C’est la rentrée pour l’équipe de « Tajrabti ». Une expérience collective prometteuse est annoncée à Hammamet et finement orchestrée par ces fournisseurs d’expériences immersives. Pendant 4 ans, les jeunes de « Tajrabti », plateforme et start-up, renforcent bien-être et développement personnel, en offrant diverses expériences orientées plus vers le culinaire, la nature, la culture, l’art thérapie ou encore le sport. A l’occasion de cette évasion programmée, nous avons rencontré le fondateur de « Tajrabti » Akram Bouslama.
Comment est né « Tajrabti » ?
« Tajrabi » a été pensée avant 2020. Initialement, je suis ingénieur informatique, et je résidais en France. Ayant accompli un long parcours dans l’IT et la finance, j’ai fini par arrêter, en voulant explorer de nouveaux horizons… et en partant pour l’Amérique du Sud. J’y suis resté un an. En prenant du recul, j’ai exploré davantage des aspects liés à la psychologie, à l’artistique ou au bien-être. J’ai été imprégné par des livres de développement personnel, reliés à l’humain, à l’essence de notre existence, au mental. Ensuite, je suis revenu en Tunisie en voulant insuffler un projet nouveau, tout en pensant essentiellement à ce que je pouvais apporter d’inédit. Pendant le premier confinement, j’y ai pensé longuement. A travers « Tajrabti », je tenais à partager ce que j’ai appris et à le mettre au service des autres et de leur bien-être. « Tajrabti » est une plateforme/start up. Elle a fini par avoir le label et fonctionne comme une plateforme de service.
En quoi consiste votre mission ?
On se positionne comme étant « des fournisseurs d’expériences » dans l’art, le bien-être, les évasions dans la nature, le sport… en faisant appel à des participants tunisiens ou étrangers et à des spécialistes. Les besoins du marché m’ont fait comprendre qu’on n’a pas assez de produits pour les proposer sur une plateforme. La qualité fait défaut et tenir une plateforme de service en Tunisie est dur. « Tajrabti » crée des évènements pour mieux gérer le stress, optimiser la gestion de soi, développer l’exploration ou la conscience de soi, améliorer le bien-être des participants, l’entretenir. On agit en entreprise en offrant des services pour le grand public.
Pouvez-vous nous préciser comment « Tajrabti » agit au niveau individuel et collectif ?
On ne peut évoquer le collectif sans cibler l’individuel, et pour qu’il y ait une cohésion dans le collectif, il faut qu’on prenne soin de l’individu. On valorise ce dernier à son échelle humaine, parce que la gestion des émotions ou le manque de connaissance de soi peut impacter le groupe et le collectif. Si l’individu n’est pas bien avec lui-même, il ne peut être bien en groupe. On valorise l’individu en l’amenant vers le collectif et en créant un Safe Space, qui voit le jour à travers les expériences au programme et la mise en scène. On crée des évasions immersives, sensorielles à vivre en groupe et qui incitent à se focaliser sur soi. Les valeurs de partage, d’authenticité et la proximité sont entretenues au fil des expériences et sont mises en avant.
Veillez-vous à bien choisir vos endroits pour garantir ces immersions ?
C’est très important pour nous de garantir l’immersion. On opte pour des espaces, où il n’y aura que des participants dans des lieux en plein air, délimités, mais en même temps ouverts, qui garantissent la cohésion du groupe. Nous théâtralisons le bien-être à des fins thérapeutiques dans des endroits propices au développement de l’art-thérapie, par exemple, ou, au partage. Nous travaillons avec des bénévoles, qui veulent garantir un apport à « Tajrabti ». Nous avons collaboré avec des associations et des organismes pour travailler avec des franges sociales dans le besoin. Nous ne dépendons d’aucune subvention étatique ou privée. Nous sommes parfaitement autonomes. « Tajrabti » est un rêve pour moi. Elle évolue en se créant une communauté autour, épanouie à l’échelle humaine. « Tajrabti » fait de la concurrence à l’échelle locale et à l’étranger, malgré les doutes liés au marché de l’entrepreneuriat. C’est un travail d’équipe, composé d’un responsable communication/événementiel, d’un metteur en scène/
«Goodbye Julia» de Mohamed Kordofani est l’histoire d’un schisme populaire qui s’aggrave. Des thématiques comme l’inégalité sociale, la maternité, la condition de la femme soudanaise, les us et coutumes sont décortiqués à travers cette histoire, bien menée par deux actrices qui font leurs premiers pas face à la caméra, à savoir Eiman Yousif et Siran Riak. Cette dernière était présente à Tunis pour la promotion du film. Nous l’avons rencontrée pour vous lors d’un débat avec le public à Cinémadart. En voici des extraits ! Le film est sorti dans toutes les salles en Tunisie depuis le 8 mai 2024.
Le film traite de la condition de la femme au Soudan. Pouvez-vous nous en dire plus ?
«Goodbye Julia» est très réaliste. Il reflète exactement la condition féminine au Soudan. Typique même. Akram, le mari de Mona, est l’homme soudanais type par excellence. Ce conflit au sein d’un couple est récurrent. La femme désirant s’émanciper et l’homme qui l’écrase en plus des traditions et des codes sociaux de Khartoum.
Le pourcentage des femmes qui vivent comme Mona, une des deux héroïnes du film, est-il important ? Notons que Mona est la femme musulmane, appartenant à la bourgeoisie et menant un style de vie aisé.
Je ne suis pas dans une position de m’exprimer. C’est sans doute ce qui prime le plus, à 90%, mais la nouvelle génération essaie de changer les choses radicalement, spécifiquement dans la capitale.
Le film est-il sorti au Soudan ?
Non, malheureusement à cause de la guerre actuelle. Sa première projection a eu lieu au festival de Cannes, l’année dernière. Une seule fois dans une région au sud du pays. Le tournage a eu lieu, fin 2022. Il a pris une année pour voir le jour. Je suis top model à la base. J’ai été repérée sur Instagram et bien dirigée par Mohamed Kordofani, qui, lui, réalise son tout premier long métrage de fiction. L’équipe du film a fait en sorte que les conditions de tournage soient optimales. Julia, mon personnage, me ressemble en partie car j’ai souffert à l’école, dans la rue, au Soudan. C’était une période dure qui a finalement abouti à mon départ pour l’Ughanda.
Le racisme est raconté en profondeur dans le film, notamment à travers le conflit civil nord/Sud. Comment se présente actuellement la situation ?
C’est une relation purement humaine. Seulement, géographiquement, on s’est séparé. Il existe désormais deux Etats séparés sur tous les plans avec des violences incessantes. Je ne commenterai pas davantage la situation. (Sourire)
Invité par l’Institut français de Tunisie à l’occasion de la Foire internationale du livre, dans sa 38e édition, Jadd Hilal a longuement et passionnément parlé de son 3e livre, paru aux éditions Elyzad, «Le caprice de vivre». Durant cette rencontre modérée par Ons Ben Youssef, professeure agrégée de littérature française, l’auteur franco-palestino-libanais nous en dit plus. On a retenu pour vous quelques extraits de cet échange édifiant…
O.B.Y : Avec «Le caprice de vivre», votre dernier livre paru récemment aux éditions Elyzad, il y a quelque chose de nouveau qui s’est déclenché. Pouvez- vous mettre des mots dessus ?
J.H : «Le caprice de vivre» est le premier roman que j’écris sans sujet. Pour «Des ailes au loin» et «Une baignoire dans le désert», mes deux précédents livres, j’en avais. Pour le premier, je racontais l’histoire de ma famille palestinienne. Pour le 2e, je voulais raconter l’histoire de mon cousin, qui a vécu la guerre en Syrie, qui s’est exilé, qui est homosexuel et qui a enduré tout cela seul, depuis ses 8 ans. «Le caprice de vivre», c’est un texte qui s’est écrit à mon insu. C’est en écrivant que je me suis rendu compte des choses qui m’importaient. C’était comme «rouler sur l’autoroute à 130km/h, sans s’en rendre compte, jusqu’à avoir un accident». Je me suis autorisé à sortir un roman de mon ventre. Il réunit colère, rêves, envies qui dataient d’il y a longtemps.
O.B.Y : «Ventre», «estomac», autant d’expressions utilisées au fil des pages du «Caprice de vivre». D’ailleurs, ce titre est intrigant, attrayant. Dites-nous en davantage.
J.H : Le titre, c’est ma bête noire, quand j’écris un roman. (Rire) Je trouve que titrer un livre, c’est autre chose que d’écrire un roman… Le trouver, c’est réduire l’écrit en quelque sorte. Ce titre a vu le jour suite à des discussions avec mes éditrices car ce qui réunit mes personnages, c’est l’idée d’une intransigeance. Ils ont un rapport intolérant à ce qui ne correspond pas à leur valeur. Pour Werda, c’est la vérité au péril de tout. Pour Human, l’idée de sauver la représentation des arabes, leur image est une priorité. Soulaymane se contente de s’allonger sur le canapé. Le caprice est une forme littéraire commune finalement aux trois personnages du livre.
O.B.Y : Il y a ce souci de titre, mais aussi les première phrases de votre livre… Vous parlez de l’intransigeance des personnages, et des dialogues, mais aussi de l’espace à la configuration intéressante.
J.H : C’est un sujet que j’aime bien rendre en littérature. La proximité, et ce lien qui me lit aux gens. Ça émane de mon ressenti pendant le Covid : les corps des gens et des amis m’ont manqué. C’est particulier de ne plus toucher quelqu’un. Dans ce roman, j’ai fait un focus sur le corps. Tous les moments de dialogue sont pour moi des moments d’échec. Quand on parle, on rate de faire ressentir. C’est comme au cinéma ! Avec Hitchcock, par exemple, il y a peu de mots. Les émotions sont ressenties. Le moment où il y a du dialogue, c’est quand il faut expliquer, ou s’exprimer. L’espace suffit ! L’extérieur/intérieur est présent aussi.
O.B.Y : Le personnage «Sulaymane» est taiseux, parle aux animaux, il est «Soulaymanesque», selon Human. Le sexe tue l’amour entre Werda et Human : un amour particulier déjà, qui coupe avec cet amour romantique, fleur bleue et, finalement, on voit l’amour dans les corps, dans les familiarités, dans le vivre-ensemble et tout ce qu’il y a de plus ordinaire…
J.H : Et dans tout ce qu’il y a de plus malsain ! L’amour c’est quelque chose de bien, d’agréable, et qui, parfois, fait mal. L’amour est un réceptacle de doute, de douleurs, d’angoisse. Ce livre est un roman d’apprentissage : le premier volet d’une saga plus générale. Il va y avoir une suite sur l’apprentissage de ce personnage. Il apprendra à aimer car aimer ça s’apprend. On ne s’aime pas de la même manière; avec le temps, ça change. J’envisage de travailler sur l’idée que l’amour ce n’est pas uniquement de respecter l’autre. Est-ce que c’est du désir ? De l’amour ? Autant de questionnements. Les corps disent beaucoup aussi et spécialement ceux qui vieillissent ensemble.
*«Le caprice de vivre» (Editions Elyzad)
Publié aux «Editions Arabesques», le premier livre de Feryel Saïmanouli, écrivaine tunisienne, annonce, de prime abord, une fuite dans le temps. Un temps qui s’étire, fait surgir de nombreuses interrogations élémentaires, annonciatrices de combats pour la justice et l’égalité. Berceau de plusieurs parcours de vie, l’autrice, au bout d’une centaine de pages, fait écho à un dialogue générationnel, creuse les différences entre les genres, remet en questions les rapports familiaux, avec, en trame de fond, une histoire de famille tunisienne. On a lu «Elles n’avaient pas le temps», disponible actuellement dans toutes les librairies et à la foire du livre, et on a rencontré pour vous son écrivaine. Entretien.
Feryel Saïmanouli, au gré de vos études supérieures en Lettres menées à Paris, vous vous êtes consacrée à l’écriture de nouvelles, avant la parution de votre premier récit fiction titré «Elles n’avaient pas le temps» (Arabesques Editions). Pouvez-vous revenir sur votre rapport avec l’écriture et la genèse de votre livre ?
J’ai commencé à écrire des nouvelles : la première était «Ses yeux gris qui me souriaient», que j’avais présentée à un concours pour L’Harmattan, en France, et qui a, également, était première sélectionnée. Elle a été postée, ensuite, en ligne, libre de droit et d’accès. La deuxième a vu le jour, dans le cadre d’une exposition, organisée par plusieurs artistes, juste après le confinement, et qui s’appelait «Un pas vers l’Après». Elle s’est passée au B7L9, à Tunis, et un des projets était celui de l’artiste Feryel Zouari. Dans ce cadre, des écrivains devaient produire un texte de 2 pages et, ensuite, d’autres artistes, issus d’autres disciplines, devaient produire des œuvres à partir de nos écrits. Au final, un artiste peintre avait, donc, produit un tableau à partir de mon texte.
Jusqu’à la parution en 2023 de «Elles n’avaient pas le temps», votre premier livre, publié en Tunisie aux éditions Arabesques…
C’était au tout début une nouvelle que j’ai transformée en roman. Sa genèse me tient à cœur parce que, je l’ai vu, il y a dedans du vécu personnel. Il y a énormément d’histoires, mais pas que cela. Je suis féministe depuis ma plus tendre enfance et je remarquais des choses qui m’interpellaient… J’ai, de nos jours, eu envie d’écrire sur le sujet de l’inégalité dans l’héritage. La genèse de ce livre était donc différente de ce que je faisais d’habitude… Pour «Elles n’avaient pas le temps», j’ai commencé à noter toutes les remarques sexistes que j’ai pu écouter, qu’on m’avait adressées. Du coup, je les ai écrites, les unes après les autres, jusqu’à en avoir des pages entières, dans un carnet. Je l’ai fait assez rapidement. Initialement, «Elles n’avaient pas le temps» est une nouvelle que j’ai écrite en quatre jours. Je l’ai publiée après l’avoir retravaillée sur des mois…
Peut-on le considérer comme un livre militant ou engagé ?
Ce n’est pas un livre de militante. J’ai posé une situation, que j’ai racontée au gré de scènes statiques, dans des huis clos, tout en sentant le bouillonnement qu’il y a autour de ce sujet. Un récit que j’ai pas mal travaillé et retravaillé sur une période. A Paris, j’ai vu une fois une pièce de théâtre autour des contes de Perrault. Je me suis rendu compte à quel point les récits courts étaient efficaces, pouvaient raconter une histoire captivante, couramment, avec des personnages élaborés, des sujets importants, avec une clarté surprenante et le tout dans un cadre merveilleux, fantastique. Je m’étais donc inspirée de cela pour mes écrits. Pour le roman, je m’étais dit que c’était efficace de parler au lecteur, de l’impliquer, qu’il ne soit pas que lecteur ou spectateur, mais qu’il soit aussi acteur.
«L’inégalité dans l’héritage» est-elle la thématique principale de votre livre ?
Oui, bien sûr. C’est le sexisme d’une manière générale, et le cœur du sujet est l’inégalité successorale, qui reste et qui restera toujours d’actualité en Tunisie. On n’est toujours pas au même statut que les hommes, en ce qui concerne l’héritage : on n’est pas égaux face à la loi. Il faut que la société évolue et que les politiques prennent conscience que tous les citoyens ne sont pas égaux. On s’est embourbé dans du conservatisme depuis le déclenchement de la révolution, et on disait souvent que ce n’était pas prioritaire… Et cet argument-là, ils le sortiront toujours. C’est pourtant un droit vital et élémentaire d’être égaux. Il faut commencer à changer les lois. C’est ce qui nous fera changer après et bousculera les mentalités.
D’où le fait d’avoir publié votre livre en Tunisie, et non pas en France ?
En France, publier des livres est très compétitif. En Tunisie, on peut facilement sortir du lot, être plus visible, impactant. Je commence par la Tunisie, et on verra bien après….
Sans spolier les lecteurs, a qui fait référence le pronom «Elles» dans le titre ?
A toutes les femmes. Mais on comprend rapidement que c’est des Tunisiennes, ou des musulmanes, qu’il s’agit. Je ne le dis pas directement, parce que je tenais à ce qu’il y ait une universalité dans le roman : je ne dis jamais où ça se passe, je dis des noms qui ne donnent pas vraiment d’indication sur des lieux précis… Je tenais à ce que tout le monde puisse se reconnaître. Donner cette dimension d’universalité, j’y tenais. Ce récit fait sans doute écho à toutes les femmes issues de toutes les classes sociales. A travers mes mots, je pose un problème, une situation, et je tiens à ce que les récepteurs ou les lecteurs en parlent. Je ne prône pas frontalement un engagement ou un militantisme.
Engagement et littérature, parlons-en.
Mes nouvelles ne sont pas toutes engagées. Elles ont quand même traité de sujets tels que la loi 52. J’ai raconté l’histoire d’une personne transgenre en Tunisie, et parlé du viol, de sa complexité dans le monde arabo-musulman et de l’épouse, victime contrainte souvent, sous pression, d’épouser le violeur. Jusqu’aux étudiantes qui se prostituent pour subvenir à leurs besoins… Ce sont des sujets importants qu’il faut déterrer, à mon avis. Qu’il faut admettre.
Une suite de «Elles n’avaient pas le temps» est-elle prévue ? La fin est annonciatrice d’une suite.
Ce n’est pas de refus. Pourquoi pas ? (sourire) Peut-être un autre genre de suite, mais du point de vue de «Jo», le frère. Actuellement, je suis sur un autre projet d’écriture pour enfants dans lequel je raconterai des récits de femmes figures importantes, historiques, ou légendes, mais oubliées par l’histoire ou pas assez représentées et mises en valeur. Ça sera une série de livres qui racontent les voyages d’une petite fille, partie à la rencontre des femmes orientales ou africaines.
« The Event of a Thread » est une exposition artistique faite en fils et textile. Elle a démarré en grande pompe le 27 janvier 2023 et reste accessible à « Central Tunis » et son espace le 15, jusqu’au 11 mars. Cet évènement co-organisé par « La Central Tunis », « Le Goethe Institut Tunis » et l’IFA nous raconte différentes histoires sociales, des récits singuliers d’artistes et constitue un dialogue entre l’Allemagne et la rive sud, le tout, dans une esthétique artistique qui valorise le patrimoine culturel d’ici et d’ailleurs. Inka Gressel, curatrice allemande de l’exposition, nous en parle davantage à l’occasion de son arrivée en Tunisie.
Que pouvez-vous dire à nos lecteurs à propos de l’exposition «The Event Of a Thread», organisée par le Goethe Institut Tunis et la « Central Tunis » et qui est ouverte au public jusqu’au 11 mars 2023 ? Pouvez-vous revenir sur sa genèse ?
Ces dernières années, un certain nombre d’expositions ont mis en exergue l’importance du textile dans l’art contemporain. Leur impact et leur popularité sont sans équivoque. Dans l’univers des Textiles, le traditionnel et le contemporain, les arts et l’artisanat, les connaissances locales et mondiales artistiques fusionnent. Les récits personnels et l’esthétique se mêlent afin de refléter les conditions sociales et économiques des sociétés dans un monde globalisé. Les textiles nous touchent toutes et tous à l’unanimité.
Lors de l’élaboration de l’exposition, Susanne Weiß et moi-même, Inka Gressel, nous nous sommes posé une série de questions — les questions sont toujours un point de départ important afin de concrétiser nos idées : Quelles informations le textile stocke-t-il ? Quelles histoires les tissus peuvent-ils raconter sur leurs origines, leurs significations, leurs utilisations matérielles ou Immatérielles ? Dans quelles conditions économiques et à travers quelles structures sociales les motifs et les divers langages se sont-ils développés au fil du temps ? Comment se transforment-ils quand ils traversent les cultures ? Comment les artistes peuvent-ils enrichir notre compréhension des textiles ? Quelles techniques s’approprient-ils ?
Ainsi, l’événement «The Event of a Thread. Global Narratives in Textiles» porte sur les œuvres textiles dans l’art contemporain, et revient sur des significations et des messages véhiculés par les tissus : leurs significations culturelles, ainsi que sur les façons de les lire. Dans les textiles, nous pouvons découvrir des codes, des symboles et différentes esthétiques. Un tissu révèle-il également quels matériaux sont importants ou comment les techniques migrent, se transmettent ou changent ?
L’exposition présente treize artistes contemporains internationaux d’Allemagne en dialogue avec des artistes locaux. Ainsi, les liens entre les différentes œuvres changent en fonction des espaces culturels dans lesquels elles ont vu le jour et ont pu être regardées. L’exposition vise à s’enraciner dans différents contextes, permettant ainsi l’émergence de nouvelles narrations. Il n’existe pratiquement aucune région du monde dans laquelle les textiles n’ont pas été inscrits dans l’histoire culturelle, économique ou industrielle. Ainsi, à travers cette matière vitale, nous pouvons créer des liens puissants.
Le titre de l’exposition — « The Event Of a Thread » ou « L’événement du fil » — est une citation de l’artiste du Bauhaus, spécialiste en tissu Anni Albers, qui l’a cité dans la préface de son célèbre ouvrage intitulé « On Weaving ». Ses réflexions sur les textiles nous ont interpelés par leur modernisme et leur poésie. C’est par le biais de l’événement — qui se veut matériel, spirituel, visuel — que nous pouvons redécouvrir ensemble des parcours, des personnes, des récits et des contextes, à l’échelle individuelle ou collective. L’histoire de l’atelier textile du Bauhaus joue un rôle important dans l’exposition. Nous avons invité l’artiste berlinoise Judith Raum à examiner de près l’atelier dans l’intention de l’intégrer à l’exposition.
Judith a fait des découvertes étonnantes. En six chapitres, l’installation, intitulée « Bauhaus Space », retrace l’histoire de l’atelier, à l’aide de reproductions de tissus et d’enregistrements de personnages importants tels que Gunta Stölzl et Otti Berger, de Weimar et Dessau, une période cruciale en Allemagne, celle située entre les deux guerres mondiales. Judith a créé un espace qui pousse les spectateurs à toucher et à sentir les matériaux, leur permettant ainsi d’apprécier leurs qualités artistiques.
Avant de vous avoir connue à Tunis en tant que curatrice de l’exposition « The Event of a Thread», vous faites partie de l’IFA, qui est co-organisatrice de l’événement. Pouvez- vous nous présenter brièvement l’IFA ? Quel rôle a-t-il joué dans la réussite de cet événement ?
L’IFA (Institut für Auslandsbeziehungen) a été fondé en 1917 à Stuttgart — dans le sud de l’Allemagne — en tant qu’organisation intermédiaire internationale qui promeut une coexistence entre les peuples et les cultures du monde entier. Nous considérons l’art contemporain comme un vecteur important du dialogue international. L’IFA organise des expositions d’art visuel, d’architecture, de design, de photographie.. etc. Les présentations monographiques et thématiques mettent en valeur des prises de positions d’artistes qui s’expriment différemment, dans une époque actuelle. Avec les expositions itinérantes internationales — comme « The Event of a Thread » — et les programmes d’accompagnement, nous créons des échanges entre les artistes et les institutions de partout et soutenons ainsi l’expansion des réseaux artistiques. Dès 2008, l’ifa s’est consacré à la question de la culture textile mondiale et de sa signification, socialement parlant. Avec le projet d’expositions, l’ifa a initié une plateforme de dialogue sur la mode, l’Afrique et sa diaspora. Comment la signification lue dans les tissus évolue-t-elle au cours des voyages, à travers différents contextes ? Les pièces de Zille Homma Hamid que nous exposons à Central Tunis / Le 15 sont une résultante de ce projet. En tant que co-directrice de la galerie IFA à Berlin et en collaboration avec la galerie IFA de Stuttgart, nous présentons les arts visuels issus d’un monde globalisé et qui puisent leurs sens dans les développements culturels et sociopolitiques actuels (Des axes à thèmes comme les héritages coloniaux dans nos sociétés contemporaines, les questions de migration, les mouvements sociaux ou écologiques sont traités…). Les séries d’expositions donnent un aperçu de ce qui se passe dans les sociétés du monde, dépassant ainsi les frontières.
Avec le programme « Contacts d’artistes « (titre traduit du français à l’allemand), ainsi qu’avec un programme de « Financement d’expositions «, l’ifa soutient la coopération internationale et met en contact les acteurs culturels au niveau international, consolidant ainsi le dialogue interculturel entre l’Allemagne et les pays du sud. Créer, des réseaux artistiques de la sorte, a permis de développer entre autres, cette exposition.
L’exposition a mis en valeur des artistes allemands autour de ce savoir – faire textile, mais également des artistes locaux tunisiens. Quels ont été vos critères de sélection et comment s’est-elle faite?
Les artistes allemands que nous avons invités viennent de cultures différentes. Ils créent à travers la vidéo, la peinture ou autres… De cette manière, nous mettons en exergue la qualité des textiles et la manière dont elle est travaillée, sa beauté et le contexte dans lequel cette matière s’est développée.
En collaboration avec des artistes et des galeristes et spécialistes locaux, l’exposition est enrichie par des œuvres d’art, des performances ou des actions qui donnent vie à de nouveaux récits pertinents, reliant ainsi l’exposition à la ville concernée et à ses textures. Les histoires liées au textile que nous pouvons découvrir dans cette «édition de Tunis» sont le résultat d’une collaboration avec les commissaires locales Emna Ben Yedder et Soumaya Jebnouni de la « Central Tunis ». Grâce à un appel lancé par le Goethe Institut Tunis, nous avons reçu un nombre considérable de candidatures.
Lors d’une visite effectuée en décembre, des commissaires d’Allemagne et de Tunisie, avec le chaperonnage du Goethe Institut Tunis — Andrea Jacob, la directrice et Souhir Buonomo, programmatrice culturel — nous avons demandé à un groupe d’artistes de présenter leur travail et leurs idées, ainsi que leurs visions. Par exemple, Abdesslem Ayed a fait usage de la broderie dans ses œuvres d’art, ce qui nous permet de nous rapprocher d’une pratique ancienne et quotidienne. Nous avons été fascinés par le va-et-vient spatial et temporel que l’on retrouve dans les œuvres d’art, en général. Oumayma Ben Hamza utilise également la broderie et nous a fait prendre conscience de la renaissance ou de la continuité. Dans son travail textile, Asma Ben Aissa crée des paysages impressionnants qui traversent les frontières et se connectent à d’autres que nous retrouvons dans d’autres œuvres, faisant partie de l’exposition. Ces mêmes œuvres puissantes sont pour nous une véritable découverte. Il en va de même avec les nouvelles pièces de Ferielle Doulain Zouari, qui travaille aussi bien avec des matériaux industriels que naturels. Elle construit des liens et créée un dialogue entre ces éléments opposés mais inhérents à l’histoire du textile. Gani Riza, un jeune designer textile basé à Paris, utilise les tapis et la tapisserie pour raconter l’histoire et les origines de sa famille kosovare-albanaise ; il questionne les traditions et souligne le « vivre ensemble » de deux cultures. Safa Attyaoui coud également des fils pour raconter l’histoire de la matière, liée à la famille. Enfin, je tiens à souligner ici l’œuvre révélatrice de Soufia Ben Said qu’elle a présentée lors du vernissage. C’était la meilleure façon de présenter au public ce que peut être un «événement fait en fils». Les tissus font l’architecture de notre corps. Ils nous protègent, nous abritent ; ils sont associés à l’identité, à la transgression, et nous permettent de communiquer.
Comment avez-vous vécu le vernissage de l’exposition à Tunis et en quoi était-il différent des autres pays ?
Il s’agit d’une expérience unique à Tunis qui a permis de valoriser le contenu de l’exposition d’une manière impactante et via une performance. Vous pouvez voir comment l’exposition devient un rempart via lequel il est possible d’établir un réseau local d’artistes avec leur travail autour du tissu, fait d’histoires, de pratiques singulières, d’un savoir-faire qui distinguent cette exposition.
Crédit photos : Hamza Bennour
Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de jazz, s’est emparé de la scène des JMC, lors de sa 8e édition. Programmé en guise de clôture avec d’autres groupes, l’artiste-musicien s’est entouré d’artistes, comme le rappeur Mehdi WMD, Hedi Fahem, Nesrine Jabeur, Omar el Ouaer, Youssef Soltana et Nasreddine Chabli. Ensemble, ils forment «Osool», groupe musical distingué, qui se fraye un chemin, à l’international et qui chante l’identité en ayant un répertoire varié.
Vous participez aux JMC de 2023 en tant qu’intervenant dans des masterclass, mais aussi en tant qu’artiste-musicien programmé sur scène avec votre groupe «Osool». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le groupe s’appelle «Osool». C’est un groupe que j’ai monté il y a 2 ans, pendant la pandémie. À l’époque, il s’appelait «Night In Tunisia». Il a évolué au fur et à mesure. J’ai eu l’opportunité de créer le festival Habibi à New York, premier festival dédié à la musique actuelle du monde arabe. Je l’ai cofondé avec le Joe’s Pub – Public Theatre. Il remplit une fonction importante puisqu’il y a un vide culturel immense spécialement en ce qui concerne la musique actuelle du monde arabe et particulièrement celle du Maghreb aux USA. La première édition s’est faite en 2021, la 2e en 2022. En tant que cofondateur et artiste en résidence, j’ai eu l’opportunité de faire venir des groupes, de les choisir. Je tenais à ce que le groupe «Osool» fasse une tournée aux États-Unis. On a répété à distance, fait un concert à Tunis au théâtre de l’Opéra en 2021, un autre concert à Abidjan (Côte d’Ivoire), puis, c’était autour de la tournée américaine qui a débuté en octobre 2022. Deux soirs à New York à guichets fermés, dans le New Jersey, et on a fini à Duke University en Caroline du Nord. On a aussi enchaîné le travail dans un studio d’enregistrement. Dans le cadre des JMC, j’ai fait trois jours de Masterclass avec Hedi Fahem sur l’improvisation. Le public était diversifié et très présent.
Quel répertoire joue «Osool» ?
Il est plus orienté Jazz. Avec l’équipe, on a réalisé que ce qu’on voulait faire était différent, qu’il fallait mettre le rappeur Mehdi WMD en avant, qu’on voulait aussi écrire le répertoire autour de l’instrument de Hedi Fahem. J’ai donc écrit le répertoire en puisant dans le Hip-Hop, le chant de Nesrine Jabeur et dans le Ouatar. Le jazz reste présent : je suis saxophoniste, musicien de Jazz initialement, mais le jazz est davantage utilisé comme moyen de composition. La musique d’ «Osool» fusionne des sonorités tunisiennes : châabi, stambali. Du tunisien mélangé au Hip-Hop, au Outari donne au final un résultat hybride. Ce n’est pas un mélange forcé : il reflète nos identités. Notre identité commune en tant que Tunisiens ainsi que nos influences. Quand Hedi Fahem m’a parlé de Mahdi WMD, le rappeur, et quand j’ai écouté ses textes, découvert son écriture en arabe littéraire, senti son sens rythmique poussé, j’ai été attiré d’autant plus que ce n’est pas donné à tous de chanter en live. «Osool» surprend, il y a de l’inattendu, et voir notre rappeur s’adapter à cela, c’est excellent.
Que pouvez-vous nous dire davantage sur le Habibi Festival que vous avez co-créé aux USA ?
L’organisation s’appelle Joe’s Pub – public theatre. Ils ont un programme de résidence d’artistes destiné à 5 artistes, chaque année. C’est comme un incubateur qui les aide à monter des projets et à les soutenir. Quand j’étais en résidence dans ce cadre, je regardais énormément de concerts, je vivais là-bas et j’ai réalisé qu’aux USA, il y avait pas mal d’artistes de la diaspora arabe qui n’étaient pas assez représentés par rapport à d’autres identités ou ethnies, ou communautés, venues du monde entier. Aux USA, il y a même une image assez muséale de ce que c’est que la musique au monde arabe, qui se rapporte à l’âge d’or de l’Islam, la musique d’antan… Une image très policée qui ne reflète pas du tout l’alternatif qui bouillonne de nos jours et qui est immensément riche. C’est même sous-représenté aux États-Unis et j’ai fini par en parler au directeur du Joe’s Pub, qui était partant pour l’idée. On a lancé une première édition locale du festival en 2021 dans laquelle on a présenté une panoplie d’artistes pendant 4 soirs. La 2e année, on pouvait faire venir des artistes d’ailleurs, et leur garantir le visa. Un rêve qui se réalise pour moi ! Faire traverser les frontières aux artistes sous Trump pour participer au Habibi Festival, c’est un sacré accomplissement. En 2023, ça continue ! Le public suit et part à la découverte aux États-Unis, ce qui n’est pas le cas en France par exemple où le paysage est garni et reste très différent. C’est une opportunité formidable à saisir pour les artistes étrangers désireux de se produire sur scène aux USA. Je suis franco-tunisien, j’ai grandi en France. J’ai une relation musicale avec la Tunisie, mais je suis aussi beur. Dans ma tête, en tout cas, il y a toujours cette différence que j’essaie de combler, et une volonté de comprendre la Tunisie et le monde arabe. Le festival Habibi est pour moi une manière de reconstituer une identité fragmentée.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille sur un autre disque avec un autre groupe. AJOYO est un groupe avec lequel j’ai déjà joué en Tunisie. J’ai enregistré un disque en quartet de Jazz au mois de novembre. J’ai une série de dates en avril à New York avec Archie Shepp … Et je viens d’avoir un bébé ! (rire). J’espère revenir en Tunisie plus souvent avec ce projet.
Pianiste-interprète, arrangeur, compositeur, producteur musical, Isaac Haddour sait, dans les coulisses, manier les instruments, et la sono depuis de nombreuses années : l’artiste a collaboré sur de nombreux projets artistiques et en travaillant étroitement avec une nouvelle vague de musiciens-artistes, citons Hassen Doss, Mahdi Ayachi, Ghada Maatouk, prochainement, avec Kafon et Asma Ben Ahmed… Pluridisciplinaire par excellence et vivant entre deux rives, Tunis et Paris, il se lance en solo, en présentant au public un projet musical singulier. Rencontre avec une révélation !
Vous venez de terminer le tournage d’un nouveau clip, réalisé par Karim Berrhouma. Il s’agit du 2e chapitre de votre projet musical. Peut-on avoir droit à des spoilers avant sa sortie ?
C’est bien mon 2e chapitre. Le premier était « Araaès Kozah », qui vient aussi de paraître avec Ahmed Landoulsi en voix-off et Ahmed Tayâa en interprète. Ce 2e clip s’appelle « Ghorfa 211 » (Chambre 211), dont le tournage s’est achevé hier. Ces deux chapitres font partie d’un projet qui reste encore sans nom. (Sourire). Le clip fait écho au premier et continue d’avoir comme thématique la femme et son corps, de la mettre en valeur, d’une manière pas commune et la moins commerciale possible. J’aime l’interdit et le tabou, et je tiens à piocher dans cet interdit-là, en Tunisie, à travers ma musique et mes clips. Dans « Ghorfa 211 », on y voit bien le nu féminin : je tiens à ce qu’on perçoit le corps de la femme, non pas comme un objet, mais comme une œuvre d’art, tout en le valorisant.
Votre style musical est assez éclectique. Comment le définiriez-vous ?
Musique du monde et brassage de musique classique et tunisienne, sans pour autant revisiter le patrimoine tunisien. Ce sont des compositions à 100%.
Vous avez longtemps fait partie de cette armée de l’ombre qui travaille dans l’univers musical et artistique, mais dans les coulisses. Et actuellement, vous vous lancez en solo en rencontrant votre public. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer cette étape ?
Je me suis lancé en solo, mais toujours sans couper avec ma carrière initiale. Je travaille toujours en collaboration avec les artistes et je tiens maintenant à lancer mon projet personnel, dans lequel j’aurai l’entière liberté de travailler à ma guise et dans lequel j’aborderai les sujets que je veux, sans pour autant m’éloigner de ma vocation principale : compositeur et arrangeur. Je fais de la musique parce que j’aime en faire et non pas juste pour gagner en notoriété ou devenir trop visible. Je commence par la Tunisie, ensuite pourquoi pas ailleurs ? Quand on évoque des sujets en rapport avec la femme en Tunisie, cela n’a pas la même résonance qu’en France. C’est sans doute plus impactant ici.
Vous avez, à plusieurs reprises, collaboré avec Hassen Doss, Ghada Maatouk, prochainement avec Kafon ou Asma Ben Ahmed. Avec Doss, comment s’est passée votre collaboration ?
On s’entend parfaitement, musicalement parlant. Ça se passe, bien même si des fois, avec lui, tout n’est pas évident (rire). On communique beaucoup, et le résultat final reste toujours édifiant. Mes collaborations artistiques sont bien choisies, bien désignées. Je m’arrête sur leurs attentes, essaie de cerner leur univers, leurs visions, en prenant en considération leur public. J’ai commencé par Ghada Maatouk, Mahdi Ayachi, Enji Maaroufi et plein d’autres et ça continue…
Vous êtes compositeur, pianiste-arrangeur, interprète. Qu’est-ce qui a fait que vous soyez tout cela à la fois ?
Je me suis formé, passionnément en puisant dans les études et en intégrant des établissements de renom. J’aime me distinguer, mon travail plaît à de nombreux artistes et cela ne peut que me pousser à aller de l’avant.
Comptez-vous un jour vous lancer dans la musique de films ?
Oui, mais je dois bien choisir la production, le film et son sujet. Ça va se faire sans doute un jour. Pour l’instant, on attend la sortie de « Ghorfa 211 » et celui du clip d’Asma Ben Ahmed.
Cette semaine, nous rencontrons Mona Belhaj pour son livre «J’ai Peur d’Oublier», paru chez Contrastes/Editions. L’auteure est bien connue du public tunisien pour ses émissions radiophoniques sur Rtci et ses articles de presse dans les colonnes de notre journal, après avoir collaboré à Tunis-Hebdo et à Dialogue. Entre-temps, elle a eu des expériences théâtrales avec Taoufik Jebali dans «Klem Ellil» et «Présent Par Procuration». Depuis les années 2000, Mona entre dans le monde de la gravure et sculpture sur bois sans jamais quitter l’écriture. On la retrouve aujourd’hui pour parler de son livre qu’elle a adapté elle-même pour le théâtre.
Vous venez de publier «Nkhaf La Nensa», un livre écrit en tunisien. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
On ne choisit pas d’écrire, on écrit, voilà tout. Pour moi, c’est une longue habitude, une manière de faire le point, de fixer une idée, une rencontre, un événement particulier. Pendant longtemps, c’est en français que je jetais ces notes. L’origine de mon écriture en tunisien, c’est ma participation à un atelier organisé à El Teatro par Zeyneb Farhat. Je me suis aperçue que je pouvais transmettre des émotions et qu’elles étaient reçues. À partir de ce moment, encouragée par Zeyneb, je me suis mise à écrire, comme si les mots tout d’un coup s’étaient illuminés. Ils disaient d’autres choses, ouvraient des voies d’introspection, installaient des échos, levaient en moi des réminiscences, dévoilaient des scènes du passé jusque-là oubliées. Et puis il y a eu la «révolution». J’ai participé à la manifestation du théâtre court où plusieurs artistes étaient invités par Zeyneb Farhat à occuper la scène pendant une dizaine de minutes. C’est là que j’ai dit mon texte sur les blessés et martyrs de la révolution.
Qu’avez-vous peur d’oublier ?
Nous avons tous vécu des moments troubles où des voix se sont élevées pour rejeter toute forme d’art et imposer une vision nouvelle allant jusqu’à mettre en doute l’identité tunisienne, en proposant leur propre lecture de notre histoire. Cette menace sur notre identité m’a placée dans une sorte d’urgence qui m’a poussée à fixer par l’écriture une mémoire qui se dressait devant moi pour exiger son dû. À travers ces souvenirs personnels, je voulais réveiller la mémoire collective en évoquant des personnages pris dans leur quotidien, loin de toute considération politique ou historique avec un grand «H».
Pourquoi le choix de la langue tunisienne ?
Pour moi, c’était évident. Je ne m’adresse qu’aux Tunisiens. Sciemment je n’ai pas utilisé le langage de tous les jours. Car j’ai voulu rendre hommage à tous ces mots qui portent notre histoire et dont certains trouvent racine dans un passé millénaire. Je dois ajouter que, tout au long de la rédaction de ce texte, je suis tombée sous le charme : chacun de nos mots était à lui seul d’une grande poésie. Nos expressions nous racontent. Elles sont la preuve de notre particularité. Ce sont elles qui m’ont dicté la forme poétique du récit. Notre langue est aussi notre identité. Elle évolue, épouse le présent et, dynamique, elle va vers l’avenir.
Est-ce que vous évoquez une expérience personnelle ?
On part toujours de soi, mais on ne se raconte pas forcément. Il s’agit d’un récit poétique. La narratrice qui vit les événements que traverse son pays a été atteinte par la remise en question de l’identité prônée violemment par certains. Cela l’a fragilisée au point de tomber dans une sorte de délire, qui lui a fait croire que le passé, en effet, pouvait être effacé. Une nuit, elle a vu en songe une grand-mère venue d’un passé lointain qui s’est dressée devant elle, le regard lourd de reproches. Pour la narratrice c’était comme un signal qui lui donnait mauvaise conscience : cette sévérité d’Ommi Nana lui intimait l’ordre de ne pas oublier. C’est alors que des personnages sont venus répondre à sa quête. À travers eux, différents lieux et différentes époques étaient revisités. Ainsi, l’écriture lui permettait de voyager dans le temps et de faire revivre des ambiances et des destins. Reprenant ses esprits, elle sait désormais qu’elle a accédé à l’impossible oubli. L’amour de son pays l’habite depuis toujours et ne saurait mourir en elle… Pour ma part, je précise que tous les visages évoqués ont réellement existé. Ils ne font pas partie de la grande Histoire et sont donc en principe voués à l’oubli. En accédant au statut de personnages ils entrent dans l’immortalité. C’est ma façon de conjurer l’oubli. Je crois en la force de la littérature.
Pourquoi cette nécessité d’en faire une création théâtrale, alors ?
J’ai eu le plaisir et la chance de connaître des expériences théâtrales à El Teatro avec Taoufik Jebali. J’avais aimé le souffle du public. C’est pourquoi a germé dans mon esprit l’idée de faire une adaptation de mon texte. Sur scène, j’ai présenté le monodrame du même titre : «J’ai Peur D’Oublier». J’avais envie de faire entendre les mots et les musiques qui accompagnent les personnages. Et de les faire vivre sous les yeux des spectateurs.
«Rehla», signé Jamil Najjar, réunit une panoplie d’acteurs. Haut en couleurs et à l’humour décalé, ce court-métrage a interpellé l’attention d’un important public durant les JCC de 2022. Ces mêmes spectateurs sont sans cesse à l’affût d’un nouvel humour. Dans la lignée de «Ghasra» et de «Linge sale», ses précédentes réalisations, le réalisateur continue d’user de la comédie intelligente afin d’interroger un vécu, et bousculer. Rencontre au sommet !
«Rehla», votre dernier court métrage, a, à son tour, été vécu comme un voyage. Parlons-en !
Comme je suis de La Goulette, j’ai longtemps été marqué par ces véhicules qui passaient avec toutes sortes d’engins, d’accessoires, qu’on voyait en dessus : pneus, tuyaux, papiers… et différentes choses étranges. Le film tire son origine de ces scènes de la vie qui m’étaient restées en tête. Critiquer à travers l’humour m’a toujours attiré : un humour qu’on peut appeler comédie noire, burlesque, qui pousse à réfléchir… Le film est coloré, à l’image d’un pays beau, le nôtre. «Rehla» était, initialement, un long métrage que je n’ai pas fait, au final. Je n’étais pas prêt. Ce n’est pas aussi facile encore pour moi de retenir l’attention du spectateur pendant 1h30. Je l’ai fait donc en 26 min. Je l’ai remis prémonté pour les JCC de 2022, et il a été heureusement retenu. «Ghasra», mon précédent court, a raflé une quinzaine de prix à travers le monde, sans être retenu aux Journées cinématographiques de Carthage. Ce film se fraye différemment un chemin, et j’ai dû l’achever à distance, en post-production. L’avant-première m’a été proposée au « Red Sea Festival » mais j’ai préféré qu’il passe en Tunisie.
Vous vous êtes toujours distingué dans l’assistanat, et avez réalisé trois courts métrages et une sitcom télé. A quand le long métrage ?
C’est la prochaine étape. Etape par étape. C’est une question de moyens et créer un long métrage en Tunisie nécessite beaucoup de moyens et d’efforts. Je privilégie une bonne écriture et un bon casting. L’écriture, c’est la base pour aboutir à un film de qualité.
L’humour a toujours été votre dada. Pousser à la réflexion, à l’autocritique compte pour vous. Envisagez-vous de changer de registre prochainement ?
J’ai déjà travaillé sur des thrillers, des drames à l’étranger. Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise. Le cinéma pour moi est engagé : nous devons véhiculer des messages à travers le cinéma de l’humour. Le Tunisien suffoque, il veut se divertir. Je tiens à ce qu’il rie, et donc autant rire intelligemment. Le public de «Rehla» récemment a beaucoup ri. Quand ils ont terminé la projection, les spectateurs se sont rétractés, à nouveau. Ils ont ri jaune. La comédie est importante. J’adhère à un humour direct. Le film est retenu pour le Festival de Luxor en compétition officielle. Je croise les doigts pour un prix. Deux projections sont déjà programmées à Paris et à Marseille. Cet humour plaira aux Français et aux Tunisiens, résidant là-bas.
Vous avez campé des rôles par moment comme dans la série humoristique policière de Majdi Smiri «Bouliss». Préférez-vous être devant ou derrière la caméra ?
Après trois ans dans «Bouliss», pour moi, ce n’est pas rien. Je n’ai jamais pensé être acteur, malgré mes cinq ans à faire du théâtre au lycée avec Lassâad ben Abdallah. Je n’ai jamais voulu être devant la caméra. Le contexte, autrefois, m’a poussé à me lancer dans l’acting. On m’a demandé, à la dernière minute, d’incarner le rôle de «Mignon» dans «Bouliss». J’ai beaucoup hésité, je m’étais lancé et c’est sans regret. J’ai beaucoup travaillé le rôle, et la composition du rôle. La preuve, ça a duré trois ans. Etre acteur, je me vois le faire avec et pour des amis, mais ce n’est pas mon métier. J’ai joué le rôle d’un flic dans «A peine j’ouvre les yeux» de Layla Bouzid. Une expérience mémorable.
Jamil Najjar et la télé : vous avez à votre actif la sitcom «Le président», datant d’il y a 6 ans. Que gardez-vous de cette expérience?
La sitcom n’a pas reçu le succès escompté. A l’époque, elle a été même ignorée par les journalistes et les médias. C’était dur ! Je faisais le montage au fur à mesure et j’avais l’impression que ce travail passait inaperçu. Je l’ai pourtant bien écrit. J’ai bien fignolé le montage, le casting, l’écriture. Lors de sa diffusion, c’est comme s’il n’existait pas. Il n’y avait même pas eu de mauvaises critiques. Même les acteurs ont douté du projet. L’audience était plate. Même en ligne, des réactions émanaient de profils douteux, «Fake», et répétaient machinalement des commentaires. De nos jours, on ne parle plus d’un travail de qualité, ce sont les chiffres, les vues et l’audience qui priment. La diffusion ramadanesque est une erreur en soi : «Le président» nécessitait une plus grande concentration. Le public, pendant le mois saint, n’était pas apte à recevoir ce genre d’humour. Les téléspectateurs ne pouvaient pas être assez concentrés. Cet humour est en plus interrompu par la pub. Avec du recul, je dirais que mon traitement était peut-être un peu dur, moins accessible. «Le président» a été revu pendant le confinement, et il a fait écho, bien après sa première diffusion. «Attessia» l’a rediffusé récemment.
Quelle vision portez-vous sur le cinéma tunisien de ces 10 dernières années ?
J’apprécie beaucoup ce que la nouvelle vague fait. Au-delà de la subvention, il faut continuer à réaliser des films, même à petit budget. On a un gros problème de distribution. On est en manque profond de salles de cinéma. Les scénarios, les techniciens et les acteurs tunisiens sont les meilleurs dans le monde arabe. On a du succès dans tous les pays arabes, et partout où on passe. Même en Egypte, pays réputé pour son cinéma, on excelle. Pourquoi ne pas faire du cinéma commercial ? Le cinéma tunisien manque de comédies. Mais ce qui est préoccupant, surtout, c’est le manque de salles. Il faut en ouvrir davantage. Nous manquons de volonté pour ouvrir des salles de cinéma, qui sont actuellement concentrées à Tunis ou dans sa banlieue. C’est insuffisant. Il faut partir dans les régions et travailler sur un modèle économique fiable pour assurer la pérennité d’une salle de cinéma. Tant qu’on a des jeunes tunisiens qui montent, qui créent, qui sillonnent le monde et qui résistent, je reste confiant.
Quels sont vos prochains projets ?
Je ferai tourner «Rehla» dans des festivals à travers le monde. Je le donnerai à des associations, gratuitement, pour le projeter. Je viens de terminer le tournage du prochain film saoudien de Dhafer Al Abidine en Arabie Saoudite. J’ai réalisé un documentaire que je vais sortir prochainement «L’Armée blanche tunisienne», hommage au travail acharné des médecins effectué pendant la pandémie. Il a été tourné pendant le confinement général. Ce film est contre l’oubli. Il rappellera une période dure. Je n’ai fait qu’une seule projection pour les médecins à l’IFT. Il a été très bien reçu. La sortie est pour bientôt. J’ai écrit une sitcom «3 Cats», mais pas pour la télé.