
Le premier long-métrage de Mohamed Ali Nahdi puise dans des évènements majeurs qui ont fait et défait l’actualité houleuse, et souvent violente d’une Tunisie postrévolutionnaire, entachée par des dérives terroristes, depuis le déclenchement de la Révolution de 2011. Nécessaire, certes, mais redondant.
L’histoire peint une Tunisie amochée par une crise politique majeure, celle de 2011 et de sa dite «révolution du Printemps ou du Jasmin». Le scénario resitue son public dans une période de la Tunisie qui paraît lointaine, et rafraîchit la mémoire d’un peuple tunisien, jusqu’à nos jours, meurtri mais résistant, à l’aide d’images d’archives, de reportages médias vrais, tout en relatant l’histoire de Moez. Ce jeune Tunisien est issu d’un milieu défavorisé, dont le rêve est de devenir comédien, et qui voit sa vie prendre un tournant inattendu, un jour, lors d’une interpellation policière. Le destin de Moez se confond avec celui d’un fanatique religieux beur aux desseins dangereux. Commence alors une course-poursuite pour semer les autorités, jusqu’à immersion dans l’endoctrinement religieux et la fabrique du terrorisme, ou comment créer des bombes humaines à retardement.

Sans beaucoup dévoiler l’intrigue exacte, le film oscille entre scènes d’action, d’affrontements entre forces de l’ordre et courants extrémistes. Moez se retrouve embourbé dans une situation qui le dépasse, aux répercussions conséquentes et sur sa personne, mais aussi sur sa famille et ses proches. Démuni, il se laisse happer dans une succession d’évènements… jusqu’à voir une lueur au bout du tunnel ?
Les échanges des deux protagonistes dévoilent au fur et à mesure un aspect de leurs deux personnalités, deux hommes totalement à l’opposé l’un de l’autre, mais qui finiront par tracer ce bout de chemin périlleux ensemble et malgré eux.
«Moez : Le bout du tunnel» est un essai sur grand écran qui fusionne fiction et aspect documentaire. En alternant récit fictif et véritables extraits de faits réels, comme les attaques terroristes au musée du Bardo, ou des reconstitutions, comme le meurtre de feu Chokri Belaïd, le spectateur se perd dans des scènes saccadées, à la portée initialement nécessaires. Les deux acteurs principaux Saïf Manaï et Akram Mag portent le film tout au long de cette route périlleuse vers la mort. «Moez : le bout du Tunnel» est une histoire fictive virevoltante, vue et revue, traitée différemment dans un nombre incalculable de films étrangers et tunisiens. Un long-métrage qui se distingue, néanmoins, par son aspect documentaire utile, contre l’oubli.
Ce projet devait être une série télévisée avant de se convertir en long-métrage, qui a pris des années à voir le jour. Leïla Chebbi, Slah Msaddak, Lamine Nahdi, et des acteurs, comme Mohamed Ali Midani et Moncef Aguengui sont à l’affiche. Après une série de courts-métrages, Mohamed Ali Nahdi souligne la nécessité de s’arrêter sur cette époque difficile de l’histoire de la Tunisie.

Rachid Ouramdane, artiste chorégraphe français, directeur de la danse au Théâtre de Chaillot depuis avril 2021, a été invité par le ballet de l’Opéra de Tunis, en résidence, dans le cadre d’une session intensive avec les chorégraphes tunisiens du ballet de l’Opéra durant cinq jours. Ce talent a été accompagné par un jeune circassien, Hamza Benlabied.
L’occasion pour le public tunisien, dans un futur proche, de découvrir une création qui verra le jour à Tunis, résultante d’une collaboration et d’un travail communs qui aura lieu sur la durée entre communauté de danseurs, circassiens et chorégraphes des deux rives de la Méditerranée, chaperonnés par Rachid Ouramdane, qui sera dans la transmission d’un savoir-faire, et dans le partage d’expériences. Ce bref, mais intense passage à Tunis, trace les prémices d’une création et d’un enrichissement artistique garanti.
Ce travail artistique est une occasion de voir fusionner de nombreux imaginaires qui existent entre communautés d’artistes venues de toutes parts : Ouramdane est à Tunis et tient à capter l‘actualité, à se familiariser dans l’environnement du travail, et à être observateur.
Il s’est fait accompagner par un jeune acrobate, Hamza Benlabied, porteur et circassien, riche d’un parcours prolifique : il est diplômé de l’Ecole nationale marocaine du cirque Shems’y, de l’école préparatoire de Rosny-sous-Bois, puis du Centre national des arts du cirque à Châlons-en-Champagne. A son actif, la création « Mobius », de la compagnie XY dont il fait partie et qui a été travaillée avec Rachid Ouramdane. Le jeune artiste enchaîne depuis avec la création suivante —toujours avec ce dernier— titrée « Corps extrême ».
Hamza enchaîne en commentant son expérience : « Dans le cadre de cette immersion, le but est de mélanger les mouvements acrobatiques et de danse : j’interviens là où il faut ajouter un peu de ce que je pratique. C’est intéressant de voir jusqu’où les danseurs participants du Ballet de l’Opéra de Tunis sont à l’aise dans des mouvements au sol, étoffant ainsi un savoir inédit et des pratiques nouvelles pour eux ».
L’idée de faire intervenir ces deux artistes a émergé quand la compagnie XY devait se produire sur scène à Tunis en 2021. Créer un spectacle pour le BOT, signé Ouramdane dans le cadre d’un travail élaboré en commun est très important, selon Malek Sebai, directrice artistique du Ballet de l’Opéra de Tunis.
La compagnie XY, dirigée par Rachid Ouramdane, est une référence au niveau national, dans le monde de l’art aérien et dans l’acrobatique. Une compagnie qui, dans son mode de fonctionnement, invite souvent d’autres artistes d’une autre discipline artistique à dialoguer, créer et inventer à partir du langage acrobatique des spectacles, d’où la création du spectacle « Modius ».
« Depuis que j’ai rencontré ce collectif en 2019, je vois bien qu’il y a une façon d’inventer, de chorégraphier, de faire des mouvements de la scène qui restent hybrides, particuliers, et qui font partie des arts des gestes. Tous les mouvements peuvent avoir une sensibilité, exprimer des choses. Des acrobates et circassiens peuvent exprimer des messages, des émotions, en les créant avec des enfants, des migrants, et tous profils confondus. Il faut une grande dextérité et une maîtrise de ce savoir-faire, car fusionner le langage acrobatique et chorégraphique et parvenir à réunir deux mondes artistiques, ou plusieurs disciplines est délicat ».
Rachid Ouramdane précise aussi qu’une immersion se doit de se faire sur place et que le contact entre artistes et membres d’une même équipe est essentiel. « J’ai besoin de rencontrer les personnes avec qui je vais travailler et être sur place. Une semaine, c’est court pour apprendre à se connaître. Ce principe d’immersion, c’est d’arriver avec des choses existantes, de confronter les artistes à des partitions et de mettre les mains sur des aspects déjà très aboutis. Ce n’est pas qu’exploratoire. On va vers des choses écrites avec rigueur, dansées ou interprétées déjà par des virtuoses et des professionnels. »
Un dialogue générationnel entre artistes s’entretient toujours : entre anciens et nouveaux. La génération récente a un parcours plus large : les anciens ont un rapport traditionnel à une discipline. Le croisement des arts reste enrichissant. Au-delà de la discipline et des figures, il y a une communauté au service de l’autre. Ouramdane cite : « Ce qui me plaît quand je travaille sur de grands groupes, c’est cette capacité à créer ensemble et à transmettre au public. Tout travail est engagé et politique. Beaucoup d’enjeux et de messages sont transmis. Mobiliser un public sur une heure de spectacle et arriver à l’interpeler, c’est important. Agir en collectivité, en duo ou en solo n’est pas antinomique. »
« Ce travail n‘est pas juste une commande de spectacle : c’est créer ensemble, faire comprendre quels sont les enjeux de notre métier, faire réfléchir sur l’humain qui importe pour les danseurs du ballet de l’Opéra. », conclut Malek Sebai. Ce travail est soutenu par l’Institut Français de Tunisie.

L’immersion s’est faite chez lui : une adresse à l’abri des regards, de l’extérieur ordinaire, mais qui fait office d’atelier, galerie et lieu de création pour Mehdi Benedetto, artiste spécialiste en mosaïque et sculpteur. C’est ici même qu’il accueille toutes celles et ceux désireux de découvrir son art.
Nous traversons un verger pour accéder dans l’antre de l’artiste, décoré par de nombreux objets conservés, comme des huîtres, des pierres semi-précieuses, des souvenirs divers, dénichés lors de ses sorties en mer ou dans la montagne. Quelques créations sont conçues à la main. Il faut savoir qu’ailleurs de chez lui, l’unique thébaïde de l’artiste reste la nature.

Les artisans sur place, maniant la pierre, construisent des œuvres et font des reproductions d’œuvres connues. Des vasques imposantes faites avec de la pierre très spéciales sont exposées. Des œuvres conçues grâce à des techniques mélangées rendent le résultat final très fin. Le marbre reste très présent et visible dans toutes les créations de Mehdi Alexandre Benedetto : des œuvres à l’allure imposante, très attractives : tables, vasques, miroirs, poutres, qui trouveront probablement leur place dans des constructions somptueuses. Son salon est couvert d’œuvres exposées, dont une qui vient de voir le jour après 8 mois de travail acharné et de concentration: la pièce contient 16.000 pierres minuscules. Mehdi Benedetto est une valeur sûre à l’étranger : souvent, il a été désigné pour décorer les vitrines d’Hermès et a livré à cette marque mondiale de maroquinerie, de prêt à porter, de parfums, de mode et de joallerie de nombreuses commandes, en travaillant en étroite collaboration avec feu Leila Menchari, décoratrice d’Hermès, et ce, depuis plus d’une dizaine d’années.
La conception de ses créations, suggérant socles et consoles, entre autres, les rend puissantes et uniques. Benedetto profite de ses évasions et de ses moments de communion avec la nature, dans les sites forestiers, montagneux ou sous-marins, pour y puiser la matière nécessaire à son inspiration et à son travail distingué. Il a longtemps baigné dans diverses cultures, issues de ses origines et influencées par ses voyages. Initié à la sculpture depuis son plus jeune âge, il entretiendra sa fascination pour la pierre très tôt. Il a été diplômé de l’Ecole d’art et de décoration de Tunis, et c’est en enchaînant les expériences qu’il nourrira son savoir-faire. Il accumulera, ensuite, les petits projets personnels : sa participation en tant que décorateur sur des plateaux de tournage de cinéma et au théâtre l’enrichira… Début des années 2000, il se fera un nom en faisant partie des trois meilleurs artistes artisans tunisiens. Il écumera les expositions personnelles et collectives en Tunisie et en Europe : la galerie Sema, Viaduc des Arts à Paris, la fondation Luciano Benetton, Hermès le connaîtront… Benedetto a également participé dans l’exposition collective « Turbulence » et dans l’édition d’un prestigieux concours d’art contemporain le « GemlucArt ». Passionnés d’arts ou collectionneurs peuvent se rendre à son atelier situé à Gammarth supérieur pour découvrir son univers.

Avec l’émergence des réseaux sociaux et leur omniprésence dans le quotidien de plus des trois quarts de la population mondiale, les relations humaines ont subi des transformations, souvent positives, liées à la proximité, à la diffusion rapide de l’information, à la prise de contact instantanée. En revanche, les dérapages relationnels et les pièges, en grande partie liés à l’arnaque, ne manquent pas : à un clic près, l’internaute lambda n’est jamais à l’abri d’un danger aux proportions considérables.
Facebook et la Tunisie sont étroitement liés, voire indissociables depuis le déclenchement de la révolution de 2011. C’est dire qu’en Tunisie, tout se fait non pas en ligne, mais sur cet espace bleu qui n’a cessé d’évoluer depuis plus de 13 ans.
Ce réseau social devient la source à consulter spontanément, générateur de toute information aussi importante soit-elle : personnelle, professionnelle ou liée à l’actualité économique, politique, sportif ou autres. De nombreux ministères n’ont pas de sites internet, mais des pages Facebook. Toute information qui touche à la collectivité ou à l’individu défile sur le Feed de Facebook en premier lieu… et non pas ailleurs.
La prépondérance de cette machine virtuelle et son enracinement dans le quotidien de la masse nourrissent un terrain propice aux pièges à risques d’ordre financier, et impactent terriblement la psyché de la masse. Souvent, des dérapages en ligne pourront porter atteinte à l’intégrité physique d’un utilisateur. L’un des dangers les plus fréquents reste lié aux arnaqueurs en ligne, demandeurs d’aumône, ou suceurs de sommes d’argent pharamineuses : ces derniers parviennent à manipuler à coup sûr de nombreux utilisateurs (tout âge confondu), quitte à les soumettre à des chantages souvent insoutenables.
Pendant des périodes, la prolifération de liens douteux reçus via Messenger signale l’existence d’un spam, qui, à première vue, paraît comme une offre promotionnelle liée à une grande surface, qui ressemble à la publicité d’un jeu, d’une promotion d’achat, ou de souhaits de bon Aïd ou d’un clément Ramadan.
Souvent, les internautes «Facebookeurs» s’empressent de cliquer, curieux de découvrir ce que c’est, mais se retrouvent empêtrés sur des pages aux liens indésirables, et renvoyés vers des fenêtres, qui ne demandent qu’à ce que les utilisateurs finissent par insérer des mots de passe ou des numéros de cartes de crédit ou de téléphones.
Un piège qui soutire les données personnelles de nombreux utilisateurs, surtout les plus naïfs d’entre eux/elles et les entraîne dans des manipulations nuisibles.
En 2018, Ahmed L*, la trentaine, n’a plus eu accès à son profil Facebook, ni à son Messenger et encore moins à son mail. Un pirate s’était approprié son espace virtuel, en s’accaparant ses échanges personnels, voire intimes, et s’était mis à contacter ses proches, en leur dévoilant des détails très intimes de sa vie privée.
Une manière extrêmement vicieuse de la part du pirate qui poussait Ahmed* à lui remettre une somme d’argent considérable pour lui rendre l’accès à son compte. Face à la réticence de la victime, le pirate a commencé à étaler des données intimes sur les profils des amis de la victime. Face à la violence de l’intimidation, «Ahmed» n’a pu s’en sortir qu’en transférant cette somme voulue au pirate. La victime a reconnu sa totale négligence des paramètres de sécurité liés à son téléphone et à mentionner cette facilité d’accès à sa sphère intime.
L’expérience a eu des séquelles psychologiques graves sur la victime et son entourage. Le renforcement de la sécurité en ligne reste primordial afin d’éviter ces écarts. Facebook étant devenu au fil des années encore plus sécurisé, mais ces arnaqueurs/aumôniers ont plusieurs cordes à leur arc…
Anne Marie*, septuagénaire française, vivant en Tunisie depuis plus de 20 ans, n’a cessé de recevoir un mail de la part «d’un proche», à l’adresse dérobée. Ce mail, très bien rédigé, exprime la détresse de ce «proche», qui l’informe qu’il souffre d’une grave «maladie potentiellement cancérigène, et qu’il aurait besoin d’une certaine somme en euros, pour pouvoir se faire soigner».
Les échanges, depuis cette réception du faux «mail», ont afflué entre les deux correspondants. Ils sont si bien rédigés qu’ils finissent par toucher directement «l’affect» du récepteur et le poussent à agir, comme c’est le cas d’Anne-Marie. Fort heureusement, l’internaute âgée a eu le réflexe de téléphoner à cette personne et a tenu à correspondre avec lui, ailleurs que derrière l’écran d’un PC. Un contact qui s’empresse de lui dire que ce n’était pas lui derrière ces échanges et qu’il n’arrivait pas à accéder à sa boîte mail depuis très longtemps. Maladie cancérigène ou auto-immune, accident de la route grave, opérations chirurgicales : les raisons liées à la santé sont, en effet, celles qui sont le plus véhiculées afin d’atteindre différentes victimes.
Qui d’entre nous n’a pas reçu de SMS, rédigés en arabe qui évoqueraient «un trésor», dissimulé dans un verger isolé, depuis l’époque même où le smartphone n’existait pas ? Beaucoup ! Cette technique, vieille comme le monde, qui n’est plus dans l’air du temps, est parvenue tout de même à titiller la curiosité de nombreux récepteurs naïfs qui finissent par appeler le numéro, à l’origine de ce SMS.
Ce type de manigances ou de magouilles est intrinsèque à l’évolution technologique ou de communication. Elle touche à l’affect de l’individu, frappe souvent son intimité, procède à une manipulation émotive souvent bien maîtrisée, surgit dans une période économiquement fragile, et s’empare de profils souvent dans le besoin.
Ces pirates restent des assoiffés d’argent et sont souvent rongés par un sentiment de perversion. Des pervers qui prennent contact avec des utilisateurs mineurs ou souvent séniors : deux tranches d’âge accessibles et facilement manipulables, connues pour leur manque de vigilance en ligne.
Reste à en savoir plus sur le plan de lutte contre les infractions ou les crimes en ligne, mené par l’Instance nationale de protection des données personnelles (Inpdp).
Les noms propres mentionnés dans cet article ont été changés*.

«Leur Algérie» est un film documentaire, à la fois intimiste et collectif. Lina Soualem, sa réalisatrice, y raconte l’histoire d’un déracinement en puisant dans celle de ses grands-parents. Edifiant et émouvant, le film se situe dans le temps et est actuellement dans les salles en Tunisie après une sortie en France, en Algérie, et prochainement en Belgique. Entretien.
«Leur Algérie» est le titre révélateur de votre film. A qui s’adresse-il ?
Je n’ai pas vraiment pensé «à qui s’adresser». Puisque c’est une histoire invisibilisée, je pensais au contexte dans lequel je vivais, c’est-à-dire en France. J’ai pris en compte le fait que ce n’est pas juste une histoire intime mais qu’elle soit surtout collective. Ce n’est pas que l’histoire singulière des Algériens, c’est aussi celle des déracinés, des exilés. Je sentais que le film pouvait toucher au-delà du contexte franco-algérien. Le film avait une portée plus large, bien en dehors de ce contexte.
A quel moment avez-vous pris la décision de faire de cette histoire un film ?
Au moment où j’ai appris que mes grands-parents se séparaient. J’avais envie de filmer ma grand-mère, simplement, sans être dans l’urgence d’en faire un film ou de raconter. Au moment de la séparation, j’ai pris conscience du silence qui existait autour de sa vie partagée avec mon grand-père et j’avais cette crainte de les perdre tous les deux sans qu’ils puissent me transmettre leur mémoire.

C’est à la fois une histoire familiale, qui raconte celle de deux pays et d’une époque. Est-ce que ce film a émané d’un besoin personnel de raconter l’histoire de vos grands-parents et aviez-vous d’emblée conscience de sa portée universelle ?
Cette portée, je la voyais dès le départ. Même si je passais par l’histoire singulière de mes grands-parents qui se séparent après 72 ans de mariage, on se dit que c’est rare et original. Mais, en même temps, leur parcours racontait celui de nombreux immigrés algériens, nord-africains et de déracinés. Pour moi c’était important de transmettre leur histoire puisqu’ils font partie de cette génération qui ne sait pas raconter, à qui on n’a pas tendu le micro, qu’on voit quotidiennement mais qu’on n’écoute pas et qu’on stigmatise. J’ai donc imbriqué l’intime et le collectif, l’intime et le politique. J’ai été consciente du fait qu’il y a de nombreuses personnes de ma génération qui travaillaient sur ce sujet-là, des écrivaines, réalisatrices et autres que je côtoyais… Je sentais que ce n’était pas que mon histoire et je tenais à ajouter un côté individuel pour enrichir ce collectif qui se construit différemment.
Comment vos grands-parents ont réagi quand vous leur avez proposé l’idée de réaliser un film ?
Je ne leur ai rien proposé. (rires) Tout s’est passé d’une manière très naturelle, spontanée. Ma grand-mère me disait que tant que je passais du temps avec elle, il n’y avait pas de soucis à ce que je la filme. Mon grand-père n’était pas du tout dans le rejet de la caméra. Il ne faisait pas réellement attention. Petit à petit, à force d’insister et de lui expliquer, il m’écoutait mais ne répondait pas. Par moments, il évoquait des souvenirs, des anecdotes, des bribes d’histoires. Il fallait être dans son rythme et prendre le temps de l’observer, de l’écouter, de lui laisser le temps pour que la mémoire se réactive.
Comment avez-vous puisé dans vos sources ? Vos archives étaient-elles à la portée ?
Pour les images d’archives des années 90, c’est mon père qui les avait. Toutes les photos que j’ai, c’était des prises ou des photos d’identité que mes grands-parents avaient gardées. Mon grand-père faisait inconsciemment un travail d’archivage et mon père conservait ses traces de mémoire. Ce que j’ai dû chercher, ce sont les traces d’archives historiques que j’ai trouvées en France. Comme c’était les militaires qui filmaient à l’époque, les images étaient récupérées par «Gaumont actualité» ou autres : c’était des reportages de propagande sur les bienfaits de la colonisation. D’ailleurs, quand on prend les mêmes images et qu’on enlève la voix off et le montage, on voit une réalité autre. L’armée française avait donc la possibilité d’accéder à beaucoup d’archives, pas faciles d’accès et chers à utiliser.
Peut-on dire que votre film a une portée anthropologique ?
Je ne sais pas. (rire). Chacun a son interprétation ! Selon les grilles de lecture, les gens voient plusieurs choses : on me disait qu’il fallait prendre un angle et que j’avais beaucoup de matières, trop de sujets. J’ai essayé de faire des liens entre l’histoire d’un couple, d’une transmission, d’un exil et d’un aspect de la vie ouvrière en France. (La mémoire ouvrière n’est pas mise en avant). Ça peut être aussi l’histoire de l’émancipation d’une femme qui décide de vivre la fin de sa vie toute seule. C’est important que chacun puisse s’identifier dans ce film différemment. Pour moi, il est important de donner de la complexité à ces parcours de vie parce que ce sont des gens stigmatisés : on parle, par exemple, des exilés comme d’une masse homogène. C’est une manière de lutter contre la stigmatisation.
«Leur Algérie» est bien l’histoire d’un déracinement ?
Un déracinement à plusieurs niveaux : l’arrachement à la terre, aux parents (mes grands-parents se sont mariés très tôt), et l’arrachement des enfants à la mère et au père, très tôt aussi. Ce passage brutal à l’âge adulte est aussi un déracinement. Quand je vois les photos de ma grand-mère à 17 ans, elle ne les fait pas. Elle avait ce truc enfantin qu’elle a gardé en elle. Ce qui fait sa force c’est cette insouciance qu’elle a su garder. Pour mon grand-père, il y a une forme de dépossession, de manque de mémoire, dans le pays dans lequel il a vécu plus de temps, c’est-à-dire en France. Je tenais à capturer leur mémoire à tous les deux pour laisser une trace de ces vies.
Comment «Leur Algérie» se situe-il par rapport à l’actualité?
J’ai commencé à filmer en 2017. Il sort en plein débat, trois années après. Le film est au cœur de la volonté apparente du gouvernement de discuter d’enjeux mémoriels, et à la fois, il est au cœur de toute la xénophobie, de la campagne présidentielle, etc. On se dit donc que c’est bien, parce que les gens peuvent s’y intéresser plus, mais c’est dommage à la fois parce que ça entre dans les discours binaires et stigmatisés. Mais c’est important qu’on puisse raconter notre histoire, qu’on puisse la faire exister. Beaucoup ont si bien reçu le film. De nos jours, dans des débats publics, des retours en arrière et des remises en question des impacts de la colonisation se font souvent, mais ce n’est pas ainsi qu’on pourra avancer. Quand j’étais en Algérie pour la sortie du film, il y avait quelques tensions entre la France et l’Algérie : le public algérien était attentif et très ému. L’histoire de «Leur Algérie» est très commune. Il y a eu toute une réflexion collective, une extériorisation d’émotions enfouies, et le départ de ma grand-mère en Algérie, après 15 ans d’absence a recréé des liens. On a écouté différentes expériences de départs et de retours, difficiles, éprouvantes. On est parti aussi à la rencontre de lycéens qui vivaient en Algérie : ils ont réalisé un court-métrage qui s’appelle «Nost-Algéria» : ces jeunes vivent en Algérie, et ont fait un court-métrage sur une Algérie quittée : ils avaient cette nostalgie de partir alors qu’ils sont toujours là-bas. Cette peur de la perte de la terre est commune à tous les pays ayant vécu la colonisation et l’oppression. C’est une peur qui se transmet de génération en génération, génératrice de nostalgie très forte, dans une réalité très dure politiquement.

C’est lors d’une expo-vente organisée au Kram sur 4 jours que « La Thébaïde », De sol y tu, un recueil de poèmes de Naomi Nantois Meadows, illustré par Mari Eyries, a été présenté au public. Le recueil a été autoédité et imprimé en risographie.
Les deux conceptrices du recueil et de l’exposition, connues aussi sous le nom de « Nao Maltèse » et « Mewsgraphics » étaient présentes pour ce lancement, inauguré dans un lieu privé. En premier lieu, elles invitent les visiteurs à voir, pendant quelques minutes, dans une chambre, un film court qui immisce les visiteurs dans un univers de poésie illustrée et lue à haute voix, avant de leur faire découvrir, ensuite, le contenu de la petite exposition de « La Thébaïde – De sol y tu ». Tableaux, cartes postales, recueil en deux versions, sont disponibles en édition limitée.
La majorité des textes poétiques de Nao Maltèse ont été rédigés il y a trois ans dans le lieu où a été organisé l’événement. La thématique générale qui traverse l’ouvrage est bien « La solitude ». Le titre « La Thébaïde », se réfère à un endroit isolé, lointain, dans lequel une personne peut se recueillir en solitaire, se retrouver, être en paix avec elle-même. Naomi et Mari sont amies d’enfance. Mari, qui est graphiste, faisait partie des rares personnes qui connaissaient les poèmes de Nao. Elles ont, au final, fusionné leur travail. Mari a donné libre cours à son inspiration pour pouvoir illustrer cette poésie, en technique risographique, et autres. Une technique distinguée qui donne une texture unique aux impressions.
Ce travail a été retardé maintes fois à cause de la pandémie du covid-19. Le recueil a été édité à Paris. D’autres événements, au-delà de ces trois jours, se tiendront sur Tunis. Tout a été autofinancé pour ce premier rendez-vous avec le public. Un chapitre qui s’appelle « Quiproquo » paraîtra prochainement.

Le réalisateur montant, Mike Mills, continue à tisser ses derniers longs métrages autour des relations familiales. En noir et blanc, «Nos âmes d’enfants», actuellement dans les salles, traite du thème de la parentalité, avec, à l’affiche, un Joaquin Phoenix bouleversant d’humanité, une esthétique prenante… Dans le but d’éclipser un récit creux ?

Mike Mills a déjà exploré la figure paternelle dans «Beginners», et celle de la mère dans «20th Century Women». Dans «Nos âmes d’enfants», c’est sur «l’Enfant» qu’il se focalise, en tant que réalisateur et scénariste. Le film s’ouvre sur la vie trépidante et le quotidien très prenant d’un journaliste qui donne libre parole à des jeunes afin qu’ils puissent s’exprimer sur leur avenir sur les ondes de son émission radio. Parallèlement, Johnny entretiendra un lien très fort avec son neveu, qu’il doit garder quelque temps. Sa sœur Amanda le lui livre afin de pouvoir régler une urgence. Un parallélisme s’installera : deux axes seront développés, celui de l’intérêt du journaliste pour «l’avenir des jeunes», sujet entretenu dans le cadre de son travail et sa relation qui le lie à son neveu qui deviendra de plus en plus étroite malgré ses prises de tête et ses égarements.
L’enfant, tel qu’il est interprété dans le long métrage, est fort de sa parole, porteur de réflexions et de messages existentiels (un peu trop lucides pour son âge), ce qui nuit à la crédibilité du personnage. Ce journaliste transpose son sens de l’humanisme dans ces interviews accordées aux enfants et aux jeunes, vivant à travers les Etats-Unis : il est à leur écoute, les situe dans leur environnement, tente de sonder leurs craintes, leurs peurs, leurs déceptions, mais également leurs aspirations et leurs rêves. Des atouts qui transparaissent également dans son lien édifié avec cet enfant curieux, turbulent, et bavard par moments. L’esthétique en noir et blanc était un choix assumé, révélateur d’un univers recherché qui servirait à souligner «l’humain» dans ce récit. Dès le début de la rencontre entre l’adulte et l’enfant, leurs deux existences s’entrechoqueront avant de se synchroniser peu à peu. Un éloge de cet écart générationnel est dressé dans le film.
Le neveu qui questionne le monde sans cesse, à travers sa relation entretenue avec l’oncle, reflète ce récit de la vie racontée avec toute sa maladresse et sa linéarité. «C’Mon C’Mon», dans son titre original, est riche visuellement, esthétiquement, musicalement et parvient à sublimer un Joaquin Phoenix, qui change impeccablement bien de registre, mais il reste à la surface et peine à conquérir.

Dans une Tunisie post-révolutionnaire encore en effervescence, 11 ans après la révolution de 2011, le principal acquis farouchement sauvegardé jusqu’à présent reste la liberté d’expression. L’appropriation de l’espace public à des fins d’expression citoyenne reste de mise : l’art exercé dans la rue en fait partie.
Avant la crise du covid-19, de ses restrictions et momentanément entre deux baisses de pics, Tunis et quelques régions vivent au rythme de manifestations culturelles et artistiques diverses. A la différence près d’il y a quelques années, ce qui interpelle davantage c’est l’’organisation d’une partie conséquente de ces manifestations dans la rue. Une manière de rendre les arts plus visibles, d’atteindre le public, ou est-ce tout simplement l’exercice de la liberté d’expression.
En plein mois d’octobre/novembre de chaque année, au fil des Journées cinématographiques de Carthage devenues annuelles, la capitale vit pour les films et le cinéma. Les salles sont combles et une dynamique est installée pendant 7 jours entiers dans toutes les rues et avenues. Les festivaliers peuvent, les après-midi, profiter d’une projection gratuite en plein air, dans un espace couvert, et protégé des intempéries. Les chaises sont installées face à un écran géant qui passe des films tunisiens cultes des années 80/90, des chefs-d’œuvre du 7e art mondial, ou d’anciens Tanit d’Or. L’aspect rétrospectif du festival est offert au grand public à travers ces projections de rue, pour le plus grand bonheur des curieux, souvent des passants lambda qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma.
Le théâtre qui s’empare de la rue ? Désormais, c’est possible pendant les Journées théâtrales de Carthage. Des sketchs, des représentations souvent clownesques et des spectacles d’une durée courte s’organisent dans la rue, ponctués par des concerts musicaux, qui se tiennent également : rappeurs, bands de rock, amateurs, ou professionnels se donnent rendez-vous et se réservent des dates pour des performances.
Depuis des années, « Tunis, capitale de la danse » a longtemps permis à ces troupes nationales et internationales de se produire dans la rue. Des chorégraphes et danseurs professionnels mettent en œuvre leur talent le temps d’une manifestation afin d’approcher le public et d’user des mots du corps pour exprimer tout haut les maux d’une nation. Toujours sous la houlette de Syhem Belkhodja, la manifestation « Kalimat » a vu, auparavant, différentes activités autour du livre se tenir dans les moyens de transport, dans des jardins publics ou dans l’artère principale de la capitale. Des lectures à haute voix se faisaient entendre, attirant ainsi fana de lecture, et simples spectateurs curieux.
L’un des évènements les plus imposants et les plus marquants de ces 14 dernières années est bien évidemment la Biennale de « Dream City », organisée dans les rues de la médina de Tunis. Ce festival des arts y compris visuels et contemporains, organisé par l’association l’Art Rue, traduit l’appropriation de l‘espace public via l’art et la culture. « Dream City » invite des artistes tunisiens et internationaux à inventer et créer contextuellement en s’engageant avec la cité et ses habitants. C’est aussi un festival engagé sur la durée qui accompagne les artistes invités et leur offre un temps long de création (allant de 1 à 4 ans) pour pleinement appréhender les spécificités et les réalités sociales et politiques. C’est surtout un festival à part qui investit les espaces informels de la médina de Tunis (café, rue, maison abandonnée, place…), lit-on sur le site officiel de la manifestation. La 8e édition se tiendra pendant l’automne 2022.
Des initiatives singulières se sont créées aussi : La Presse est partie à la rencontre de Kamel Ring, musicien de rue d’à peine 20 ans qui exerce sa passion dans différentes régions de Tunis, souvent en pleine rue. Il est passionné et exerce la « Street music » ou « la musique de rue ». Souvent malmené par les autorités, il est parvenu à régulariser sa situation via l’obtention d’une carte lui permettant d’exercer en toute sécurité. Sous le covid-19, Nesrine ben Arbia, artiste et chorégraphe professionnelle, a sillonné les rues de Tunis en dansant.
Les exemples se succèdent et ne se ressemblent pas : la pratique de la liberté d’expression, de l’art ou de la culture dans la rue s’est démocratisée depuis 2011. Sous Ben Ali, c’était interdit : les activités qui se faisaient dans la rue étaient folkloriques. Pendant les attaques terroristes, les crises politiques, les affrontements policiers et la crise du covid, l’usage de ces espaces à des fins artistiques s’est réduit, le contrôle s’est accru, et l’obtention d’une autorisation de manifester est devenue rigide. Le pays vit en état d’alerte permanent, au gré des crises …

« Broudou » est le titre insolite d’une revue culinaire semestrielle tunisienne, parue dans sa première édition. Un numéro pilote totalement consacré à l’histoire du « Pain » en Tunisie : recettes du pain selon les régions, histoires du pain et autres anecdotes sont servies … Naissance d’un guide complet.
En partenariat avec le projet solidaire et culinaire « Ftartchi », le Goethe Institut Tunis et de jeunes contributeurs ont conçu ce magazine tunisien trilingue spécialisé, disponible en PDF, téléchargeable et imprimé. Très riche en photos et en illustrations, le magazine peut être lu d’une seule traite en anglais, en français et en dialecte tunisien. Le magazine vise à sensibiliser les Tunisiens et ses lecteurs sur le fait de soigner son alimentation, d’enrichir sa culture culinaire, et d’accéder à une nourriture saine et équilibrée. Le projet a été pensé en amont : pour les fondateurs, une urgence même s’imposait suite à la vague épidémiologique que nous vivons depuis 2 ans. Des réflexions, des essais critiques, des photos, des entretiens, des anecdotes et recettes enrichissent les pages du magazine.
Lancé le 15 janvier 2022, un appel à participation a été lancé afin de permettre à des lecteurs, rédacteurs ou spécialistes tunisiens intéressés, de participer dans ce numéro et d’ajouter un savoir autour du « pain ». Qu’est-ce qu’un pain nutritif ? Quelle est la place économique et sociale du pain ? Quelle est son histoire ? Que faut-il savoir sur la fermentation ? Différentes recettes issues de diverses régions tunisiennes sont proposées… Le magazine est paru dans le cadre de la programmation culturelle du Goethe Institut Tunis. Le magazine est lancé dans des endroits symboliques : des boulangeries entre Le Kram et Tunis. Une manière de fédérer un lectorat consciencieux de son alimentation et désireux de suivre les prochaines thématiques, décortiquées prochainement par « Broudou ». Un site internet « Broudou » sera bientôt accessible.