«Kamel Ring », jeune artiste de 22 ans, ne passe pas inaperçu dans les avenues et les rues de Tunis : il suscite émerveillement, curiosité et esquisse, sourires, airs joviaux chez les passants grâce à la «Street Music» ou la «Musique de Rue».
Muni de sa guitare Ibanez et du matériel nécessaire à une performance sono en plein air, le jeune Kamel attire la foule grâce à sa présence, une énergie décapante, une apparence attrayante—à l’image des idoles du moment—et une voix vibrante. L’artiste n’a rien à envier à des talents professionnels sur scène et c’est au centre-ville de Tunis et à la Marsa qu’il campe le plus souvent.
Kamel se lance dans des reprises en anglais actuellement très connues et prisées par un large public diversifié. Il est féru de pop anglaise et le clame sur les réseaux sociaux et via sa musique. La musique de rue, très peu d’artistes la pratiquent en Tunisie: des années plus tôt, certains d’entre ces pépites montantes ont même été malmenés par les autorités. Kamel Ring voudrait faire connaître cet art, plus connu dans des pays occidentaux sous l’appellation de «Buskers».
Des performances qui éveillent positivité et bienveillance de la part des passants : ces derniers s’empressent de laisser souvent des pièces de monnaie. Outre la passion, l’intention du jeune artiste est de casser avec l’idée que les rues de la capitale sont malfamées, mal fréquentées en commençant, selon lui, par les rendre beaucoup plus vivantes, belles, plaisantes, à travers la musique et la bonne humeur. Des reprises d’Ed Sheeran ou Lewis Capaldi retentissent et plaisent à son public grandissant.
Kamel Ring est passionné de musique anglaise mais cela ne l’empêche pas d’interpréter des morceaux en arabe et en tunisien comme des titres de Halim Yousfi. Grâce à sa guitare et ses pas de danse, il a su conquérir admirateurs et auditeurs. L’enregistrement de son prochain album grâce à «Bluebox Tunisie» est en cours. L’artiste est également suivi sur sa chaîne Youtube, Instagram et Facebook. Du haut de ses 22 ans, il a les atouts nécessaires pour faire de la «Street music» un talent récurrent visible dans nos rues.
La 20e édition du festival de la chanson tunisienne aura bel et bien lieu du 30 mars au 3 avril 2021 sous la houlette du ministère de la Culture, avec à sa tête l’artiste et directeur Chokri Bouzayen. Un appel à candidature a été lancé pour permettre à la nouvelle vague d’artistes méconnus d’être au-devant de la scène et l’édition sera décentralisée. Rencontre en amont du redémarrage de la vie culturelle fortement impactée par la crise sanitaire.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette 20e édition en cours de préparation ?
Après des années d’absence, le festival est ressuscité, dans un aspect totalement nouveau, inédit et de notre temps. L’époque a beaucoup changé depuis son arrêt. L’espace où il aura lieu va permettre ce renouveau d’un point de vue «compétition» ou même «esthétique»: ça sera à «L’Opéra» de la cité de la Culture. Avec tout un comité, on est en train de faire en sorte déjà de promouvoir ce festival dans les régions. De nouvelles idées seront mises en place. D’autres comités désigneront des participants dans d’autres gouvernorats. D’autres spectacles se feront en parallèle avec l’édition dans les régions : 12 gouvernorats vont être inclus, 12 autres le seront l’année prochaine. Comme ça, tous les deux ans, on fera en sorte que tous les gouvernorats puissent participer. Des récompenses nouvelles sont mises en place au niveau des chansons choisies comme la réalisation de clips vidéos, le maintien de la compétition selon des thèmes et des genres musicaux : le patrimoine tunisien, chanson contemporaine, le «Moltazam», le soufi, le populaire… en privilégiant les jeunes talents qui seront au premier plan. Le renouveau, c’est cela ! Ça va être du goût de tout le monde.
La programmation a-t-elle déjà été établie?
Un appel à candidature a été lancé pour recueillir les participations, bien entendu. Il y en a qui ont postulé l’année dernière, parce qu’il était prévu que le festival se fasse avant la crise du coronavirus. Afin de mieux assurer la distribution de la chanson, on tient à la présenter autrement. D’une manière à ce qu’elle parvienne mieux au public. Ils ont jusqu’au 18 décembre pour participer.
Dans un contexte aussi glissant que celui du coronavirus, comment se déroule l’organisation ?
Une équipe logistique est en train d’être désignée et on a encore quelques mois encore pour tout préparer. On tient à l’organiser sur l’année. A n’importe quel moment, les participants pourront y participer. 45 ans dans le domaine, et je ne cesse de dire que la chanson devrait avoir du goût. Elle doit être belle à écouter et être présentée loin des démonstrations musclées. L’esthétique de la chanson est essentielle: elle ne doit pas être monotone, redondante. La beauté de la chanson doit résonner à travers des décennies. La salle de l’Opéra donnera une autre dimension au festival : la scénographie fera en sorte d’être attractive.
Si jamais la crise Covid-19 ne s’estompe pas d’ici à la date fixée, quelles sont vos alternatives pour le maintien des festivités?
L’édition aura bel et bien lieu parce qu’au pire on va drastiquement réduire le nombre des festivaliers et nous respecterons farouchement le protocole sanitaire. De 1.800 spectateurs, par exemple, on retiendra 800/700 personnes en appliquant les mesures mais on espère que ce virus s’évaporera.
L’édition sera décentralisée. Ça va se passer comment ?
Un comité sélectionnera les nouveaux morceaux et fera partie du jury directement à travers une visioconférence s’il le faut ou sur place. Selon le budget, on ne pourra pas aller sur terrain, dans toutes les régions. Jury, comité de sélection sont déjà mis en place et l’organisation impliquera les artistes dans les régions.
L’art d’interpréter est plus que jamais nécessaire en ce XXIe siècle voué aux fausses et aux vraies interprétations des discours, des traditions, cultures, mais surtout celles des textes sacrés. Raouf Seddik s’est fixé comme objectif de rendre à la portée, le plus possible, cette notion philosophique à travers des chroniques rassemblées et publiées dans un ouvrage publié chez Nirvana, titré « Chemins de l’herméneutique ». Dans ce livre, il raconte et décortique l’herméneutique pour un large lectorat. Raouf Seddik a déjà une prolifique carrière de journaliste derrière lui. Récemment, il s’est consacré davantage à sa passion de toujours : la recherche philosophique. Une passion qu’il associe à un « mal secret », mais qui s’avère d’actualité. Entretien.
Afin de mettre en contexte un large lectorat et même l’initier, qu’est-ce que l’herméneutique ?
L’herméneutique c’est l’art d’interpréter. Traditionnellement, l’art d’interpréter a toujours porté sur les textes qui ont une stratégie pour l’organisation d’une société, autrement dit, les textes religieux. Dans l’histoire, cela commence par « L’Iliade » et « L’Odyssée », qui étaient des textes au même titre que le Coran et les textes de religions monothéistes : ils étaient à caractère religieux et qui, à un certain moment, ont commencé à poser des problèmes de bonne compréhension. D’autant plus que dans le cas de « l’Iliade » et « l’Odyssée », il y avait une multiplicité de versions. La version qu’on trouve aujourd’hui est une version qui a été unifiée comme dans les Evangiles, les Apocryphes, etc… Donc, l’herméneutique commence autour de la bonne compréhension du texte religieux, parce qu’évidemment, s’il y a plusieurs lectures divergentes, cela peut poser problème. Il s’agit de retrouver le sens juste. L’art d’interpréter va s’élargir et s’appliquer à d’autres thèmes, comme la compréhension des cultures et des traditions de l’Autre sans les réduire, il touchera à l’anthropologie… etc., c’est comment interpréter la pensée d’autres peuplades, comprendre l’Autre, sa littérature, son parcours de vie. Qui est l’Autre ? Comment dois-je le comprendre ? Des interrogations qu’on peut se poser tous les jours. Sans oublier l’art d’interpréter appliqué à soi-même. Quand on prend des décisions, on se dit : « Est-ce que cela nous convient ? ». Cela part d’une certaine interprétation de son propre parcours, sa propre nature et ce n’est pas une science exacte : c’est une interprétation et on peut, en effet, prendre de mauvaises décisions parce qu’on a mal interprété. Il se trouve qu’il y à toute une réflexion sur la manière d’interpréter et j’estime qu’il est bon de faire connaître ce qui a été dit et pensé sur le sujet.
Pourquoi s’y intéresser de nos jours et pourquoi avoir choisi ce chemin ?
Il y a un intérêt personnel. Il faut savoir que l’herméneutique constitue aujourd’hui une branche fondamentale de réflexion philosophique : quand on fait de la philo, on s’y intéresse systématiquement. Il y a aussi un contexte actuel qui peut donner des raisons supplémentaires d’explorer ce domaine. Je pense qu’une des raisons pour laquelle je me suis décidé de m’y intéresser, c’est qu’actuellement, on est assailli par des questions sur notre relation à nos traditions, aux textes fondateurs de comment est-ce qu’il faut les reprendre sans y toucher, les rejeter et on se demande souvent… quoi en faire ? On nous submerge de traditions interprétées. Il s’agit d’aller voir en profondeur ce que veut dire l’herméneutique. « Al Ijtihad » en arabe, est une lecture censée renouveler le sens en fonction d’un contexte. C’est une sorte d’adaptation. L’herméneutique peut mettre en difficulté le texte. On est dans une situation culturelle critique, épuisé par les débats et la réponse est de se dire : « Et si on allait voir du côté des méthodes qui permettent la conquête des textes ? De les interroger d’une manière autre pour susciter des sens qu’on ne soupçonne pas ? ». De nos jours, en effet, on ne peut emprunter des chemins qui nous permettraient de sortir des débats dans lesquels on patauge.
A qui, donc, s’adresse précisément ce livre ?
Je vise les jeunes qui, aujourd’hui, peuvent eux aussi éprouver une certaine lassitude par rapport au débat. Il faut qu’ils se disent : « Et si on dépassait cela, d’une façon qui permette d’apprendre les choses sur ce qui s’est fait ailleurs ou par le passé ? ». En apprendre sur les Grecs, les juifs et les chrétiens y compris, chez nous dans notre propre tradition et culture qui a connu entre autres « Ibn Khaldoun » ? « Ibn Khaldoun » qui s’est rendu compte qu’il y a une évolution de l’humanité et de toute une civilisation. Avec lui, on a connu une marche vers la civilisation. Il y a l’approche qui nous sort des batailles « Des versets contre versets », tout en se dirigeant vers des perspectives nouvelles. De la même façon pour saint Augustin qui, à l’époque, avait marqué l’ère culturelle de l’Algérie et de la Tunisie. Une ère qui est aussi la nôtre. Les chrétiens se sont souvent tournés vers saint Augustin pour des questions d’ordre religieux. C’est une personnalité qui avait beaucoup de choses à dire et qui a apporté à la théologie. Il y a une notion qui relève de l’appropriation de l’héritage.
Quelle est la genèse de « L’herméneutique en temps d’Islam » ?
L’herméneutique ne s’est pas vraiment développée en terre d’Islam. Le problème dans l’Islam est que l’herméneutique a tendance à se replier sur le terrain de l’exégèse du texte : il s’agit de ne pas partir sur de fausses pistes. On est resté sur cette approche herméneutique, alors qu’en Occident, on trouve déjà des indications sur saint Augustin lui-même : il y a une façon de se dégager du texte. Dans la tradition coranique, le texte relève d’une grande importance. Assez tôt, on comprend qu’il n’est pas exclusif. Comprendre le projet de Dieu dans sa relation avec les hommes passe par des messages directs que Dieu adresse aux hommes, mais ne résument pas la parole de Dieu. Sa parole, on peut la trouver dans la nature, dans l’histoire. Il y a une sorte d’élargissement du support à interpréter. Il y a eu en terre d’Islam des expériences intéressantes pour dégager l’essence du texte et le rendre le plus pertinent possible. Il y avait des divergences d’approches selon les théologiens, mais on est resté limité par l’horizon du texte : comme avec les Hadiths évoqués par l’entourage par exemple censés apporter un éclairage et qui ont été souvent considérés comme des abus. Tout tournait autour de la bonne façon à apprendre pour bien comprendre le Coran. C’est donc un peu limité par rapport à comment a été pensée l’herméneutique en Occident, d’où l’intérêt d’aller voir ce qui a été fait chez les Occidentaux.
Le Tafsir, le Fekh… peut-on les considérer comme des lectures herméneutiques ?
Ça relève de l’herméneutique, mais c’est une herméneutique qui reste prisonnière d’un horizon en particulier : le texte coranique. On reste figé autour de la tâche qui consiste à dégager le sens du texte.
Quelle est la différence entre « herméneutique » et « exégèse » ?
L’herméneutique est l’art d’interpréter en général : on peut même parler de l’art de bien comprendre et d’éviter la mécompréhension. L’exégèse, traditionnellement, c’est l’art d’interpréter, appliqué aux textes écrits. Il y a les règles de l’exégèse qui s’appliquent et qu’on peut considérer comme des techniques de lecture du texte, alors que l’herméneutique, c’est forcément plus large. L’exégèse fait partie de l’herméneutique : l’herméneutique étant bien plus globale.
Qu’est-ce que l’herméneutique moderne ?
Quand on parle d’herméneutique moderne, ça renvoi à une phase de la réflexion sur le sujet : la phase inaugurée par Friedrich Schleiermacher. C’est lui qui a opéré cette sorte d’émancipation de l’herméneutique par l’exégèse et qui définit en même temps une sorte de méthodologie qui s’applique à l’herméneutique quel que soit son objet. Parce qu’avant, il y a eu dans l’histoire, une herméneutique des textes juridiques, des textes littéraires aussi qui n’avaient pas forcément de connotations religieuses. Il y avait l’herméneutique appliquée aux textes religieux, et selon les domaines, il y a eu des règles différentes. L’herméneutique moderne a énoncé des règles générales. Ce n’est plus compartimenté. C’est un peu comme quand on parle de Newton, qui a énoncé une loi universelle de la gravitation : c’est une loi qui s’applique sur tout les corps qui existent dans l’univers. Cela relève donc de la compréhension universelle. On n’est plus sous la loi religieuse : il s’agit d’une loi qui appartient à l’herméneutique elle-même. C’est une forme d’émancipation.
Vous avez évoqué dans votre livre « L’ère de l’exégèse critique ». Pourquoi « ère » ?
Parce que l’exégèse critique, née dans l’approche d’un texte, n’admet plus les dogmes qui ont longtemps accompagné la lecture des textes. Moi, je pense que cette ère de l’exégèse critique est arrivée après Descartes : connu par la condamnation de Galilée, prononcée par l’église. Lui, il a quelque part, produit une métaphysique qui permet aux savants de ne plus écrire sous l’église. La même idée : toujours selon l’église, les tenants de l’exégèse critique ne doivent pas donner de comptes à rendre. L’exégèse critique est une exégèse qui peut être très corrosive. C’est pour cela qu’elle a suscité beaucoup de réserve de la part des milieux religieux.
Est-ce que ces lectures ont connu la censure ?
Bien sûr. Spinoza, grande figure de l’exégèse critique était connaisseur, d’origine juive. Il connaissait la bible, était éduqué dans une culture religieuse juive et en même temps philosophe critique, cartésien : ses textes n’ont pas été publiés de son vivant. Les débuts de l’exégèse critique l’ont été d’une manière clandestine. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, qu’il y a eu triomphe de l‘approche critique avec le développement des sciences historiques.
Pour finir, à quoi sert ce retour vers l’herméneutique de nos jours ?
L’herméneutique permet de se frayer une issue claire vers la philosophie, éviter les querelles épuisantes qui nous fatiguent à longueur de journée. Comme l’herméneutique est une forme de pensée qui est ouverte à l’histoire, à la culture de l’Autre, à l’actualité… c’est donc une façon de se donner des outils pour faire les choses d’une manière intelligente et pertinente et non plus dans la cacophonie générale et le crêpage de chignon. (Rires). C’est un sujet digne d’être exploré. On participe en même temps à une initiative plus grande : celle d’insérer la pensée philosophique dans l’espace tunisien qui se caractérise par le fait que les débats philosophiques se font en langue arabe, dans l’enceinte universitaire, dans des cercles assez restreints… Pour ce qui est de l’espace francophone, on est dans les sciences humaines par exemple, mais ce qui caractérise réellement la philosophie n’est pas à la portée. Là, il y a une tentative de permettre au langage philosophique de se faire sa propre place dans notre vie intellectuelle, dont la francophonie est déjà une composante. Il n’y a pas de raison que la langue française soit amputée de cet héritage philosophique.
Se lancer dans une aventure créative à l’aube de la crise de la Covid-19 était risqué, pourtant, Siwar Bouksila, jeune artiste designer-graphiste, s’est tout simplement accrochée à un rêve à vocation artistique. Focus sur un brin d’espoir dans un océan de morosité.
Titulaire d’une licence fondamentale en audiovisuel de l’Institut des Beaux-Arts de Nabeul, Siwar Bouksila, du haut de ses vingt piges, s’imaginait un avenir épanoui dans le large secteur de l’audiovisuel : sa dynamique, son mouvement, sa production la fascinaient… de loin. Une fois sur le terrain, la réalité était dénuée d’artifices et s’est mêlée à la désillusion. Son parcours a pris une toute autre tournure, vers un univers plus créatif et tout aussi riche en enchaînant avec un mastère professionnel en design graphique à Sousse.
Une fois obtenu avec mention et avec passion, les opportunités ont commencé à fleurir, citons son passage capital à l’espace culturel Inart à Hammamet, qu’elle a g éré sous la houlette de Mme Dalel Bouslama, artiste photographe pionnière et universitaire, tout en alternant travail et un 2e mastère de recherche. Une étape universitaire qu’elle n’a pas validée, happée par l’envie pressante de percer professionnellement.
Expositions, rencontres avec des artistes divers de tous bords, évènements en tous genres, conception d’affiches ont élargi son réseau de connaissances et ont alimenté sa passion, son savoir-faire et ses ambitions. Concevoir son propre projet devenait une nécessité… Cadres, graphismes, calligraphies ont commencé à fusionner donnant lieu à « Fyena », son propre espace de création. « Un pari risqué dans une zone qui n’est pas connue pour sa fibre artistique, pour cette passion, mais dont les habitants peuvent être consommateurs, à la recherche constamment de cadeaux à offrir, d’articles de décoration. La création acquise est personnifiée, entièrement réalisée par les goûts de la personne désireuse de s’offrir des produits au final peu communs, commerciaux, distingués», présente passionnément l’artiste- graphiste.
L’espace tel qu’il existe en ce moment n’a vu le jour qu’à la veille de la crise de la Covid-19… Trois ans auparavant, la passion s’entretenait à travers les réseaux sociaux Instagram et Facebook et ciblait un public délocalisé de Nabeul. C’est, en effet, à Tunis et à Sfax surtout que «Fyena» devenait visible et où elle l’est toujours. « L’ Inart m’avait permis de présenter mes créations au fur à mesure en organisant ma propre exposition : je faisais des cadres modifiables en répondant aux goûts des intéressés et ça continue… », déclare Siwar Bouksila.
Jusqu’au début de 2020, son parcours a failli perdurer… à Bali, là où elle a attrapé le virus des concepts Store pendant un voyage. A son retour, son projet devait voir le jour en Tunisie… Rien ne l’empêchait de le faire malgré le contexte extrêmement glissant que le monde vit. Siwar Bouksila était déterminée à revenir à Bali pour mieux se former, mais le coronavirus a tout saboté en fermant les frontières… c’était donc le moment crucial de se lancer, sans hésitation, en s’engageant entièrement en Tunisie.
« Fyena », nom attribué au hasard à son travail par les gens qu’elle a côtoyés, a été présenté à Paris et a désormais une filière prisée à Bali, gérée par son frère, résident là-bas. Tenace, déterminée, elle a pu s’accomplir… rapidement, malgré les obstacles.
Pour son numéro de 2020, le collectif «Jaridet Lemdina», composé de jeunes Tunisiens, a tenu à relancer «le Journal de la Médina» en prônant une thématique épineuse, celle de la «Politique urbaine-Urban Politics» à adopter pour un Tunis plus éclatant, cosmopolite. Ce numéro est une prouesse rédactionnelle, multilingue, «tunisifié» et qui traite de l’art, de l’architecture, de l’humain et du social, réalisé bénévolement par des contributeurs. Emily Sarsam, cofondatrice du collectif de «Jaridet Lemdina», revient sur la genèse de cette initiative du début jusqu’à la sortie de son dernier exemplaire annuel.
«Jaridet Lemdina» a marqué son retour cette année. Quels sont les nouveautés ?
Effectivement, il y a eu des changements. L’époque n’est plus la même déjà. 4 ans auparavant, tout a commencé dans le cadre d’un programme d’échange, soutenu par un fonds allemand. Ce programme d’échange se déroule entre l’Allemagne et les pays du Moyen-Orient, l’Amérique du Sud… etc. Le collectif de la Médina, à l’origine de cette initiative, est composé des amis de la Médina, des jeunes Tunisiens et résidents sur place ou d’ailleurs, comme Nader Khelifi, Raoul Cyril, Aymen Gharbi, Molka Haj Salem, etc. On en a parlé, et on s‘est dit qu’on pouvait créer un journal participatif, écrit en tunisien sur la vie contemporaine à la Médina. Une thématique pas du tout «romantisée», mais on évoquerait plutôt la vie quotidienne, les traditions locales, dans un contexte contemporain, actuel. La communication autour du projet s’est faite de bouche-à-oreille et la communauté autour s’est formée. Le collectif, avant, rédigeait les articles, mais maintenant, c’est ouvert aux contributeurs essentiellement qui étaient bénévoles, conduits par leur passion pour la Médina autour des légendes urbaines, des rues, de leurs symbolismes, de leurs histoires, leurs mausolées… toujours dans une perspective contemporaine.
Le journal est paru régulièrement avant, ensuite il y a eu une interruption.
On était ouvert aux contributions, productifs, ensuite, avec mon départ précédent, deux solutions se sont proposées afin d’assurer la continuité du projet : Iheb Kassmi et Yosr Hizem, mon amie et collègue voulaient prendre le flambeau, mais avec le temps, la communauté commençait à s’effriter. Il y a eu des désaccords avec une autre association connue de la Médina qui soutient beaucoup de projets culturels et qui tenait à prendre en charge le journal. La 2e solution, c’était la mise en veille du projet jusqu’à récemment : on l’a redémarré avec d’autres membres, citons Yasmine Houemed, Syrine Siala, Siavash Eshghi, Aya Rebaï, Mariem Essaadi, Aziza Gorgi (designer et directrice artistique du journal), Sarah Bouzgarrou, Frederike Meyer, Kathleen de Meeûs, Lea Djaziri, Issam Smiri, le 5015 et au moins une quinzaine d’autres contributeurs. On est revenu avec une édition annuelle titrée «Urban Politics»-la politique urbaine, soutenue par le «Heinrich-Böll-Stiftung» et tous les contributeurs. Cette thématique riche, autour de la politique urbaine, nous permet aussi de voir en dehors du périmètre de la Médina.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les axes principaux du journal, les sujets traités, les rubriques … le contenu en général ?
Il n’y a pas de rubriques déjà et le numéro est multilingue : français, anglais et tunisien. Pour cette année, c’était la politique urbaine : une approche qui nous permettrait de jeter la lumière sur les points faibles ou les problèmes de la cité, de son infrastructure, des bémols sociaux, habitats… c’est assez ouvert. Ce dernier numéro est plus à caractère sociopolitique mais on reste ouvert. Notre but c’est d’approcher la cité à travers l’art, le design, l’urbanisme, la cuisine, tout en mettant en lumière les problèmes existants autour. Cyrine Douss, chorégraphe, a parlé de son spectacle présenté dans le cadre des Journées chorégraphiques de Carthage à Bab Bhar avec son collectif «El Maghroumine». L’artiste a critiqué «l’objectivation du corps féminin dans l’espace public» et le manque d’exploitation de l’espace public via l’art. Sinon, on fait un appel ouvert à tous les contributeurs désireux d’écrire : illustrateurs, artistes, critiques, universitaires, chercheurs, etc. Un seul bémol, cette année, c’était le manque d’articles en tunisien : notre but principal pourtant était de «tunisifier» le journal. On devait se focaliser sur la traduction, grâce à Aymen Gharbi. Comment aborder la Médina en tunisien. Avec le vocabulaire académique, ça ne sera pas accessible et le langage sera soutenu. On voudrait faire un glossaire en dialecte tunisien, mais ça demande de l’argent et du temps. Les langues sont très importantes, une ouverture sur le monde, mais le tunisien est aussi capital afin de toucher davantage les Tunisiens. Le contenu du journal avant était en grande partie tunisien et on voudrait continuer dans ce sens. C’est le journal du public tunisien.
De nos jours, se lancer dans le papier, c’est risqué, avec la crise…
En effet ! C’est un challenge. Mais on a tenu à avoir la version papier. C’est primordial ! Le digital ne nous permet pas de bien lire sur le net. Le contact avec le papier est unique. On a tenu à valoriser le papier et on tient à ce que les gens le gardent et l’archivent. «Jaridet Lemdina» paraîtra une fois par an et le contenu reste consistant. Le journal est paru en papier, mais pas mis en vente. Le HBS nous a permis de vendre une partie afin de financer le prochain numéro. Nous ciblerons un public passionné de politique urbaine, afin de pouvoir surtout couvrir le coût de l’impression et de la distribution. Nous le donnerons gratuitement à des gens qui ne peuvent pas se payer le numéro.
Comment «Jaridet Lemdina» pourra contribuer à améliorer la scène locale artistique, culturelle et la vie urbaine à Tunis ?
On voudrait penser la ville autrement via cette initiative. Etre utopique pour l’avenir de la ville. Créer des connexions, s’ouvrir sur les problématiques liées à la ville, à sa scène culturelle et artistique, à son mode de vie. L’exploitation de l’espace public, on y tient. On voudrait créer une plateforme médiatique. Parler d’urbanisation politique, c’est traiter d’une politique citoyenne. Sans oublier, l’usage du dialecte tunisien. Ne pas avoir d’hiérarchisation dans le collectif assurera la pérennité du journal et de l’initiative qui est créée pour tout le monde.
COPYRIGHT PHOTO : AZIZA GORGI
Il affirme souvent tirer sa force et son succès du destin et d’un concours de circonstances. Nous avons rencontré un artiste riche d’une carrière prolifique, et menée au gré des hasards, avec beaucoup de persévérance. Nour El Erab, ou Noureddine El Oueslati, de son vrai nom, revient sur un parcours artistique polyvalent, ouvert sur tous les arts, accompli en Egypte et beaucoup plus ouvert sur le monde arabe. Rencontre.
Un parcours long et fructueux est déjà tout tracé par « Nour El Arab », artiste confirmé dans le monde arabe et doté d’un nom de scène à connotation poétique. Comment tout a commencé en Tunisie pour vous ?
Noureddine El Oueslati, de mon vrai nom, a fait ses premiers pas à Jbel Jloud, à l’âge de 11 ou 12 ans. C’était ma première année au secondaire : mon professeur de musique M.Ezzeddine Ayachi, enseignait là-bas. Cette première année a été marquée par un certain 20-Mars : fête de l’Indépendance. Il y avait une célébration organisée par le club de musique de mon lycée. J’y étais donc. J’étais complètement déconnecté de l’univers de la musique. Je n’avais aucune notion. J’étais impressionné par la fougue des autres élèves et par leur passion pour cet art. Un déclic a eu lieu à ce moment-là, en me disant pourquoi ne suis-je pas avec eux, comme eux, et comment faire pour être comme eux ? C’était transcendant comme sensation : je ne réagissais pas sur le coup, mais la question trottait dans ma tête. Je suis ensuite parti les rejoindre dans une salle de musique à El Ouardia. Je me suis adressé à mon professeur, M. Ayachi, qui m’a répondu que la saison était finie, mais que je devais m’inscrire pour la saison prochaine. Si j’avais la fibre artistique, ils allaient le remarquer et me retenir. Je ne savais même pas si j’en avais ! (rires). Après quelque temps, je jouais au sport quand je suis tombé sur un livre en piteux état, jeté par terre. C’était un livre de compositions d’Abdelhalim Hafedh. J’ouvre le livre et la première chanson écrite que je vois, j’ai commencé à la chantonner : à la lire en chantant. Il n’y avait pas de radio ni de télé à cette époque postcoloniale. C’est mon subconscient qui s’exprimait. Un camarade de classe m’a encouragé à faire de la musique, par la suite, à la maison de la culture de Jbel Jloud : c’était la tentative que j’attendais impatiemment pour intégrer ce club. Lahbib Chagouaye, un professeur de musique sur place, m’a ouvert grand les portes : des instruments, des apprentis, une vie culturelle vive et plaisante. M.Chagouaye me demande si je savais chanter. J’ai dit « Oui », alors que je n’en savais rien, (rires) avec tout le stress du monde et j’ai enchaîné en me demandant si je chantais sous la douche… et j’entends le rire des autres élèves autour. Déstabilisé, je me suis quand même retenu et j’ai chanté pour la première fois à ce moment-là « Kaamil el Aoussaf » de Abdelhalim Hafedh. Et l’aventure a commencé au sein de cette chorale, avec compétitions, fêtes, festivals, etc … « Nour El Arab » n’a vu le jour qu’en Egypte en 2001, nommé par un producteur égyptien.
Noureddine El Oueslati a cédé la place à Nour El Arab, une fois en Egypte, des années après. N’avez-vous pas été gêné par ce changement identitaire radical ?
Je n’ai jamais pensé un jour me frayer un chemin en changeant mon nom de famille… tout comme je n’ai jamais imaginé un jour faire une carrière en Egypte ou m’absenter autant de la Tunisie. J’étais parti pour une semaine en Egypte, j’y suis resté 28 ans (rires). Pour ce producteur, quand on s’était rencontré pour travailler, je m’étais présenté comme « Nour el Oueslati » (j’ai retiré « Eddine » pour alléger !). Ma première cassette a porté le nom de Nour El Oueslati, le prix du festival international du Caire, je l’ai eu au nom de Nour El Oueslati, le premier feuilleton également. En 2001, tout a changé en me proposant ce nom de scène valorisant… J’ai été subjugué. C’est là que j’ai compris que tout ce qui m’arrivait de bon et de constructif était purement dû au hasard… et à un concours de circonstances et cela se poursuit jusqu’à nos jours. Sonné, j’ai consulté des proches pour avoir leurs avis sur ce nom de scène. Même ma petite fille, artiste de naissance, a eu son mot à dire. Et j’ai accepté volontiers. Depuis, je tenais à être à la hauteur d’un nom aussi prestigieux de par mon travail et mes accomplissements… et pas qu’à travers l’art seulement.
C’est-à-dire ?
En étant le plus exemplaire possible, même sur le plan humain, comportemental, relationnel. Je me retenais de chanter des chansons que j’aimais, mais que je ne pouvais le faire, parce que cela risque de blesser ou donner le mauvais exemple. Ces chansons ne m’allaient pas.
Au tout début de votre carrière en Tunisie, vous êtes passé par le Centre culturel ferroviaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette étape ?
Ce centre culturel, spécialisé en musique, n’existe plus. J’y suis resté trois ans là-bas. J’ai condensé la durée, en apprenant plus vite et en privilégiant la pratique et le terrain. Normalement, ma formation devait durer 5 ans. On pouvait avoir mon diplôme à la « Rue Zarkoun ». C’est là que les ennuis ont commencé : je ne pouvais, en effet, pas l’avoir, parce que je n’avais pas le Bac et que si je visais l’enseignement, je devais le faire beaucoup plus loin de la capitale. Je n’étais pas fait pour les études ni pour l’enseignement ni pour cette assiduité et cette dynamique vitale à la profession professeur / élève. Scientifiquement, c’est à partir de cette étape-là que j’ai su que je n’étais pas fait pour la musique sur le plan académique. C’était assez et je me suis formé, après, en solo. L’expérience m’a été très utile en Egypte. Le niveau scientifique et culturel était élevé là-bas, bien plus qu’ailleurs.
Dans un tournant précis de votre vie en 1992, vous vous êtes envolé pour l’Egypte. Qu’est-ce qui vous a surtout poussé à partir et ne pas faire carrière artistique en Tunisie ?
Les mauvaises expériences ! Mon départ n’était pas une décision préméditée déjà. Le visa, je l’ai d’ailleurs eu à travers le ministère des Affaires culturelles facilement. Je suis passé dans des émissions, dont « Noujoum El Ghad », et j’ai essuyé une grande déception, celle de n’avoir pas été choisi …et le concours n’était pas juste non plus. J’ai participé, ensuite, à une émission qui encourageait les jeunes compositeurs, paroliers, poètes… J’ai écrit une chanson à cette époque-là, soutenu par si Abdelmajid Ben Jeddou (Paix à son âme), signée par si Abdelhamid Ben Aljia. C’était prévu qu’on l’enregistre : j’ai trouvé finalement la troupe en train de la jouer et de l’enregistrer déjà. Je l’ai signalé à un responsable qui m’avait rabaissé directement par des mots très durs… qui m’ont marqué jusqu’à nos jours. « Le oud était tombé », comme on dit, et la chanson n’a jamais vu le jour. D’ailleurs, c’est un épisode pénible que vous venez de me rappeler (sourire). Un autre passage à la télé, où je tenais à me faire connaître sur le plan des médias, s’est aussi soldé par un échec cuisant. Certains me demandaient de l’argent pour percer… c’était bas. Ils sont tous morts d’ailleurs et pardonnés. Je leur dois même beaucoup : autant de déceptions qui n’ont fait que me pousser davantage à changer de vie. J’avais une bonne situation en Tunisie, mais je pouvais encore m’améliorer bien plus ailleurs, en Egypte… et une fois là-bas, c’était un choc.
Dans quel sens ?
Ce n’était pas facile ! J’avais une image totalement faussée de l’Egypte. L’Egypte faisait trop dans le commercial et le consommé déjà. Le public en redemandait… Des sommités déjà très connues ont, selon moi, dégradé l’aspect artistique et musical. Dans les années 90, la quantité débordait et le rendu artistique commençait à perdre de sa qualité. En 1992, des valeurs reconnues de la scène musicale arabe commençait à nuire à la scène et au patrimoine, la vague émergente des années 90, plus précisément. Au début, je faisais des allers-retours Tunisie/Egypte. Une société de production égyptienne a cherché rudement à m’avoir. Elle a cru en moi jusqu’à venir me chercher en Tunisie.
Ensuite, vous vous êtes ouvert et pas qu’un peu sur le théâtre et le cinéma …
Par hasard, encore une fois ! (rires). Je tiens à préciser qu’on ne devient pas artiste par hasard, quand même. Il y a beaucoup de travail et de persévérance derrière. Il y avait eu une pièce de théâtre « El Mazikati », mise en scène par Hassan El Salem, je ne rêvais même pas de l’approcher. Il cherchait une opérette à placer pour clore le spectacle. Un atout que je maîtrisais. Un scénariste m’avait repéré, les rendez-vous ont suivi… Pendant la performance ou la démo, ils se lançaient des regards… observaient… J’étais face notamment au réalisateur exécutif. La démo durait 7 min, c’était long pour eux, je devais raccourcir jusqu’à 3 min en improvisant. Je ne devais pas nuire au contenu. J’ai négocié 5 min au final, pas moins. Et j’ai pu les conquérir. Et c’est là qu’ils ont commencé à m’envisager dans des créations théâtrales ou télévisées ou même cinématographiques… Hassan Abdessalem, c’est lui qui a commencé à croire en moi. Ma première pièce, on en a fait 45 dates partout… l’aventure avait commencé. Encore une fois, au gré des hasards… les feuilletons aussi. Ma première cassette venait de sortir en 1994 et contenait des morceaux, comme : « Tkalem ya zamen », « Habibi Yabni », « Tir el Mahabba », « Sahhara », « Wala Soltane », « Mochtaak » … celle qui me parlait le plus c’est « Tkallem ya zamen », que j’ai interprétée à maintes reprises après. Les artistes avaient tendance à descendre ou à insulter le temps et l’époque : j’en faisais une force à travers cette chanson qui a été conçue en une nuit. J’ai pu avoir des prix prestigieux et une couverture média de qualité, grâce à cette chanson… que j’ai pu chanter avec l’accent égyptien à la perfection. Une très belle langue d’ailleurs …
Avec quelle valeur artistique avez-vous eu plaisir de collaborer ? Celle qui vous a le plus marqué et enrichi ?
Pour moi, toutes celles avec qui j’ai eu l’honneur de travailler m’ont enrichi ,chacune à sa manière et ce sont les plus précieuses au monde. Les circonstances m’ont mis sur scène face à Abdelmoonem Madbouli, qui dirigeait une école de théâtre. Mon premier clip était face à Nour El Charif. Il avait un regard très puissant. C’est un monstre ! Hassan Abdelsalem a écrit l’histoire du théâtre. Je suis chanceux et reconnaissant. S’il n’y avait pas eu les mauvaises expériences, je n’aurais pas pu aller de l’avant. Le hasard fait toujours partie du décor.
Récemment, vous avez participé à un festival à Ben Arous, destiné aux artistes résidant à l’étranger et vous vous êtes uni avec M.Abdelkarim Louati, compositeur, homme de culture et journaliste. Dites-nous un peu plus sur votre étroite relation et vos projets.
On est amis de longue date. On comptait travailler ensemble en 2003, il est venu en Egypte chez moi. On comptait écrire une chanson sur la Tunisie. Depuis 2003, je n’ai pas mis les pieds en Tunisie jusqu’en 2017. On a commencé à travailler en ligne à partir de janvier 2020. On a écrit des chansons, composé, interprété… On en a joué quelques-unes au festival de Ben Arous. Ce qui me navre en Tunisie, c’est qu’en matière de droits d’auteur et de copyright, on n’a encore rien. On est « blacklisté » à travers le monde et notre scène artistique pouvait encore rayonner partout si ce problème était résolu.
Comment était votre participation au festival de Ben Arous, consacré aux artistes résidant à l’étranger ?
Une idée originale à laquelle j’ai participé avec grand plaisir. Tout s’est très bien passé. Sandra, une artiste présente aussi, a fait du bon travail. Houda également… Cendrillon, je connaissais la plupart des artistes participants. Abdelkarim Louati a fait du bon travail. 4 nouvelles chansons ont été interprétées, il y a eu une opérette et on nous a rendu hommage. Je remercie par la même occasion la radio culturelle qui nous a soutenus dans les conditions liées au Covid-19.
Quels sont vos projets ?
Valoriser l’art autant que possible. Je compte sortir une chanson prochainement qui, j’espère, remédiera au secteur. Elle n’est toujours pas filmée, mais ça viendra. Elle sera dotée d’une illustration audacieuse qui exprimera l’état des lieux actuels du domaine. Un festival de musique ramadanesque est en cours de conception. Je rattrape le temps passé loin du pays !
La scène artistique et culturelle tunisienne et africaine vient de s’enrichir d’un premier numéro de «No’o cultures», un nouveau magazine, spécialis é en critique d’art, une discipline indispensable peu visible et pratiquée. Nidhal Chemengui, rédactrice en chef, nous en dit plus sur ce programme.
Nidhal Chemengui, vous êtes attachée de presse internationale, chargée de communication, journaliste. Comment vous êtes-vous retrouvée embarquée dans cette aventure ?
Je connais Eustache Agboton, journaliste spécialiste en culture et développement et responsable éditorial, depuis quelques mois : c’est lui l’initiateur de tout le programme. On évoque plus un programme qu’un magazine. Il y a la formation, le concours, le magazine : c’est un tout. Il a besoin d’être avec des personnes pour gérer les axes. J’ai accepté directement, parce que, de par mon observation personnelle et mon expérience professionnelle, la critique d’art ouverte, en plus sur tout le continent africain, manque cruellement de visibilité dans tous les médias : tunisiens, maghrébins, africains. Donc, pourquoi ne pas proposer quelque chose sur laquelle on peut travailler, en comptant sur notre réseau national et international. On croise nos réseaux et on s’entraide mutuellement, Eustache et moi, pour un résultat encore plus consistant et riche.
Se doter d’un magazine spécialisé en critique d’art à l’échelle africaine est toujours une richesse pour le secteur artistique et culturel. Pouvez-vous nous donner un aperçu général de «No’o cultures» et de son contenu ?
Le magazine est axé spécialement sur la critique d’art et les personnes qui la pratiquent sont essentiellement issues de tout le continent africain. Les critiques d’art qu’on verra et qu’on connaîtra très probablement via «No’o cultures» travailleront sur des œuvres africaines uniquement. Mis à part la critique, on peut trouver des portraits, des tribunes, des avis, des entretiens… Chaque numéro sera en grande partie consacré à une dynamique culturelle propre à au moins cinq régions du continent. Des journalistes africains ont libre cours d’alimenter le magazine par des articles à eux. Les directeurs de festivals africains et les festivals qui se déroulent sur le continent seront mis en valeur et constamment valorisés. «No’o cultures» met en exergue l’africanité à travers l’art : il est fait par des Africains pour les Africains. Le public-cible se compose de toutes celles et ceux qui s’intéressent à la vie culturelle et artistique propre au continent africain, passionnées par toutes les disciplines : théâtre, chorégraphie, cinéma, art moderne, classique…
Pour l’instant, est-il décliné uniquement sur le digital ou paraîtra-t-il en version papier ?
Au départ, quand on l’a conçu, c’était un magazine sur tirage papier. Fortement impacté par la crise du Covid-19, on a finalement décidé de le lancer en ligne pour l’instant, en téléchargement gratuit. Notre objectif et de le rendre à la portée des lecteurs et le plus accessible possible, malgré les circonstances. Sans oublier les lecteurs qui ont déjà commandé leur numéro, désireux d’avoir une version papier. Il est à noter que «No’o cultures» paraîtra tous les 4 mois. Pour son site en ligne, il est, donc, alimenté tous les 4 mois en articles et en matière. Il est ouvert aussi aux libres-plumes: Meriem Guellouz, directrice du festival «Carthage Dance» a, d’ailleurs, publié une tribune en guise d’ouverture pour le premier numéro.
Comment voyez-vous «No’o cultures» contribuer au secteur artistique et culturel à l’échelle locale ?
L’échelle locale pour moi n’est pas que la Tunisie : il y a le Maghreb et l’Afrique. Comme terme, c’est très relatif, mais je dirai que cela alimentera davantage le réseautage, permettra de se reconnecter à notre africanité et notre continent et ça c’est beaucoup plus important, parce que personnellement, je crois en une collaboration Sud/Sud. Je veux qu’on essaie de couper un peu le cordon avec le Nord… surtout que l’Afrique regorge de talents exceptionnels et d’une richesse culturelle exceptionnelle. C’est plus qu’intéressant pour tout le monde !
CREDIT PHOTO : ROUA BIDA
Mais qui a donné vie à Wassila dans la planète «Nouba» ? Hela Ayed, comédienne et metteure en scène n’est pas passée inaperçue, pendant deux années de suite dans la peau de cette femme des années 90, combattante, féminine, transgressive et distinguée…bien assez pour le petit écran tunisien. Entretien.
Hela Ayed, vous devez votre notoriété à Wassila dans «Nouba», interprétée pendant 2 années de suite sur le petit écran tunisien. Mais avant, comment tout a commencé pour vous ?
(Sourire) Rien d’exceptionnel ! Je savais depuis toute petite que je voulais jouer, faire du cinéma. Le déclenchement bizarrement, s’est fait lors d’une séance d’italien, l’année de baccalauréat. (Rire) j’habitais à El Omrane avec ma famille. Mon père était militaire, et on déménageait très souvent. Ce jour-là, le professeur nous parlait du «Cinecittà». J’étais ébahie, fascinée. Mais après le bac, on m’a, bien entendu, découragée de suivre la voie artistique. J’ai dû toucher à tout, parfois, ça marchait, d’autres pas… j’ai dû opter pour des études en gestion, j’ai passé ma maîtrise en pleurant… que j’ai eue finalement ! (Rires) Ensuite, on m’a poussée à faire un Master de recherche, mon père ne lâchait pas l’affaire!… il voulait que j’enchaîne avec un doctorat que j‘ai bouclé en un temps record. Et là, il m’avait dit, c’est bon … tu peux faire du cinéma ou du théâtre. Délivrance. (Sourire). Entre-temps, j’ai entendu parler des cours de Taoufik Jebali, je me suis installée à Tunis, et j’ai commencé en 2008. Ma première montée sur scène a eu lieu avec «Manifesto Essourour», à l’ouverture du festival d’Hammamet en 2009. C’était grandiose pour les novices que nous étions. Et la critique n’a pas été tendre avec nous. (Rire). Après, j’ai travaillé avec Jean Luc Garcia, dans «Klem Ellil» aussi, etc. Jusqu’à ce que un jour, on se rend compte qu’il faut voler de ses propres ailes. A se lancer et montrer ce qu’on pouvait faire. Et il y a eu une rencontre ! Un auteur irakien m’a présenté un texte, afin que je lui trouve un metteur en scène, et je me suis dit autant que je le devienne et que je le fasse. Les encouragements de Jebali m’ont boostée. J’ai dû revisiter le texte d’origine avec toute la spontanéité d’un débutant. Moi, qui suis appliquée de nature, cela m’a pris un temps fou.
La conversion du théâtre à la télé a-t-elle été difficile pour vous ?
Le passage s’est fait avec Bouchnak, avec qui j’étais au théâtre avec toute l’équipe. Et, forcément, pour ses projets, j’étais avec lui. Abdelhamid le dit tout le temps : «Pourquoi aller chercher ailleurs quand j’ai déjà des comédiens ?». Il nous racontait ses projets. Et les choses se faisaient naturellement. Mes personnages ont été écrits sur mesure pour moi: Wassila, c’était Hela. Au début, la télé, pour moi manquait de passion. Je trouvais que c’était de la pure technique. J’avais l’habitude de m’emparer de la scène pendant des mois, j’avais plus d’espace, je me lâchais… la scène, je la vivais pleinement. C’est jouissif ! A la télé, c’était dirigé, technique, on répétait souvent les scènes pour tourner, et on répétait trop pour ce que je considérais des futilités, pour un bruit, de l’éclairage qui n’allais pas, c’était stressant et épuisant. C’était une phase «adaptation» et je me suis adaptée. Ensuite, j’ai pu totalement maîtriser. Un bon comédien, ce n’est pas celui qui donne un jeu, une émotion, une gestuelle. C’est une personne qui doit gérer le tout, qui sait composer, maîtriser ses repères, être dans son personnage mais conscient de tout ce qui se passe autour.
Entre le jeu et la mise en scène. Laquelle des deux préférez-vous le plus ?
Etre actrice, très honnêtement. D’un point de vue, responsabilité, passion, pression, rythme… C’est extraordinaire. Etre metteure en scène, c’est terriblement stressant. On doit gérer les autres, le tout… J’ai fait le choix de faire les deux. C’est certes frustrant… mais probablement, qu’à l’avenir, je le ferai moins. J’ai peur d’être oubliée en tant qu’actrice. Quand on se donne à fond en tant que metteure en scène… on n’arrive plus beaucoup à s’en détacher. J’ai un projet en tête, mais entre les deux, c’est fatigant. Beaucoup de responsabilités. J’ai un défi : celui de réaliser pour le cinéma. C’est un domaine où on n’attend rien de personne surtout si on rêve, et qu’on ambitionne beaucoup. Au final, on peut être formé, et apprendre sur le tas, sur le terrain en nouant ses propres liens. C’est faisable de s’auto-former. Si je devais choisir en tout cas, je resterais seulement actrice.
Mongia dans «Dachra» au cinéma et Wassila dans «Nouba». Deux rôles à vous qu’on peut trouver physiquement très transformés. Est-ce pour cette raison que Bouchnak a fait appel à vous spécialement, afin de les interpréter ?
Je pense qu’il y avait sûrement un critère propre à moi qui l’a amené à me choisir dans ces rôles. Abdelhamid Bouchnak me disait : «Avec toi, je peux imaginer un travail théâtral». C’est-à-dire des scènes installées, des regards précis, une mimique… comme ce qu’on avait vu pour Mongia. Wassila, un peu moins, mais c’est aussi théâtral dans sa manière d’être, de parler, de bouger, d’interagir, de réagir… Abdelhamid écrit des personnages en pensant d’emblée à l’interprète. Il fonctionne comme ça… Le faire, peut même alimenter l’imagination autour du personnage. Wassila, il l’a pensée avec son caractère, ensuite, dans sa phase recherche, il a rajouté la caractéristique de «l’œil». On se consulte souvent pour l’écriture. Je le taquine souvent en lui disant «Vivement le jour où je serai femme fatale», par exemple. (Rires). C’est important pour moi de diversifier les rôles et savoir bien les choisir : vous ne me verrez plus jouer le rôle d’une vieille ou dans la peau d’une femme bandit afin d’éviter la catégorisation des rôles.
Wassila est sans doute l’un des personnages les plus féministes qu’a pu connaître le petit écran. En quoi consiste, d’après vous, son côté engagé, rebelle, fort, voulant s’imposer dans une société masculinisée ?
(Sourire). Elle est imprévisible de nature. Déjà… Son féminisme a surgi naturellement, je trouve. Elle doit l’être sans le savoir. Dans le sens où, ce n’est pas juste une question d’époque mais, ça sera celle d’un contexte ou d’un milieu social. C’est une forte personnalité, mais elle a appris à l’être. Depuis toute petite, elle voulait danser… elle le faisait chez le voisinage. Mais elle a grandi dans une culture, où c’est l’homme qui prime et qui doit au final se marier, devenir mère ou femme au foyer, etc. Le vécu de Wassila, notamment son rapport violent avec son ex-mari tyrannique, a forgé ce côté-là. Il y a une composition, un cheminement qui a fait qu’elle devienne ainsi, qui s’assume, qui fait ce qu’elle veut, qui ne veut plus se faire marcher sur les pieds et qui va jusqu’à défendre les femmes lésées, battues, farouchement, à sa manière. Elle les rend plus fortes. J’en ai discuté longuement avec Abdelhamid cette année. Après tout, ce sont ses propres personnages imaginés… Il y a eu une scène importante qui a beaucoup fait réagir, c’est celle où on la voit pardonner rapidement à Kraiem. On peut comprendre qu’elle est peut-être féministe sans le vouloir, limite spontanément mais dans le sens où elle n’est pas là pour «écraser» l’homme, mais elle impose sa personne, elle est consciente de sa valeur en tant que femme tout en respectant l’homme et puis il y a aussi son amour pour Kraiem. Ensuite, on a travaillé le côté humain chez Wassila. Cette année, elle est devenue même beaucoup plus émotive. Pour moi, c’est très important de découvrir, au fur à mesure, des facettes inattendues dans les personnages qu’on interprète. Sinon, Wassila, je l’adore. Je l’aime. Je l’ai un peu oubliée… mais je l’aime trop. Je me sens même émue quand je parle d’elle. C’est un être à part ! (Rire). J’ai eu du mal à me séparer d’elle après avoir passé autant de temps avec elle. Je la voyais partout après la fin du tournage. C’était fort ! Elle est tellement là, qu’en dehors de moi, elle doit évoluer quelque part, dans une autre dimension. Elle est protectrice, aimante, bienveillante, au fond… Elle a beaucoup souffert. Elle traîne un vécu lourd. Elle exprime une sorte de déni de ces malheurs… elle esquive les malheurs et se concentre sur l’essentiel…
A cette époque-là, le cadre temporel de «Nouba», pensez-vous que les femmes, en général, dans leur manière de vivre, pourraient être féministes sans le vouloir ? Des femmes qui n’étaient pas dans la revendication, mais qui le prouvaient tous les jours…
Exactement ! Je suis parfaitement d’accord. C’était spontané, à la limite, inné… elle vivait même plus par instinct. Actuellement, on est là à revenir sur des droits précis, à les revendiquer alors que, pour moi, ce n’est pas la peine d’y revenir. S’y arrêter est même agaçant. Une fois, juste après la révolution, j’ai dû échanger avec des journalistes qui me demandaient ce que je pensais de la date du 13 août. Ça m’a agacée. Je ne veux même pas voir des femmes fêter ces droits, sortir pour le rappeler en quelque sorte. Je suis née dans une époque contemporaine, avec des femmes émancipées, éduquées, libres… quand on creuse, c’est clair qu’on a des défaillances sur le fond. Mais pour la forme, j’aimerais que tout se passe naturellement. Qu’on s’y focalise plus autant et qu’on impose les choses concrètement. Je suis contre le fait de combattre les choses sur Facebook. Il faut les sortir du virtuel. Mon prochain projet parlerait de femmes mais je ne serai pas en guerre contre l’homme. Et je ne tiens pas à faire de lui un ennemi. Si j’ai envie de faire changer les choses, je ne le ferai pas sur les réseaux sociaux et je ne lyncherai pas l’homme juste pour le faire…
Rim Riahi est une valeur sûre d’une autre époque. Comment s’est déroulé le travail avec elle ?
Magnifiquement bien ! Je l’ai rencontrée pour la première fois dans une réunion de travail, bien avant le tournage. C’est comme si on se connaissait depuis toujours. On connaissait nos personnages. Najoua et Wassila complices. Elles finiront leur vie ensemble malgré leur différends ces deux-là. (rire). Humainement, c’était fort et sur le plateau, on était complices, elle était stressée, malgré son grand talent. Elle était là à vouloir être rassurée, elle demandait, on se consultait… C’était extraordinaire. Une grande découverte pour moi.
Y a-t-il une scène qui vous a particulièrement épuisée ?
Bien sûr ! La toute dernière. Le dénouement. Je suis quelqu’un qui ne me prend pas beaucoup la tête avec les séquences. Je ne préparais pas tant que ça… Je me laisse beaucoup d’espace. Pour cette séquence, elle était déterminante, pour tout le feuilleton et pour Wassila, d’après moi. Je me conditionnais carrément pour la séquence. Je jouais mes séquences dans ma tête. Je pouvais la laisser en stand-by et y revenir et j’y accordais une grande priorité. Je savais que j’allais pleurer même si Wassila n’a pas la larme facile d’habitude. Si vous voyez l’ambiance sur le plateau ce jour-là… (rire) c’était bouleversant.
Qu’est-ce qui a changé entre les deux tournages des deux saisons ?
C’était différent. La responsabilité était pesante. L’évolution des personnages. Il fallait se surpasser. Entre l’équipe technique et artistique, il n’y avait pas de séparation. On était une équipe. La logistique pendant la 2e année était devenue plus difficile. On était épuisés. Le rythme était beaucoup plus corsé. Même si je ne suis pas dans des scènes précises, j’étais présente sur le tournage.
Le public était exigeant et violent par moment. Comment avez-vous vécu ce lynchage ?
Personnellement, ça n’a pas eu d’impact sur moi mais je l’ai vécu à travers le groupe. Par moments, j’ai choisi d’en rire. Elles font mal mais autant en rire. Mais je dis à bas les dires qui n’ont aucun sens et qui ne t’apportent rien. Et c’est dans ces épreuves-là, que tu arrives à connaître les gens auxquels tu peux te fier et ceux qu’on doit fuir. On est effaré par certaines réactions des gens, leur manière de voir les choses et de réagir et par leur cruauté. Le tout accentué par les réseaux sociaux… d’où donc ma discrétion en ligne. L’artiste, pour moi, doit rester au-dessus des méchancetés et doit s’imposer par le travail.
Vous êtes presque la préférée des acteurs de «Nouba», celles avec qui ils/elles aimeraient partager des scènes. A votre tour de nous dire avec qui vous adorez le faire…
(rire). Ça fait plaisir. C’est flatteur ! Les scènes avec Amira Chebli, par exemple. C’était formidable ! Avec Yasmine Dimassi, on a une écoute formidable, surtout l’année dernière. On a une petite séquence de rien du tout cette année… Il y a l’aspect humain et amical qui entre en jeu. Il y a une sensibilité partagée.
Préférez-vous la tragédie ou la comédie ?
Les deux, mais j’ai envie à moyen ou à long terme de me lancer davantage dans la comédie. (rire). Les deux sont difficiles. Vous pouvez me voir dans les deux mais, pour l’instant, je reste davantage dans la tragédie.
Est-ce qu’on vous verra davantage au cinéma et à la télé ?
Possible mais je serai plus exigeante pour les rôles à la télé. Des rôles qui seront bien choisis. Je vise une carrière au cinéma. Le cinéma, c’est un monde à part et pour le théâtre, ca reste la base. J’ai des projets en cours. Je ne vous en dirai pas plus. A travers la télé, on peut ouvrir grande la porte à un large public. On est un peu dans l’exposition. On devient connu rapidement via la télé. Seulement, j’aimerais que le public vienne aussi vers moi. Vers mon travail au théâtre et au cinéma.
Votre sœur, Rym Ayed, grande découverte de cette saison dans «Nouba 2». Avez-vous eu le même parcours ? L’avez-vous initiée ?
Je l’ai poussée oui. C’est moi qui ai mené le combat dans la famille… Le jour où j’ai intégré le domaine, elle était partante avec moi. On a la même formation foncièrement. J’ai peut-être une petite longueur d’avance sur elle. Les gens me font rire : j’ai entendu dire qu’on se moquait de moi en disant que je venais d’un autre milieu : celui de la gestion et du marketing et que j’ai ramené ma sœur avec moi. N’importe quoi ! (Sourire). Je n’ai jamais été aidée ou soutenue par personne. Je me suis formée par moi-même, je me suis frayé mon propre chemin et elle était avec moi… et ça continue ! Dans «Bernarda Alba», une création scénique d’El Teatro, elle a était remarquée par le public avant d’intégrer l’univers de «Nouba 2». Je suis dans la transmission et le partage d’un savoir et d’une expérience riches, d’une formation artistique qui m’a beaucoup enrichie et qui continue… Le tout d’une manière fluide et jamais sous pression.
Qu’avez-vous à dire à la nouvelle génération montante d’artistes ?
Il faut s’accrocher de tout son cœur. Compter sur soi-même, s’entourer des personnes, comme nous le faisons, qui ont le même rêve, s’auto-enrichir. Se former, se rassembler, être dans l’effort collectif.
Transcendant, psychédélique, haut en couleur… Le 2e long-métrage du jeune Ari Aster a révolutionné les films du genre. Il serait léger ou même rabaissant de classer «Midsommar» film d’épouvante/horreur quand cette attraction cinématographique est très loin d’en être un. Les spectateurs se font entraîner dans une spirale visuelle hallucinogène à l’image des protagonistes également aspirés par les rites païens et ancestraux d’une petite communauté… Bienvenue à «Harga».
Ari Aster, qui a enchaîné avec «Midsommar», à peine un an et demi après le déroutant «Hérédité», s’est abandonné dans les effets visuels tout en maîtrisant le drame principal. Une histoire qui passe de la noirceur à une fausse luminosité, dénuée d’espoir, porteuse de terreur et d’hostilité. Ce film est un voyage spirituel qui prend un tournant terrifiant, vécu sous les cieux brillants d’une région rurale, ensoleillée, tout le temps …En Suède ! Et survivre au soleil de Minuit s’avérera... fatal.
Le film relate l’histoire d’une rupture amoureuse, aggravée par le drame familial affligeant vécu par Dani (Florence Pugh). Christian, son copain depuis 3 ans et demi (interprété par Jack Reynor), est de plus en plus absent, évasif au fil des années. L’éloignement se fait sentir. C’est alors qu’un voyage en Suède s’offre à eux deux et à un groupe d’amis de Christian. Un voyage peu ordinaire dans lequel ils devaient assister et participer aux coutumes locales d’une secte mystérieuse. Petit à petit, des évènements plus qu’étranges surviendront…
Les déplacements, comportements, mimiques et gestuels des figurants -acteurs du film sont perçus comme une chorégraphie synchronisée du début à la fin, qui plongerait et les visiteurs sur place et les spectateurs dans les us étranges de cette communauté… En apparence bienveillante ... rassurante avant d’entamer subtilement des rituels d’initiations diverses.
Premier constat, la plupart des habitants de cette communauté sont des femmes : la structure même de ce microcosme rural est matrimonial. Le matriarcat bat son plein à «Harga», ce village sordide où tâches ménagères, accouplements, cuisine, besognes du quotidien sont effectués au détail près. La cheffe suprême de la tribu est d’ailleurs nommée «Reine de Mai». Pour cette cérémonie, une nouvelle reine doit être élue tous les 90 ans et Dani, une fois sur place, ne passe pas inaperçue et se laissera au fur et à mesure même tenter par le trône.
Contrairement à la majorité des films d’horreur, «Midsommar» est coloré et lumineux. Ce long-métrage d’épouvante solaire est visuellement très attractif grâce à une nature fleurie et verdoyante, filmée en abondance. Les rites effectués par la communauté de «Harga» se déroulent une fois tous les cent ans, pendant la période du solstice d’été, lorsque le soleil ne se couche jamais pendant des mois et des mois à «Harga». Effrayant à souhait sous le soleil brûlant de ce beau patelin, "Midsommar" rime avec sacrifices humains, agissements sordides et interrogations à n'en plus finir… Autant de détails plaisants esthétiquement pour les yeux s'avèrent trop beaux pour être vrais. Ils étaient même annonciateurs d’un cauchemar esthétique, fortement oppressant.
Ari Aster n’a pas manqué de placer des personnages déficients mentalement et très présents d’ailleurs dans la bande-annonce. Son but était de normaliser la différence chez les autres à travers des apparitions très furtives. Ces mêmes personnages ne pesaient pas tellement dans l’intrigue du film mais étaient sans doute générateurs de tensions et de visions déroutantes. Des personnages déficients mentalement mais acceptés et même adulés par cette secte malgré leurs handicaps.
Dans des médias étrangers, Aster dit vouloir changer la représentation des handicapés dans ses films. Ces individus très souvent mal représentés selon lui dans de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma devront avoir leur place au cinéma. Le réalisateur et scénariste n’hésite pas à tacler cette culture New Age montante et très en vogue dans les Etats-Unis de Trump où de petites communautés, comme celles de «Harga», ne cessent de pulluler. Dans de nombreuses scènes, Aster les tourne même en dérision. Ari présente aussi une vision de l’amour totalement spirituelle, utopique et réesquisse l’accouplement et le fait de donner la vie, Autrement... à sa manière.
Des recherches très approfondies ont été menées depuis au moins 6 ans avant la sortie du film. Une plongée dans les traditions nordiques et folkloriques suédoises a été menée par Aster qui a découvert de nombreuses coutumes sanguinaires et même des méthodes de torture largement héritées par des générations. Un langage corporel et verbal a même été inventé en plus d’avoir attribué à cette secte fictive des traditions inspirées de faits réels.
«Midsommar» nous étouffe autrement que par des méthodes classiques qu’on a largement l’habitude de voir dans d’autres films d’épouvante. Anxiogène et solaire, il nous prend aux tripes du début jusqu’à la fin. Du haut de ces 33 ans, Aster révolutionne à la racine le film du genre. Une prouesse saluée par Martin Scorsese en personne qui commente ainsi «Midsommar» dans les médias étrangers : «Je ne veux rien dévoiler de ce film, car vous devez le découvrir par vous-même. Je peux vous dire que la maîtrise formelle est tout aussi impressionnante que celle qu’on perçoit dans ‘Hérédité’. Peut-être même plus, et qu’il creuse des émotions tout aussi réelles et profondément inconfortables que celles partagées par les personnages du film précédent. Je peux également vous dire qu’il y a dans ce film des visions réelles, en particulier dans la dernière partie, que vous ne risquez pas d’oublier. Moi, je ne les ai certainement pas oubliées.».