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Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle »  : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »
ENTRETIENS7 / 6 / 2021

Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle » : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »

Récemment et dans le cadre du Gabès Cinéma Fen, qui se poursuit en ligne, s’il y a une section qui a fasciné les spectateurs, pour la plupart jeunes, c’est bien la section VR Corner / Hackaton, destinée à la réalité virtuelle. Futuriste et intrigante, cette discipline s’impose d’édition en édition et attire la foule. Les étudiants de l’Institut supérieur des arts et métiers de Gabès (Isam Gabès) y ont participé. Cette année, 4 films ont été réalisés par 4 équipes et un prix a été dédié à la meilleure réalisation. Mohamed Arbi Soualhia, commissaire à la tête du VR Corner, nous parle de cet art avant-gardiste et de son évolution en dehors du festival.


Comment êtes-vous entré en contact avec l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » ?


J’ai travaillé dans quelques projets à l’étranger, notamment sur des prototypes à Berlin et à Munich. Je travaillais dans le festival « Vision du réel » en Suisse. Je ne sais comment exactement l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » a entendu parler de moi. Je suis de nature discrète. Ghofrane Haraghi (coordinatrice) et Fatma Cherif (directrice du festival) m’avaient contacté et m’ont proposé de démocratiser ce nouveau médium que la plupart des Tunisiens ignorent et qui n’est autre que la Réalité Virtuelle. Il ne s’agit pas de nouvelles techniques hautement modernes seulement, c’est une nouvelle forme d’art.


Pour le contenu de cette section, avez- vous eu carte blanche et entière liberté de gestion ou avez-vous reçu des recommandations de la part de l’équipe du festival ?


J’ai proposé des films. On se réunissait et on communiquait souvent jusqu’à l’établissement d’une sélection de films : une longue et une courte liste. A quel point la sélection des films en VR est-elle accessible ? En tant que public, nous n’en savons pas beaucoup sur les canaux de diffusion, leurs choix, leurs contenus, leurs genèse ? L’univers du VR reste encore inaccessible de nos jours. C’est juste. C’est, en effet, un peu compliqué pour l’instant, parce que les casques et les outputs ne sont pas à la portée de tout le monde. La section VR n’est pas programmée dans de nombreux festivals dans le monde. La distribution pose toujours problème, le monotising, aussi. Mais d’ici à cinq ans, à mon avis, ça se réglera. Le covid a ralenti son élan. Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR. C’est une question de temps. On n’en est qu’au début…


En Tunisie, on reçoit presque tout en retard en matière de nouvelles technologies. A Gabès, plus précisément, les notions liées aux arts restent basiques, classiques. L’art nouveau ou ses notions ordinaires restent peu accessibles, d’où l’émergence de cette résistance artistique. Pour vous, quand on fusionne toutes ces disciplines ensemble, peu importe leur différence, est-ce que cela attirera toujours le public ?


Le programme du « Gabès Cinéma Fen » fusionne cinéma, images et haute technologies. Un contenu qui ne fera qu’attirer les festivaliers et le public, des plus jeunes aux plus âgés, toutes tranches d’âges confondues. Il faut leur montrer ces formes d’art et les aider à raconter leurs histoires, les initier. Dans le cadre de cette expérience, ils étaient passionnés, proches des personnages en VR. L’expérience est inédite, riche en qualité technique. Le festival garantit l’aspect technique. D’autres films sont interactifs : leur contenu est riche. Le spectateur/participant peut même aider les protagonistes, enlever les casques, proposer des solutions, intervenir. Et l’édition connaît de nouveaux membres et de nouveaux talents jeunes, qui promettent réellement et qui apportent de la fraîcheur et une dynamique nouvelle.


Peut-on en savoir plus sur le hackathon ?


Cette compétition est composée de quatre groupes, formés l’année dernière dans des ateliers, dans lesquels ils apprennent tout : le prototype de création, au scénario VR. Ils n’ont pu tout faire à cause du covid. Des scénarios ont émergé, des figurants ont été aussi dénichés pour le tournage, des moyens du bord qui ont permis à des jeunes de conclure des projets de fin d’études de qualité en 48h. J’ai été fier d’y participer et on compte maintenir et cette section et cette compétition.


Quel est le point commun qui rassemble tous les films sélectionnés et quel est votre définition du VR ?


On voulait diversifier les genres : fictions, documentaires, courts, longs métrages, et diversifier les sujets proposés, comme l’écologie, l’identité, les origines ethniques. Des thèmes universels. On a aussi touché à l’art, comme celui de Héla Lamine, et de l’expérimentation puisée dans des sons, de la musique. Le VR peut nous téléporter dans des univers fantastiques, parallèles, qui sortent de l’ordinaire. Il téléporte mentalement dans des ailleurs et des contrés nouvelles. Le plus long des films en VR que j’ai découvert est de 45 min. Ceux proposés ici sont courts. Le VR fait rêver, voyager et des médias internationaux en usent déjà comme « The Guardian », « Arte » etc, afin de faire voyager leur audience.

Med Arbi Soualhia, Curateur « réalité virtuelle » : « Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR en Tunisie »
Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»
ENTRETIENS7 / 3 / 2021

Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»

Salma Ksontini, jeune curatrice tunisienne, a géré récemment la section «K-Off», dans le cadre de la 3e édition de Gabès Cinéma Fen. Elle a déniché différents talents locaux singuliers, distingués. Une expérience intense qu’elle partage avec nous dans le cadre d’un échange fructueux.


Vous avez fait vos preuves récem- ment en dirigeant la section «K-Off» consacrée aux artistes visuels tunisiens dans le cadre de « Gabès Cinéma Fen ». Comment a eu lieu la prise de contact avec toute l’équipe ?

J’ai interviewé Malek Gnaoui, il y a plus d’un an dans le cadre du Tasawar Curatorial Studio. On a échangé, parlé du secteur, des arts, etc. Il m’a proposé de participer à cette aventure deux mois après. Il en a parlé à Fatma Kilani et j’ai embarqué. On m’a expliqué ma mission : gérer les artistes tunisiens dans le cadre de cette section « K-Off » en tant que curatrice / commissaire. J’accompagne le travail de plusieurs artistes locaux simultané- ment jusqu’à l’aboutissement. On a commencé par la prospection, le choix des artistes, leur sélection et on s’est restreint à la scène tunisienne, opter pour une tranche d’âge jeune. Ça a facilité le contact entre nous toutes et tous. L’échange fut fructueux. J’ai cherché, de mon côté, différents profils en faisant du porte- à- porte (rires), en les dénichant, un peu partout… J’ai vu le travail d’un bon nombre d’artistes proposé dans le cadre d’expo, ou de ma participa- tion dans des festivals.


Avant d’embarquer pour cette aventure, qu’avez-vous accompli ?

J’ai fait du «Design espace», à la faculté, qui m’a beaucoup servi au «K-Off» et, actuellement, j’essaie de finaliser mon master en théorie de l’art aux Beaux arts de Nabeul. J’ai travaillé sur «Interférence», «Tasawar Curatorial Studios», «Houmtek…»


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Pouvez-vous revenir sur votre prise de contact avec de nombreux artistes participants ?

Ghassen Chraifa, je l’ai découvert dans «Culture solidaire», du B7L9. Il connaissait Malek aussi. Rim Harrabi, je la connais «d’Interférence», le festival d’art visuel. Ahmed ben Nssib, je l’ai connu par hasard à travers sa maman en 2018. Son travail était époustouflant. Dorra Dalila pareil. Asma Laâjimi a fait une première : je l’ai connue à Djerba. Cheb Terro, c’était le challenge par excellence : son travail tournait autour de la scène underground, il évoquait l’Underplanet et maniait la vidéo qui devait être un moyen de médiation. Tout un monde ! Leurs œuvres se distinguaient par une technique propre à chaque artiste. Ils avaient une définition propre à eux et ne se ressemblaient pas. Et leurs œuvres tournaient autour de l’image en mouvement, décortiquée et mise en valeur dans un même espace mais vécu, chacun et chacune à sa manière. Il était hors de question de se restreindre : ils étaient libres de créer. Et moi-même, je ne pouvais les enfermer dans des mondes qui ne sont pas les leurs. J’étais dans un poste d’observation : j’étais au centre et je devais sonder autour de moi en cherchant qu’est-ce qui pourrait être intéressant et qu’est-ce qui pourrait ouvrir des pistes, à travers l’animation, le dessin, l’analogie. Il y a le langage cinématographique qui se rapproche de l’art vidéo. J’étais dans une recherche artistique fructueuse que j’ai pu mener à bout via ces œuvres-là. On échangeait beaucoup les idées.


Quelles sont les difficultés que vous avez eues ?

C’est qu’on soit aussi jeunes, toutes et tous. Pour l’aspect technique, on n’est pas toutes et tous censés manipuler ou accomplir les mêmes techniques : je suis moi-même dans l’apprentissage. C’était bénéfique pour tout le monde et on a toutes et tous appris ensemble au fur et à mesure. Je ne parlerai pas de «Difficultés », c’est un mot lourd tout de même, mais je dirai plus un défi. Il fallait gérer tout, j’étais le maillon central.

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Quels ont été les retours du public à « Gabès Cinéma Fen »?

Des retours excellents et variés : les spectateurs laissaient libre court à l’interprétation. C’était le but. Ils se sont déchaînes à trouver plusieurs thématiques, ils étaient observateurs. C’était intéressant. On a mis en place une scénographie imposante, intimiste, ancrée sur la vidéo. Chaque spectateur a pu voir plusieurs œuvres à sa manière. Il a fait chaud aussi. Beaucoup, beaucoup (rire). Mais tout s’est bien passé en général, en s’adaptant au contexte sanitaire critique, bien entendu. Les sensibilités diffèrent d’une présentation à une autre. Les artistes programmés pendant cette 3e édition peuvent ouvrir les portes et inciter d’autres à se lancer. L’espace « K-Off » qu’on a ouvert fera office de résidence d’artistes après.

Salma Kossentini, curatrice d’art : «On ne pouvait se restreindre : les artistes étaient libres de créer»
L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»
ENTRETIENS5 / 24 / 2021

L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»

Souhir Ben Amara a rempilé sur le petit écran dans «El Foundou», dirigée par Sawssen Jomni. Succès public garanti qui survient après son passage sur scène, dirigée par Cyrine Gannoun et au cinéma, dans l’onirique «Tlamess» de Alaa Eddine Slim. Rencontre avec une valeur sûre qui s’innove.

«El Foundou», série ramadanesque réalisée par Sawssen Jomni, est votre dernier travail en date. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle ?


C’est la complexité du rôle. C’est ce que porte le personnage comme contradictions. Ce qu’il porte comme traumatisme, comme trame dramatique. Son aspect fragile. Ce rôle dans «El Foundou» est très différent de ce que je suis. Plus il est loin de ce que je suis et de ce que je ressens, mieux c’est. C’est ainsi que je peux me sentir dans la création et dans la recherche. Avec Sawssen Jomni, le contact s’est très bien déroulé. On se connaît depuis longtemps, même si ça faisait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Elle a évolué. Elle a le sens du détail. C’est une réalisatrice qui opte davantage pour les gros plans : c’est une approche que j’apprécie. Il y a beaucoup de confiance entretenue entre nous deux.


Est-ce que vous êtes de ces artistes qui trouvent qu’une réalisatrice femme travaille différemment qu’un réalisateur homme ? Est-ce que vous trouvez que leur sensibilité diffère ?


C’est la même chose pour moi. J’apprécierais plus s’ils étaient différents. Chacun sa vision, son approche, sa méthode de diriger les acteurs. Ça ne peut être qu’enrichissant. Il faut certes assurer, mais c’est surtout un exercice qui s’adapte à la vision, à la façon de travailler de l’acteur.


«El Foundou» a reçu un accueil public largement favorable, mais a été par moments critiqué à cause de l’image dite « péjorative qu’il véhicule de la femme ». Je cite également « de la violence physique explicite », etc. Qu’avez-vous à dire sur ces critiques ?


Ce qui se passe dans la vraie vie est mille fois plus grave que ce qu’on peut voir dans une fiction. Ce qu’on ne voit pas est pire. Admettons que tout ceci existe, ça choquera quand même quand on le voit. Autant voir la réalité telle qu’elle est. Par ailleurs, on peut se sentir responsables quand on sait que cet ailleurs-là, ou la rue, est certes tout aussi cruel, mais on pourrait, en tant qu’artiste, pousser davantage vers le rêve, vers plus de valeurs. Un artiste ne fait pas dans le social et ne remédie pas forcément à ces problèmes sociaux. Le débat sur la violence reste large. : C’est la force de l’image et on est dans l’ère de l’image : qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce que qu’on doit dissimuler ? La violence et le sang que l’histoire a connus sont bien plus graves que ce qui a été montré dans l’histoire du cinéma. Mais est-ce qu’il faut questionner le traitement ? Et comment est-il filmé ? Est-ce qu’il est adapté à la réalité, à la nôtre ? Est-ce à l’artiste d’y remédier ? Large débat et j’interroge.


Juste avant «El Foundou», le public vous a découvert sur scène dans «Club de chant» de Cyrine Gannoun. Pourtant, le théâtre ne vous est pas très familier. Qu’avez-vous à dire sur cette expérience ?


Je me suis promis d’en faire dès que l’occasion se présente. Dans «Club de chant», j’étais dans la découverte, dans l’épanouissement, le plaisir, la fatigue, dans les doutes. Je m’en suis pris au personnage et vice-versa. Il y a des couches profondes. On peut s’exploiter en tant que citoyenne, artiste, femme. Il y a des disciplines inatteignables dans le théâtre. Le théâtre est dénué de faux semblants: ce n’est sûrement pas mentir sur scène.


Durant votre carrière, une prise de risque reste tout de même distinguée : c’est celle de votre rôle dans «Tlamess» d’Alaa Eddine Slim, un long métrage qui a subit les aléas de la crise sanitaire lors de sa sortie en salles mais qui a fait échos dans le monde entier…


Ce qui stimule, c’est ce saut dans le vide. L’intégration d’une dimension autre, que j’ignore et que je continuerai à ignorer même en lisant le scénario plusieurs fois. Je ne connaîtrai cette expérience qu’en la vivant. Je n’ai pas beaucoup, réfléchi, hésité ou discuté du thème. Dans «Tlamess», il n’y avait pas de dialogues. Ce qui nous pousse à nous focaliser sur la communication non verbale, ce que transmet l’artiste comme affection ou feeling. C’est spécial pour l’acteur, pour le public. On est dans la contemplation. Tous les retours sont tellement différents. «Tlamess» était une véritable aventure. Je disais souvent que le film doit se voir avec le cœur.


La culture et les arts subissent de plein fouet les conséquences du covid-19, de la politique et de l’économie en berne. Qu’avez-vous à dire en tant qu’artiste désireuse d’y remédier en Tunisie ?


C’est une accumulation de dégâts provoqués successivement pendant les dix dernières années. Honte à nos politiciens de nos jours. Ils devraient davantage entretenir le pays et mettre leurs différends de côté. Je refuse en tant qu’artiste de voir la Tunisie faire faillite sur tous les plans : Toutes les décisions qu’un artiste doit prendre doivent être prises en considération par la classe politique.

L’actrice Souhir Ben Amara : «Mon rôle dans El Foundou est très différent de ce que je suis»
Imed Eddine Al Hakim, scénariste  : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»
ENTRETIENS5 / 18 / 2021

Imed Eddine Al Hakim, scénariste : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»

Après «Ambulance» et «El Maestro», «El Harga» de Lassaâd Oueslati est sans doute l’ultime distinction en date de son scénariste Imed Eddine Al Hakim. Les deux travaillent en étroite collaboration depuis quelques années. A travers son écriture, Imed Eddine a secoué le public tunisien en levant le voile sur la migration clandestine, ce fléau social ravageur. Rencontre.


Comment vous vous êtes retrouvé à tisser un scénario autour de la migration clandestine ?


L’idée a émergé juste après la fin de l’aventure «El Maestro». Le sujet a été évoqué avec Lassaâd Oueslati, le réalisateur. Une 2e saison d’«El Maestro» n’était pas envisageable. On s’est dit qu’il fallait plutôt traiter d’un autre phénomène social d’envergure comme celui de la «Migration clandestine». Un phénomène qui n’a pas été traité auparavant, en profondeur à la télévision. Et c’est ce qu’on s’était fixé de faire : traiter de cette thématique à la racine. Les gens entendent parler vaguement de ce phénomène, notamment dans les infos. On s’est dit pourquoi ne pas en faire un traitement artistique à travers lequel on pourrait tout filmer : la barque, les différents profils des migrants, ce qui les a poussés à le faire, se jeter en mer, filmer en haute mer tout le cauchemar, le calvaire, le processus et opter pour des personnages inspirés de la réalité pour que les téléspectateurs s’y retrouvent, tout en évitant l’aspect technique, les statistiques, l’aspect méthodique qui englobent «El Harga». On entretient la tragédie autour, le drame, les histoires pour capter l’attention. D’où l’empathie, la sympathie et la haine ou le rejet qu’on peut éprouver envers les personnages. L’aspect analytique n’était pas à l’ordre du jour : ça pouvait ne pas intéresser les téléspectateurs. L’écriture de «Harga» est nouvelle, innovatrice et est inspirée d’une réalité nouvelle : la différence entre la fiction et la réalité reste très légère.


Comment définirez-vous cette écriture nouvelle ?


C’est cette réalité qu’on peut fusionner avec la fiction : le docu-fiction à la télé. Le feuilleton rassemble les deux, même au niveau de l’image. En Tunisie, c’est une première. Des extraits pourront servir pour des enquêtes, pour des cours, pour de la recherche et de l’archivage autour de la migration. Les personnages sont plus vrais que nature.


«Harga» peut sensibiliser sans pour autant proposer des solutions. Etait-ce voulu ?


Une création artistique n’a pas comme mission ou objectifs de trouver des solutions et d’en proposer. C’est le rôle de tout le monde y compris du public de trouver des solutions. On se doit de mettre en lumière une création porteuse d’une cause, d’une manière différente, attractive, propre à nous. De telle sorte que quand les gens regardent la série, ils peuvent se sentir concernés et impliqués. Ce n’est pas à nous d’échafauder des solutions à la migration. Relater les faits, faire un état des lieux détaillés, parler de ce fléau, c’est notre mission. Le patriotisme, l’appartenance, la déchéance des citoyens, le chômage, la misère, la hiérarchie, la corruption, l’absence de l’Etat et j’en passe… De la matière à présenter, on en avait et on l’a traité d’une manière limpide, sans artifices, directe, ce qui a touché le public en profondeur. Une réalité qu’on sent dans les personnages, dans les décors, les lieux, dans ses détails… C’est ce qui a permis aux gens de s’identifier, de s’y retrouver. Le maquillage chez les personnages se voit à peine. L’allure, les expressions, les habits sont plus vrais que vrais et c’est proche de la réalité. La réalité rime avec tous ces détails.


Avez-vous préféré ne pas creuser davantage dans certains aspects liés à ce thème sensible ?


On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté. Les aspects qu’on a évités de mettre en avant sont liés aux textes de loi relatifs aux centres de détention et à la migration. Des textes qui changent en permanence. On a préféré y faire allusion sans détailler. Le téléspectateur n’approuve pas les chiffres, les lois et les données techniques : on a voulu relater. Ce phénomène date de décennies et il y a avait déjà beaucoup à dire.


Concernant le scénario, l’avez-vous à un moment improvisé/modifié ?


Ce texte ou ce scénario n’est pas un texte saint : on croit au changement et il peut changer selon les décors, les visions du réalisateur, selon les circonstances. Des ajouts peuvent se faire dans le dialogue, les répliques, les prises, que personnellement, je trouve mieux. Le savoir-faire chez l’équipe technique et l’instinct de Lassaâd Oueslati ont fait la réussite du travail. Les changements qui ont eu lieu devaient se faire, étaient adéquats et ont eu lieu avec l’accord du réalisateur.


Vous comptiez partir tourner en Italie, avant la pandémie…


Tout un acte allait se faire là-bas avec Ahmed Hafiane. Un acte qui a dû être supprimé et remplacé par un autre qui doit se faire en Tunisie. La tâche était très dure. Le travail a été écrit pendant le tournage, souvent au fur à mesure. Les scènes qui ont été tournées comme s’ils étaient en Italie sont réussies. Mention spéciale à Nahla Smati qui a travaillé dur sur le décor. Le téléspectateur a le sens de l’observation de nos jours. La partie du «Centro» devait être tournée Italie. Tout a été fait ici.


Qu’est-ce qui a changé pour le scénariste que vous êtes entre «El Harga» et «El Maestro», réalisé en 2019 ?


J’ai cette conscience qu’après chaque travail, je dois m’améliorer et travailler plus sur mon écriture. «El Maestro» est le tout premier feuilleton que j’ai écrit. «El Harga», je n’y suis pas satisfait à 100% également. On s’évalue après chaque travail. Il est réussi et c’est tant mieux mais, la prochaine fois, il faut mettre la barre plus haut. Dans «El Maestro», tout s’est déroulé dans des décors fermés, dans «El Harga», j’avais plus d’espace. Je m’informe sur les créations étrangères, afin de m’améliorer et d’affiner davantage mon écriture. C’est mon but ultime.


Vos deux derniers scénarios écrits étaient d’ordre dramatique. Vous avez travaillé également sur une comédie «L’ambulance», toujours avec Lassaâd Oueslati. Y a-t-il une différence entre les deux genres? Êtes-vous plus à l’aise dans la comédie ou dans le drame ?


Ma première expérience était dans la comédie. Je me vois dans les deux. Faire rire les gens à travers une situation qui fait rire est un bon exercice. Et dans «Ambulance», c’était le cas. Même si je m’étais plus penché vers le drame dernièrement, j’aime beaucoup cette comédie qui filme une prise de position et met en scène des acteurs ou comédiens qui ne sont pas spécialistes en la matière. C’est enrichissant de les voir dans différents créneaux. La comédie ne s’arrête pas que sur des comédiens précis de nos jours…


Etes-vous plus à l’aise en tant que scénariste à la télévision ou au cinéma ?


A la télévision. Dans une série, je peux m’exprimer plus librement et le format des séries a évolué de nos jours. Elles touchent plus les gens. Dans le cinéma, il y a beaucoup plus de problèmes notamment liés aux subventions et aux financements. Je veux travailler des films qui me plaisent sans qu’on m’impose une vision autre, propre à d’autres. Je n’approuve pas le cinéma commercial. Je veux un cinéma qui soit porteur de l’identité de mon pays sans ingérences locales ou étrangères. Je veux évoquer à mon aise les problèmes liés à notre nation, au pays. Je prends l’exemple du cinéma iranien et japonais qui reste typique et porteur des valeurs et des maux de ces nations. Écrire pour le cinéma ou la télé, c’est la même chose. Et dans «Harga», on s’exprime beaucoup à travers l’image, avec moins de dialogues comme au cinéma.


Si vous deviez commenter le paysage audiovisuel actuel, que diriez-vous ?


Réaliser «El Harga», El Maestro», et même «Nouba» était une bataille menée contre la médiocrité. L’objectif est de disséquer les problèmes sociaux, de les dénoncer et de raconter les maux des gens à travers l’art. Aujourd’hui, des productions médiocres ont vu le jour. Et c’est grave. On n’est pas dans un esprit compétitif et on ne dépend pas de la pub forcément. «El Watania» fournit un budget qu’un producteur exécutif s’approprie pour créer. On n’a juste plus besoin de voir autant de navets et de travail d’un niveau aussi bas. Les générations actuelles et futures ne méritent pas cela. Subir autant de violence physique et verbale non justifiée sur nos écrans est aberrant. On est libre de nous exprimer, pourquoi ne pas le faire à bon escient ? Où est la Haica ? Il y a des pratiques qui doivent cesser et des lois qui doivent être appliquées avec rigueur. Cette soif de sensationnalisme et de buzz doit cesser. Et vive les médias publics qui modèrent finalement le contenu. Il y a une différence entre divertissement, recherche de l’audimat à tout prix et qualité de l’œuvre.

Imed Eddine Al Hakim, scénariste : «On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté»
Yasmine Bouabid, Actrice : «Je me rends compte de l’importance d’être polyglotte en 2021»
ENTRETIENS5 / 6 / 2021

Yasmine Bouabid, Actrice : «Je me rends compte de l’importance d’être polyglotte en 2021»

Yasmine Bouabid a crevé le petit écran tunisien dans deux rôles aux antipodes l’un de l’autre. Elle interprète Mariem, jeune fille naïve, éperdument amoureuse et issue d’un milieu rural dans «Ouled el Ghoul» qui fait face aux difficultés de la vie estudiantine et sociale dans un Tunis impitoyable, tandis que «Waad» reste intrépide et engagée jusqu’au bout de son épopée dans cette odyssée télévisée nommée «Harga». L’artiste montante est à l’image de cette génération prometteuse d’acteurs en devenir et nous le fait bien savoir.


Vous êtes sans doute la révélation de 2021 pour les Tunisiens : vous campez simultanément deux rôles remarquables dans deux productions ramadanesques. Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre parcours bien avant «Harga» et «Ouled el Ghoul» ? Comment avez-vous attrapé ce virus de l’acting ?


J’ai commencé ma carrière en 2014, mais je rêvais de devenir actrice depuis mon plus jeune âge. Quand j’avais 13 ans, j’ai intégré pour la première fois un cours de théâtre, et, à l’âge de 15 ans, j’ai commencé à faire mes premiers castings. Mais j’ai vraiment décidé d’en faire un métier après un moment triste dans ma vie. Un tournant qui m’a permis de comprendre que je n’avais pas envie de vivre de regrets et qu’il fallait que je me lance dans ce que j’aimais sans trop me soucier de l’avis des autres, y compris celui de mes proches. Au début, j’ai travaillé dans le cinéma tunisien, ensuite j’ai décidé de faire une formation, en auditionnant pour une école de théâtre en Italie où j’ai fait de l’acting et de la dramaturgie. J’ai eu des expériences au théâtre, à la télé italienne et dans une série canadienne. Actuellement, je suis à Londres où je compte faire un master en acting. Pour en arriver à «Harga» et à «Ouled el Ghoul», il a fallu travailler pendant 6 ans, me préparer artistiquement mais aussi sur le plan humain, mental et physique. Le travail d’acteur n’est pas facile, ce n’est pas que le côté glamour qu’on voit et qui nous fait rêver : c’est un travail riche, exceptionnel, qui nous fait découvrir l’aspect émotif de l’être humain et qui nous permet de raconter des histoires à travers le corps et les émotions, mais c’est aussi un travail fait de rejet, de larmes et de longues attentes entre un projet et un autre. C’est pour cette raison qu’il faut travailler sur soi et trouver tous les jours un bon équilibre mental pour tenir la cadence.


Vous vous distinguez notamment grâce à un atout fort : vous êtes polyglotte à la perfection. D’où vous vient cette passion pour les langues ? Est-ce selon vous crucial pour percer ?


Ce n’est pas vraiment une passion, ce sont plutôt les circonstances de la vie qui ont fait qu’aujourd’hui je parle presque parfaitement quatre langues. La plupart des Tunisiens maîtrisent le français et l’arabe, en ce qui concerne l’italien et l’anglais je remercie ma mère. L’italien car elle est d’origine italienne, l’anglais, car, quand j’étais jeune, elle a beaucoup insisté pour que je suive des cours, et même si, à l’époque, je ne pouvais pas en voir les côtés positifs, aujourd’hui je me rends compte de l’importance d’être polyglotte en 2021. Donc oui, de mon point de vue c’est crucial pour percer car c’est ce qui fait que je peux bouger et travailler entre différents pays, mais c’est aussi crucial pour l’esprit parce que ça nous permet de nous ouvrir à n’importe quelle culture et rencontre. Dans la plupart des pays que je visite, j’arrive à communiquer avec ceux qui m’entourent, à apprendre d’eux et à ne pas rester coincée dans ma propre vision des choses.


«Waad» dans «Harga» est un rôle profondément humain, engagé et qui a sans doute nécessité une endurance physique. Quel a été le plus dur à interpréter dans ce rôle ? Avez-vous des points communs avec votre personnage ? Qu’est-ce qui vous a attiré en «Waad» ?


La première fois que j’ai rencontré Lassaâd Oueslati, ce n’était pas pour le rôle de « Waad ». J’allais interpréter la fille d’Ahmed el Hafiene, qui devait être avec nous dans la série mais qui, malheureusement à cause de la Covid, n’a pu travailler sur le projet. C’était un rôle secondaire et j’en avais déjà fait d’autres avant, donc même si j’étais très heureuse de pouvoir participer à un tel projet, j’étais assez confiante pour pouvoir m’en sortir. Sauf qu’après m’avoir connue et découvert mon expérience, Lassaad a décidé de me donner le rôle de «Waad». Et la confiance en moi que j’avais s’est transformée en peur, car je sentais une pression et je me sentais responsable de devoir bien interpréter un rôle aussi important dans une série télé. Lassaâd Oueslati a vu en moi quelque chose que moi-même je ne voyais pas à ce moment-là. Il m’a fait confiance, m’a aidée à sortir de ma zone de confort, m’a permis de faire mes preuves et de révéler à moi-même mes capacités. Je pense, donc, que le plus dur était de dépasser cette peur, et plus les jours de tournage passaient, plus je suivais mon instinct, plus je faisais confiance au réalisateur, plus de belles choses se créaient. En ce qui concerne les points communs avec ce personnage, je pense que la « Waad » que vous avez vue c’est moi : c’est une facette de ma personnalité, comme tout autre personnage que j’ai interprété jusqu’à maintenant. Je pense que si une autre actrice avait interprété « Waad », vous n’aurez pas vu le même personnage. Chaque acteur ou actrice insuffle sa propre émotion et son instinct dans la création d’un personnage, et à travers le texte et les circonstances du scénario, il / elle fait vivre une partie de lui/elle-même pour humaniser le scénario qu’il/ elle a entre les mains. C’est ce qui m’a toujours fascinée dans le métier d’acteur : pouvoir vivre plusieurs vies à la fois.


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Peut-on considérer «Harga» comme un tournant dans votre carrière ?


Je pense que oui. «Harga» m’a permis d’avoir confiance en mes capacités et m’a fait comprendre que je peux transmettre des émotions à ceux/celles qui me regardent. Je ne sais pas si ça va être un tournant dans mon parcours professionnel, mais d’un point de vue personnel, c’était une aventure qui a complètement changé le rapport que j’ai avec ce métier.


Votre rôle dans «Ouled el Ghoul» est aux antipodes de celui dans «Harga». Encore une fois, c’est votre pratique d’un accent rural tunisien qui fait écho. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rencontre avec ce personnage ? Quel a été le plus dur pour vous à jouer dans «Ouled el Ghoul» ?


Mariem m’a aidé à fermer un cercle : pour arriver à jouer ce rôle, j’ai dû rouvrir des tiroirs de ma mémoire où j’avais caché des souvenirs de quand j’étais plus jeune. Au début, sa façon de réagir à certaines situations m’énervait, mais en même temps, je savais qu’un acteur devait toujours trouver le moyen d’être en phase avec son personnage, et c’est pour ça que j’ai commencé à voir Mariem comme une version plus jeune de moi qui n’a pas l’expérience et l’âge que j’ai et donc, elle ne va pas avoir forcément la même manière que moi d’affronter les difficultés de la vie. On voit quand même une évolution du personnage du début à la fin: l’évolution d’une jeune femme qui, face aux difficultés, apprend à réagir au lieu de rester en retrait comme elle a toujours fait. Le personnage de Mariem dans « Ouled el Ghoul » a eu un effet cathartique sur moi : je lui dois beaucoup.


Envisagez-vous de vous consacrer au théâtre, au cinéma ou autres ?


Tant que je peux m’exprimer et faire ce que j’aime, je ne veux pas me limiter à un seul moyen d’expression. Je veux suivre le mouvement, et accepter ce que la vie va m’offrir comme expériences. Mais j’aimerais beaucoup écrire un film prochainement.


Avez-vous hésité à percer à travers le petit écran en Tunisie plus tôt qu’à travers une autre discipline/art ?


Je crois beaucoup au destin et je pense que les choses se sont passées de la bonne manière jusqu’ici. On m’a posé plusieurs fois la question de pourquoi je n’ai pas eu avant l’occasion de me montrer à la télé tunisienne, et je répondais qu’il y a toujours un timing parfait pour toute chose. Qui sait ? Peut-être que je n’aurais pas pu me faire connaître dans d’autres rôles, peut-être que je n’aurais pas été prête. Je pense aussi que le «mindset» (état d’esprit) joue un rôle très important. La personne que j’étais il y a deux ans n’aurait pas pu endurer une telle exposition à l’opinion des autres et donc aux commentaires positifs comme à la critique. Les deux sont dangereux: la critique peut créer une image faussée de nous-mêmes qui ne correspond pas à la réalité mais plutôt à une perception subjective. Les commentaires positifs peuvent booster ton ego un peu trop et ne pas te permettre de te remettre en question et d’évoluer. Il faut donc être stable mentalement pour ne pas se faire influencer par ce qui se passe autour. En conclusion, je suis très contente d’avoir eu mes premiers rôles à la télé tunisienne après 6 ans. En Italie on dit «chi va piano, va sano e va lontano». (Rire)


Parallèlement, vous gérez une marque de bijouterie «Monraï Shop». D’où vous vient cette passion ?


Monraï est un autre canal que j’utilise pour exprimer ma créativité. Ceux qui me connaissent depuis toujours savent que je ne sors jamais de chez moi sans avoir mis mes accessoires. Ça me permet aussi d’avoir une stabilité financière que je n’ai pas en tant qu’actrice entamant son parcours. J’ai fait plusieurs petits boulots avant de créer ce projet, mon petit bébé. J’ai été serveuse, baby-sitter, j’ai travaillé dans l’événementiel. Sauf que j’avais vraiment envie de faire quelque chose qui me donne la possibilité d’être mon propre boss, d’être libre de travailler à n’importe quel moment de la journée et de faire des castings à côté. Monraï a aujourd’hui un peu plus d’un an, avec des hauts et des bas car quand je suis en tournage c’est difficile de s’en occuper, mais elle m’apporte beaucoup de satisfaction. Dans le futur, je prévois de lancer la marque en Europe et je veux créer une petite structure pour pouvoir déléguer une partie du boulot et me concentrer sur l’évolution du projet.


Quels sont vos prochains projets ?


Je n’aime pas en parler en général, je suis assez superstitieuse. (Rire) Ce qui est sûr c’est que je vais continuer à créer, en espérant pouvoir le faire à l’échelle internationale un jour. On se donne rendez-vous dans 5 ans pour voir où j’en serai. (Rire)

Yasmine Bouabid, Actrice : «Je me rends compte de l’importance d’être polyglotte en 2021»
L’acteur Fares Landoulsi  : « La célébrité est importante, mais l’art est infiniment plus précieux »
ENTRETIENS4 / 17 / 2021

L’acteur Fares Landoulsi : « La célébrité est importante, mais l’art est infiniment plus précieux »

Fares Landoulsi est Youssef El Ghoul dans « Ouled El Ghoul », série ramadanesque, actuellement diffusée, de Mourad Ben Cheikh. Il s’agit de son premier grand rôle sur le petit écran tunisien. Pourtant, l’acteur s’est frayé tôt un début de parcours distingué à l’international, en incarnant notamment Samir, jeune réfugié livré à lui-même dans la série « Messiah » (Messie), diffusée sur Netflix. Son prochain tournage est prévu à Londres en septembre. Rencontre.


Actuellement, vous campez le rôle de Youssef El Ghoul, de la fratrie El Ghoul dans le feuilleton tunisien « Ouled El Ghoul » de Mourad Ben Cheikh, diffusé sur Attessia TV. Que pouvez-vous nous dire sur ce premier grand rôle à la télévision tunisienne ?


La proposition m’a été faite récemment par Salem Daldoul, en qui j’ai confiance et avec qui je suis à l’aise de travailler. Je ne m’y suis pas encore essayé à la télé tunisienne auparavant. Mourad Ben Cheikh, le réalisateur, est une valeur sûre. Les deux étaient ambitieux. Mourad Ben Cheikh m’avait remarqué dans « Messiah » sur Netflix. J’ai été au Kef pour un autre tournage, je l’ai terminé et me suis engagé dans « Ouled El Ghoul ». Vertigo Prod, la production, m’a tout aussi stimulé. A la lecture du scénario, j’ai été happé. L’axe de la relation fils/père mené aux côtés de Fathi Haddaoui était très bien ficelé. J’ai, donc, été entraîné dans cet univers très riche. En termes stratégique et artistique, l’opportunité était à ne pas rater. Mais l’autre défi était d’interpréter ce rôle à la perfection : Youssef est musicien, joue de l’oud, étudiant à l’Institut supérieur de musique de Tunis. Je devais parvenir à manier cet instrument sans doublure. Une coach m’a assisté pour cela. Convaincre la prod dès le départ était un but crucial comme celui de jouer réellement le rôle du début à la fin. Les entraînements n’ont pas cessé sur un mois pour manier l’oud, mais aussi savoir faire de l’équitation. Alia Sallami — meilleure voix féminine pour moi dans le monde arabe — m’a également chaperonné. Sa voix était le fil d’Ariane qui remplaçait la maman de Youssef, mon personnage. C’était une véritable plongée dans le répertoire musical tunisien. Les premiers jours de tournage, je devais directement manier cet instrument dans des scènes : l’épreuve était celle de s’approprier cet instrument de musique. Le trac était à son comble, mais tout s’est finalement bien passé. Il y a eu une doublure de son dans quelques scènes. Sans oublier, la psychologie complexe du personnage qui a grandi dans une famille violente, rigide, une belle-mère dénuée de sentiment, un père autoritaire… Ce personnage est scindé en deux comme celui que j’ai joué dans « Messiah » et il est l’élément déclencheur de cette pluri-tragédie, basée sur les non-dits sociaux, de grands conflits, l’hypocrisie sociale, les libertés individuelles, la problématique de l’héritage, le régionalisme… Etymologiquement, le prénom Youssef renvoie au prophète : son naturel, sa sensibilité, sa beauté, le gâté, fils préféré de son père. Beaucoup de similitudes à noter.


Toujours dans l’actualité, vous avez également enchaîné avec le tournage du film « Ghodwa » de Dhafer Al Abidine, mais pas en tant qu’acteur. Pouvez-vous nous en dire davantage ?


J’en suis très heureux, effectivement. J’étais programmé dans le dernier spectacle théâtral-hommage à feue Raja Ben Ammar, et qui ne s’est pas fait finalement avec moi. Il était prévu que j’y sois en tant qu’acteur sur scène, mais une certaine rigueur devait être entretenue : « Ouled El Ghoul » s’est présenté, et « Ghodwa » a suivi. Le rythme était intensif. Dans « Ghodwa », j’y ai participé derrière la caméra : je devais faire le « making-of ». Dhafer El Abidine est un exemple à suivre : il a les qualités nécessaires. Je me suis adressé à Nomadis prod et j’ai embarqué. Ma rencontre avec Dhafer était mémorable : je devais le voir jouer, travailler sur terrain. Ce n’était pourtant pas mon modèle avant, mais ce fut une grande découverte. Il y a eu des scènes qui m’ont bouleversé : « Ghodwa » promet. J’étais donc sur le tournage et je pouvais filmer tout, j’avais carte blanche. C’était formateur. Le « making of » que je dois réaliser est d’environ 45 minutes. Le tournage est bouclé, et tout s’est bien passé.


Peut-on considérer que « Messiah », la série américaine Netflix créée par Michael Petroni, est cruciale dans votre carrière ? Que gardez-vous de cette expérience, vécue tôt à Hollywood ?


Beaucoup (rires). Je garde tout. Mon expérience dans « Messiah » m’avait appris que le champ du possible était infini, que s’ouvrir sur le monde n’est pas chose difficile. Quand j’ai été présélectionné pour les Emmy Awards, j’y ai cru et il le faut afin de pouvoir avancer. Il ne faut pas se cantonner dans un pays, un registre. La célébrité est importante, mais notre art est infiniment plus précieux. « Messiah » est une réelle formation, un voyage spirituel, celui d’une vie. Tomer Sisley, Michelle Monaghan, Mahdi Dahbi, mes partenaires, étaient en or.


Aux Etats-Unis ou en France, comment est perçu le cinéma tunisien ?


Positivement, même dans les écoles de cinéma. Spécialistes et critiques compris. Récemment, « Un fils » de Mehdi Barsaoui a cartonné. La qualité et le niveau de notre cinéma ne font pas défaut. C’est indéniable, mais financièrement, on reste limité par rapport aux autres industries cinématographiques dans le monde.


Vous avez campé des rôles complexes, variés, audacieux dans des courts métrages, comme « Omertà», « Face à la mer », « Le retour ». Des choix qui se distinguent avant d’avoir percé dans « Messiah ». Sur quels critères vous choisissez ces personnages ?


Des rôles que je n’aurais pas acceptés s’ils n’étaient pas aussi bien construits, écrits. La rencontre avec le personnage s’installe par un geste, son souvenir. Le film doit refléter un message, avoir une portée, un impact. Le profil de l’homme que j’ai interprété dans « Rajaa / Le retour » de Charlie Kouka était repoussant. Pourtant, j’ai foncé parce qu’il racontait la société. Je l’ai joué avec son refoulement et en étant un refoulé par excellence, contrairement au rôle de Yassine dans « Omertà » qui voulait s’affranchir, se libérer. Je suis attiré par les personnages qui me provoquent : qu’ils soient bons ou mauvais ou cassés, ce n’est pas important.


Est-ce que c’était un rêve d’enfant pour vous d’embrasser cette carrière d’acteur ? Comment avez-vous attrapé ce virus de l’acting ?


Très jeune, pour ne pas dire enfant. J’adorais enfiler différents habits, je jouais des rôles de femmes et d’hommes : mannequin, acteur, docteur à la maison et en solo. J’ai zappé la case « jardin d’enfants », la passion a commencé chez moi en achetant Picsou, mon magazine pour enfants préféré. Ma mère m’a inscrit à des cours de peinture, d’acting, d’activités artistiques diverses à la maison de la culture du Kram. L’univers du cinéma m’intriguait. J’étais curieux de découvrir tout. A 11 ans, j’ai fait de la figuration dans le film de Fadhel Jaziri « Thalathoun ». Une étape bouleversante à vie ! C’était ma première fois sur un set de tournage : habits, maquillage, répét … tout me faisait rêver. Ma mère voulait que j’entame une autre carrière, tout en m’encourageant à faire ce que j’aime, mais je me suis finalement consacré entièrement à cet art.


Est-ce que vous visez une carrière entièrement menée à l’étranger ou comptez-vous rester dans un « entre deux » et, donc, ouvert à des opportunités en Tunisie ?


Je suis tunisien, patriote, mais en tant qu’acteur, je reste ouvert sur le monde, universel. C’est important de rester en Tunisie et dans le monde arabe. Les langues ouvrent des portails à l’infini. Je suis en train d’en apprendre au maximum. Les langues riment avec ouverture sur le monde. De plus, tout ce qui peut être réalisé en Tunisie pourra s’exporter dans le monde entier, de nos jours.


Le statut d’artiste et spécifiquement d’acteur reste flou en Tunisie. Qu’avez-vous à dire sur cette situation en tant que jeune acteur ?


Concernant le statut d’acteur, je trouve que la création des agences d’acteurs est une priorité en Tunisie, y compris pour l’optimisation des métiers annexes liés aux tournages. C’est pour une meilleure gestion du secteur. Des agences qui garantissent les contrats des acteurs, les valorisent, les guident, les forment en quelque sorte, et lui facilitent l’accès à l’étranger. L’urgence, selon moi, est d’assurer l’ouverture de ces agences à l’échelle locale.

L’acteur Fares Landoulsi : « La célébrité est importante, mais l’art est infiniment plus précieux »
 Yahya Mahayni, acteur  : «Ce film est source de réflexions et d’interrogations»
ENTRETIENS4 / 5 / 2021

Yahya Mahayni, acteur : «Ce film est source de réflexions et d’interrogations»

Yahya Mahayni est Sam Ali ou «L’homme qui a vendu sa peau », héros d’un conte contemporain éponyme, réalisé par Kaouther Ben Henia. L’acteur connaît actuellement une ascension fulgurante : il rafle le prix Orizzonti du meilleur acteur à la 77e édition du festival de Venise, et le film est retenu pour la première fois dans l’histoire du cinéma tunisien dans la short-list des films étrangers en lice pour les Oscars 2021. Échange avec Yahya Mahayni, actuellement en Tunisie, à l’occasion de la sortie nationale du film.


Avant d’être happé par cette aventure cinématographique qu’est «L’homme qui a vendu sa peau» de Kaouther Ben Henia, actuellement dans les salles, comment tout a commencé pour vous en tant qu’acteur ?


J’ai fait un an d’une école de comédie, beaucoup de courts-métrages, des réalisations pour étudiants, du théâtre. J’ai eu un tout petit rôle aussi dans un film intitulé «Les visiteurs», une comédie. J’ai fait des projets personnels. Mais jamais un rôle dans un long-métrage comme celui-ci.


Et soudain, vous raflez le prix Orizzonti du meilleur acteur à la 77e édition du festival de Venise et vous concourrez avec toute l’équipe du festival aux Oscars 2021. Comment vivez-vous ce chamboulement ?


J’essaie de garder les pieds sur terre. Je suis reconnaissant de jouer dans un tel film. Reconnaissant à Kaouther Ben Henia d’avoir eu confiance. Reconnaissant, d’avoir joué dans une telle production et son équipe. C’est un immense travail collaboratif. C’est le fruit d’un travail d’équipe qui a concrétisé la vision précise de Kaouther. J’étais emporté par le film quand je l’ai vue pour la première fois avec tous les autres acteurs. Il existe quatre manières connues de voir et de vivre le film différemment : en découvrant le scénario, le tournage, le montage et le visionnage final.


Comment s’est fait le premier contact avec Kaouther Ben Henia ?


Ce qui s’est passé, c’est qu’elle a contacté Zina Al Halak, la comédienne syrienne, qui a de bons contacts dans le milieu. Des photos de moi ont été présentées. Ensuite, avec Kaouther, on est passé à des essais de tournage avec des indications de jeu et qui se sont passés notamment chez moi avec l’actrice Lea Deane, ma partenaire dans le film, pour voir s’il y a alchimie entre nous deux pendant deux heures. Le choix s’est fait après … Travailler avec Kaouther était intimidant au départ : je ne connaissais pas son travail. J’ai découvert l’envergure de ce qu’elle a fait de «Pot de colle» à «Pastèques du Cheikh » en passant par «Le Challat de Tunis» jusqu’à «La belle et la meute». «Pot De colle», son premier long-métrage était incroyable. Ses films sont une diversité de projets et c’est un peu difficile d’identifier son univers. L’occasion de travailler avec elle était singulière : il fallait bien la saisir, faire de mon mieux pour mener à bout mon travail. Certes, elle est très exigeante, mais elle reste très à l’écoute et nous a mis à l’aise.

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Monica Bellucci a partagé l’écran avec vous. Comment s’est passée votre collaboration ?


C’était, certes, intimidant aussi, lors de la première rencontre parce que c’est … Monica, quoi !! (Rires). Elle est très humble, très professionnelle. Il y a eu des surprises pendant le tournage. Au niveau personnel et professionnel, il y a eu entente. Avec elle, comme avec les autres acteurs. Il n’y avait pas d’ego.


Sam Ali, votre personnage, comment le définiriez-vous et était-ce difficile de l’interpréter ?


Il est impulsif, sensible, enfantin, naïf aussi. Il a plusieurs facettes et est égoïste par rapport à la femme qu’il aime : Abir. Je le jugeais par moments en disant qu’il était chiant, égoïste, à la limite misogyne. Mais ensuite, on se dit, l’amour, c’est ce qu’il provoque de manière générale. On ne s’arrête que sur une seule personne, ça devient à la limite obsessionnel, passionnel. Et Sam Ali était courageux aussi. Je stressais sur quelques scènes mais il fallait avoir du plaisir à l’interpréter. C’était éprouvant par moments, mais il fallait cesser de juger mon personnage et d’aller de l’avant.


Y a-t-il une scène qui a été particulièrement dure à tourner ?


Je dirai la scène où il entre en prison après le faux attentat. Il était difficile à cause du lieu de tournage : une vraie prison restreinte où il fallait tourner dans un laps de temps précis. Il regagne sa liberté en intégrant sa prison. Il y a eu libération à ce moment-là. La scène où il découvre sa mère dans «un autre état» s’est bien passée par contre, contrairement à ce qu’on pourrait croire.


Il y a eu une scène particulièrement mouvementée qui rappelle «The Square», Ruben Ostlund (Palme d’or à Cannes en 2018). Que pouvez-vous nous en dire ?


Beaucoup ont fait ce parallèle. Les figurants sur cette scène étaient magnifiques, à l’aise. Ils étaient géniaux. C’était une scène puissante où on se demande qui est à vendre : l’œuvre d’art ou l’humain ? Le personnage était à bout de force, dérouté, dans une impasse. Une scène clé, un tournant. Une scène qui a retenu l’attention du public.

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«L’homme qui a vendu sa peau» traite de différentes thématiques : le regard blanc sur les pays du Sud, l’art contemporain, le statut de l’humain, du réfugié, de l’artiste, l’inexistence des limites dans l’art. En tant que syrien vivant en Europe, le film a dû vous parler personnellement …


C’est comme les préjugés qu’on peut avoir sur les terroristes. Je pense que les médias se focalisent sur le pire de ce qui se passe dans le monde. Je n’ai jamais été réfugié ou quitté un pays pour des raisons économiques. Je n’ai donc pas la légitimité d’en parler. Cependant, demander des visas, passer par la paperasse… Même en tant que canadien, il faut un visa Schengen pour entrer en Europe. C’est plus facile pour moi évidemment de l’avoir, que pour le personnage de Sam Ali. En tant que syrien, au moment où les choses ont commencé à barder, même pour partir étudier, beaucoup ont été refusés pour des raisons qui remettaient en doute leur parcours «académique» et pour des raisons diverses. Chacun a ses raisons pour immigrer. On se pose la question dans le film : est-ce que c’est ça la liberté ? C’est une définition relative. Quant au regard blanc sur le Sud, cette question transcende parce qu’au final, c’est la contradiction personnelle de chaque être humain. Les obstacles de Sam Ali auxquels, il fait face, ce ne sont pas que des obstacles liés au fait d’être «du Sud». C’est lié au point de vue de sa mère sur lui, de son ami, de Soraya, de son relationnel… Chacun a ses préjugés sur Sam Ali. Les questions liées aux généralisations transcendent : prendre des décisions aussi radicales est lié au vécu personnel où chacun possède ses propres contradictions et où chacun a une part de préjugés envers autrui et une certaine part d’hypocrisie aussi.


«L’homme qui a vendu sa peau » s’adresse à l’Humain avec un grand «H». Êtes-vous d’accord avec cette réflexion ?


Totalement. Au final, je comprends que dans le synopsis, ils en parlent comme l’histoire d’un réfugié, mais le pacte qu’a conclu Sam Ali est un acte faustien : cet homme fait une exception à ses valeurs pour atteindre ses objectifs. Tout le monde fait ça à des degrés différents sauf que le cas de Sam Ali est extrême. Il est contraint de se mettre en public pendant des heures moyennant de l’argent. Mais à quel prix ? Il devient objet, sans valeur, c’est devenu un tableau. J’espère que les spectateurs pourront s’identifier dans les questions évoquées dans le film d’un point de vue phénoménologique. Sa bien-aimée dans le film fait aussi des concessions et ses valeurs sont mises à rude épreuve. J’espère qu’ils pourront s’identifier dans les situations dans lesquelles ils peuvent se retrouver. A travers le 7e art, c’est possible d’évoquer différentes interrogations et de ne pas être méthodique. Ce que j’aime dans ce film, c’est que, certes, Kaouther fait parler ses personnages dans des termes assez explicites. Surtout l’artiste. Mais elle n’essaie pas de communiquer un message prépondérant : elle communique des contradictions, une certaine forme d’hypocrisie sans dire que c’est bien ou que c’est mal. Le héros du film lui-même est hypocrite. Le film n’est pas rempli que de messages, mais il est source de réflexions et d’interrogations.


Prochainement, les Oscars. Quel est votre ressenti ?


Le film s’est défendu lui-même. Sa nomination dans la short-list est énorme. J’espère qu’il gagnera. Ce qui distingue le film de Kouather, c’est son originalité. On ne sait pas où le caser. Vivement.

Yahya Mahayni, acteur : «Ce film est source de réflexions et d’interrogations»
Germaine Acogny, chorégraphe  : « Ce dialogue entre les générations est nécessaire»
ENTRETIENS4 / 2 / 2021

Germaine Acogny, chorégraphe : « Ce dialogue entre les générations est nécessaire»

Le triptyque chorégraphique « Multiple-s » du Burkinabé Salia Sanou avec l’autrice Nancy Huston, Babx et Germaine Acogny et un hymne scénique à la paix et aux identités humaines et culturelles. Programmé le 2 avril 2021, à la cité de la Culture, le spectacle est une invitation à l’ouverture au partage entre nations et cultures. Germaine Acogny, une des artistes principales dans le spectacle nous en parle.


Que pouvez-vous nous dire sur « Multiple-s » et sur ce travail chorégraphique programmé en Tunisie et réalisé avec Salia Sanou, Babx et Nancy Huston ?


J’étais très heureuse quand Salia Sanou m’a demandé de faire partie de ce triptyque qu’il avait l’intention de réaliser. Ça m’a ramené quelques années en arrière, en 90, quand je m’étais rendue au Burkina Faso pour faire découvrir la danse contemporaine à des jeunes gens. Sur place, le directeur de l’institut français de l’époque m’avait montré une vidéo de Salia et Seydou que j’ai trouvé extraordinaire. Je me suis dis, nous y sommes, je peux mourir maintenant ! (rire) C’était éblouissant. Et le flambeau était repris ! Après je les ai revu sur scène, je les ai encouragé à se laisser influencer ailleurs sous d’autres cieux. Je leur ai dit que c’était bien de le faire mais qu’il faut toujours revenir chez soi pour ramener ce que vous avez appris. Il faut être dans la transmission et développer chez soi pour que les traditions ne disparaissent pas : pour qu’elles évoluent, ou sinon, elles meurent. Salia et Seydou se sont séparés ensuite, prenant chacun un chemin. Salia m’avait demandé si je pouvais faire partie de « Multiple-s » et j’ai trouvé ça intéressant parce que ce dialogue entre les générations est nécessaire. Qu’avant, je conseillais à mes enfants livres, films, musiques et qu’eux-mêmes me demandaient si j’avais lu ou vu tel livre ou tel film. A travers Salia, j’ai rencontré Nancy Huston et Babx. Une belle rencontre d’échange et de multiples identités.


« Multiple-s » est composé de trois « face à face ». Pouvez-vous nous en donner un avant-goût ?


Ça commence par moi. Ensuite, par eux et ça tourne autour de la transmission apportée par Salia. Mais c’est toujours des deux cotés. C’est réciproque. On apporte, et on reçoit : Donner et recevoir. Avec Nancy Huston, c’est aussi la découverte de l’écriture, de multiples identités, de l’exil, l’imaginaire, les regards croisés des différentes cultures, tout en ne mâchant pas ses mots sur la religion, les autres cultures ou races. Et le compositeur Babx, qui nous émeut par sa poésie et son jeu fin est touchant. Salia est une lumière entre nous trois qui a transcendé nos multiples identités. Je pense qu’il n’y’a pas d’être de race pure : on a plusieurs identités corporelles. Si chacun prenait compte de ces multiples identités qui se rassemblent et se complètent, ça serait un pas. Nous serons une grande famille humaine avec une paix durable. Des conflits, y’en aura toujours mais avec des solutions. « Multiple-s » est le cheminement de Salia, sa vie, son talent musical, chorégraphique. Je ne tenais pas à m’enfermer dans une musique, mais Babx a réalisé une musique envoutante.


Si vous deviez commenter ce lien qui unit ou unirait la Tunisie à ce spectacle, que diriez- vous ?


La Tunisie est une mosaïque de Multiples identités. J’ai visité le musée du Bardo : il y avait du christianisme, du paganisme, du romain. Tellement d’identités. Le spectacle ne peut que s’adapter à la Tunisie.

Germaine Acogny, chorégraphe : « Ce dialogue entre les générations est nécessaire»
Nancy Huston, auteure et artiste : « Multiple-s » est dénué de discours politique véhément »
ENTRETIENS4 / 2 / 2021

Nancy Huston, auteure et artiste : « Multiple-s » est dénué de discours politique véhément »

Nancy Huston, autrice célèbre dans le monde s’est joint à « Multiple-s », le spectacle de Salia Sanou, aux côtés de Babx et Germaine Acogny. Elle revient dans le cadre de cet échange sur le message universel et humain prôné par ce spectacle programmé par l’Institut Français de Tunisie à la cité de la Culture.


Vous êtes auteure de renommé internationale pourtant votre univers a fusionné avec celui de Germaine Acogny, Babx et Salia Sanou dans le spectacle « Multiple-s ». Racontez-nous la genèse de cette collaboration ?


Il y’a 7 ans environ, Salia m’avait demandé si j’accepterais qu’un de mes textes-hommage à Samuel Beckett figure dans un spectacle qu’il avait préparé et qui s’appelle « Désir d’Horizon ». C’est un spectacle qu’il avait développé avec les réfugiés maliens dans le nord ouest du Burkina Faso. C’est un spectacle qui a beaucoup tourné. Un de mes textes écrit à cette époque là, avait une résonnance avec les thèmes de l’exil, de la migration forcée, de la perte d’identité et de la violence. On s’est donc entendu Salia et moi. 3 ans plus tard, il m’a proposé de danser avec lui sur scène. J’ai accepté directement. Ensuite, j’ai découvert ses projets y compris ce triple duo. Dans chaque duo dans « Multiple-s », on est dans la transmission d’un savoir. Babx s’est chargé de la musique. Germaine Acogny de la chorégraphie. Il y’a eu un échange riche entre nous et fascinant et qui a mis en exergue nos identités multiples d’où le titre, sans grand discours politique, et un contenu léger avec une touche d’humour. « Multiple-s » est dénué de discours politique véhément. Il est profond. Nos relations se sont approfondies. On est très heureux de conquérir la scène à nouveau après le confinement.

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Si on devait résumer le message prôné dans « Multiple(s) », que nous diriez-vous ?


L’idée générale étant qu’on n’est pas rien. Il n’y’a pas d’être humain générique : on appartient à une culture forcément mais tout n’est pas décidé : On peut modifier échanger écouter apprendre se déplacer s’enrichir. Il y’a un dialogue de sourd qui se fait vers la fin entre l’homme blanc et l’autre. Où le dialogue n’est pas audible. La planète devient folle : deux visions qui s’entrechoquent : la sagesse de l’être humain vivant entre la nature, les plantes, et l’autre qui va vers le progrès, l’évolution. Le tout avec un fond musical particulièrement attrayant.


Quel est ce lien qui unit votre spectacle à la Tunisie ?


La Tunisie, je ne connais pas assez. Mais en même temps, j’y étais plusieurs fois et j’ai circulé dans ses rues, ses marchés, ses musées. Les différents évènements qui ont contribué à la Tunisie d’aujourd’hui s’y sont mélangés au fil du temps avec des facteurs qui ont fait de la Tunisie un pays aux multiples cultures, identités, facettes. La rencontre avec les étudiants en lettres de la faculté de la Manouba était enrichissante et édifiante.


Nancy Huston, auteure et artiste : « Multiple-s » est dénué de discours politique véhément »
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