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«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face
REVIEWS & CRITIQUES6 / 6 / 2019

«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face

L’interprétation magistrale d’un trio d’acteurs : Ghazi Zaghbani, Nadia Boussetta et Mohamed Ali Grayâa, les protagonistes du huis clos haletant «El harba» (La fuite), ne cesse de drainer un public venu nombreux les applaudir chaque fin de semaine : Prochain rendez-vous le 22 juin 2019 à partir de 19h30 toujours à l’Artisto.


Mise en scène et jouée par Ghazi Zaghbani, son œuvre «La fuite» se joue toujours à guichets fermés dans ce théâtre de poche. La thématique de la pièce, à la fois audacieuse et subtilement traitée, la rend toujours aussi attrayante.


Le public se retrouve témoin d’un face-à-face improbable entre une prostituée et un fanatique religieux. Ce dernier tentait d’échapper à la vigilance des autorités et se retrouve coincé dans l’antre d’une fille de joie. Commence alors un dialogue tumultueux entre les deux personnages que tout oppose.


L’échange se déroule dans l’enceinte d’un espace fermé : la chambre d’une prostituée, au décor minimaliste reconstituée et parfaitement adaptée à l’espace, maîtrisé aussi minutieusement. Le spectateur fait brutalement la connaissance d’une travailleuse de sexe, «Narjess», vêtue légèrement et d’un extrémiste à la barbe et au quamis long. Ce dernier fait irruption chez elle, fuyant la police à ses trousses. «Narjess» l’aidera malgré l’idéologie extrémiste qu’il prône.


Éclate alors un dialogue salace, mais subtil pendant une heure. Les deux personnages, censés se repousser, fusionneront au fur et à mesure de cette rencontre.


L’objectif de l’œuvre est de mettre en relief les contradictions d’une Tunisie, tiraillée entre modernisme et conservatisme, et accentuées depuis l’éclatement de la révolution. Ce petit pays, qui demeure le plus ouvert du Maghreb et du Moyen-Orient, continue de subir les aléas d’un soulèvement populaire doublé par une crise identitaire. Rongé par le conservatisme, il continue tant bien que mal de résister. «El Harba» de Ghazi Zaghbani est un hymne à la tolérance et une invitation au dialogue et au vivre-ensemble malgré les différences.


L’œuvre, conçue à l’espace L’Artisto à Tunis, devait toujours se jouer dans un espace clos en cas de décentralisation car elle repose sur la proximité qui unit les personnages à leur public. Le texte de «La fuite» est une adaptation du roman en français de Hassan Mili «La P… savante» et sera adapté bientôt sur grand écran.

«EL Harba» (La fuite) de Ghazi Zaghbani : L’improbable face-à-face
«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
REVIEWS & CRITIQUES6 / 2 / 2019

«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !

Sa scène est reconstituée avec des décors imposants qui réfèrent aux édifices tunisiens des années 20. Une immersion temporelle commence dans une période d’effervescence qui a duré une dizaine d’années. «Les soldats de la nuit» ou «Asker Ellil» en étaient les protagonistes, ce sont ceux qu’on surnommait «Les bohémiens», de l’après-Première Guerre mondiale. Issus pour la plupart de l’intelligentsia : ils se livraient à des errances nocturnes passionnantes, toujours dans une Tunisie soumise au colon français.

Cette comédie musicale reconstitue cette atmosphère typiquement tunisoise où régnaient autrefois des divas : elles enivraient leur public, attisaient les convoitises et ensorcelaient la foule. Présence scénique radieuse, voix envoûtante, elles étaient devenues les symboles de la libération de la femme, des transformations des mœurs, d’un affranchissement des superstitions et des traditions. L’œuvre est une reconstitution des bas-fonds de Tunis : de Beb Souika, en passant par El Halfaouine. Quatre divas très connues dans ses quartiers auparavant s’adonnaient aux chants : l’iconique Habiba Msika, Chefia et Hassiba Rochdi et Fathia Khairi. Des femmes ayant toutes un destin différent. Elles étaient souvent entourées, voire adulées par «les soldats de la nuit» : Ali Douagi, Abdelaziz el Aroui, Abderrazak Karabaka, Hédi Laâbidi, Jamel Eddine Bousnina, Mahmoud Bourguiba, Jaleleddine Naccache et Mustapha Khraief. D’autres citoyens lambda, esquissés d’une manière caricaturale, ont été ajoutés à cet univers haut en couleur, en chant, en poésie.

Comme toutes les comédies musicales, les acteurs devaient jouer la comédie sur scène, danser et chanter. Pour cette création, une quinzaine d’acteurs s’en sont donnés à cœur joie : des professionnels du milieu du théâtre, du cinéma, de la télévision et du chant se sont emparés gracieusement de la scène : Khaled Houissi, Fathi Msalmeni, Taoufik el Bahri, Oumaima Maherzi. Ils portaient le travail de bout en bout. Le point fort était surtout d’écouter un ancien jargon tunisien, arabe, particulièrement soutenu, recherché et très bien maîtrisé par les acteurs. Un florilège de mots et d’expressions retentissait tout autant que les chansons.

La création consacrait un volet à chaque diva. Des femmes iconiques interprétées par de vraies chanteuses à la voix remarquable. On regrette les parties jouées en play-back par moments mais aussitôt, rattrapées par des morceaux en live plaisants à écouter : une exploitation réussie de ce patrimoine musical tunisien, toujours aussi prisé de nos jours.

«Asker Ellil» a embarqué sur scène près de 24 artistes dont des chorégraphes amateurs. Cette époque-là n’a pas été représentée auparavant sur scène. Défi globalement relevé par toute l’équipe : Mourad Gharsalli en tant que metteur en scène, Ahmed Rezgui et Siwar Ben Cheikh en tant que scénographe et costumier. Des costumes qui n’épousaient pas totalement l’époque par moments, mais qui se diluent finalement dans cet univers générateur de nostalgie. Nourredine Ben Aicha s’est chargé du volet musical. Cette époque marquante bouleversait la société et ses mœurs, la vie culturelle et artistique et a vu naître les premières prémices d’une conscience politique, d’une lutte pour l’indépendance : l’histoire d’une nation enrichie par le mouvement des syndicats et par l’émergence de partis politiques dont le Destour. Une époque qui a connu la création de la Rachidia également. La recherche pour «Asker Ellil» fut d’ailleurs en grande partie journalistique.


«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques
REVIEWS & CRITIQUES5 / 30 / 2019

« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques

La vision sombre d’une Tunisie post-révolutionnaire, mise en scène sur le théâtre d’El Hamra par Moez Mrabet repasse toujours au même endroit pendant trois rendez-vous ramadanesques. « Blood Moon », cette dernière création, oscille entre espoir, désenchantement, rêves brisés et craintes. Un cri d’alerte à peine perceptible…


Une scène, un voile transparent, deux femmes perplexes dans une atmosphère qui s’annonce anxiogène. Dès le départ, « Blood Moon » plonge le spectateur dans un univers chaotique où deux femmes sont en fuite, tentent de survivre. Elles fuient un monstre invisible, qui peut les happer à tout moment. Elles tentent inlassablement d’esquiver un vécu devenu hostile. Le texte de la pièce, écrit par Besma El Euchi, également comédienne aux cotés de Mariem Sayeh, raconte les 8 années qui ont suivi la révolution tunisienne et les aléas endurées par le peuple.


L’échange entre les deux actrices relate un fait divers fictif : le meurtre sur la place publique d’une poétesse suivi d’une errance initiatique, truffée de questionnements restés sans réponses suite à cet assassinat, révélateur d’un chamboulement social profond, d’un quotidien devenu invivable, suffocant. Les deux protagonistes font face à des monstres invisibles, briseurs de rêves, d’espoir, de libertés et se noient dans les interrogations.


Cette production du théâtre el Hamra réunie Basma El Euchi, Mariem Sayeh et Moez Mrabet, réunis ensemble, tous les trois, pour la première fois atour d’une création théâtrale. L’écriture éclatée de Besma est à l’image du résultat final sur scène : une création abstraite, chimérique qui s’en prend à des forces obscures déterminées à dérober l’avenir d’une nation broyée de plus en plus par les déceptions.


6 mois de préparatifs ont été nécessaires à la genèse de cette création rudement tenue par l’interprétation des deux actrices et l’assistance technique d’Ahmed Makhlouf à la vidéo, Sabri Atrous à l’éclairage et la bande son réalisé par Zain Abdelkafi.


Cette pleine – lune sanglante a duré 3 nuits durant à El Hamra laissant perplexe le public, voué à différentes interprétations.

« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques
"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale
REVIEWS & CRITIQUES5 / 28 / 2019

"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale

Avec «El Farah Watana», le metteur en scène Walid Ayadi a signé une création théâtrale particulièrement caractérisée par son humour grinçant. Sous couvert de mariage, il est parvenu à tourner en dérision la société et ses entraves.


L’intitulé résonne d’emblée comme une invitation à un mariage scénique, et l’affiche, comme esquissée subtilement au crayon, révèle le cadre spatial de la création. Le public assiste à un chassé-croisé de relations familiales, d’amitiés, d’inimitiés, d’amour et de faux-semblants innés, à la culture de toute société : la nôtre regorge d’aléas et rime avec l’absurdité des traditions et une mentalité patriarcale dominante.


«Le mariage vous va si bien» est un bal de faux-semblants, d’hypocrisie régnante, celle d’une union censée initialement sceller la vie d’un couple, qui se marie au final pour son entourage, selon les normes imposées. Cette fête organisée par Rania Louati, Mohamed Taher Mendili, Salima Ayari, Boulbaba Hedhili, Firas Labidi, Lamine Hamzaoui, Dhouha Harzallah, Salma Harzallah, Fatma Sfar, Khouloud Hamzaoui, Ihsène Zayane et Aïda Driss échappe merveilleusement bien à leur contrôle.

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Une création dérisoire


Dès le départ, la mise en scène lumineuse et les personnages en mouvement initient directement le spectateur à l’univers déglingué et salace qui s’apprête à défiler sous ses yeux pendant 75 mn. Divers personnages, tout aussi riches et différents les uns des autres, tiennent davantage en haleine, tout en offrant au spectateur du recul pour parvenir à cerner la nature des relations qui les unissent. Le ton, humoristique à souhait, diminue l’aspect grotesque qui ronge notre société et pousse le public à en rire, et ce, pendant le mariage, jusqu’à peu de temps après. La pièce est le mariage d’une frange sociale entière où tout le monde est concerné : l’ancien amoureux alcoolique épris de la dulcinée, au père possessif qui ne veut pas la laisser partir, en passant par des mamans rivales, obsédées par la hantise des apparences, et qui veillent à alimenter le voyeurisme des proches. Le rythme de la pièce était fort soutenu par une musique de fond captivante, et les événements condensés : un débordement aurait pu facilement avoir lieu si le tout n’était pas traité subtilement. Le public est capté du début à la fin, et s’il réagit, c’est pour s’adonner à des rires à n’en plus finir.

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«El farah Watana» est une satire sociale bien maîtrisée, qui traite avec intelligence différents sujets tabous sans tomber dans le vulgaire où l’humour lourd : pari relevé pour Ayadi et son équipe d’acteurs, qui sont parvenus à transcender stéréotypes et idées reçues. La reprise des représentations se déroulera jusqu’au 30 mai 2019 à El Teatro.

"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale
« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour
REVIEWS & CRITIQUES5 / 15 / 2019

« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour

Mise en scène par Naoufel Azara, « Epuisé, L’Amoureux ! » a vu le jour sur la scène d’El Teatro. Riche d’une panoplie d’actrices férues de théâtre et d’un seul acteur, la pièce définit autrement l’amour. Elle repasse le 16 et 17 mai 2019 toujours au même endroit.


Redéfinir l’amour en s’inspirant de l’œuvre de Roland Barthes « Fragments d’un discours amoureux » et en le calquant sur le vécu de prostituées maghrébines reste un défi de taille relevé par Naoufel Azara et son équipe sur scène composée de Jihen Cherrak, Emna Fessi, Nader Rahmouni, Samira Hamdi, Sahar El Fessi, Nadia Montassar, Manel Zarrami, Mayna Ghali et Awatef Mabrouk.


L’œuvre scénique casse avec le conventionnel et le fait frontalement savoir en usant d’avance de la citation de Roland Barthes qui réduit le sentiment amoureux et l’assimile à des systèmes : « Tous les arguments que les systèmes les plus divers emploient pour démystifier, limiter, effacer, bref déprécier l’amour, je les écoute, mais je m’obstine : ‘‘Je sais bien, mais quand même…’’ Je renvois les dévaluations de l’amour à une sorte de morale obscurantiste, à un réalisme-farce, contre lesquels je dresse le réel de la valeur : j’oppose à tout ‘‘ce qui ne va pas’’ dans l’amour, l’affirmation de ce qui vaut en lui ». Citait Roland Barthes. Une partie de la vision de Barthes devait prendre forme sur scène. L’allusion était difficile à cerner.

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Sur pas moins de 8 mois, la pièce a mis un temps considérable avant de voir le jour. Un travail d’arrache-pied a été effectué, à commencer par une lecture ficelée de l’œuvre consistante du philosophe Roland Barthes : une véritable référence dans l’univers des lettres. Les artistes ont lu le livre en arabe et en français avant de le convertir en tunisien pour les besoins de la pièce. Le livre décortique l’amour d’une manière universelle et étale sa complexité. Des parties entières ont été traduites au fur et à mesure, certains passages ont fini par être retenus étant nécessaires à «Epuisé, L’Amoureux! ». Son intrigue s’éclairait peu à peu jusqu’à basculer dans l’univers de la prostitution qui demeure peu exploitable, voire tabou.

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Le public assiste à de nombreuses scènes de leur quotidien. Elles défilent parfois dans le cadre d’un échange verbal épicé, cru pour certains ou même d’une chorégraphie synchronisée. Des femmes rejetées par la société, qui vivent dans la marginalité, dans la précarité, qu’on voit davantage comme de « la chair vendue », et beaucoup moins en tant que femmes, communiquent, vivent en communauté et relatent leurs expériences. Les prostituées aiment et sont aussi en manque d’amour, les prostituées ne sont pas aussi dénuées d’humanité qu’une société patriarcale le véhicule. Les prostituées, selon Naoufel Azara et son équipe, réfèrent à l’ambiguïté des relations sentimentales, à la complexité de l’amour, à la survie d’un homme dans cet univers féminin, qui reste méconnu et stéréotypé dans l’inconscient collectif.

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L’immersion dans cet univers sur scène était difficile. Une épreuve d’envergure qui s’ajoute à l’exploration du livre de Barthes et à sa traduction en tunisien. Le public oscille entre perplexité et sourires, s’en prend plein les yeux mais l’œuvre s’épuise peu à peu au fil des scènes : le poids lourd du texte se fait sentir : il reste théorique et ponctué de répliques insipides. Leur ré-esquisse de l’amour devait davantage se faire sentir. «Epuisé, L’Amoureux ! » s’inspire d’une œuvre peu accessible au grand public et étouffe finalement sous son poids.





« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour
« Personnelle », exposition de Dorrine Nasri : Portraits intimistes
REPORTAGES5 / 15 / 2019

« Personnelle », exposition de Dorrine Nasri : Portraits intimistes

« Personnelle », comme son titre l’indique ? Le mot est faible. Du haut de ses 27 ans, fraîchement diplômée, l’artiste Dorrine Nasri se dévoile à son public pendant un mois, lors d’une première exposition. Pour le 27 avril et en guise de portails d’accès à son jardin dissimulé, elle a mis en place, dans l’enceinte de la librairie « Fahrenheit 451 », ses propres tableaux picturaux : ceux qu’elle a esquissés depuis une dizaine d’années jusqu’à nos jours. Immersive à souhait, son œuvre est certes intimiste, mais finit par dérouter à coup de messages subtilement féministes.


« Melancholia », « Vicieuse », ou encore « Radio silence », « Rébellion » ou « la gambadeuse »… Autant d’appellations pour cette jeune dame dans tous ses états, qu’on voit défiler devant nos yeux sur une quinzaine de tableaux… en portraits seulement. Une quinzaine de tableaux … ou sur ce qu’il en reste. Dorrine Nasri, architecte de formation, et artiste peintre de vocation, a descellé le monde dans lequel a longtemps gambadé son personnage féminin et est parvenue à toucher un bon nombre d’acheteurs.


Nous partons à la découverte d’une jeune femme, émanant de son imaginaire. Est-ce son reflet ? Est-ce elle ? Impossible de le deviner en découvrant son exposition, mais les états d’âme exprimés sont les siens : «une affirmation de soi », elle l’avoue haut et fort. Des ressentis et un vécu qui ont forgé sa propre personnalité au fil des années et ont été endossés par cette jeune inconnue imaginée le temps d’une exposition. « Il s’agit de ma première exposition personnelle, comme son nom l’indique, propre à moi, qui m’a permis de connaître un public intéressant et intéressé. Il fallait sauter le pas. », déclare-t-elle. Faits de peinture à l’huile, les tableaux sont inspirés d’un support réel, des influences, des photos, et, d’un tableau à un autre, elle fignole, remodèle, modifie, crée.


Le jet spontané a commencé depuis ses 17 ans. De nos jours, et 10 ans plus tard, les autres créations ont suivi. « Je ressens les changements, mes changements, mon évolution que je reflète». Elle enchaîne : « Mon exposition prône un certain féminisme, peu farouche ». Des messages subtils mais facilement décelables évoquent frontalement la condition de la femme : la pression qu’elle subit, d’ordre social, parental, familial, conjugal… son quotidien qui rime souvent avec « résistance ». « Sur l’un des tableaux, on voit un œil qui explose, en référence, à un ras-le-bol, une pression ; le fardeau d’une existence ». Dorrine a contracté le virus de la peinture très tôt, depuis sa plus tendre enfance, grâce à sa mère, également peintre. Cette dernière l’initiait à la lecture, quand l’artiste, au lieu de lire, redessinait les illustrations des livres pour enfants et tissait de nouvelles histoires autour. Dorrine Nasri exposera jusqu’au 27 mai à la librairie Fahrenheit 451 à Carthage.

« Personnelle », exposition de Dorrine Nasri : Portraits intimistes
«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs
REVIEWS & CRITIQUES5 / 9 / 2019

«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs

Comment ré-esquisser sur grand écran «le Caire, la nuit» ? Le scénario en soi manque d’originalité, pour avoir été traité maintes fois dans de nombreux films, de différentes nationalités, le dernier long métrage en date d’Ahmed Abdallah, néanmoins, peut être considéré comme une comédie dramatique à l’humour intelligent.


Cette fiction, coproduite par l’Egypte et les Emirats Arabes Unis est une déambulation nocturne à bord d’un taxi dans un Caire la nuit, éveillé, qui ne dort jamais, mais qui demeure sombre et hostile. L’échappée commence quand un jeune réalisateur «Moe», issu d’une classe bourgeoise monte à bord d’un taxi et fait la connaissance du chauffeur «Mustapha», un homme d’un certain âge, charismatique, mais traditionnaliste aux idées carrées, et de «Toutou» une prostituée cairote dissimulée en apparence sous une chape de valeurs, d’habits discrets qui lui permettent de subvenir à ses besoins en toute discrétion, loin du regard inquisiteur d’un peuple ultraconservateur (du moins en apparence, le jour).


Contrairement à son apparence de sainte-nitouche et de son charme juvénile, la personnalité volcanique de cette jeune femme finira par égayer le parcours de cette nouvelle bande, liée par des inimitiés et qui aura le vertige à force de se prendre la tête et d’être confrontée aux aléas d’ «un Caire», autre, différent, peu connu du grand public… A moins d’y habiter et de le fréquenter de nuit. Lutte de classes, pauvreté, sexisme, patriarcat, violence… le tout est présenté sous une note d’humour léger, parfois noir, qui ne cesse de mettre en valeur le désarroi de Mou, totalement ébranlé par la complexité d’une existence qui, jusque-là, lui échappait totalement.


Le cinéma égyptien regorge de films qui dressent divers tableaux de la société égyptienne : du noir au tragique, en passant par la comédie et le burlesque, les cinéphiles ont toujours eu l’embarras du choix. Leurs feuilletons ramadanesques n’échappent d’ailleurs pas à la règle. «Exterior/Night», malgré un démarrage qui a tardé à se faire, un rapport entre les personnages pas facilement discernable au début, et une mise en abyme, celle d’un film qui nous donne un aperçu direct du tournage d’un autre film. Une fois la déroute des débuts passée, les acteurs Karim Kassem dans le rôle de Moe, Mona Hala (Toutou, la fille de joie) et Sherif El Deskoury dans le rôle de Mustapha, le taxiste, feront leurs preuves en interprétant des personnages attachants, qui vont devoir survivre à des mésaventures rocambolesques, qui questionnent le Caire d’aujourd’hui, loin des clichés et des prises de position politique. Ahmed Abdallah, son réalisateur, a remporté, lors des Journées cinématographiques de Carthage de 2010, le Tanit d’or pour son long métrage audacieux «Microphone». Le film a été distribué par Hakka Production est présenté à «Gabès Cinéma Fen» en mars 2019 en présence de son actrice principale Mona Hala.

«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs
Mehdi Cherif : «Le système éducatif assassine l’esprit critique»
ENTRETIENS5 / 8 / 2019

Mehdi Cherif : «Le système éducatif assassine l’esprit critique»

Mehdi Cherif est un jeune Tunisien d’une vingtaine d’années. Son nom a retenti, avec la publication de son propre livre, publié à compte d’auteur, et intitulé “Réflexions d’un élève insoumis, ma contribution à la réforme de l’éducation”, toujours en vente. Depuis sa parution (fin 2017), la crise de l’enseignement s’est davantage aggravée, ce qui rend son contenu toujours d’actualité. Ce même (ancien élève) insoumis donne une vision globale de l’état actuel du système éducatif tunisien, mais propose aussi des solutions qu’il considère “personnelles” et totalement “subjectives”. Entretien.


Après avoir eu le bac, tu as carrément passé une année sabbatique pendant laquelle tu t’es consacré à l’écriture de ce livre. Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à faire ce choix ?


C’est en premier lieu parce que j’ai beaucoup vécu à l’étranger (pas moins de 10 ans, cinq aux Etats–Unis et cinq en France) et, qu’une fois en Tunisie, j’ai fait partie du système français. Cela m’avait beaucoup dérangé, j’étais mal à l’aise et limité. J’ai échangé avec des élèves tunisiens issus de l’école publique, et il y avait cette fois où un garçon m’a confié qu’il m’enviait, car je faisais partie du système français. C’était le déclic pour moi ! Il a commencé à me décrire ses lacunes et celles de ses camarades, et comment se déroulait l’enseignement dans les établissements publics. C’est à ce moment que j’ai réalisé que j’avais, un énorme problème : j’étais complètement déconnecté de la réalité. C’était il y a 3 ou 4 ans ! Depuis, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, en m’appuyant justement sur mon parcours personnel en tant qu’élève à l’étranger et issu du privé tunisien : ce sont des critères qui m’ont permis d’avoir du recul, une certaine neutralité et des réflexions qu’un élève du public n’aurait pas. Mais sur le plan personnel, tout ce que j’ai étudié ici était du déjà-vu pour moi, et je dois dire qu’être issu du système privé et français en Tunisie, c’est faire partie d’une bulle : c’est comme si tu ne vivais pas en Tunisie. Tu n’as pas d’idée sur la culture locale tunisienne, tu ne maîtrises pas bien la langue… J’ai mis une année pour m’intégrer pleinement dans la société tunisienne, découvrir ses rouages, sentir que je suis vraiment Tunisien, pas seulement sur les papiers ! Ailleurs, j’étais un étranger, mais en Tunisie, il ne fallait pas l’être. Je me suis fait un réseau de connaissances, je me suis donné à fond dans l’associatif, tout fait pour perfectionner mon arabe, entre autres. L’intégration était en cours.


As-tu écrit ce livre tout seul, ou est-ce que quelqu’un t’a aidé durant le processus ? Quelles ont été tes sources ?


Le livre, je l’ai écrit tout seul. Concernant les sources, il faut reconnaître qu’il y a un problème de bibliographie, pas du tout établie dans les règles de l’art. Je me suis basé sur mon expérience personnelle avec les acteurs de la sphère éducative tunisienne: j’ai rencontré des professeurs, énormément de lycéens, je suis parti dans les lycées, j’ai discuté avec des inspecteurs, des directeurs au ministère de l’Education… Ensuite, j’ai été mis en contact avec des organismes actifs dans la société civile, comme “Wallah we can”, le think tank Tunisie alternatives, etc. intellectuellement, ça m’a permis de développer mes réflexions et de bien façonner mes propos. Bien évidemment, j’ai consulté les statistiques officielles, dont celles du ministère de l’Education et je me suis renseigné sur le système éducatif américain et finlandais.


Tu soutiens qu’après avoir eu ton bac, tu t’es consacré à la vie associative. En quoi a consisté cette expérience associative ?


Au départ, j’ai ciblé l’entrepreneuriat. J’ai lancé « African Business Leaders », qui vise à travailler avec des étudiants subsahariens, mais qui s’est essoufflé après. J’ai participé à des concours et lancé également mon propre projet, « El Mech3al » qui n’existe plus : c’était une association qui avait pour but de mettre en contact les jeunes avec des décideurs, en les initiant ainsi à la prise de décision et à être plus actifs au sein de la société civile. Ensuite, j’ai fait un peu de radio, à Express Fm. J’ai également été le porte-parole de « Walah we can » et bien d’autres…


C’est en effet très riche, mais ce parcours n’a pas de rapport (du moins direct) avec l’éducation tunisienne…


Cet intérêt s’est développé précisément lorsque j’ai participé au Think tank Tunisie alternatives, de Mehdi Jomaâ (ancien chef de gouvernement de la Tunisie en 2014, Ndlr). Ils ont fait appel à moi pour faire partie d’un groupe de réflexion sur la culture et la réforme de l’éducation, et c’est d’ailleurs à travers cette expérience que j’ai été mis en contact avec des ministres, dont celui de l’éducation, en plus de « Wallah we can » et mon travail sur le terrain.


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Comment quelqu’un qui n’a pas connu l’école publique tunisienne peut–il écrire un ouvrage qui traite de la réforme de l’éducation tunisienne ?


La situation était tellement grave qu’il fallait faire quelque chose immédiatement; or, l’élève tunisien n’a pas le temps de penser à ça : il a tout le temps des devoirs à préparer, des concours à réussir, des heures de cours à valider… Il est surmené : le système actuel supprime cet esprit critique. C’est d’ailleurs, une déduction qui m’a poussé à me consacrer à ce système forcément problématique, pour essayer d’y remédier, pendant toute une année.


Ce livre reflète-t-il les rêves que tu espères voir se réaliser, ou alors plutôt des suggestions concrètes pour le système éducatif ?


Deux grands axes sont exposés dans le livre : une présentation de l’état actuel de ce système éducatif, puis une exposition de ma vision personnelle du système idéal. Je dis ce que je ferais si j’avais la possibilité de changer les choses, en proposant des solutions concrètes.


Quel effet espères-tu produire avec ce livre ?


J’espère qu’il va avoir un impact symbolique, qu’il poussera les premiers concernés, c’est-à-dire les élèves à agir. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas un parcours académique remarquable ou qu’ils ne tiennent pas de discours bien structurés qu’il faut les empêcher de s’exprimer ou les ignorer. Ces élèves ont des revendications, des idées à véhiculer. Il faut les écouter. Ce que j’ai communiqué à travers ce livre, c’est une vision très subjective qui parle de mon système idéal à moi, et à moi seul. Une proposition qui incitera, peut-être, les décideurs à agir et à le prendre en considération.


Mehdi Cherif : «Le système éducatif assassine l’esprit critique»
First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !
REVIEWS & CRITIQUES5 / 5 / 2019

First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !

Interminable attente, curiosité et … crainte. Voici l’état d’esprit d’un voyageur lambda sur le point de dépasser une frontière qui sépare deux pays. Le lieu ? Une salle d’embarquement ou de transit. Le temps ? Celui d’un décollage… qui va tarder à se faire.


Une suspension dans le temps et l’attente interminable dans une salle de transit. Pas si simple de sillonner le monde, peu importe la nationalité, la destination, la raison derrière ce voyage… Trois personnes verront le cours de leur vie se faire ou se défaire par un agent de la douane dans un aéroport. L’attente est longue et elle se fait sentir… Les voyageurs se retrouvent confrontés à des questionnaires, une fouille minutieuse, une paperasse insurmontable, à contrôler ou à revoir et se heurtent à des barrières tenaces, parfois infranchissables. Pourquoi certains aéroports génèrent-ils autant d’attente et de réticences ? Le silence est devenu assourdissant à force d’attendre. Comme suspendue dans le temps, la déroute s’est finalement emparée de tout le monde : spectateurs présents et voyageurs protagonistes sur le point d’embarquer.


La pièce traite des restrictions imposées par les Etats du monde pour empêcher les individus de se déplacer, une manière autre aussi de les tracer. Un droit élémentaire humain souvent bafoué par les autorités.


La création introduit d’avance son public dans son cadre spatial : une salle de transit reconstituée à l’extérieur de la salle d’El Teatro, des billets d’avion pour tous les invités en guise de tickets d’entrée, une destination baptisée «Une ville dans le monde»…Au début, cette pièce se laisse désirer et se veut interactive. Quant au voyage, il s’annonce trépidant pour le public, et mouvementé pour les voyageurs sur scène. Le silence est langage et c’est ce qui a plané pendant tout le spectacle. Des bribes de phrases et des bruits ont émané. «First class» n’est pas une simple dénonciation de ces pratiques restrictives, il s’agit également d’un voyage dans le temps, singulier, intimiste, extrait d’un vécu réel, d’un passé ponctué de déplacements : celui de son créateur Rémi Sarmini, qui a fui l’enfer de la guerre en Syrie, en partant au Liban, aux Emirats Arabes Unis, en Egypte, entre autres, avant de rechuter dans le gouffre soudanais et de s’installer en Tunisie. Il le projette dans le personnage d’un jeune homme, à l’apparence défraîchie, appartenant à un autre espace-temps, et qui s’offre à lui seul, un monodrame : tel un homme des cavernes malmené par les aléas de la vie, il lance des cris, difficilement discernables et se lance dans des remises en question avec lui-même, ses rapports aux autres, son relationnel, sa spiritualité étalée, son rapport avec son créateur : une partie qui laisse perplexe, et qui se déroule en simultané sur scène avec l’intrigue de la pièce et de sa thématique centrale. L’embarquement à «First class» peut être vu différemment d’une personne à une autre : les non-dits embrouillent la bonne réception de quelques scènes par moments, mais n’empêchent pas d’encaisser le message principal.


Cette création est jouée par des acteurs tunisiens et syriens : Ichraq Matar, Ahmed Mourad Khanfir, Nejdvan Soliman et Bashar Abassi mise en scène par Rémi Sarmini, sans oublier la remarquable scénographie de Hossein Tikriti. La pièce a été programmée jusqu’à hier 4 mai. Cette production d’Al Mawred et ArtVeda a été soutenue par El Teatro. Il s’agit de la 4e création de Tajroubah Troupe.


Crédit Photo : © Med Karim Amri

First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !
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