantiers, les ruines … Et je m’étais lancé à la recherche d’histoires enfouies, de traces, d’images, spécialement de cette maison-là, celle de mon enfance, ce qu’elle était avant d’être rasée. Chaque fois que je passais devant elle, je la voyais comme un repère perdu. Ce lieu était une interpellation. C’est devenu de l’asphalte actuellement, et l’asphalte détruit tout : c’est symbolique. Chercher dans les lieux, être archéologue, j’y suis attaché. Le processus était pénible. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre, à cerner le lieu, l’espace, la mémoire…


« La syncope du mérou » est un travail minutieux à portée anthropologique, qui pourrait servir d’archivage. Peut-on le considérer ainsi ?


Peut-être. Je laisse la liberté à chacune et chacun de se faire sa propre idée. De l’interpréter comme elle/il veut. Je ne suis pas dans cette obsession de contrôle, celle de ce que je veux montrer, notamment à travers la photo et la vidéo. Il y a une intime connexion entre documents, histoire, images et souvenirs. C’est un peu la base de ce travail. Mais pas que … « La syncope du mérou » est une déambulation aussi. Un regard sur la vie avec ce qu’elle porte de nostalgique : revoir des gens qui vivent à La Goulette ou qui y ont vécu avant. Un regard qui conserve la mémoire collective d’une partie de notre pays.


Qu’est-ce que la mémoire collective, selon vous ?


C’est indéfinissable, insaisissable. Cela peut être une note musicale, des odeurs, des espaces, des objets… C’est, en tout cas, très personnel, différent d’une personne à une autre, multiple, rare…


Y a-t-il une différence entre la mémoire collective et individuelle ?


Bien sûr. Le collectif influence le personnel, notre identité, notre mémoire. On est influencé par le personnel, à travers des traumatismes qu’on porte… Ce n’est pas aisé à déchiffrer, à porter. Toute personne le vit différemment. C’est propre à chacun. C’est le rôle des arts, surtout des arts plastiques et du cinéma de définir un point de vue, lever le voile sur des idées, poser des regards imposants qu’on peut ou ne peut pas avoir…

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« La syncope du mérou » a une dimension personnelle, et pourtant, tout le travail parle et touche à la collectivité, à tout le monde…


Parce qu’on n’est pas la seule famille qui a vécu ce drame à La Goulette. Il y a aussi une délicatesse dans la prise et le choix des images. C’est ainsi que j’ai trouvé le moyen de raconter des histoires différentes à travers des images qui ne sont pas artistiques, qui sont prises sans prétention, un autre type d’images. Ce sont des images qui ne parlent pas spécialement aux gens à travers leur technicité, mais plutôt par les mouvements qui y sont captés, les lumières, l’exposition… Cela tend vers l’art et ça peut créer des mouvements intéressants. Après, c’est aux personnes réceptrices de les recevoir avec chacun son background, sa sensibilité. Il y a une autre thématique qui me reste chère : c’est ce qu’on a hérité de ceux et celles qui nous ont précédés, en termes de réflexions, de la pratique de la photographie, de l’expression. Notre art n’est pas en phase avec un art contemporain, occidental. On raconte notre propre histoire à travers les mailles et la mosaïque de notre propre identité. On peut, soit faire de la photographie qui attire tout le monde expressément, soit trouver un autre moyen de raconter un récit. Mon film « Hecho en casa » et cette exposition émanent d’un traumatisme et d’un point de vue personnel. « La syncope du mérou » est la démolition d’un foyer dans lequel j’ai grandi autrefois. A un moment de ma vie, je reviens de l’étranger, et je ne trouve rien : c’est comme une perte de repère, comme perdre sa Mecque.


Sont-ce ces liens qui unissent la mémoire individuelle et la collective ?


C’est notre continuité aux choses qui nous rend intéressés par des aspects de la mémoire collective. La mémoire collective, c’est comme la science : elle change, elle évolue et prend d’autres formes. Elle s’efface aussi.


Selon vous, comment le sociétal et le politique influencent-ils la mémoire ?


Ils l’impactent à la racine. Je nourris un intérêt spécifique au régime de Ben Ali. Cela m’intéresse qu’on en parle. L’appartenance ou la tendance politique d’un individu exprimée à travers son travail reste importante pour moi. Que dire ? Quoi raconter ? C’est important certes, mais ce n’est pas le seul aspect qui m’intéresse. Il y a le questionnement des médiums autour de la forme : c’est d’ailleurs ce qu’on peut voir dans « La syncope du mérou ». Avoir un point de vue politique exprimé tout haut est essentiel. Subir des régimes autoritaires divers et leurs aléas et pouvoir le raconter, c’est aussi crucial. Ayant vécu sous le régime de Ben Ali, avec du recul, c’est toujours bien de repenser aux libertés bafouées et à la répression subie pendant 23 ans de règne. Ce vécu collectif sous Ben Ali forge l’identité. Le 7 novembre, le manque de libertés… On vivait à un rythme lent, après la révolution on vit différemment. Les séquelles d’une politique défaillante se font toujours sentir à travers les générations qui suivent. Je pense qu’il y a un devoir collectif de mémoire, de dénonciation et de thérapie globale sociétale, qui n’est pas encore mis en place.


Cette collecte de données autour de ce quartier « El Bratel », raconté dans « La syncope du mérou », a eu lieu de quelle manière ?


J’ai fait des interviews, des rencontres. C’était un travail laborieux, mais sur lequel je ne pouvais pas avoir un regard continu, dans le temps. Les interruptions, qui ont eu lieu sur 8 ans, pouvaient être bénéfiques et pouvaient être aussi nocives. Autant d’arrêts dans le temps ont donné lieu à différentes séries. C’était un très grand travail. J’ai pioché dans des données personnelles, des photos de familles, des VHS… Je tenais à extraire de ma mémoire quelque chose qui est presque devenu inexistant. La perte de cette demeure est comme se perdre : il y a un lien très intime qui m’unit à cet endroit et qui a expliqué mon intérêt persistant pour ce travail.


Les Tunisiens ont un rapport très distordu avec leur patrimoine et leur histoire. C’est dû à quoi, d’après vous ?


Les deux régimes politiques précédents avaient une image, et une version de l’Etat unique à imposer : ils ont procédé à une institutionnalisation de nombreuses causes. Ce qui a façonné un peuple unique. Toute forme d’investissement du public dans des causes précises était éteinte. Seule la voix de l’État était élevée. Tout le reste devient de la lèche. Sur le temps, c’est très dur pour un peuple de se détacher de ce conditionnement. Il faut une volonté collective pour s’affranchir, se détacher d’autant de séquelles. Je suis dans le rejet de toute forme de conservation étatique, systématique, héritée… Il y a de nouvelles formes de consciences qui émergent de nos jours, heureusement…


« Hecho en casa » est votre film documentaire : il est unique dans son genre, distingué. Il a été remis en ligne récemment…


A l’époque, je vivais en Espagne, bien avant 2010. J’avais eu un portable avec une caméra et j’ai commencé à filmer sans arrêt ma vie entre Tunis et ailleurs. Pour le monter, j’ai fait appel à Ismail Louati. On a pu procéder à une autre réécriture. J’ai pu filmer la révolution dans son image la plus brute, et la plus authentique, sans artifices. Tous les autres films étaient montés, filmés, montrés différemment. Les causes les plus importantes pour notre mémoire collective sont quand on les filme au moment où elles se déroulent. On montre des faits sans proposer de solutions. C’est comme cela qu’on s’adresse aux gens. « Hecho en casa » est un film très politique, un va-et-vient entre le social, le personnel et le très personnel.

Belhassen Handous, artiste visuel : «Il y a un devoir de mémoire, de dénonciation et de thérapie globale sociétale»
Zbeïda Belhajamor, actrice : «Le personnel ne peut se dissocier du collectif lorsqu’il est fort et impactant »
ENTRETIENS10 / 11 / 2021

Zbeïda Belhajamor, actrice : «Le personnel ne peut se dissocier du collectif lorsqu’il est fort et impactant »

Zbeïda Belhaj Amor est une jeune actrice tunisienne à l’affiche d’«Une histoire d’amour et de désir», second long métrage de Leyla Bouzid, actuellement dans les salles tunisiennes et françaises. Ce jeune talent campe le rôle de Farah, étudiante tunisienne installée à Paris et aux prises à des interrogations liées à l’intimité, aux amours, aux origines. Lumière sur Zbeïda Belhajamor, notre découverte de la rentrée.


«Une histoire d’amour et de désir» de Leyla Bouzid questionne le rapport au corps, relate un enfermement identitaire masculin, met à nu des tabous dans la société maghrébine liés à la découverte du corps, de la sexualité, du désir. Pour un premier rôle, était-ce aisé pour vous de vous embarquer dans cette aventure cinématographique ?


C’est pour toutes ces raisons que vous venez d’énumérer que je me suis embarquée dans cette aventure. Ce sont des sujets qu’on ne traite pas assez au cinéma, on n’interroge pas assez le rapport à la fragilité masculine, la virilité, les traditions, la transmission, la sexualité. C’est aussi un film qui incite à se réconcilier avec un pan de sa culture. L’intelligence du scénario m’avait frappée lors de sa lecture et c’était un honneur pour moi de faire partie de ce beau projet.


Comment s’est déroulée cette expérience avec Leyla Bouzid ?


Cette expérience avec Leyla était une pure joie. Il y avait une bonne énergie qui régnait sur le plateau à chaque fois. Le partage et l’entente étaient toujours au rendez-vous. C’est une réalisatrice qui sait écouter ses acteurs, même quand leur langage n’est pas verbal. Elle a une douceur dans sa manière de diriger tout en ayant une forte détermination dans ses idées. C’était un vrai plaisir.


Nous découvrons, en tant que spectateurs, Sami Outalbali, votre partenaire sur grand écran. Comment a été entretenue cette alchimie ?


Avec Sami tout a été évident dès le début, dès la première rencontre. Dès les premières scènes qu’on a jouées ensembles je savais que ça allait marcher. Alors on a voulu garder cette authenticité et ce naturel devant la caméra et on a décidé avec Leyla de ne pas répéter ensemble et de se rencontrer face caméra et devant les spectateurs au fur et à mesure du film. Je dirais que notre force c’est ce mystère qu’on a su garder.


Peut-on comparer les deux «Farah», celles d’«A peine j’ouvre les yeux», le précédent long métrage de Bouzid, et d’ «Une histoire d’amour et de désir», son second ?


Leyla s’est inspirée du personnage de Farah de son premier long métrage pour écrire «Une histoire d’amour et de désir». On retrouve une certaine liberté et une soif de vie dans les deux personnages avec un physique qui se ressemble. Je pense que c’est au spectateur de répondre à cette question. S’il veut comparer, voir une continuité ou au contraire séparer les deux.


Le film est fait de non-dits. C’est même son point fort…


Il y a effectivement beaucoup de non-dits. Mais il faut reconnaître qu’ils sont facilement décryptables. Leyla a même laissé une marge à chacun de comprendre comme il veut et selon sa propre philosophie de la vie certains non-dits. Je trouve cela d’un grand intérêt et vous aussi apparemment, si j’en crois la façon dont vous me posez la question.


A travers des dialogues ou même des vidéos, le film rappelle le contexte socio-politique algérien et tunisien en perpétuelle effervescence. Selon vous, ce même contexte pousse-t-il à l’affranchissement / au changement / à la libération, sur le plan personnel ?


Les luttes et les mouvements pour l’émancipation dans nos pays (je parle surtout de mon pays, la Tunisie que je connais bien) n’ont, bien sûr, pas attendu notre film pour naître et se développer. Mais l’histoire du film et ce qu’elle véhicule vient en pleine phase de mutations nouvelles de nos sociétés où deux camps s’affrontent, l’un moderniste et l’autre passéiste et rétrograde qui veut imposer des boulets de canon et des pesanteurs à la société. Je crois d’ailleurs savoir que, même pour l’Algérie, les choses avancent et le combat pour l’émancipation a ses porte-drapeaux dont beaucoup sont des artistes et des gens des arts et des lettres; des journalistes aussi. Naturellement, le personnel ne peut se dissocier du collectif lorsqu’il est fort et impactant.


Comment trouvez-vous les réactions ou les retours du public tunisien ?


Le public tunisien a aimé, selon ce que j’ai pu voir comme réactions sur place. Jeunes et moins jeunes sont venus voir le film et sont sortis émus et remués de cette histoire qui relate des choses qui leur rappellent leurs vies ou celles de gens qu’ils connaissent.


Quels sont vos prochains projets ?


Je suis de plus en plus en contact avec nombre d’intervenants du cinéma. On apprend à se connaître et c’est déjà très important pour une jeune actrice comme moi.

Zbeïda Belhajamor, actrice : «Le personnel ne peut se dissocier du collectif lorsqu’il est fort et impactant »
«S-exposition Feeling the Gap » de Z.I.T.C.H à Tunis : Des dessins sans tabou
ENTRETIENS10 / 10 / 2021

«S-exposition Feeling the Gap » de Z.I.T.C.H à Tunis : Des dessins sans tabou

Désormais connue sous le pseudonyme Z.I.T.C.H, l’artiste et sa commissaire questionnent le plaisir féminin à travers 82 dessins, cartels, titres insolites en dialecte tunisien, en français et en anglais à Tunis, dans un endroit qui a fait office de galerie de dessins pendant trois jours d’affilée. Sous la houlette d’Emna Lakhoua, commissaire de l’événement, accrochage, décor et atmosphère créées ont garanti une immersion distinguée. La jeune artiste, dans sa première« S-exposition», tenait à délier les langues autour du plaisir sexuel. A partir des échanges des visiteurs, ce rendez-vous artistique a permis de lever le voile sur les systèmes de conditionnement sociaux. Il a eu également pour objectif de pousser les jeunes à organiser une expo avec un format différent et à des prix accessibles. Rencontre avec Z.I.T.C.H.


Votre « S-exposition » est l’aboutissement d’une frénésie de dessins. D’où a émergé cet intérêt pour la thématique de la sexualité féminine ?


C’est parti d’un constat, après de vifs et riches échanges avec Emna Lakhoua, commissaire et scénographe, autour de la thématique et sur le contenu de ma première exposition. J’ai réfléchi longuement, en me référant à mon couple. J’ai constaté qu’être en couple nous place dans un conditionnement, et que la vie à deux était surtout régie par des codes sociaux et des règles, alors qu’elle est supposée être réelle, fluide, spontanée : des règles pesantes, patriarcales, archaïques, héritées des générations d’antan. La femme est souvent montrée ou évoquée comme étant la prude introvertie, retirée, réticente, objectivée, effacée face à l’homme, ce mâle, qui est souvent associé à sa libido et à ses actes sexuels. La femme, en évoquant sa sexualité, est toujours réduite et exclue, et on ne prend pas en compte son plaisir. La sexualité, dans l’inconscient collectif, n’est plus un jeu, c’est juste une performance et c’est dérangeant.


Maintenant que votre «S-exposition» s’est achevée, quelle conclusion en retenez-vous ?


Je me sentais conditionnée dans des performances machinales au fur à mesure que je dessinais. Depuis que je l’ai pris comme un jeu, ma vie a changé et ma perception de cet univers est plus libre, plus limpide. Ce travail a forcément eu un impact positif sur ma vie personnelle. Beaucoup de données ont changé. C’est un déclenchement qui me permettra de m’y étaler davantage.

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Il y a eu des déclics et un contexte propice à cette création. Lesquels ?


Covid-19, confinement, enfermement, le fait d’être en couple… ça devient aussitôt frénétique. Dessiner du matin au soir, regarder des films, découvrir des modèles réels. Alimenter sans cesse mon imaginaire… Mon prochain travail sera concrétisé sur la prochaine année, et je me consacrerai aux Tunisiens, à leur rapport à la sexualité. Je les prendrai en photos, j’écrirai leur histoire, et je les redessinerai. Les dessins, c’est comme des sketchs. L’objectif sur le long terme, c’est de reprendre la peinture, piocher davantage dans la recherche autour de la sexualité. Actuellement, à travers cette exposition, ma vision de la thématique reste un peu générale, éparpillée, mais c’est aussi l’occasion pour moi d’exprimer ma confusion par rapport à la sexualité. Il y a une raison à ces 82 dessins : chacune et chacun y trouvera son compte, des dessins qui feront réfléchir les personnes présentes, qui les pousseront à échanger autour du sujet de la sexualité. Si j’avais mis 5 œuvres, il n’ y aurait pas eu autant de discussions, de dialogues. Là, il y a eu tout un parcours, une déambulation, autour de cette thématique. Et c’était mon but !


Les réactions étaient comment ?


Epoustouflantes ! J’aurais dû mettre un micro pour les enregistrer et garder les discussions des gens présents. (Rires) Très rares ont été choqués. Les retours sont extraordinaires. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus vus comme «Citoyens du monde» grâce à internet. De nos jours, on est beaucoup plus ouverts sur le monde et tout est à la portée.

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En creusant davantage dans la thématique de la sexualité féminine, quels sont vos prochains objectifs ?


Je voudrais comprendre pourquoi c’est aussi tabou. Pourquoi il y a autant de pudeur ? Pourquoi on est autant conditionnés ? C’est le moment de choisir mon sujet de mémoire et je vais en faire mon étude. Je ne peux pas donner ma réponse maintenant, c’est encore trop vague. La sexualité reste un champ très large. Je raconterai peut-être la sexualité sur le temps : du passé, en passant par le présent et le futur. Qu’est-ce qui la change ? L’impact ? Comment elle change au fur à mesure des époques ? Est-ce lié à un contexte politique, religieux ? Qu’est-ce qui provoque un changement de la sexualité collective au sein des sociétés ? Pourquoi sa perception et sa pratique changent – elles ? Nous verrons.

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Pourquoi avoir organisé une « S-exposition » fermée au public et confidentielle ?


Je tenais, en premier lieu, à étudier les réactions, avoir des sondages, recenser les avis, les réactions, les discussions. Mon but c’est que le message passe sans heurter la sensibilité des gens. J’ai besoin de savoir ce qui se passe sur terrain pour mieux maîtriser la thématique et le sujet. Ça me permet de créer ma communauté aussi. Si je ne maîtrise pas le sujet, je n’aurais pas atteint mon but.



«S-exposition Feeling the Gap » de Z.I.T.C.H à Tunis : Des dessins sans tabou
Youssef Meksi, musicien et comédien : «La musique est une philosophie de vie…Point de vie sans musique !»
ENTRETIENS9 / 14 / 2021

Youssef Meksi, musicien et comédien : «La musique est une philosophie de vie…Point de vie sans musique !»

Souriant, accueillant, passionné, ambitieux dans l’âme, Youssef Meksi, jeune acteur découvert pendant le mois saint à la télé tunisienne dans «Ouled el ghoul», est avant tout musicien. Ses trois derniers morceaux lancés en ligne, «Masjoun», «Boutellis» et «Eddenya Dour», distinguent ce talent polyvalent. Rencontre avec un artiste, qui croit surtout à la fusion des disciplines et à l’esprit communautaire afin de pouvoir persévérer.


Commençons par le commencement : le grand public vous a découvert dans le feuilleton ramadanesque «Ouled el ghoul» en 2021, réalisé par Mourad Ben Cheikh et diffusé sur Attassia TV, mais votre véritable grand amour, c’est bien la musique. Comment cette aventure musicale a-t-elle commencé ?


Je suis heureux qu’on me le dise. C’est définitivement la concrétisation d’un long et dur travail et je ne peux qu’en être fier. Tout a commencé quand j’étais enfant, en primaire. Ma mère m’emmenait au conservatoire de musique de l’avenue de Paris à Tunis : je faisais du piano. On me l’apprenait sur deux heures, mais je m’ennuyais, au début. On me demandait de refaire le même morceau : c’était routinier, lourd et je n’apprenais pas grand-chose. Ça ne me passionnait pas du tout … j’ai arrêté pendant un moment, jusqu’à ce que je trouve une guitare fonctionnelle, mais inutilisée à la maison. Je regardais sur Youtube, j’écoutais… j’appliquais tout seul. La musique ne m’a pas appris qu’à faire de la musique : elle m’a appris à vivre et avoir le sens de la détermination : notre objectif, peu importe lequel, si on le veut, nous ne pourrons que l’obtenir. Au début, notre but, c’était d’user d’un seul instrument, mais au fur à mesure, et à force de persévérer, on se retrouve à manier plusieurs instruments et à composer, à faire l’arrangement, à enregistrer… Quand je me suis dit que je pouvais apprendre à connaître un instrument tout seul, tout le reste pouvait suivre. C’était le point de départ. L’étincelle…


Vous maniez combien d’instruments depuis vos débuts ?


Guitare, piano, les instruments à percussion, harmonica, melodica, les flutes, clarinette… une bonne panoplie (rires). Pendant la création musicale, j’y ajoutais des sonorités en tout genre. Je mélange les sono, j’expérimente. J’enrichissais mes textes une fois rédigés : j’ai d’ailleurs commencé à écrire dès le collège en faisant du rap (rires)… Des bribes de textes que j’ai bien évidemment gardées pour moi (rires). C’était trop drôle. Comme je ne savais pas convenablement jouer de la musique avant, je m’essayais à l’écriture. Et j’avais un peu trop confiance en moi : je me rappelle avoir eu le courage de m’être adressé très très jeune à la direction de la maison des jeunes à El Menzah VI pour un concert… alors que je n’avais rien de correctement préparé pour un concert (rires). J’étais obsédé de faire connaître ma musique : cet art a toujours eu une place prépondérante dans ma vie. Je l’avais dans le sang à tout moment et à tous les tournants de ma vie. Point de vie sans musique ! C’est une philosophie de vie, ce n’est pas que des notes. Même si mes études ont été légèrement impactées, ce n’était pas à cause seulement de la musique, c’était parce que je voulais être sur tout et faire tout à la fois, en m’essayant dans d’autres disciplines. J’ai fait du théâtre aussi, et du sport … j’ai touché à tout. Pour les études, j’étais à MSB, qui nécessitait aussi beaucoup de travail…Mon désordre est devenu ma stabilité et je faisais en sorte de tout fusionner.


Et puis, récemment, on peut dire que vous êtes bien parti dans la musique, avec le lancement de vos trois morceaux : «Eddenya Eddour», «Masjoun», «Boutellis»…


Et ce n‘est que le début : « Masjoun » était la première à paraître, avant mon road trip à Cuba. Un album entier est en cours. Le covid-19 m’a beaucoup ralenti. J’ai dû travailler à côté pour m’autofinancer. L’argent était surtout le problème… Les thèmes que j’ai traités sont des discussions intimes, propres à moi : mes pensées les plus enfouies, moi, m’interrogeant moi-même. Le «Helwess», comme on dit… Des personnages imaginés ont même pris la parole à un moment (rires).


Vous usez des réseaux sociaux, principalement Instagram, pour percer. Est-ce voulu ?


Au début, pas vraiment, ensuite, je me suis adapté. Avant de faire connaître mes travaux, je passais beaucoup de temps en solo, je partais en camping, en balade, en road trip, une guitare à la main… je prenais le large. Et autour de moi, des auditeurs attentifs commençaient à se former, avec des feedbacks. J’impactais des personnes positivement autour de moi, et pour moi, c’était essentiel, et cette audience grandissait… et les réseaux sociaux ont aidé, tout en ralliant mes études et mes activités professionnelles. Toute une dynamique diverse s’est créée. Je pensais qu’en étant seul, je pouvais tout faire, mais c’est impossible : le travail en communauté est essentiel et nécessaire pour percer. On ne peut avancer qu’ensemble : je suis communautaire et je crois au travail de toute une équipe, d’une famille. Le peu que j’ai bâti, je n’aurais pas pu le faire sans cette famille, et sans mon dévouement également. J’ai eu des proches en or au fur à mesure.


Vous avez vécu un road trip exceptionnel. Cela mérite le détour…Que pouvez-vous nous en dire ?


C’était un voyage qui a pris une tournure très inattendue en 2019 : je n’avais aucun objectif derrière. A un moment, j’ai pris mon sac à dos, et ma guitare, billet aller sans retour à Cuba… à cause de la richesse de son patrimoine musical. J’avais une caméra, et je devais filmer un doc. Une caméra, oui, ma seule compagne de voyage. Une fois sur place, je n’avais, ni où loger, ni quoi manger correctement, juste muni des moyens du bord. L’aventure à l’état brut. A Cuba, j’étais resté un mois, je m’étais fait un cercle, j’ai intégré un quartier, j’ai découvert toute une culture, j’ai approché un terrain autre : très loin de ce que je m’étais imaginé. Toutes les idées déjà reçues étaient fausses. Et le contenu du doc a filmé un aspect underground du pays, mes frasques, mes aventures dans des quartiers mal famés, des poursuites policières. Un ami portoricain m’a rejoint, on a survécu à un tremblement de terre violent avant de partir; ensuite à Miami, je m’étais installé là-bas, j’ai commencé à produire : tous ces moments étaient uniques et vitaux malgré tout. Mes parents en ont d’ailleurs souffert… je devais tout le temps les rassurer. A Miami, je m’étais intégré plus facilement, j’ai pu gagner ma vie modestement… j’ai fait de belles connaissances, avant de changer pour Nashville : j’ai finalement ramassé beaucoup plus d’argent que mon budget initial. J’étais très inspiré une fois de retour à Tunis. J’étais rentré, quelques jours avant la fermeture des frontières aériennes à cause du covid. Le doc n’est toujours pas monté, mais il est hors de question que je le laisse tomber. L’inattendu a construit quelque chose d’unique.


Vous êtes dans la transmission, vous donnez des cours pour jeunes passionnés de musique. Vous vous en sortez ?


Il faut bien que je finance ma musique, mais il s’agit d’une nouvelle expérience humaine et récente. J’ai découvert une facilité à transmettre l’information en bâtissant un lien unique avec les instruments. Réussir à transmettre cela à une personne est ma plus grande victoire. Un enfant autiste, fortement passionné par la musique et qui m’avait découvert dans «Ouled el ghoul», me stimule particulièrement. Je n’hésiterai pas à entreprendre toute piste qui m’apporterait un plus et me permettrait d’avancer.


Qu’est-ce que vous voudrez améliorer dans le secteur musical en Tunisie afin d’aider de jeunes passionnés comme vous à avancer ?


Il faut se démarquer des structures et des institutions, investir, et s’engager en comptant sur soi. De nos jours, avec Internet et les réseaux sociaux, on peut faire des miracles. Se démarquer de l’Etat, contourner, créer, rêver tout simplement.


Aspirez-vous à vous lancer à l’international ?


Les deux, idéalement : en Tunisie et à l’étranger. Mais peu importe l’opportunité qui se présentera, je saurai la saisir.


Et à un moment de votre carrière, vous vous êtes retrouvé exposé face au grand public en campant le rôle complexe de Kabyl, dans «Ouled el ghoul», une fiction télévisée à forte audience diffusée pendant le Ramadan 2021. Cette aventure, qui rime avec endurance et audace, vous a marqué…


J’en ai fait des castings, sans grande suite… des cours de théâtre aussi. Mais je dois dire que cette opportunité s’est présentée au gré du hasard. Je m‘étais déjà présenté au casting de «Flashback», réalisé par Mourad Ben Cheikh. Un passage dans un autre média pour parler de ma start up a poussé l’équipe à me contacter. On m’a proposé le rôle de «Youssef» le musicien, mais finalement tout a été changé à la dernière minute, et on m’a proposé le rôle de Kabyl, l’homosexuel. Un personnage qui ne me ressemble nullement : très humain, très introverti et j’ai apprécié le traitement parce qu’il ne s’agit pas d’un personnage créé pour faire le buzz, c’était un rôle subtilement traité, très bien construit, dénué de clichés, qui m’a hanté. J’étais fier de l’interpréter : il traite d’une cause humaine. La prise de risque était quand même importante : si je ne réussissais pas à bien interpréter le personnage, et en l’ayant eu en premier rôle dans mon parcours, cela pouvait mal tourner. Mais tout s’est très bien passé : les retours des gens étaient élogieux et, pendant le tournage, j’ai été entouré de professionnels comme Helmi Dridi, Wahida Dridi, Maram ben Aziza… J’en suis reconnaissant. Je n’ai retenu que du bon de cette expérience trépidante et si une saison deux est prévue, je ne peux être que de la partie. Je suis content d’alterner acting et chanson. Les deux se complètent. «Ouled el ghoul» m’a d’ailleurs beaucoup enrichi sur le plan musical aussi.


«Hezni Maak», votre start up sera lancée prochainement. Pouvez-vous nous en dire plus ?


«Hezni Maak» est une application de co-voiturage de communauté sécurisée : au lieu d’y aller avec des gens qu’on ne connaît pas, dans ce contexte -là, l’application est destinée à la communauté qui entoure l’utilisateur et qu’on peut trouver à la faculté, au travail, en salle de sport, en restaurant, en café, aux environs : voisins, connaissances, collègues sont ciblés… et sera fonctionnelle au sein des facultés privées, à destination d’utilisateurs jeunes, pour commencer. L’expérience s’étendra au fur à mesure, et la stratégie économique proposée permet de faire des économies. Les utilisateurs peuvent accéder à la plateforme par mail, ainsi, tout le réseautage leur sera proposé. La fonction se fait en partenariat avec d’autres organismes, d’autres structures, qui offriront un service plus optimal. Ma conception de l’esprit communautaire se résume dans cette application.


Quels sont vos projets ?


Priorité à la musique. Sortir mon album, terminer mon documentaire. Lancer la start up officiellement. M’essayer à de nouvelles aventures de tournage (s’il y en a).

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Bouthaina Gharbi, CEO d’ « Animed » : «Le domaine de la recherche scientifique doit être plus accessible et à la portée »
ENTRETIENS7 / 11 / 2021

Bouthaina Gharbi, CEO d’ « Animed » : «Le domaine de la recherche scientifique doit être plus accessible et à la portée »

«L’Animed» est une plateforme de recherche et de mise en valeur de l’histoire de la Tunisie, et valorise des thématiques peu exploitées ailleurs. Bouthaïna Gharbi, docteure en mise en valeur du patrimoine culturel et CEO de l’entreprise, nous dévoile les dessous d’une aventure entrepreneuriale inédite, qui travaille sur la mise en valeur et la médiation du patrimoine culturel.


Comment l’aventure « Animed » a-t-elle commencé ?


Tout a commencé à travers l’association de plusieurs personnes autour d’un projet, qui consiste à mettre en place un circuit innovant, nommé «Le circuit Magon», qui est un itinéraire culturel de mise en valeur du patrimoine viticole et de l’homologie en Tunisie. Il s’agit d’un circuit à vocation culturelle qui relaye les circuits des sites archéologiques avec les caves des viti-vinicultures. On a eu une subvention de l’Union européenne pour créer ce circuit. En parallèle, à cette époque-là, j’ai été en Master spécialisé en patrimoine architectural du XIXe /XXe siècle à l’Ecole des beaux– arts, d’où mon intérêt pour le volet architectural archéologique. C’est ainsi que je m’étais retrouvée embarquée dans cette aventure avec plusieurs acteurs de la Tunisie, mais aussi de l‘Italie. L’objectif pressant était de créer des projets de mise en valeur du patrimoine. J’ai entamé une thèse de doctorat, toujours en parallèle sur la mise en valeur du patrimoine aussi. J’alternais les deux, tout en prenant conscience de la pertinence de cette recherche et de ce volet.


N’avez-vous pas eu des difficultés à démarrer ?


En effet, au départ, on voulait créer une association pour pouvoir lancer des projets autour de la mise en valeur du patrimoine. Les difficultés sont principalement liées à la réglementation tunisienne, la bureaucratie, et l’Etat tunisien était réticent par rapport à la thématique de la viticulture, de la vigne et du vin. On a, du coup, créé une entreprise très imprégnée par l’esprit de la société civile. On s’est regroupé avec, notamment, une amie à moi, Mila Lauretta, avec qui on a créé «l’Itinéraire Magon», dans le cadre d’une association qui n’a pas marché. L’entreprise culturelle qu’on a créée a vu le jour : elle est spéciale dans le sens où elle s’investit dans les causes patrimoniales, culturelles. Une partie des bénéfices servait à peaufiner, à alimenter cette responsabilité culturelle.


Quelle est votre définition de « responsabilité culturelle » ?


Les deux dernières années, on évoque souvent la « responsabilité sociale», les entreprises sociales et solidaires… Nous, on a commencé en 2017, et on voulait se focaliser sur la responsabilité culturelle, d’où la création d’ «Animed».


D’où vient ce nom «Animed» ?


«Med» se réfère à la Méditerranée et «Anime», en punique veut dire « prospérité » et «richesse». Le patrimoine étant une source de prospérité, de richesse intellectuelle, culturelle, économique. C’est ce qu’on essaie de mettre en avant : faire en sorte qu’il y ait de projets à portée sociale, culturelle et économique. Et on a une richesse culturelle et patrimoniale incommensurable : près de 30.000 sites archéologiques en Tunisie. Un chiffre approximatif, mais attesté, près de 1.000 sites attestés et classés. Cette richesse-là coïncide avec la pauvreté qui existe dans des zones tunisiennes, en partie de l’intérieur, où ces monuments existent. On se focalise sur ces régions-là, en les mettant en valeur, leur donner plus visibilité, les faire connaître par un large public à travers la digitalisation, les faire connaître auprès du Tunisien lambda, à travers notamment nos capsules, scientifiquement pertinentes. On crée un contenu attesté et la médiation fait en sorte que ces contenus peuvent circuler, les rendre accessibles, courts, à la portée, attractifs, divertissants. Tout un travail autour de la diffusion a été accompli, autour de la présentation, essentiellement et sur la langue utilisée : le dialecte pour toucher le Tunisien et le sous- titrage en anglais pour notre audience étrangère.


Vous proposez aussi des services inédits et innovants. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Toute une plateforme de visibilité, un site officiel, rassemble ces vidéos et les astuces et indications qui permettent à un voyageur lambda de mieux circuler dans nos régions, notamment à Hidra, Zaghouan, le Kef et autres : sur notre site, on lui facilite le trajet, on lui fournit des conseils, les moyens de transports, des propositions d’activité à faire, le logement… Rendre au maximum les déplacements à la portée, c’est notre but, avec une mise à jour des informations utiles, une facilité de manipulation, en usant d’une manière attestée et efficace de notre plateforme. Peu importe où ce voyageur se trouve dans le monde, il peut planifier son voyage en amont et venir. Pour rendre notre action pertinente, il faut favoriser les visites dans ces régions, entre autres, de cette manière.

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De qui est composée votre équipe ?


Moi-même Bouthaina Gharbi, cofondatrice et manager d’ «Animed», docteure en mise valeur du patrimoine et entrepreneuse. Avec moi, l’équipe scientifique : Mounir Fantar, archéologue-scientifique, directeur des sites archéologiques. On est chargé de la révision scientifique. Pour information, le patrimoine tunisien est répertorié selon un découpage scientifique, par thème : Antiquité, époque romaine, etc. donc, on s’adapte pour le travail selon le site, avec un conservateur spécialiste en site archéologique. Le conservateur nous fournit en articles et en matière scientifique, avec une mise à jour continue des découvertes faites au jour le jour… On veille à faire une dernière vérification au niveau scientifique. Dans la médiation, Hela Djebby, conservatrice, qui écrit des scénarios, on les travaille ensemble, on retouche, «Hokka Hendi» gère des volets dans des tournages, drones, et gère la coordination de la partie audiovisuelle. Pour la partie plateforme, Mehdi Ridene, notre ingénieur, et Mariam KMS, community manager.


Comment se passe le contact avec les institutions étatiques comme l’INP ou autres ?


On travaille avec l’’INP et l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle. On est soutenu. On fait toutes et tous partie du milieu scientifique. On entretient une relation correcte. Je crois qu’on est la seule entreprise privée qui possède un partenariat avec l’Amvppc, et nous collaborons avec Mme Amel Hachana, dont elle fait partie. Un partenariat est en cours avec l’INP. Quand on a conçu le projet et on lui a réservé un budget, on est allé voir les institutions qui étaient coopératives.


Quel sera votre apport à la recherche scientifique ?


On essaie de mettre en place la logique de la recherche et du développement. On tend la main à des chercheurs, qui peuvent effectuer leurs recherches en dehors des centres de recherche. Je trouve que le secteur privé a besoin de la pertinence du monde de la recherche. La recherche doit être accessible, à la portée. Dans la recherche appliquée dans le domaine du patrimoine, il y a de bons résultats. On incite les gens à travailler dans ce domaine, large, exploitable, à portée économique. Il y a beaucoup de potentiel à faire et plusieurs disciplines à appliquer dans l’air du temps et à développer des initiatives autour. C’est un domaine vierge. Il suffit d’avoir la volonté et les outils nécessaires afin d’y arriver. On est en contact avec l’université d’Ibn-Charaf, afin de mieux approcher les étudiants, les accompagner dans leur recherche, voire à les embaucher. C’est une nécessité

Bouthaina Gharbi, CEO d’ « Animed » : «Le domaine de la recherche scientifique doit être plus accessible et à la portée »
Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle »  : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »
ENTRETIENS7 / 6 / 2021

Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle » : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »

Récemment et dans le cadre du Gabès Cinéma Fen, qui se poursuit en ligne, s’il y a une section qui a fasciné les spectateurs, pour la plupart jeunes, c’est bien la section VR Corner / Hackaton, destinée à la réalité virtuelle. Futuriste et intrigante, cette discipline s’impose d’édition en édition et attire la foule. Les étudiants de l’Institut supérieur des arts et métiers de Gabès (Isam Gabès) y ont participé. Cette année, 4 films ont été réalisés par 4 équipes et un prix a été dédié à la meilleure réalisation. Mohamed Arbi Soualhia, commissaire à la tête du VR Corner, nous parle de cet art avant-gardiste et de son évolution en dehors du festival.


Comment êtes-vous entré en contact avec l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » ?


J’ai travaillé dans quelques projets à l’étranger, notamment sur des prototypes à Berlin et à Munich. Je travaillais dans le festival « Vision du réel » en Suisse. Je ne sais comment exactement l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » a entendu parler de moi. Je suis de nature discrète. Ghofrane Haraghi (coordinatrice) et Fatma Cherif (directrice du festival) m’avaient contacté et m’ont proposé de démocratiser ce nouveau médium que la plupart des Tunisiens ignorent et qui n’est autre que la Réalité Virtuelle. Il ne s’agit pas de nouvelles techniques hautement modernes seulement, c’est une nouvelle forme d’art.


Pour le contenu de cette section, avez- vous eu carte blanche et entière liberté de gestion ou avez-vous reçu des recommandations de la part de l’équipe du festival ?


J’ai proposé des films. On se réunissait et on communiquait souvent jusqu’à l’établissement d’une sélection de films : une longue et une courte liste. A quel point la sélection des films en VR est-elle accessible ? En tant que public, nous n’en savons pas beaucoup sur les canaux de diffusion, leurs choix, leurs contenus, leurs genèse ? L’univers du VR reste encore inaccessible de nos jours. C’est juste. C’est, en effet, un peu compliqué pour l’instant, parce que les casques et les outputs ne sont pas à la portée de tout le monde. La section VR n’est pas programmée dans de nombreux festivals dans le monde. La distribution pose toujours problème, le monotising, aussi. Mais d’ici à cinq ans, à mon avis, ça se réglera. Le covid a ralenti son élan. Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR. C’est une question de temps. On n’en est qu’au début…


En Tunisie, on reçoit presque tout en retard en matière de nouvelles technologies. A Gabès, plus précisément, les notions liées aux arts restent basiques, classiques. L’art nouveau ou ses notions ordinaires restent peu accessibles, d’où l’émergence de cette résistance artistique. Pour vous, quand on fusionne toutes ces disciplines ensemble, peu importe leur différence, est-ce que cela attirera toujours le public ?


Le programme du « Gabès Cinéma Fen » fusionne cinéma, images et haute technologies. Un contenu qui ne fera qu’attirer les festivaliers et le public, des plus jeunes aux plus âgés, toutes tranches d’âges confondues. Il faut leur montrer ces formes d’art et les aider à raconter leurs histoires, les initier. Dans le cadre de cette expérience, ils étaient passionnés, proches des personnages en VR. L’expérience est inédite, riche en qualité technique. Le festival garantit l’aspect technique. D’autres films sont interactifs : leur contenu est riche. Le spectateur/participant peut même aider les protagonistes, enlever les casques, proposer des solutions, intervenir. Et l’édition connaît de nouveaux membres et de nouveaux talents jeunes, qui promettent réellement et qui apportent de la fraîcheur et une dynamique nouvelle.


Peut-on en savoir plus sur le hackathon ?


Cette compétition est composée de quatre groupes, formés l’année dernière dans des ateliers, dans lesquels ils apprennent tout : le prototype de création, au scénario VR. Ils n’ont pu tout faire à cause du covid. Des scénarios ont émergé, des figurants ont été aussi dénichés pour le tournage, des moyens du bord qui ont permis à des jeunes de conclure des projets de fin d’études de qualité en 48h. J’ai été fier d’y participer et on compte maintenir et cette section et cette compétition.


Quel est le point commun qui rassemble tous les films sélectionnés et quel est votre définition du VR ?


On voulait diversifier les genres : fictions, documentaires, courts, longs métrages, et diversifier les sujets proposés, comme l’écologie, l’identité, les origines ethniques. Des thèmes universels. On a aussi touché à l’art, comme celui de Héla Lamine, et de l’expérimentation puisée dans des sons, de la musique. Le VR peut nous téléporter dans des univers fantastiques, parallèles, qui sortent de l’ordinaire. Il téléporte mentalement dans des ailleurs et des contrés nouvelles. Le plus long des films en VR que j’ai découvert est de 45 min. Ceux proposés ici sont courts. Le VR fait rêver, voyager et des médias internationaux en usent déjà comme « The Guardian », « Arte » etc, afin de faire voyager leur audience.

Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle » : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »
Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»
ENTRETIENS7 / 3 / 2021

Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»

Salma Ksontini, jeune curatrice tunisienne, a géré récemment la section «K-Off», dans le cadre de la 3e édition de Gabès Cinéma Fen. Elle a déniché différents talents locaux singuliers, distingués. Une expérience intense qu’elle partage avec nous dans le cadre d’un échange fructueux.


Vous avez fait vos preuves récem- ment en dirigeant la section «K-Off» consacrée aux artistes visuels tunisiens dans le cadre de « Gabès Cinéma Fen ». Comment a eu lieu la prise de contact avec toute l’équipe ?

J’ai interviewé Malek Gnaoui, il y a plus d’un an dans le cadre du Tasawar Curatorial Studio. On a échangé, parlé du secteur, des arts, etc. Il m’a proposé de participer à cette aventure deux mois après. Il en a parlé à Fatma Kilani et j’ai embarqué. On m’a expliqué ma mission : gérer les artistes tunisiens dans le cadre de cette section « K-Off » en tant que curatrice / commissaire. J’accompagne le travail de plusieurs artistes locaux simultané- ment jusqu’à l’aboutissement. On a commencé par la prospection, le choix des artistes, leur sélection et on s’est restreint à la scène tunisienne, opter pour une tranche d’âge jeune. Ça a facilité le contact entre nous toutes et tous. L’échange fut fructueux. J’ai cherché, de mon côté, différents profils en faisant du porte- à- porte (rires), en les dénichant, un peu partout… J’ai vu le travail d’un bon nombre d’artistes proposé dans le cadre d’expo, ou de ma participa- tion dans des festivals.


Avant d’embarquer pour cette aventure, qu’avez-vous accompli ?

J’ai fait du «Design espace», à la faculté, qui m’a beaucoup servi au «K-Off» et, actuellement, j’essaie de finaliser mon master en théorie de l’art aux Beaux arts de Nabeul. J’ai travaillé sur «Interférence», «Tasawar Curatorial Studios», «Houmtek…»


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Pouvez-vous revenir sur votre prise de contact avec de nombreux artistes participants ?

Ghassen Chraifa, je l’ai découvert dans «Culture solidaire», du B7L9. Il connaissait Malek aussi. Rim Harrabi, je la connais «d’Interférence», le festival d’art visuel. Ahmed ben Nssib, je l’ai connu par hasard à travers sa maman en 2018. Son travail était époustouflant. Dorra Dalila pareil. Asma Laâjimi a fait une première : je l’ai connue à Djerba. Cheb Terro, c’était le challenge par excellence : son travail tournait autour de la scène underground, il évoquait l’Underplanet et maniait la vidéo qui devait être un moyen de médiation. Tout un monde ! Leurs œuvres se distinguaient par une technique propre à chaque artiste. Ils avaient une définition propre à eux et ne se ressemblaient pas. Et leurs œuvres tournaient autour de l’image en mouvement, décortiquée et mise en valeur dans un même espace mais vécu, chacun et chacune à sa manière. Il était hors de question de se restreindre : ils étaient libres de créer. Et moi-même, je ne pouvais les enfermer dans des mondes qui ne sont pas les leurs. J’étais dans un poste d’observation : j’étais au centre et je devais sonder autour de moi en cherchant qu’est-ce qui pourrait être intéressant et qu’est-ce qui pourrait ouvrir des pistes, à travers l’animation, le dessin, l’analogie. Il y a le langage cinématographique qui se rapproche de l’art vidéo. J’étais dans une recherche artistique fructueuse que j’ai pu mener à bout via ces œuvres-là. On échangeait beaucoup les idées.


Quelles sont les difficultés que vous avez eues ?

C’est qu’on soit aussi jeunes, toutes et tous. Pour l’aspect technique, on n’est pas toutes et tous censés manipuler ou accomplir les mêmes techniques : je suis moi-même dans l’apprentissage. C’était bénéfique pour tout le monde et on a toutes et tous appris ensemble au fur et à mesure. Je ne parlerai pas de «Difficultés », c’est un mot lourd tout de même, mais je dirai plus un défi. Il fallait gérer tout, j’étais le maillon central.

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Quels ont été les retours du public à « Gabès Cinéma Fen »?

Des retours excellents et variés : les spectateurs laissaient libre court à l’interprétation. C’était le but. Ils se sont déchaînes à trouver plusieurs thématiques, ils étaient observateurs. C’était intéressant. On a mis en place une scénographie imposante, intimiste, ancrée sur la vidéo. Chaque spectateur a pu voir plusieurs œuvres à sa manière. Il a fait chaud aussi. Beaucoup, beaucoup (rire). Mais tout s’est bien passé en général, en s’adaptant au contexte sanitaire critique, bien entendu. Les sensibilités diffèrent d’une présentation à une autre. Les artistes programmés pendant cette 3e édition peuvent ouvrir les portes et inciter d’autres à se lancer. L’espace « K-Off » qu’on a ouvert fera office de résidence d’artistes après.

Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»
L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»
ENTRETIENS5 / 24 / 2021

L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»

Souhir Ben Amara a rempilé sur le petit écran dans «El Foundou», dirigée par Sawssen Jomni. Succès public garanti qui survient après son passage sur scène, dirigée par Cyrine Gannoun et au cinéma, dans l’onirique «Tlamess» de Alaa Eddine Slim. Rencontre avec une valeur sûre qui s’innove.

«El Foundou», série ramadanesque réalisée par Sawssen Jomni, est votre dernier travail en date. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle ?


C’est la complexité du rôle. C’est ce que porte le personnage comme contradictions. Ce qu’il porte comme traumatisme, comme trame dramatique. Son aspect fragile. Ce rôle dans «El Foundou» est très différent de ce que je suis. Plus il est loin de ce que je suis et de ce que je ressens, mieux c’est. C’est ainsi que je peux me sentir dans la création et dans la recherche. Avec Sawssen Jomni, le contact s’est très bien déroulé. On se connaît depuis longtemps, même si ça faisait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Elle a évolué. Elle a le sens du détail. C’est une réalisatrice qui opte davantage pour les gros plans : c’est une approche que j’apprécie. Il y a beaucoup de confiance entretenue entre nous deux.


Est-ce que vous êtes de ces artistes qui trouvent qu’une réalisatrice femme travaille différemment qu’un réalisateur homme ? Est-ce que vous trouvez que leur sensibilité diffère ?


C’est la même chose pour moi. J’apprécierais plus s’ils étaient différents. Chacun sa vision, son approche, sa méthode de diriger les acteurs. Ça ne peut être qu’enrichissant. Il faut certes assurer, mais c’est surtout un exercice qui s’adapte à la vision, à la façon de travailler de l’acteur.


«El Foundou» a reçu un accueil public largement favorable, mais a été par moments critiqué à cause de l’image dite « péjorative qu’il véhicule de la femme ». Je cite également « de la violence physique explicite », etc. Qu’avez-vous à dire sur ces critiques ?


Ce qui se passe dans la vraie vie est mille fois plus grave que ce qu’on peut voir dans une fiction. Ce qu’on ne voit pas est pire. Admettons que tout ceci existe, ça choquera quand même quand on le voit. Autant voir la réalité telle qu’elle est. Par ailleurs, on peut se sentir responsables quand on sait que cet ailleurs-là, ou la rue, est certes tout aussi cruel, mais on pourrait, en tant qu’artiste, pousser davantage vers le rêve, vers plus de valeurs. Un artiste ne fait pas dans le social et ne remédie pas forcément à ces problèmes sociaux. Le débat sur la violence reste large. : C’est la force de l’image et on est dans l’ère de l’image : qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce que qu’on doit dissimuler ? La violence et le sang que l’histoire a connus sont bien plus graves que ce qui a été montré dans l’histoire du cinéma. Mais est-ce qu’il faut questionner le traitement ? Et comment est-il filmé ? Est-ce qu’il est adapté à la réalité, à la nôtre ? Est-ce à l’artiste d’y remédier ? Large débat et j’interroge.


Juste avant «El Foundou», le public vous a découvert sur scène dans «Club de chant» de Cyrine Gannoun. Pourtant, le théâtre ne vous est pas très familier. Qu’avez-vous à dire sur cette expérience ?


Je me suis promis d’en faire dès que l’occasion se présente. Dans «Club de chant», j’étais dans la découverte, dans l’épanouissement, le plaisir, la fatigue, dans les doutes. Je m’en suis pris au personnage et vice-versa. Il y a des couches profondes. On peut s’exploiter en tant que citoyenne, artiste, femme. Il y a des disciplines inatteignables dans le théâtre. Le théâtre est dénué de faux semblants: ce n’est sûrement pas mentir sur scène.


Durant votre carrière, une prise de risque reste tout de même distinguée : c’est celle de votre rôle dans «Tlamess» d’Alaa Eddine Slim, un long métrage qui a subit les aléas de la crise sanitaire lors de sa sortie en salles mais qui a fait échos dans le monde entier…


Ce qui stimule, c’est ce saut dans le vide. L’intégration d’une dimension autre, que j’ignore et que je continuerai à ignorer même en lisant le scénario plusieurs fois. Je ne connaîtrai cette expérience qu’en la vivant. Je n’ai pas beaucoup, réfléchi, hésité ou discuté du thème. Dans «Tlamess», il n’y avait pas de dialogues. Ce qui nous pousse à nous focaliser sur la communication non verbale, ce que transmet l’artiste comme affection ou feeling. C’est spécial pour l’acteur, pour le public. On est dans la contemplation. Tous les retours sont tellement différents. «Tlamess» était une véritable aventure. Je disais souvent que le film doit se voir avec le cœur.


La culture et les arts subissent de plein fouet les conséquences du covid-19, de la politique et de l’économie en berne. Qu’avez-vous à dire en tant qu’artiste désireuse d’y remédier en Tunisie ?


C’est une accumulation de dégâts provoqués successivement pendant les dix dernières années. Honte à nos politiciens de nos jours. Ils devraient davantage entretenir le pays et mettre leurs différends de côté. Je refuse en tant qu’artiste de voir la Tunisie faire faillite sur tous les plans : Toutes les décisions qu’un artiste doit prendre doivent être prises en considération par la classe politique.

L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»
Imed Eddine Al Hakim, scénariste  : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»
ENTRETIENS5 / 18 / 2021

Imed Eddine Al Hakim, scénariste : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»

Après «Ambulance» et «El Maestro», «El Harga» de Lassaâd Oueslati est sans doute l’ultime distinction en date de son scénariste Imed Eddine Al Hakim. Les deux travaillent en étroite collaboration depuis quelques années. A travers son écriture, Imed Eddine a secoué le public tunisien en levant le voile sur la migration clandestine, ce fléau social ravageur. Rencontre.


Comment vous vous êtes retrouvé à tisser un scénario autour de la migration clandestine ?


L’idée a émergé juste après la fin de l’aventure «El Maestro». Le sujet a été évoqué avec Lassaâd Oueslati, le réalisateur. Une 2e saison d’«El Maestro» n’était pas envisageable. On s’est dit qu’il fallait plutôt traiter d’un autre phénomène social d’envergure comme celui de la «Migration clandestine». Un phénomène qui n’a pas été traité auparavant, en profondeur à la télévision. Et c’est ce qu’on s’était fixé de faire : traiter de cette thématique à la racine. Les gens entendent parler vaguement de ce phénomène, notamment dans les infos. On s’est dit pourquoi ne pas en faire un traitement artistique à travers lequel on pourrait tout filmer : la barque, les différents profils des migrants, ce qui les a poussés à le faire, se jeter en mer, filmer en haute mer tout le cauchemar, le calvaire, le processus et opter pour des personnages inspirés de la réalité pour que les téléspectateurs s’y retrouvent, tout en évitant l’aspect technique, les statistiques, l’aspect méthodique qui englobent «El Harga». On entretient la tragédie autour, le drame, les histoires pour capter l’attention. D’où l’empathie, la sympathie et la haine ou le rejet qu’on peut éprouver envers les personnages. L’aspect analytique n’était pas à l’ordre du jour : ça pouvait ne pas intéresser les téléspectateurs. L’écriture de «Harga» est nouvelle, innovatrice et est inspirée d’une réalité nouvelle : la différence entre la fiction et la réalité reste très légère.


Comment définirez-vous cette écriture nouvelle ?


C’est cette réalité qu’on peut fusionner avec la fiction : le docu-fiction à la télé. Le feuilleton rassemble les deux, même au niveau de l’image. En Tunisie, c’est une première. Des extraits pourront servir pour des enquêtes, pour des cours, pour de la recherche et de l’archivage autour de la migration. Les personnages sont plus vrais que nature.


«Harga» peut sensibiliser sans pour autant proposer des solutions. Etait-ce voulu ?


Une création artistique n’a pas comme mission ou objectifs de trouver des solutions et d’en proposer. C’est le rôle de tout le monde y compris du public de trouver des solutions. On se doit de mettre en lumière une création porteuse d’une cause, d’une manière différente, attractive, propre à nous. De telle sorte que quand les gens regardent la série, ils peuvent se sentir concernés et impliqués. Ce n’est pas à nous d’échafauder des solutions à la migration. Relater les faits, faire un état des lieux détaillés, parler de ce fléau, c’est notre mission. Le patriotisme, l’appartenance, la déchéance des citoyens, le chômage, la misère, la hiérarchie, la corruption, l’absence de l’Etat et j’en passe… De la matière à présenter, on en avait et on l’a traité d’une manière limpide, sans artifices, directe, ce qui a touché le public en profondeur. Une réalité qu’on sent dans les personnages, dans les décors, les lieux, dans ses détails… C’est ce qui a permis aux gens de s’identifier, de s’y retrouver. Le maquillage chez les personnages se voit à peine. L’allure, les expressions, les habits sont plus vrais que vrais et c’est proche de la réalité. La réalité rime avec tous ces détails.


Avez-vous préféré ne pas creuser davantage dans certains aspects liés à ce thème sensible ?


On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté. Les aspects qu’on a évités de mettre en avant sont liés aux textes de loi relatifs aux centres de détention et à la migration. Des textes qui changent en permanence. On a préféré y faire allusion sans détailler. Le téléspectateur n’approuve pas les chiffres, les lois et les données techniques : on a voulu relater. Ce phénomène date de décennies et il y a avait déjà beaucoup à dire.


Concernant le scénario, l’avez-vous à un moment improvisé/modifié ?


Ce texte ou ce scénario n’est pas un texte saint : on croit au changement et il peut changer selon les décors, les visions du réalisateur, selon les circonstances. Des ajouts peuvent se faire dans le dialogue, les répliques, les prises, que personnellement, je trouve mieux. Le savoir-faire chez l’équipe technique et l’instinct de Lassaâd Oueslati ont fait la réussite du travail. Les changements qui ont eu lieu devaient se faire, étaient adéquats et ont eu lieu avec l’accord du réalisateur.


Vous comptiez partir tourner en Italie, avant la pandémie…


Tout un acte allait se faire là-bas avec Ahmed Hafiane. Un acte qui a dû être supprimé et remplacé par un autre qui doit se faire en Tunisie. La tâche était très dure. Le travail a été écrit pendant le tournage, souvent au fur à mesure. Les scènes qui ont été tournées comme s’ils étaient en Italie sont réussies. Mention spéciale à Nahla Smati qui a travaillé dur sur le décor. Le téléspectateur a le sens de l’observation de nos jours. La partie du «Centro» devait être tournée Italie. Tout a été fait ici.


Qu’est-ce qui a changé pour le scénariste que vous êtes entre «El Harga» et «El Maestro», réalisé en 2019 ?


J’ai cette conscience qu’après chaque travail, je dois m’améliorer et travailler plus sur mon écriture. «El Maestro» est le tout premier feuilleton que j’ai écrit. «El Harga», je n’y suis pas satisfait à 100% également. On s’évalue après chaque travail. Il est réussi et c’est tant mieux mais, la prochaine fois, il faut mettre la barre plus haut. Dans «El Maestro», tout s’est déroulé dans des décors fermés, dans «El Harga», j’avais plus d’espace. Je m’informe sur les créations étrangères, afin de m’améliorer et d’affiner davantage mon écriture. C’est mon but ultime.


Vos deux derniers scénarios écrits étaient d’ordre dramatique. Vous avez travaillé également sur une comédie «L’ambulance», toujours avec Lassaâd Oueslati. Y a-t-il une différence entre les deux genres? Êtes-vous plus à l’aise dans la comédie ou dans le drame ?


Ma première expérience était dans la comédie. Je me vois dans les deux. Faire rire les gens à travers une situation qui fait rire est un bon exercice. Et dans «Ambulance», c’était le cas. Même si je m’étais plus penché vers le drame dernièrement, j’aime beaucoup cette comédie qui filme une prise de position et met en scène des acteurs ou comédiens qui ne sont pas spécialistes en la matière. C’est enrichissant de les voir dans différents créneaux. La comédie ne s’arrête pas que sur des comédiens précis de nos jours…


Etes-vous plus à l’aise en tant que scénariste à la télévision ou au cinéma ?


A la télévision. Dans une série, je peux m’exprimer plus librement et le format des séries a évolué de nos jours. Elles touchent plus les gens. Dans le cinéma, il y a beaucoup plus de problèmes notamment liés aux subventions et aux financements. Je veux travailler des films qui me plaisent sans qu’on m’impose une vision autre, propre à d’autres. Je n’approuve pas le cinéma commercial. Je veux un cinéma qui soit porteur de l’identité de mon pays sans ingérences locales ou étrangères. Je veux évoquer à mon aise les problèmes liés à notre nation, au pays. Je prends l’exemple du cinéma iranien et japonais qui reste typique et porteur des valeurs et des maux de ces nations. Écrire pour le cinéma ou la télé, c’est la même chose. Et dans «Harga», on s’exprime beaucoup à travers l’image, avec moins de dialogues comme au cinéma.


Si vous deviez commenter le paysage audiovisuel actuel, que diriez-vous ?


Réaliser «El Harga», El Maestro», et même «Nouba» était une bataille menée contre la médiocrité. L’objectif est de disséquer les problèmes sociaux, de les dénoncer et de raconter les maux des gens à travers l’art. Aujourd’hui, des productions médiocres ont vu le jour. Et c’est grave. On n’est pas dans un esprit compétitif et on ne dépend pas de la pub forcément. «El Watania» fournit un budget qu’un producteur exécutif s’approprie pour créer. On n’a juste plus besoin de voir autant de navets et de travail d’un niveau aussi bas. Les générations actuelles et futures ne méritent pas cela. Subir autant de violence physique et verbale non justifiée sur nos écrans est aberrant. On est libre de nous exprimer, pourquoi ne pas le faire à bon escient ? Où est la Haica ? Il y a des pratiques qui doivent cesser et des lois qui doivent être appliquées avec rigueur. Cette soif de sensationnalisme et de buzz doit cesser. Et vive les médias publics qui modèrent finalement le contenu. Il y a une différence entre divertissement, recherche de l’audimat à tout prix et qualité de l’œuvre.

Imed Eddine Al Hakim, scénariste : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»
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