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« Dans la peau de l’autre » de Pepe Elmas Naswa. Cie Pepenas :  « La danse du Serpent » à l’honneur
REPORTAGES10 / 8 / 2022

« Dans la peau de l’autre » de Pepe Elmas Naswa. Cie Pepenas : « La danse du Serpent » à l’honneur

La République Démocratique du Congo est à l’honneur ce soir au théâtre Municipal de Tunis. Toujours dans le cadre de « Dream City », à partir de 20h30, le public peut découvrir le spectacle de danse «Dans la peau de l’Autre » de Pepe Elmas Naswa / Cie Pepenas.


Après une série de concerts musicaux programmés dans le cadre de la 8ème édition de « Dream City », place à la danse au théâtre municipal de la Capitale. Le 9 octobre, les artistes s’emparent de la Place Beb Souika à partir de 17h afin de présenter aux passants leur performance.


« La danse du serpent », venue tout droit de Kinshasa a été valorisée à travers ce travail scénique développé par Pepe Elmas Naswa, qui en aout 2016, a pu découvrir cette art local pratiqué dans le cadre d’une fête populaire.

Cette danse est pratiquée à Kinshasa au Congo par les enfants de la rue et les jeunes gangsters de la région, couramment appelés « Les Chégués » et « Les Kuluna ».

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Une danse transposée à Tunis sur scène, et qui est révélatrice du malaise d’une partie déshéritée et désabusée de la jeunesse congolaise. Un cri d’alerte, exprimé à travers les corps, qui peut faire écho à d’autres jeunesses appauvrie dans le monde.


Le spectacle est dansant : chorégraphie contemporaine engagée et musique traditionnelle revisitée accompagnent les danseurs congolais. Sept interprètes exprimeront un langage corporel hybride, universel, qui fait résonner un chaos sonore et visuel, émanant notamment des nuits nocturnes enflammées de Kinshasa. Pepe Elmas Naswa a procédé à des ateliers de réflexions avec ses danseurs.


« Dans la peau de l’autre » est l’aboutissement d’ateliers de créations et de réflexions. Un travail qui a initié tous les artistes participants à « la danse du serpent ».


Un art qui sera présenté au public tunisien dans le cadre de « Dream City ».



« Dans la peau de l’autre » de Pepe Elmas Naswa. Cie Pepenas : « La danse du Serpent » à l’honneur
Essia Jaïbi, metteuse en scène et dramaturge : «J’aime que le théâtre soit le sujet et l’outil»
ENTRETIENS10 / 4 / 2022

Essia Jaïbi, metteuse en scène et dramaturge : «J’aime que le théâtre soit le sujet et l’outil»

Dans «Métamorphose #2» d’Essia Jaïbi, le spectateur est comme happé dans un espace/temps parallèle. Immersive et saisissante, la performance théâtrale d’une quarantaine de minutes pousse à la réflexion grâce à la portée de sa thématique et est distinguée par sa mise en scène et son aspect technique. Enrichie par l’interprétation de Jalila Baccar, elle s’inscrit dans un théâtre contemporain, anti-conventionnel, propre à la metteuse en scène et dramaturge.

Crédit photo : L'art Rue et Bachir Tayachi


«Métamorphose» rime avec «Transformation», «Mutation» et surtout «Incarnation», comme c’est le cas dans «Métamorphose #2», votre dernière création en date, programmée dans le festival «Dream City 2022». D’où émane cet intérêt pour cette thématique en particulier ?


Le thème de la «Métamorphose» était présent dans ma tête depuis un bon moment. Il avait pris de l’ampleur pendant la pandémie du Covid-19. Un thème qui m’avait davantage hanté pendant cette période critique et je ne savais pas comment l’exprimer : je n’avais pas envie d’en faire un spectacle en entier ou d’écrire un texte. C’était flou ! Quand l’association «l’Art Rue» a proposé son format particulier du DPDW en 2021, et qui consistait à créer de petites performances digitales, ça a fait tilt ! J’avais cette envie de travailler le digital et je trouvais que le passage du vivant au digital était une «Métamorphose» et une transformation pour l’artiste. C’est ainsi que s’est présenté le cadre qui correspond à cette thématique. J’ai donc commencé à explorer : Au départ, j’avais exploré dans «Métamorphose #1» le mythe de Narcisse que j’ai transformé en incluant «Echo», le personnage féminin dans le but de ne pas axer uniquement ma création sur le personnage masculin de Narcisse. Sur cette base, j’ai retravaillé ou métamorphosé le mythe original. Depuis, quand on m’a reproposé de travailler sur ce même thème en octobre 2021, j’avais envie de l’explorer encore mais d’un angle plus proche de moi. Et la toute première métamorphose que j’ai connue dans ma vie était celle de ma mère Jalila Baccar, la comédienne. Elle n’a jamais cessé d’incarner différents rôles en passant d’une vieille dame à une journaliste, activiste ou à une Serial Killer. Quand j’étais petite, ce n’était pas clair pour moi : la différence entre le réel et la transformation n’était pas limpide pour l’enfant que j’étais. J’ai fini par comprendre, au fur à mesure du temps, le sens de toutes ces métamorphoses. Au fur à mesure que j’évoluais, je comprenais ce que c’est qu’une «Métamorphose» et saisissais son lien avec la réalité.


  • «Métamorphose #2» est un dialogue et c’est écrit comme un dialogue".

Concernant la forme et la genèse de la performance : «Métamorphose #2» —que beaucoup ont découvert en ligne— s’est, à son tour «métamorphosée». Pouvez-vous revenir sur sa conversion du virtuel au format actuel ?


D’habitude, on fait du théâtre, du live et on le filme pour que cela passe au digital. Ici, c’est le contraire qui s’est produit. Dans «Métamorphose #2» en digital, j’ai travaillé principalement afin de créer une image pour la caméra. Tout était axé sur la caméra et il y en avait trois : on travaillait sur la lumière, le regard et c’était très technique. La temporalité de la création a changé : on est passé de 20 min à 40 min en creusant beaucoup plus les thématiques qu’on avait survolées dans le DPDW. Esthétiquement, je suis revenue à la scène, ce qui offre des possibilités multiples en prenant en considération le regard du spectateur ou comment retrouver son regard en vrai. C’est un enjeu en soi ! L’aspect technique est toujours présent mais il s’est transformé pour garder l’essence de «Métamorphose #2» tout en s’adressant à quelqu’un du public qui est présent et qui regarde directement ce qui se passe. C’est une autre intensité qui s’en dégage !

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«Métamorphose #2» se déroulera pendant toute la 8e édition de «Dream City» et jusqu’au 9 octobre 2022 à Dribet Dar Hussein, ce lieu de la médina, qui n’a rien d’une scène de théâtre. Est-ce un choix voulu ? Est-ce une manière pour vous de continuer à faire du théâtre dans ou en dehors d’une salle ou d’une scène classique mais en cassant avec le théâtre conventionnel ?


C’est les deux à la fois ! Même si on me donne une scène de théâtre, j’ai souvent la convention théâtrale scène/salle comme c’était le cas dans «Madame M» où je fais monter le public sur scène. Comme dans «Flagranti» aussi où une partie de la pièce se passe soit dans les gradins soit à partir de la rue en arrivant sur scène. J’aime beaucoup faire cela ! Dans le cas de «Métamorphose #2», vu qu’on est dans «Dream City» qui nous offre la possibilité d’explorer des lieux qui ne sont pas théâtraux, j’ai dû faire un choix entre trois lieux en optant pour Dribet Dar Hussein. Un lieu que j’ai beaucoup aimé par son cachet, par son côté vieux, esthétiquement, chargé de rugosité. Un lieu en contraste par rapport à la forme que j’ai fait prendre dans «Métamorphose #2», cette fois-ci : celle qui lie modernité et histoire. Une rencontre que j’aime beaucoup faire. Un lieu rempli d’histoire, un lieu où les vieilles pierres sont présentes et/où on vient installer quelque chose de très contemporain, qui ressemble à la performance actuelle. Ceci reste un challenge parce que quand on sort d’un théâtre, souvent on ne possède pas les conditions habituelles, mais cela offre d’autres larges possibilités pour explorer autrement le rapport scène/salle, public/acteur.


Le théâtre est le meilleur outil pour s’interroger lui-même. C’est un art qui est infiniment riche et qui permet de faire beaucoup de choses.

«Métamorphose #2» est aussi une écriture commune…


Ma mère a beaucoup plus d’expérience que moi en écriture et en dramaturgie. Ce qui était intéressant surtout, c’est la rencontre de nos visions différentes du théâtre. Elle a sa manière à elle d’écrire, j’ai la mienne. Je suis beaucoup plus décalée dans ma manière d’écrire. Elle, elle est beaucoup plus frontale. On n’écrivait pas réellement ensemble mais on se rencontrait pour en discuter, pour décider de ce qui reste, de ce qui s’enlève et pour trouver le commun dans tout cela. Un processus qui était très enrichissant et différent de ce que j’avais fait avant sur d’autres spectacles. «Métamorphose #2» est un dialogue et c’est écrit comme un dialogue.


Votre performance est un dialogue qui se déroule entre Jalila Baccar et vous. Dans quel but avez-vous opté pour cette construction ? Quelle est la portée de ce dialogue et son importance pour vous et pour le public ?


Tout l’intérêt était là ! Celui de confronter ma vision à la sienne, de mettre ce rapport mère/fille, comédienne/metteure en scène, deux femmes qui ne sont pas de la même génération, qui vivent dans un même pays sans avoir le même âge. Deux regards différents sur ce pays, cet art qu’on pratique toutes les deux, sur deux expériences de vie différentes. Chacune ne parlait pas ou ne racontait pas toute seule. Dans «Métamorphose #2», c’était «comment se rencontrer pour raconter à deux ?».


Peut-on dire que «Métamorphose #2» fait écho à la carrière de Jalila Baccar et aux personnages phares qu’elle a déjà interprétés ?


Pas uniquement. C’est vraiment une petite partie de ce qu’est «Métamorphose #2». Oui, on fait appel à ses personnages qui la hantent mais qui m’ont hanté moi aussi et qui reviennent souvent dans un geste, dans un mot, dans une posture. Souvent, c’est à peine perceptible dans une phrase, dans un terme… Mais ce n’est pas l’axe central dans la création. Ça l’était davantage dans la version digitale mais on avait envie d’aller plus loin : c’est toujours présent parce qu’on fait appel à ses propres métamorphoses mais cette fois-ci, elle vit également une nouvelle métamorphose puisqu’elle joue un nouveau rôle et c’est ce qui est intéressant.


Dans cette création, c’est du méta-théâtre pour nous : on fait du théâtre pour parler du théâtre lui-même, en traitant aussi de notre rapport à cet art.
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Dans «Madame M», vous avez mis en scène Jalila Baccar dans le rôle de «Malika». Dans «Métamorphose #2», vous la mettez en scène aussi. C’est un travail de mise en scène effectuée sans doute différemment. Où réside cette différence ?


(Rire), c’est en effet très différent. «Madame M» est mon premier spectacle. Un travail effectué en groupe. Jalila Baccar n’était pas seule sur scène : il y a eu un long processus effectué avec les autres comédiens et comédiennes pour qu’on comprenne l’histoire et pour que Jalila trouve sa place : elle a suivi notre rythme en ayant un regard bienveillant sur nous et en acceptant que nous étions en train d’apprendre. Sa présence m’avait beaucoup aidée et encouragée et sur scène, c’était un personnage intégré parmi d’autres. Dans «Métamorphose #2», elle est seule sur scène et on est allé beaucoup plus profondément dans les sujets qu’on traite. Ici, dans cette création, c’est du méta-théâtre pour nous : on fait du théâtre pour parler du théâtre lui-même, en traitant aussi de notre rapport à cet art. Comme projet, c’est beaucoup plus personnel. On est allé chercher ailleurs et bien plus loin. Trois ans après, j’ai acquis plus d’expérience depuis «Madame M». Je suis plus confiante pour la diriger dans le cadre d’une performance où elle est seule sur scène. Rappelons que c’est la 2e fois que Jalila Baccar est seule sur scène. La première était dans «A la recherche de Aida» en 2000. Et là, oui, on est un tandem mais il ne faut pas oublier qu’il y a toute une équipe, derrière, mobilisée pour concrétiser ce travail : il s’agit de tout un travail collectif, l’énergie de tout un groupe nécessaire à la réalisation de «Métamorphose #2».


Que pouvez-vous nous dire, sans «Spoiler», sur l’aspect technique distingué de cette performance ?


Pour moi, la technique est très importante, de nos jours, pour faire du théâtre. Elle est très présente dans nos vies et je tiens à la mettre au service du théâtre que je fais parce que cela nous permet d’aller plus loin dans certaines choses et me permet d’être ancrée dans mon époque, dans mon temps et de m’adresser aussi au public que je veux large. Pour cela, il y a un grand travail de recherche, de fabrication, d’expérimentation, qui avance en amont de la direction d’acteurs et du travail de comédienne et de metteure en scène. Que ce soit par rapport à la lumière avec Bastien Lagier, à la musique avec Karim Htira, à la scénographie avec Mohamed Ouerghi et Bastien aussi, Hajer Chaouch, Feirouz Sendesni, Elyes Yahyaoui, Sourour Saidani, Boutheina Nabouli… On a exploré des choses qui étaient nouvelles pour nous mais qui nous permettent d’aller plus loin dans ce qui est une performance théâtrale aujourd’hui. Il y a toute une équipe et tout un travail qui se fait en parallèle au reste et, sans cela, ce que je ferais en tant que dramaturge serait peut être intéressant mais pas assez mis en valeur. Le théâtre est un tout, surtout dans cette performance, maintenue dans un lieu tel que «Dribet Dar Hussein», où il fallait recréer beaucoup de choses.


Le passage du vivant au digital était une «Métamorphose» et une transformation pour l’artiste.

«Métamorphose #2» est un échange aussi autour du théâtre. Peut-on dire qu’elle interroge votre existence en tant que metteure en scène de nos jours ?


(Rire) Je saurai peut-être répondre à cette question à la fin de «Dream City» ! J’interroge tout le temps mon rôle en tant que metteure en scène. Je voulais que cette interrogation s’intensifie quand je suis dans un rapport en duo avec ma mère, son expérience à elle, son talent. Ce questionnement est aussi un processus : on passe par des périodes de doute, de réflexions. On se demande souvent «Pourquoi on fait ce métier ? Quelle est notre place ou rôle au sein de cette société ?». Des questionnements toujours présents à chaque création, mais peut-être qu’ils prennent plus d’ampleur dans une œuvre comme celle-ci.


Dans vos précédents accomplissements, vous avez déjà interrogé le théâtre comme dans «On la refait !», ou «Klash!». Est-ce que dans «Métamorphose #2», cette interrogation s’inscrit toujours dans la continuité de votre travail ?


Cela s’inscrit ! Je suis d’accord. J’aime que le théâtre soit, à la fois, le sujet et l’outil parce rien n’est acquis dans le théâtre non plus. Ça rejoint cette idée de transformation des lieux et des conventions. A chaque fois, j’ai envie de parler du théâtre pour savoir où on en est et ce qu’on a envie d’en faire, nous en tant que nouvelle génération. «Comment on perçoit cet art ? Qu’est-ce qu’on garde et qu’est-ce qu’on a envie de renouveler ?». C’est un processus permanent et le théâtre est le meilleur outil pour s’interroger lui-même. C’est un art qui est infiniment riche et qui permet de faire beaucoup de choses.


Depuis mai 2022, «Flagranti», votre dernière pièce de théâtre en date, continue simultanément sa route et sa percée. Elle est également programmée dans le cadre de «Dream City»…


Je suis très contente de retrouver «Flagranti» aussi. (Rire) Une expérience totalement différente, et autre, à l’opposé de «Métamorphose #2». «Flagranti» est un projet, produit par «Mawjoudin We Exist» et coproduit par «L’Art rue». Il compte énormément pour moi et je pense qu’il fait son bout de chemin et pas sans difficultés. Il traite d’un tabou qui est encore très mal perçu de nos jours. Il est difficile d’en parler en Tunisie. Je considère qu’il est donc nécessaire d’en parler de nos jours, et quand le théâtre prend en charge ce genre de sujet, cela me permet de réfléchir différemment le sujet. C’est un spectacle qui raconte autre chose du pays, une autre facette et qui touche ici la majorité des gens qui viennent le voir. Vous pouvez venir le voir prochainement dans le cadre du festival « Jaou Tunis » (le 9 octobre 2022 à 19h00) à la salle le Rio, le seul espace qui nous a ouvert ses portes.

Essia Jaïbi, metteuse en scène et dramaturge : «J’aime que le théâtre soit le sujet et l’outil»
Anis Lassoued, réalisateur : «“Gadeha” est la greffe d’une société sur l’autre»
ENTRETIENS10 / 3 / 2022

Anis Lassoued, réalisateur : «“Gadeha” est la greffe d’une société sur l’autre»

«Gadeha-une seconde vie» d’Anis Lassoued peut être vu comme une fable, hymne à la vie et à ses aléas. Le premier long-métrage du réalisateur évoque la préadolescence de «Gadeha», ce jeune enfant à la destinée exceptionnelle. «Gadeha-une seconde vie» est un film doux-amer, sorti dans les salles le 28 septembre 2022. Anis Lassoued, son réalisateur, nous en parle davantage.


Vous avez, à votre actif, de nombreux courts-métrages et réalisations. «Gadeha-Une seconde vie», votre dernière réalisation, est actuellement dans les salles. Le thème de l’enfance a souvent fait partie de votre univers et ce premier long-métrage l’atteste…


Afin de réaliser ce film, on a pu avoir la subvention en 2017. Chema ben Chaâbène et moi, on a commencé à développer. Un développement qui nous a pris deux ans de travail pour trouver l’argent, les partenaires du film, les sponsors, les fonds, etc. L’idée de «Gadeha», je l’ai entamée avec Chema ben Chaabene: l’écriture de ce film a été menée à deux. L’écriture, cette étape de base, mène ensuite à la mise en scène : on commence à écrire ses personnages, à les connaître… La coécriture, pour moi, a toujours donné ses fruits. C’est ma manière de travailler : c’est aussi cela «Développer son écriture». L’écriture ce n‘est qu’une étape, parmi d’autres, de la préparation d’un film : l’écriture, c’est la réalisation, la mise en scène, le montage. Ce travail accompli sur «Gadeha» vient après le succès national et international de «Sabbat el Aid», mon court-métrage qui a sillonné de nombreux pays, 200 festivals de cinéma et manifestations, et a bénéficié d’une distribution en France, en Tunisie, en Chine et est passé même en Inde. J’ai tourné une série de documentaires, toujours centrés autour de l’enfance. Chronologiquement, ce film s’inscrit dans la continuité de mes réalisations. «Gadeha» a subi de plein fouet les aléas de la pandémie du Covid-19, ce qui a aussi ralenti sa sortie.


«Gadeha-Une seconde vie» se déroule à Hammamet. Un film puissant par son aspect citadin, contrairement à tes précédentes réalisations qui se passent dans des régions rurales….


En effet, je passe au fil de mes réalisations de la nature sauvage au village, puis à l’urbanisation et à la vie citadine. Dans «Gadeha», j’ai choisi la grande ville de Hammamet avec ses composantes : ses touristes, ses institutions, sa police … en optant pour deux dialectes tunisiens, je miroite deux classes sociales présentes et visibles dans le film. Le film tourne autour d’un noyau familial déchiqueté des suites du déménagement d’une famille pauvre, issue d’une région rurale et de son adaptation, pas du tout évidente, dans une ville côtière.


Peut-on dire que «Gadeha-Une seconde vie» traite d’une lutte des classes sociales ?


Ce même noyau familial fragilisé subit la fuite de la figure paternelle, raconte l’abandon d’une mère et de ses enfants… «Gadeha» est la greffe d’une société sur l’autre. C’est la métaphore du film que j’ai concrétisé avec l’histoire de la greffe du rein et qui a permis aux destins des deux familles, l’une pauvre et l’autre riche dans le film, de s’entrechoquer. Deux familles qui ont opté pour des arrangements moraux afin d’aboutir à un vivre-ensemble.

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Votre film traite de thématiques assez lourdes. Est-il pour tout public ou destiné davantage à un public jeunes/enfants ?


Je fais un film sur l’enfance et pour l’enfance. Je dépends de cette thématique. Le film est vécu à travers des yeux juvéniles. Ma cible, c’était les jeunes et les enfants de l’âge de «Gadeha». L’enfant qui vit toujours en décalage par rapport à l’adulte : tout ce qui paraît normal pour un adulte est vécu en catastrophe par l’enfant et l’adolescent. Notre vécu, en étant enfant, peut nous marquer à vie, changer notre perception de la ville et impacter notre relationnel. Certains comportements peuvent être fatals. «Gadeha» est une balade visuelle vécue à travers les yeux de cet enfant, héros du film, interprété par Yassine Tormsi. Questionnements, interrogations du petit n’ont cessé de surgir. On a opté, Chema ben Chaâbene et moi, pour une écriture qui n’est pas classique et qui consiste à regarder à travers les yeux de «Gadeha» : si le personnage ne sait pas, le public ne pourra rien savoir. C’est l’instantanéité du moment et du vécu qui est mise en valeur et qui fait la construction du film. On permet au spectateur de vivre cette expérience comme il a envie de la vivre : on se dégage de «Gadeha» ou on se laisse glisser dans la peau de «Gadeha». La caméra devient collée à l’enfant, jusqu’à la fin du film. On ne fait rien de la mère, de la sœur, du père évoqué… J’ai laissé à chacun la liberté de comprendre les personnages du film et la libre interprétation de comprendre les événements aussi. Le spectateur construit son histoire, le cheminement.


Pour le choix des acteurs, la plupart sont méconnus. Etait-ce voulu ?


Ce sont des enfants. Et c’est très difficile de trouver des enfants comédiens en Tunisie. J’ai pu les repérer des suites d’un casting sauvage : j’ai passé une année à chercher «Gadeha» et l’interprète de Oussema, des deux motards, de la petite fille… jusqu’à avoir trouvé Yassine Tormsi. J’ai fait des interviews filmées aux enfants retenus : il y a cette sensibilité que l’enfant dégage, sa présence, comment il parle de sa vie… Il faut en savoir plus sur l’enfant pendant le casting. J’ai contacté de nombreuses écoles pour trouver Ahmed Zakaria Chiboub, le 2e enfant acteur. «J’ai casté» une cinquantaine d’enfants pour dénicher les motards. Pareil pour la petite fille que j’ai vue par hasard, dans la rue avec son père. «Borkana» est interprétée par une dame que j’ai rencontrée à Bizerte «Dorsaf Ouertatani» qui n’a jamais joué auparavant. Elle a fait écho au rôle avec sa présence, son apparence et son fort caractère. Trois mois avant le tournage, on a fait un atelier de théâtre. Et avec l’aide de Fatma Felhi, on a «coaché» les enfants acteurs aussi et leurs doubles, parce qu’il faut toujours avoir un double sur des tournages pareils. Encore plus important, le dialecte et le langage prononcé par ces enfants : les dialogues ont émané et ont été extraits de la bouche des enfants au fil de l’écriture. C’est ainsi qu’on a construit cette fiction mélangée à la réalité.

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Le film nous a permis de revoir des acteurs connus comme Jamel Laroui ou Anissa Lotfi. Comment s’est fait le contact avec eux ?


En effet, j’ai pris contact avec Jamel Laroui qui n’a pas joué depuis plus de 14 ans. J’avais besoin de lui pour le rôle d’un bel homme, qui a de la présence, père d’un enfant, marié… Il a été très heureux d’incarner le rôle. Anissa Lotfi a un âge et crédible : son regard malicieux est unique. Elle épousait le rôle.


Le tir-à-l’arc est un sport qui a fait partie intégrante du film. Comment s’est déroulée cette initiation et quel est son sens ?


On a fait deux mois d’entraînement de tir-à-l’arc pour tous les enfants. C’était aussi une occasion de les divertir et de les «coacher» avec l’entraîneur de l’équipe nationale. Cela faisait partie des préparatifs du tournage. Autant de préparatifs qu’on devait accomplir en ayant la confiance des parents et avec leur assistance. Quand j’ai des enfants sur le tournage, j’organise un déjeuner, chez moi, à Nabeul, en présence de ma famille et des familles de mes enfants-acteurs : ça rassure ces derniers quand ils connaissent mes parents, ma famille à moi, mon environnement. Cela nous rapproche ! Huit semaines avec cinq enfants sur le tournage ont nécessité un très grand effort et un travail double. Il faut entretenir cette patience en groupe : celle de l’équipe technique, des enfants, des parents, de tout le monde sur le plateau. On ne peut être que reconnaissants du travail de toute l’équipe technique du film.


Le film allait s’appelait «L’arc», un objet central dans le film…


«L’arc» est la métaphore par excellence du film : cet instrument nous a inspirés. Le rôle des parents c’est de tirer les enfants le plus possible vers le futur. Les arcs sont cassés dans le film et les enfants tournent les arcs contre les parents. Un geste qui rime avec «Mauvaises décisions» et «mauvais choix des parents.». L’arc est lié à la cible et l’enfant évolue vers la fin. Une fin qui tend vers l’évolution. Je tiens à préciser que je ne condamne personne dans ce film et que la dignité de chacun et chacune des personnages est valorisée. C’est un film sur l’amour, le partage, la colère, l’amitié. On fera en sorte de le projeter aux adolescents, aux enfants, en présence des parents et du corps enseignants des institutions éducatives. Mon objectif est de le passer dans 100 collèges et que des adolescents collégiens puissent le voir au maximum.

Anis Lassoued, réalisateur : «“Gadeha” est la greffe d’une société sur l’autre»
Lamine Nahdi : «Tisser du comique, c’est un don !»
ENTRETIENS10 / 1 / 2022

Lamine Nahdi : «Tisser du comique, c’est un don !»

«Nmout Alik» est le dernier spectacle de Lamine Nahdi, adapté et mis en scène par Moncef Dhouib. Une comédie noire sur scène présentée face à un public large : à travers ce spectacle théâtral, le duo tourne en dérision une Tunisie profondément affectée par les difficultés socio-économiques et politiques post-révolutionnaires. Truffée d’humour noir, «Nmout Alik» entame actuellement une tournée hors Tunis.

«Nmout Alik», votre dernier spectacle en date, adapté et mis en scène par Moncef Dhouib, est en route pour Sfax, pour sa première représentation en dehors de Tunis…


En effet, nous entamons les représentations en dehors de la capitale. Après les premières représentations à Tunis, nous partons à la conquête du public ailleurs, dans des conditions sanitaires difficiles liées à la propagation du covid-19. Les spectateurs seront présents et tiennent à soutenir le spectacle. Par «public», je veux dire le grand public dans son sens le plus large dont la réaction a été formidable. Les spectateurs sont de tout âge. Même notre élite nationale, qui se fait discrète ces derniers temps, est venue voir le spectacle. Des noms célèbres ont répondu présents et cela ne peut que nous ravir. Des personnalités du théâtre qui donnent leurs avis, qui en discutent, qui échangent autour du travail, c’est important ! Cet intérêt fait réellement plaisir. Espérons que le spectacle pourra tourner convenablement en pleine 5e vague.


Comment se sont passées ces retrouvailles avec Moncef Dhouib ?


Moncef Dhouib et moi, nous nous connaissons très bien depuis les années 70. Il y a une très forte alchimie au travail entre nous. On se comprend, on est compatibles. C’est une relation qui ne date pas d’hier. On sait où on va. «Nmout Alik» nous a pris deux ans de travail, tout de même. Sa première était attendue à Carthage l’année dernière avant l’annulation de l’édition à cause de la pandémie. On l’a finalement présentée au Théâtre municipal. D’une durée d’1h40, le public voulait en voir quand même davantage. Le public l’a vue de bout en bout et en voulait même beaucoup plus.


«Nmout Alik» est une adaptation du «Le suicidé», une œuvre littéraire russe de Nikolai Erdman. Pourquoi ce choix précisément ?


Moncef Dhouib est plus apte à répondre à cette question. Son style d’écriture est très présent dans ce travail : les réactions, les opinions, les tournures… Depuis «El Makki we Zakkia», «El Karrita», on a travaillé même ensemble au cinéma et sur plusieurs autres projets. L’écriture de «Nmout Alik» m’a été proposée, il m’avait mis dans le bain, dans le contexte : le texte m’a séduit immédiatement par la construction des personnages, les rebondissements. Dans le théâtre, quand le travail est élaboré étroitement entre comédien et metteur en scène, le résultat final est sans doute impactant et de qualité. Moncef Dhouib a son empreinte et il est très ouvert à l’échange.


La Tunisie actuelle est une inépuisable source d’inspiration. Elle peut être source de comédie humaine, noire, et forcément drôle. Qu’en pensez-vous ?


Pas uniquement la Tunisie, mais le monde entier. L’art comique est parti avec les légendes d’antan. Le grand problème du théâtre de nos jours se trouve au niveau de l’écriture. L’écriture est la base, et pour réussir une bonne comédie, il faut une écriture de qualité. Notre théâtre tunisien regorge de talents, âgés, et appartenant à la nouvelle génération, hommes ou femmes talentueux. On ne manque de rien pour faire du bon théâtre : les techniciens, les anciens du secteur… mais l’écriture de qualité au théâtre manque à l’appel. Il faut un bon texte surtout pour aboutir à une bonne comédie. Ce n’est pas la matière qui manque. Il y a toujours beaucoup à traiter. Tisser du comique, c’est un don. Celui qui en fait doit être intégré dans sa société, dans son milieu, et doit être connaisseur, curieux. Un bon acteur est celui qui sait s’imposer et conquérir son public. Il faut s’imprégner, se cultiver : les sources de connaissances sont de nos jours inépuisables.


La comédie, selon vous, touche-t-elle plus que la tragédie ?


Absolument. Surtout l’humour noir, grinçant et la comédie noire. «Apprendre en jouant, en s’amusant, en plaisantant», c’est nécessaire. Passer du comique au tragique est tout aussi important, et il faut savoir bien le faire.


«Nmout Alik» est donc une comédie noire ?


Clairement. Même très noire. Les spectateurs étaient tiraillés entre le comique et le tragique, ils étaient sur leurs gardes, au début, et étaient à la recherche de rebondissements. Je pense qu’ils ont été servis. Leur retour était extraordinaire. Il s’agit, en plus, d’un public averti. L’accueil était à la hauteur. Une tournée nationale et internationale promet de se poursuivre jusqu’à fin avril. Canada, Paris, Belgique et festivals nationaux et internationaux sont au programme.

Lamine Nahdi : «Tisser du comique, c’est un don !»
«Mirath Music : l’exposition sonore itinérante » : Musique itinérante
REPORTAGES9 / 29 / 2022

«Mirath Music : l’exposition sonore itinérante » : Musique itinérante

C’est dans son jardin que le Goethe-Institut de Tunis accueille, du 26 septembre au 1er octobre 2022, un public, attiré par des sonorités recherchées, venu vivre une exposition sonore itinérante, comme on en voit rarement. Dans la continuité de son itinéraire qui se déroule en Afrique du Nord, du Nord-Est et en Asie occidentale, «Mirath : Music» est accessible, cette semaine, au public tunisien.


L’itinérance rime avec immobilité, et cette spécificité, «Mirath : Music» la tient de son passage au Soudan, à la Jordanie et en Allemagne. Place actuellement à la Tunisie. Le jardin du Goethe-Institut Tunis vivra, pendant 6 jours, aux rythmes de sonorités créées par 8 artistes, issus des régions citées. Ces mêmes musiciens sont imprégnés par différentes cultures, issues de divers milieux géographiques et ont un point commun central : le patrimoine culturel musical de leurs pays, qu’ils/ elles se sont permis de revisiter afin de réaliser cette exposition sonore. «Mirath : Music» ou «Patrimoine:musique» se réfère à des patrimoines musicaux diversifiés prônés grâce aux musiciens participants et au soutien des antennes du Goethe-Institut, de 7 pays: Palestine, Soudan, Algérie, Irak, Libye, Liban, Jordanie et Tunisie.


Des sonorités musicales émanent des coins du jardin, spécialement aménagé à l’occasion de cette exposition musicale. Cet accomplissement se repose sur une approche curatoriale expérimentale, propre à chaque musicien-participant. Individuellement, les 7 artistes ont puisé dans un patrimoine musical historique, issu de lieux et d’époques distinctes. La documentation riche, rédigée et affichée pour les visiteurs, permet d’en savoir davantage sur l’approche musicale de chaque musicien et musicienne, tout en écoutant leur musique.


L’approche et la ligne directrice de l’exposition ont été largement discutées et élaborées, en amont, par les musiciens-exposants dans le cadre d’un atelier en ligne d’une durée de 6 jours. Ils/elles sont parvenu(e)s à mettre en valeur, musicalement et individuellement, le patrimoine musical de chacune de leur région. Toutes et tous ont puisé dans des aspects qui leur sont propres et auxquels ils/elles sont attaché(e)s. Les musiciens ont su ainsi exploiter musicalement les contextes sociopolitiques dans lesquels ils vivent et présenté l’aboutissement de leur travail dans le cadre cette exposition sonore collective.


Au fil de la déambulation, tout en lisant et en écoutant leurs différentes pistes réalisées, des thématiques retentissent liées à la liberté, à la reconnaissance, à l’appartenance à une culture locale, aux combats sociétaux, et à cette volonté propre aux musiciens de préserver leur patrimoine culturel unique. L’Algérienne Amel Zen, la Kurde Hajar Zahawy, le Soudanais Mohamed Adam, Ghassen Sahhab et Mustafa Said de l’Egypte, la Tunisienne Rehab Hazgui, Zaid Hilal de Palestine et Yacoub Abou Ghosh de Jordanie ont conçu 14 pistes musicales spécialement pour «Mirath : Music» en maniant différents instruments musicaux propres à leurs régions. La documentation de l’exposition a été validée par l’artiste et éditeur Christina Hazboun. L’exposition sonore itinérante est accessible au public gratuitement de 14h00 à 20h00 dans le jardin du Goethe-Institut Tunis.

«Mirath Music : l’exposition sonore itinérante » : Musique itinérante
«Rebel» d’Adil El Arbi et Bilall Fellah : Le terrorisme esthétisé
REVIEWS & CRITIQUES9 / 20 / 2022

«Rebel» d’Adil El Arbi et Bilall Fellah : Le terrorisme esthétisé

L’exode en masse de citoyens à travers le monde pour une Syrie islamique fantasmée a marqué la décennie précédente et a inspiré d’innombrables films et séries télé traitant de l’endoctrinement religieux de Daech. La Syrie du Calife est, depuis, presque dissoute, mais continue à alimenter quelques dernières sorties cinéma. «Rebel» d’Adil el Arbi et Bilall Fellah, en salle depuis le 31 août 2022, tire son épingle de cette thématique récurrente… ou peut-être pas assez !


Fellah et El Arbi, deux nouvelles coqueluches de la réalisation à Hollywood, traitent dans «Rebel» du terrorisme en tentant de le synthétiser. Pari risqué et relevé à coups d’effets spéciaux, d’acteurs remarquables, de bande sonore attrayante… Et de scénario peu original.


Après une succession de frasques et d’égarements à Molenbeek, en Belgique, Kamal coupe les liens avec son foyer (sa mère plus précisément) et part rejoindre un organisme humanitaire qui vient en aide aux victimes de la guerre en Syrie. Une fois sur terrain, le jeune homme se retrouve embourbé dans des actions terroristes, embarqué par un groupe armé affilié à Daech et bloqué à Raqqa. Parallèlement, son petit frère, resté en Belgique, se fait endoctriner par un groupe de fanatiques religieux, installé en Europe et qui finit par l’embarquer en Syrie. Leur maman, magistralement interprétée par Lubna Azabal, désemparée, part chercher son fils cadet dans une Syrie, déchiquetée par la guerre.


Les frères belges se sont fait une place rapidement dans la Mecque du cinéma mondial en réalisant «Bad Boys 3», «Miss Marvel» ou prochainement «Batgirl». A travers ce long-métrage, les frères se ressourcent et reviennent aux origines, en optant pour un drame, inspiré de faits vécus, ayant eu lieu dans leur pays d’origine, la Belgique. Ils décortiquent l’essence même de ce fléau, son emprise du corps et du mental des victimes, dans un Occident ciblé et peu immunisé de «l’Etat Islamique». Le film est fort d’une mise en scène attrayante et d’une direction d’acteurs maîtrisée : au fil de l’histoire, de nombreuses victimes sont disloqués par le terrorisme. Les ravages d’une idéologie meurtrière sont élégamment relatés, dans ce long-métrage qui parvient à allier langage corporel, danse, musique, arts et violences inouïes, causées par l’E.I.


Des scènes chorégraphiques et de chant ponctuent le film sur 2 heures 15 d’horreur, agissant ainsi comme des intermèdes qui laissent respirer le spectateur dans ce chaos narré… Ces mêmes intermèdes qui ennuient, donnant lieu à une production qui oscille, entre musique et drame sur grand écran : Un «Rebel», Ovni.


Ce spectacle sur grand écran reste esthétique certes, mais se noye dans une horreur redondante, vue et revue et qui reste peu en phase avec l’actualité mondiale. «Rebel» fait surgir des mots enfouis, des douleurs physiques et des blessures de l’âme. Des prouesses filmées font également l’éclat de «Rebel», à travers des plans –séquences de guerre, saisissants de terreur, sublimés d’affrontements, d’exécutions et de tueries. Une horreur esthétisée qui panse un scénario peu original. A l’affiche du film, Aboubakr Bensaihi, Lubna Azabal et Amir el Arbi. Le film est distribué par Pathé BC Afrique en Tunisie et en Afrique.

«Rebel» d’Adil El Arbi et Bilall Fellah : Le terrorisme esthétisé
A la rédaction du journal La Marseillaise : Journalistes africains en immersion
REPORTAGES9 / 6 / 2022

A la rédaction du journal La Marseillaise : Journalistes africains en immersion

L’association «Médias & Démocratie» a permis à un noyau de journalistes mauritaniens, algérien, tunisien et burkinabé de participer à une immersion de qualité dans la rédaction du journal La Marseillaise. Retour sur expérience !


La partie pratique d’un programme de formation, conçue pour des journalistes africains a débuté dans les locaux d’un journal historique. 9 journalistes participants —dont 6 Mauritaniens— se sont rendus à la rédaction de La Marseillaise.

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Le président du journal, Léo Purguette, entouré de son équipe, les accueille dans une salle de conférences. En observateurs, ces derniers assistent à la réunion de rédaction, effectuent une visite des locaux et prennent connaissance du fonctionnement de la rédaction, ainsi que de son aspect historique. L’immersion d’une durée de deux jours a permis aux journalistes-invités de découvrir la structure d’une rédaction qui tient toujours à sa version papier, tout en accordant de l’importance à sa version web et en entretenant une visibilité en ligne pour ses lecteurs.

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«Nous avons investi dans un nouveau site et dans une liseuse numérique qui nous a permis de réaliser de nouveaux abonnements 100% numériques. Nous croyons au “Bimédia”, à la complémentarité du web et du papier», commente Léo Purguette, président et directeur éditorial du journal La Marseillaise.


Les visiteurs ne peuvent rester indifférents face à la fresque du peintre marseillais Pierre Ambrogiani (1907-1985), spécialement offerte au journal. La pérennité de La Marseillaise est puisée dans son histoire : elle représente l’imprimerie de La Marseillaise et ses ouvriers du livre en plein travail.

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Les rédactions, qui se succèdent, valorisent près de 8 décennies d’existence, notamment en conservant l’archivage. «Nous avons conservé nos archives depuis les débuts, y compris des archives du Petit Marseillais, le journal qui existait auparavant dans ce même bâtiment qui nous abrite. J’ai, par exemple, retrouvé un de ses suppléments féminins intitulé Eve et qui date de 1922. Un siècle !», cite Léo Purguette.


En 2022, garantir la survie d’un journal historique est le fruit d’un travail d’équipe laborieux, mené au quotidien par des journalistes, attachés à l’éthique du métier et à ses fondements. La Marseillaise continue d’exister à Marseille tout comme le quotidien La Presse de Tunisie, vieux de 86 ans. Les deux rédactions croient au renouvellement générationnel, point commun important. «Nous tentons de demeurer fidèles à l’esprit de la Résistance et à ceux qui nous ont précédés», conclut Léo Purguette au sujet de La Marseillaise.


*Article et immersion effectués dans le cadre d’une formation en journalisme organisée par «Médias & Démocratie»

A la rédaction du journal La Marseillaise : Journalistes africains en immersion
Dora Dalila Cheffi, artiste peintre et visuelle  : «Je me suis réconciliée avec mes deux identités»
ENTRETIENS6 / 22 / 2022

Dora Dalila Cheffi, artiste peintre et visuelle : «Je me suis réconciliée avec mes deux identités»

« Prestige », accessible au B7L9 jusqu’au 17 juillet 2022 est une exposition vécue comme une déambulation dans les us et coutumes festifs des mariages tunisiens. Créer en fusionnant humour, couleurs, savoir et fantaisie, Dora Dalila Cheffi parvient à retenir l’attention de son public. L’artiste se confie sur ce qu’elle considère comme son « mariage » attendu.


«Prestige» est votre toute première exposition d’envergure maintenue au B7L9 à Bhar Lazreg. Une exposition qui vous tient particulièrement à cœur…


J’ai fait deux expositions solo auparavant, mais c’était des projets indépendants, minimes. Une autre exposition collective à Paris a eu lieu, sous la pandémie. Je suis également passée par la galerie Selma Feriani, une galerie danoise, et même à « Gabès Cinéma Fen », dans sa 4e édition récemment, dans la section K.OFF. Je suis impatiente de mener à bout cette exposition, ce travail. Je suis curieuse de montrer mon travail en Tunisie pendant toute cette période, mais également de le présenter en Finlande. Après l’université, je suis rentrée en Tunisie. Je me demandais comment être visible en Finlande, en étant ici. Mes deux identités devaient être visibles dans mon travail. C’est important pour moi. Je reste très curieuse à l’idée de voir comment va être reçu mon travail en Finlande éventuellement.


«Prestige» est une exposition tournée essentiellement vers la thématique du mariage. D’où viennent cette fascination et cet intérêt ?


Quand j’étais plus jeune, je venais chaque été à Sfax chez la famille de mon père et à chaque fois, j’assistais à un mariage. En Finlande, c’est un tout autre rythme de vie. J’étais fascinée par l’ambiance, l’atmosphère, les us et coutumes. L’aspect carnavalesque et kitch m’impressionnait. Les mariages et celles et ceux qui prennent part à cette fête sont mis sur leur trente et un à leur manière. Ils se ressemblent, sont habillés presque de la même manière, ont presque la même attitude. Leur frénésie identique m’attirait. Esthétiquement et à mes yeux, c’était attrayant.


Mais votre rapport au mariage tunisien n’est pas juste esthétique…


Evidemment. Il y a certes l’aspect esthétique, mais aussi le social. Il y a des degrés. Personnellement, j’ai commencé à découvrir cet univers quand je suis arrivée ici. A chaque fois, ce sont des questions qui se posaient, des tableaux qui s’ancraient dans ma tête. Des mots qui me sont lancés : «Quand est-ce que tu vas te marier ?» Et tout le jargon et les souhaits qui vont avec le mariage typique tunisien, son déroulement. J’ai donc décidé d’offrir à mes proches un mariage : cette exposition, ce vernissage.


L’exposition «Prestige» est vécue comme une immersion, un éventail de rencontres, illustrés avec de la céramique, de la sculpture, de la peinture et de l’art visuel…


J’ai effectué une performance avec «Rafram» pendant le vernissage. On m’a donné carte blanche au B7L9. Les tableaux qu’on voit dans l’exposition sont le fruit de repérages, de moments, de souvenirs, d’une longue période d’observation, de réflexion, avec un clin d’œil à la culture juive et qui rappelle «Rafram». Rafram est un artiste. Il performe et il est passionné de cuisine. Il est chef culinaire spécialiste et, depuis son retour en Tunisie, il se focalise sur cette spécialité. Je l’ai approché : il m’a parlé des traditions juives en Tunisie et je l’ai fait participer à ce travail.


Le clin d’œil à la mixité des cultures est-il prémédité ?


Je suis mixte. J’ai deux cultures : la tunisienne et la finlandaise. Quand j’ai pris conscience des traditions en Tunisie et des habitudes typiques dans notre pays, je me suis rendue compte que les gens ne faisaient que s’imiter. Il ne s’agit pas d’esprit religieux forcément. L’habit traditionnel ici n’est pas forcément islamique. C’est le résultat de plusieurs millénaires de mixités culturelles venues du monde entier et qui ont nourri notre pays. La Tunisie était un carrefour civilisationnel et nous l’avons hérité au fil des siècles dans nos traditions. Ma mixité deviendra normale après des années et des siècles. Je me suis réconciliée avec mes deux identités. Mon mariage, c’est mon exposition.


Les œuvres-vidéo interpellent…


La première est faite sur le toit de la station d’art avec Amenallah Atrous. Tout est personnel et émane de mon entourage, de mes proches. Tout ce qu’on voit dans «Prestige», y compris le culinaire, le show, la danse qui mixe féminité et masculinité, est tiré de mon vécu. J’évoque ma perspective. Ma perception des choses. La joie que je vois, l’ambiance, le traditionnel, le conservatisme, le mariage libre : Tout m’inspire. J’avais des idées reçues avant de plonger autant dans ce savoir relatif au mariage tunisien. C’est un univers présenté ici avec une touche de sarcasme et de sérieux ! Vous êtes invités à mon mariage qui s’étend jusqu’au 17 juillet 2022 au B7L9.

Dora Dalila Cheffi, artiste peintre et visuelle : «Je me suis réconciliée avec mes deux identités»
L’acteur Aziz Jebali : «Transmettre toute cette folie au public est important»
ENTRETIENS5 / 9 / 2022

L’acteur Aziz Jebali : «Transmettre toute cette folie au public est important»

Aziz Jebali est Talel dans «Baraa» de Sami Fehri, «Borghol» pour la 2e année consécutive dans «Ken Yamakanech» de Abdelhamid Bouchnak et continue de cartonner dans «Terre 2.0» sur scène. L’artiste revient sur son actualité récente prolifique au cinéma, à la télévision et au théâtre. Rencontre.


Crédit Photos : Beyram ben M'Rad


«Terre 2.0» a été présentée quelques années et a revu le jour dans sa nouvelle formule pendant Ramadan. Quelle est sa genèse ?


C’est un projet qui a été conçu à «El Teatro» dans le cadre d’un mini-festival qui se tenait à l’époque, dédié aux «avant-premières». Environ trois représentations ont été faites, suivies de quelques cycles à une époque où je n’avais pas encore de public, que je ne faisais que du théâtre, sans micro, dans de petites salles… Je m’étais dit qu’il faut la retravailler et la ressortir, juste avant le début de la pandémie qui a évidemment beaucoup retardé le travail. Il s’agit d’une modification de la pièce effectuée parallèlement à mon évolution personnelle en tant qu’artiste. Dans «Terre 2.0», j’ai fini par ajouter de nouveaux personnages, de nouveaux effets, comme les projections, en réécrivant quelques parties, y compris la fin… Le spectacle a, en effet, beaucoup changé depuis sa création jusqu’à maintenant.


Peut-on dire que c’était le moment pour vous de vous lancer dans le «One Man Show» ?


«Terre 2.0» reste un monodrame. J’avais deux choix : opter pour le renouveau total en étant satisfait, ou le présenter à un large public qui ne le connaît pas et d’éviter ainsi de le laisser aux oubliettes. J’ai préféré davantage le développer pour que le public le découvre et éviter de passer à un autre projet. «Terre 2.0» est atemporel, universel qui n’a rien à voir avec l’actualité. Un spectacle que je pourrais faire en plusieurs versions et le présenter partout. Le présenter en supprimant, ou en ajoutant de nouveaux personnages et d’autres axes.

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Mais le spectacle reste fondamentalement tunisien…


Il est 100% tunisien en se basant sur la composition des personnages. On y évoque même «une tunisification» en cours. Les personnages sont représentatifs des Tunisiens. J’aimerais créer une parité entre ces mêmes personnages et à travers laquelle des transformations se feront. Mais c’est clair que, pour le moment, tout reste fondamentalement tunisien. Les personnages sont issus de mon enfance, ils sont inspirants. J’ai commencé par deux personnages en plein casting et ils se sont depuis multipliés.


L’affiche du spectacle est très parlante…


Elle a été conçue par Farah Henchir, une amie graphiste qui vit au Portugal. Il s’agit d’une nouvelle affiche et elle est, en effet, parlante. Farah, en se basant sur le synopsis, a fait le nécessaire. J’en suis satisfait.


De la scène à la télé. Cette année, on vous a découvert dans le rôle de Talel avec «Baraa» de Sami Fehri et vous avez rempilé pour la 2e saison de «Ken ya Makanech» de Abdelhamid Bouchnak…


Pour «Baraa», je devais jouer un autre rôle que Talel. Je devais faire Karim, le rôle interprété par Amine Ben Salah. Le premier jour du tournage, on m’a proposé celui de Talel. Je ne tenais pas à ce que les deux tournages se chevauchent. Heureusement que ça n’a pas été le cas, d’autant plus que les deux personnages sont totalement différents. Le rôle de Talel paraît ne pas avoir une marge de jeu importante mais l’interpréter était tout de même difficile : Talel est passif, il exécute, il ne parle pas beaucoup, il ne passe pas à l’action, il n’est pas attachant, il est intrigant, il est présent tout en étant distant… Et il reste quand même expressif physiquement et très présent. Il est antipathique. C’était nouveau pour moi d’incarner un personnage pareil. Entre «Borghol» et Talel, il y a un monde. Je ne suis pas comédien et je ne veux pas qu’on me classe : je suis preneur, je varie les rôles et je me dois d’interpréter tous types de personnages. Ce n’est pas le rôle de Talel qui a fait parler, c’est plus le sujet et je l’avais vu venir d’avance. Les dommages causés par Ouanes sont bien plus voyants. Les réactions du public, pour moi, étaient excellentes. C’est satisfaisant. Et je suis encore plus satisfait du travail collectif élaboré.


Selon la note finale de «Baraa», il y a de fortes probabilités qu’une suite puisse avoir lieu l’année prochaine et que le personnage de Talel évolue…


Une suite n’est toujours pas confirmée pour l’instant, mais l’idée que le personnage évolue est présente. On veut bien, pourquoi pas ? Le succès était au rendez-vous. Pareil pour «Ken ya Makanech». Nouveau souffle, nouvelle étape.


En quoi cette saison était-elle différente de la 1ère ?


On a travaillé avec beaucoup plus d’assurance. On était plus relax, moins de stress. L’année dernière, il y a eu beaucoup de pression : on se posait des questions, et on se demandait si on devait aller jusqu’au bout, se lâcher, ce qu’allaient être les retours. On savait où on allait cette année, il y a beaucoup plus de rires, d’humour. L’épisode des pharaons était remarquable. Qu’on puisse transmettre toute cette folie au public est important. Le scénario était plus maîtrisé. Il n’empêche que certains préfèrent la première saison. Vivement la prochaine folie…


Comment décrivez-vous votre rapport au théâtre, au cinéma et à la télévision ?


Ils sont complémentaires, mais le théâtre me nourrit et me permet de me donner davantage dans le cinéma et la télévision. C’est la base. Quand on endosse 8 ou 9 personnages sur scène, ça peut prendre des années. Un temps plus important sur scène est nécessaire pour une meilleure maîtrise. Le théâtre reste le moteur. C’est clair. Se trouver dans du cinéma commercial est bien aussi : travailler tout et rester preneur. Le cinéma du genre ou d’auteur est bien également. Pour la télévision, j’aimerais davantage jouer en dehors de Ramadan. C’est intense de se retrouver dans cette spirale pendant quelque temps et étrange à la fois d’être à l’arrêt jusqu’au prochain Ramadan. Il faut que cela change. Entre les acteurs connus et la nouvelle génération, le niveau était globalement élevé à la télévision.


L’émergence des plateformes de streaming peut-elle changer la donne, selon vous ?


Oui. Si les sponsors suivent l’évolution et commencent à travailler avec ces mêmes plateformes et à produire leurs propres films et séries et à en faire des productions originales. Le travail doit, en effet, se faire à la longue. Le visionnage ne se fait pas gratuitement aussi : on paye pour des plateformes à l’étranger, pourquoi ne le ferons-nous pas en Tunisie? Beaucoup de travail reste à faire.

L’acteur Aziz Jebali : «Transmettre toute cette folie au public est important»
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