L’initiative lancée par la troupe des "Vives Voix" en collaboration avec la librairie Milles feuilles à la Marsa, bat son plein et attire toujours autant les férues de la littérature. Après un premier rendez – vous réussi avec Sonia Chamkhi, place à Rabâa ben Achour-Abdelkéfi, universitaire et romancière de renom. Son intérêt pour ces rencontres, l’a grandement poussé à accepter volontiers, l’invitation « des Vives Voix ». Devant un parterre d’invités, elle revient sur ces deux écrits : son premier récit-témoignage « Borj Louzir » et son dernier roman « Gandhi avait raison », paru en 2016. Au fur à mesure, l’auteure s’est prêtée au « question – réponse » de la modératrice, Maryvonne Radix, également membre de la troupe organisatrice. Elle revient sur ses deux romans, sa passion pour l’écriture, ses influences littéraires et répond pour finir, à la fameuse question récurrente «Les femmes qui écrivent sont – elles dangereuses ? ».
Comment vous est venue l’idée d’écrire Borj Louzir ?
Ce n’est pas mon idée. Je n’avais jamais pensé écrire ce type de texte. J’écrivais des poèmes que je ne conservais même pas. Mes camarades de fac en ont quelques uns. C’est ma sœur aînée, Héla, la narratrice Aïcha dans Borj Louzir, qui m’a piégée. Nous étions très amies et complices, mais nous ne posions pas le même regard sur notre famille. La divergence de nos points de vue nous amusait. Elle m’a suggéré de composer un récit à deux mains sur les personnes qui ont marqué notre enfance. Mais elle était espiègle et je ne sais pas comment elle s’est arrangée pour que je devienne l’auteur unique de ce récit. Borj Louzir n’était au départ qu’un projet ludique, dont la lecture était destinée à la famille et rien qu’à elle. Il n’était pas question de le publier. Mais la disparition des dernières figures de la Zitouna et l’émergence des islamistes m’a poussé à apporter mon témoignage sur un monde que j’ai connu et que mes propres enfants ne peuvent même pas imaginer.
Comment es-tu entrée dans la vie d’Aïcha, votre sœur ainée et narratrice de Borj Louzir ?
C’est elle qui m’a ouvert la porte de sa propre vie. Elle vivait un moment historique exceptionnel ; l’indépendance de la Tunisie et l’émancipation des femmes. Elle était expansive et éprouvait une irrésistible envie de raconter là ses sœurs et à ses frères le monde qu’elle découvrait. Elle nous parlait de tout, de ses lectures, de ses amours, des films qu’elle aimait, de la musique en vogue à cette époque, elle nous lisait même son journal intime ! Je n’ai pas eu beaucoup de mal à faire son portrait. Mais, il y a sans doute une intimité profonde qui m’échappe et qui lui échappait peut-être.
Et concernant "Gandhi avait raison", votre dernier roman paru en 2016. Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à écrire ce roman ?
D’abord l’envie de raconter et d’écrire. Puis, le désir de rendre un climat social, une ambiance qui s’est perdue. Je n’ai pas cherché pourtant à faire un travail de recherche historique, même si j’ai dû faire un vrai travail de documentation. Ce qui m’intéressait et m’intéresse, c’est de recréer une atmosphère, un laps de temps, la guerre mondiale en Tunisie et la révolte estudiantine en 1968. En Tunisie, ces deux moments particuliers, qui ont bouleversé les mœurs, n’ont pas transformé la société en profondeur. Nous autres soixante-huitards par exemple, avions cru que nous avions fait la révolution culturelle ; nous sommes bien obligés de reconnaître aujourd’hui que notre mouvement était circonscrit dans l’espace universitaire et qu’il était si fragile que la déferlante islamiste l’a pour ainsi dire effacé. Il reste quelques septuagénaires pour témoigner de ce qu’a été cette époque, je suis un des témoins de cette fascinante époque, je l’ai racontée.
L’objectif de ces rencontres, c’est de permettre à l’auteure – invitée d’évoquer ses influences littéraires, face à son public. Parlons – en !
Je ne pense pas avoir subi l’influence particulière d’une écrivaine ou d’un écrivain. Je lisais partout et tout le temps et suis bien incapable aujourd’hui d’établir un bilan, un classement, une hiérarchie entre les auteurs qui m’ont influencée. Ils m’ont influencée malgré moi, sans que je m’en rende compte. Ils ont alimenté mon imagination et ont modifié le regard que je portais sur ma société. Je peux cependant, affirmer que le personnage de Colette me fascinait. J’aimais sa capacité à transgresser les tabous moraux, sociaux et sexuels, à se libérer de ceux qui lui barraient le chemin, à exprimer sa quête de l’amour et sa sensualité. Colette s’est libérée par l’écriture et si elle a puisé dans l’expérience vécue et surtout dans son enfance, dans l’Yonne les ressources de son œuvre, l’écriture l’a reconstituée. Le dialogue avec soi qui fait le style épuré, moderne, sans fioritures de Colette, je l’ai retrouvé avec le même bonheur dans Alexis ou le traité du vain combat de Marguerite Yourcenar. Dans sa préface à ce petit roman, elle écrit : « Par sa discrétion même, [le] langage décanté m’a semblé convenir particulièrement à la lenteur pensive et scrupuleuse d’Alexis, à son patient effort pour se délivrer maille par maille, d’un geste qui dénoue plutôt qu’il ne rompt, du filet d’incertitudes et de contraintes dans lesquelles il se trouve engagé, dans sa pudeur où il entre du respect pour la sensualité elle-même, à son ferme propos de concilier sans bassesse l’esprit et la chair. » C’est dans ce style classique et dans la langue « dépouillée, presque abstraite » que Colette et Marguerite Yourcenar ont levé le silence imposé par l’éducation, la morale, la religion et les mœurs et les mensonges du langage. Ce style simple, narratif, parce qu’il bannit la brutalité du langage obscène qui cache souvent la banalité de la pensée et parce qu’il épouse les profondeurs et les fluctuations de l’être, m’a séduite et a, peut-être d’une certaine façon, orienté mon choix d’écriture. S’il m’est difficile d’évaluer véritablement l’influence des écrivaines françaises sur ma propre écriture, je peux dire, sans risquer de me tromper que leur entrée dans le milieu religieux auquel j’appartiens a modifié mes idées, ma sensibilité, ma perception du monde et des choses. La double culture est une richesse extraordinaire mais elle est douloureuse, elle déstabilise et dérange et c’est, à mon sens la raison pour laquelle elle est rejetée aujourd’hui avec autant de force.
Et pour finir, d’après vous, « les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ? »
Cette question amène nécessairement d’autres interrogations. Pour qui et pourquoi les écrivaines seraient-elles dangereuses ? Si l’on entend par danger, l’écart par rapport aux normes, leur subversion et la peur qu’il engendre, tout acte d’écriture féminine, parce qu’il se saisit d’une parole confisquée, est subversif. L’éducation des femmes reposait et repose encore, en Tunisie, sur la retenue, la pudeur et le respect de l’ordre établi. Leur rôle, dans la société, est de fonder une famille et de transmettre les valeurs dont elles sont elles-mêmes les héritières. Les femmes qui écrivent élèvent la voix, brisent tant le silence qui fonde leur éducation, que la chaîne de transmission qui perpétue la tradition et les valeurs de la société. La place qu’occupe la femme dans le discours islamiste, par exemple, révèle bien que c’est sur l’enfermement des femmes dans l’espace privé que repose la survie de la société traditionnelle. La conquête de la parole confisquée, dans une société patriarcale et traditionnaliste, est un acte subversif, c’est un acte de liberté qui permet aux femmes de se saisir de l’espace public, l’espace des hommes, et de pénétrer dans un monde qui leur était interdit, par exemple le monde de l’intime et du non-dit. Les femmes qui écrivent sont perçues comme dangereuses parce que leur entrée dans le monde masculin fait scandale. Ainsi plus que les textes qu’elles produisent, c’est leur comportement ou simplement leur ambition d’entrée dans le milieu des lettres qui est stigmatisée. Les femmes qui écrivent ne sont pas condamnées pour incapacité littéraire puisqu’elles ont donné leurs preuves, elles sont condamnées pour des raisons d’ordre social. Jean-Yves Mollier écrit à ce propos: « Concurrente déloyale pour les uns, bas-bleu pour les autres, la femme qui entend vivre de sa plume provoque des réactions caractéristiques d’un refus ou d’un rejet massif. » Toute écriture féminine n’est pourtant pas nécessairement subversive et dangereuse, et de nombreux textes de femmes sont conformistes et visent à maintenir la pérennité d’un ordre social. Ainsi ; si les femmes qui écrivent sont considérées comme dangereuse, c’est parce qu’elles se sont libérées par et pour l’écriture. L’acte d’écrire, c’est cet acte de liberté qui fait scandale et brise les tabous ; et si l’on craint l’écriture féminine, c’est moins pour ce qu’elle peut comporter de subversif, que parce qu’elle libère son auteur. Cette liberté acquise par l’écriture, je l’ai découverte dans l’œuvre de Colette et peut-être -je n’en suis pas sûre-, est-ce parce qu’enfant j’ai lu La Maison de Claudine que j’ai écrit un jour mes souvenirs d’enfance.
Les tunisiens n’ont jamais autant été associés au terrorisme ! Tandis que les médias étrangers s’acharnent à dresser divers portraits d’individus terroristes « d’origine tunisienne » en étalant leurs frasques et en esquissant leur folie meurtrière, l’AFTM (Association des Femmes Tunisiennes Mathématiciennes), active depuis plus d’un an, prouve que la nation tunisienne regorge aussi de génies qui ont marqué l’histoire, depuis bien avant l’indépendance, jusqu’à nos jours. Dans une société en pleine mutation comme la notre, des tunisiens brillants, créatifs et ambitieux réussissent pleinement à l'échelle locale et internationale dans de nombreux domaines, y compris celui des mathématiques.
L’AFTM a été fondée le 12 juin 2015 par un groupe de jeunes mathématiciennes-enseignantes issues de nombreuses universités du pays et présidée par Dr Saïma Khenissy, maître de Conférences en mathématiques. Ensemble, elles ont eu pour principal objectif de valoriser la recherche en mathématique et elles n’y sont pas allées de mains mortes…
Lors de leur premier meeting, qui remonte à quelques mois, l’AFTM a mis en place trois prix mathématiques annuels et internationaux : prix « AFTM de la meilleure thèse de Doctorat en mathématiques pour les femmes tunisiennes », prix « AFTM de la meilleure thèse de doctorat en mathématiques appliquées pour les femmes tunisiennes » et le prix « Fatma Moalla » pour la vulgarisation mathématique. Le tout, afin de pousser les jeunes chercheurs tunisiens, d’un coté, à se surpasser et, d’un autre à les initier toujours plus à la compétitivité scientifique.
Parallèlement avec l’émergence de cette association, le nom d’une dame a resurgit : il s’agit de « Fatma Moalla », la toute première femme tunisienne de l’histoire à avoir obtenu son agrégation en mathématiques en France, en 1961 et son Doctorat d’Etat en mathématiques toujours en France, en 1965. Cette pionnière mène actuellement une paisible retraite entourée des ses trois enfants et de ses petits enfants. Par le biais de contacts, nous avons tenu à la rencontrer en exclusivité. D’une discrétion remarquable qui va de pair avec sa gentillesse et son sens de la convivialité et après moult négociations, elle a finalement accepté de revenir sur son parcours exceptionnel donnant ainsi l’exemple et redonnant espoir en ces temps difficile. Entretien bref mais intense avec une dame hors du commun !
Mme Moalla, vous, qui êtes issue du lycée de la rue du Pacha, vous avez surement connu de près ces femmes tunisiennes qui ont marqué l’enseignement tunisien, comme Mme Mongia mabrouk, première docteure en littérature arabe et Mademoiselle Zoubeida Amira, la toute première directrice tunisienne à avoir tenu les rennes d’un lycée en Tunisie juste après l’indépendance. Accéder au domaine du savoir à cette époque là était un privilège et n’a pas dû être facile. Comment tout a commencé ? Pouvez – vous nous donner un aperçu sur votre enfance ?
C’était une époque complètement différente de ce temps-ci ! Et personnellement, j’en garde un excellent souvenir. J’ai eu une enfance heureuse et une adolescence épanouie. Mes 5 sœurs et moi avions vécues à Tunis. Nous avons vu le jour à Tunis également, à part ma sœur ainée qui est née à Sfax. Et mon père était le tout premier sfaxien à avoir émigré à Tunis, avec mon oncle maternel et Mr Taïeb Miladi. A cette époque, il y avait également l’émigration intérieure. Mon père a continué à faire à Tunis le même métier qu’il faisait à Sfax, à savoir libraire. Il s’est installé à rue Sidi ben Arous et a connu des générations de zitouniens et sadikiens qui fréquentaient sa librairie. C’était une figure connue des souks de la médina, érudit, éclairé, qui aimait les livres et la lecture et qui nous a transmis intact cet amour. Quant à nous, en ce temps là, on sortait très peu et on gardait souvent le foyer familial. Mais je garderai toujours un souvenir merveilleux de mon enfance dans la maison familiale du Bardo, souvent au jardin, avec ma mère, si douce, si éclairée, si ouverte, si bonne, et avec mes sœurs et mon jeune neveu. De mon enfance, je garderai aussi le souvenir que notre plus grande joie, mes sœurs et moi, c’était d’aller dans l’arrière – boutique de mon père, pour y pratiquer notre sport favori : la lecture ! Que de livres ont été dévorés !
Et c’est comme ça, que vous avez baigné très tôt dans le milieu des études, juste avant l’indépendance, entre 1945 et 1956. Une enfance où vous avez été initiée à l’enseignement …
C'est-à-dire, que mes sœurs et moi avions la bosse de l’enseignement. On est devenues toutes enseignantes à Tunis. Mais les plus jeunes ont fait de l’interprétariat aussi.
Au lycée, votre formation était plutôt scientifique ou littéraire ?
J’ai fait mes études secondaires au lycée de la rue du Pacha, qui dispensait un enseignement sadikien, c'est-à-dire qu’au bout de la première partie du baccalauréat (le baccalauréat était auparavant, divisé en deux parties, et était obtenu au bout de deux ans), on présentait le « diplôme de fin d’études du collège Sadiki », qui donne une excellente formation, tout à fait bilingue. D’ailleurs, durant tout le secondaire, j’adorais pratiquement toutes les matières, qu’elles soient enseignées en arabe, ou en français, ou même en anglais. Mais au bout de la première partie, on devait quitter le lycée de la rue du Pacha, parce qu’il ne dispensait plus d’enseignement, qui était donné jusqu’à la première partie du bac seulement, première partie obtenue en 1956, ainsi que le « diplôme de fin d’études du collège Sadiki ». Mais alors, au bout de la première partie, deux problèmes se posaient à moi : je devais quitter, « mon adorable lycée », avec d’excellents professeurs dans le temps, et il fallait surtout choisir une des trois filières de l’époque : Mathématiques ou sciences expérimentales, ou philosophie. J’ai mis du temps à choisir. Finalement, j’ai opté pour les maths.
Et pourquoi spécialement les mathématiques ?
Avec du recul, je crois que la raison est que les mathématiques correspondaient plus à mon caractère : j’adore la rigueur, la précision, l’honnêteté. J’ai la haine de la tricherie. Et c’est cela les mathématiques ! Cette science exacte et dure, où il faut être précis. Ainsi, chaque mot a son importance dans une définition mathématique : on n’a pas le droit d’enlever, d’ajouter ou de changer un mot. Les mathématiques exigent la clarté, la limpidité même. On se rappelle toujours, en mathématiques, la phrase célèbre de la Bruyère : « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement, et les mots pour l’exprimer viennent aisément »… En mathématiques, on apprend à devenir juste en traitant tous les cas qui se présentent de façon égale, et on apprend à devenir humble et à s’éloigner de la vanité humaine en mesurant ses limites devant la difficulté des problèmes à résoudre. En mathématiques, on a envie de s’écrier : Gloire à l’honnêteté, gloire à la clarté, gloire au traitement propre des problèmes ! A bas les amalgames, à bas l’obscurantisme, à bas la fourberie ! Et c’est pour cela que j’ai choisi les maths. Cependant, quoique les maths contribuent à faire d’une personne, une bonne personne, elles n’y arrivent pas toujours : il existe des matheux qui, malheureusement, ne sont que des despotes et des … prétentieux. Pour moi, entre autres, c’est qu’ils n’ont pas fait suffisamment de mathématiques. J’ai plongé, sans regret, dans l’univers des mathématiques au lycée Carnot, l’année de la seconde partie du baccalauréat, et que j’ai obtenue en 1957.
Un bac que vous avez décroché pour la première partie en 1956, l’année de l’indépendance, une date symbolique …
Tout à fait ! C’était une année, où il y avait un très grand élan patriotique. On accédait à l’indépendance ! Par la suite, tout se construisait : écoles, lycées, universités, hôpitaux …
Ensuite, le supérieur vous a ouvert ses portes …
Oui, en intégrant, « l’Institut des Hautes études » situé à la rue de Rome. Un établissement universitaire qui relevait d’Alger, et Alger relevait de Paris. J’ai eu ma licence en Mathématiques, au bout de trois ans en juin 1960. Après, je voulais continuer mes études, mais je ne pouvais plus le faire à Tunis parce que l’enseignement des mathématiques à Tunis s’arrêtait au niveau de la licence. Par correspondance avec Paris, j’ai pu préparer un diplôme de géométrie supérieure que j’ai eu en octobre 1960. A ce stade, pour continuer, je devais impérativement quitter Tunis. Et là, il fallait avoir le consentement de mon père, et il fallait avoir une bourse. Heureusement, le président Bourguiba et Mahmoud Messadi étaient éclairés et encourageaient l’instruction aussi bien des garçons que des filles. C’est pour cela que j’ai obtenu une bourse. Quant à mon père, qui était d’un milieu très conservateur, il a accepté d’envoyer sa fille à l’étranger pour qu’elle puisse terminer ses études. Notons, qu’il y avait à cette époque, beaucoup de parents « soi-disant » modernes, qui empêchaient leurs filles de partir à l’étranger pour étudier. C’est d’ailleurs en hommage à mon père que j’ai accepté qu’on associe son nom au prix lancé par l’AFTM. Pour que le nom de mon père « Mohamed Moalla » perdure dans le temps. Mon père a toujours voulu que les filles soient instruites. Mon père et ma mère ne voulaient pas qu’on rompe nos études pour le mariage… Comme ils étaient en avance sur leur époque !
Et une fois à Paris ?
Une fois à Paris, en un an, j’ai préparé le CAPES et l’agrégation que j’ai décrochés en 1961. D’ailleurs, j’ai passé l’oral de l’agrégation durant les trois jours de bombardement de Bizerte, une autre date post – indépendance marquante. Et j’étais profondément affligée, atterrée par cette guerre. Etant quelqu’un d’extrêmement pacifiste, je ne comprendrai jamais la guerre. Et J’étais horrifiée, attristée par le nombre terrible de morts dans cette guerre. C’était triste ! J’étais profondément malheureuse à cause de mes compatriotes morts, et qu’il ne fallait pas envoyer à la mort…
Et c’est à ce moment là, ou vous avez été la toute première dame à avoir obtenu son agrégation en mathématiques. Une fois de retour en Tunisie, on suppose que vous avez été reçue en grande pompe ?
Oui, c'est-à-dire que tout le monde était content, en particulier dans ma famille, aussi bien maternelle que paternelle. Là, je me suis rendue compte alors combien le peuple tunisien aimait les études, vu que cette glorification des études était unanime… Mais j’ai été aussi reçue en grande pompe par les officiels : par le président Habib Bourguiba, par le ministre Mahmoud Messadi, par des organismes nationaux. Pourquoi ? Il se trouve que dans la population féminine et masculine de la Tunisie, la toute première personne qui a eu son agrégation en mathématiques était une fille, avant les garçons. J’étais donc la première mais il faut bien une première à tout ! Donc aussi, « l’Union Nationale des Femmes Tunisiennes », qui était très importante, a exploité cela, avec beaucoup de fracas. Et j’espère qu’on s’arrêtera un jour à faire autant de tapage, en grande partie pour un simple hasard chronologique... Et immédiatement, j’étais nommée par Messadi, qui m’avait donné un demi – service au secondaire et un demi-service au supérieur dans le but d’avoir une expérience pédagogique variée, selon lui. Aussi en 1961 – 62, j’ai enseigné dans mon ancien lycée de la rue du Pacha, et, simultanément, j’étais assistante à la faculté des sciences de Tunis, dans un local situé à la « place de la monnaie », ou j’ai enseigné à des étudiants parfois plus âgés que moi… A ce propos, pour les « curieux », ma date de naissance est : le 14 janvier 1939 ! Bref, c’était le bon vieux temps où on n’attendait pas des années pour être nommé dans la fonction publique, et où les postulants acceptaient de bon cœur ce qu’on leur proposait : je m’étais acquittée de cette tache du mieux que je pouvais.
Etait –ce l’ultime étape de votre parcours ?
Non, justement, quelque chose me manquait : je voulais absolument continuer mes études jusqu’au bout. Autrement dit, décrocher ma thèse et faire encore des maths. Effectivement, j’ai soutenu ma thèse de doctorat d’état en 1965, à Paris. Ce doctorat, était le tout premier parmi les femmes, et peut être bien parmi les hommes. J’étais après cela, directement nommée à la Faculté des Sciences de Tunis, au campus universitaire. Là où, j’ai enseigné jusqu’à la retraite, sans jamais le quitter, sans jamais cumuler un autre emploi… J’y ai formé des générations de mathématiciens, et certains, ont pris la relève.
Et pour finir, avez – vous des recommandations ou des conseils à donner aux étudiants d’aujourd’hui ?
Oui : en premier lieu, je recommande d’être sérieux, c’est – à dire de faire son métier d’étudiant du mieux que l’on peut. Il faut étudier dans les moindres détails les cours, et surtout consulter le plus d’ouvrages possibles se rapportant aux cours, car les cours ne suffisent pas. Loin de là ! Vive la lecture !… Bref, travailler le plus, c’est ce qui compte. Par suite, il faut impérativement éviter les grèves, sinon, bonjour ignorance ! Bonjour formation incomplète, parfois même formation inexistante, mais doublée de prétention … ! Bonjour, Ô étudiants, coquilles vides dans le meilleur des cas et bourrées de méchanceté dans d’autres, et que l’on espère très minoritaires… A quoi peut – on s’attendre de la part d’étudiants qui n’ont fait que des grèves durant leur scolarité ! Et qui n’ont jamais fait un raisonnement direct correct, une réciproque correcte, un raisonnement par l’absurde correct … etc ? Sont – ils dignes du qualificatif « étudiant » ? Plus tard, ces étudiants là non seulement, sont incapables de dépister les fautes, mais malheureusement sont capables de faire beaucoup de mal. Ainsi, un étudiant qui se fait exploser pour tuer 100 personnes, est une personne qui est, ni plus ni moins, 101 fois assassin. Que de méchanceté ! Les mathématiciens ont bien imaginé la croissance exponentielle, qui est une croissance vertigineuse, mais cette croissance est incapable de mesurer la méchanceté d’un tel acte ! Elle n’y arrive pas ! Par contre, un étudiant qui se fait éliminer, ou qui accepte d’être éliminé, pour sauver la vie de 100 personnes. – On peut imaginer par exemple, d’horribles accidents de mines où une personne se trouve coincée en travers dans un lieu horriblement étroit, au point d’empêcher, que l’on accède à 100 mineurs coincés derrière- Eh bien, c’est celui là que l’on salue et qui mérite le nom de martyr. Comme on l’a souvent dit, c’est l’intention qui compte. Aussi ne trichez pas ! Ne confondez pas les cas ! Et les vrais mathématiques ne permettent pas ces amalgames.
Avez – vous d’autres commentaires ?
Oui, bien sûr ! Ainsi, à propos de votre introduction et de la première question que vous m’avez posée, j’aurais deux remarques à faire : dans l’introduction, vous parlez de génie. Il ne s’agit pas de moi, bien sûr… Si je l’étais, j’aurais eu la médaille Field ou du moins, une médaille … dix fois moins importante. Non, j’ai seulement été sérieuse. J’ai tout le temps était sérieuse dans tout ce que j’ai entrepris. J’ai également aimé mon métier et après tout, c’est un bonheur que de faire le métier que l’on aime. Je garde un excellent souvenir d’étudiants brillants, ou simplement travailleurs, ou bons et un excellent souvenir de collègues avec qui j’ai travaillé, souvent d’ailleurs dans le cadre d’équipes féminines remarquables… Et j’espère avoir été une bonne enseignante. Quant à « ma réputation », elle est due en grande partie à une simple coïncidence dans le temps et à la chronologie des événements… la deuxième remarque est à propos, de la première question que vous m’avez posée où vous parliez de madame Mongia Mabrouk et de Mademoiselle Zoubeida Amira. Je salue votre amour pour vos aïeux, et j‘espère qu’un jour aussi, mes petits enfants comme vous, se rappelleront avec amour de moi… Effectivement, j’ai bien connu Mademoiselle Zoubeida Amira, c’était la directrice de mon lycée de la rue du Pacha. Quelle bonne directrice ! Et quel bon professeur ! Puisque parallèlement, elle enseignait aussi l’histoire arabe. J’adorais son cours… A mon ancienne directrice et professeure, à mon père, à ma mère à ma sœur ainée, aux défunts de ma famille paternelle et de ma famille maternelle, à Bourguiba, à Messadi, à Sghaier Ouled Ahmed… Je dirais à tous : je ne vous ai pas oubliés. Vous avez fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Je ressens pour vous tant de gratitude. Paix à vos âmes ! (Certains se demandent peut – être : que fait le poète défunt Sghaier Ouled Ahmed dans cette liste de défunts ? Eh bien, c’est que j’adresse à sa mémoire, tous mes remerciements pour avoir exprimé, si simplement, dans un vers de sa poésie, ce que j’ai toujours ressenti : l’amour du pays. Son vers de poésie m’a aidé à surmonter les déboires de ces derniers temps…). Quant à moi, vivante jusqu’à ce jour, je me dis : « Hamdoullah » et je clamerai jusqu’à la dernière minute : A bas le terrorisme, à bas l’obscurantisme, à bas les amalgames, à bas la fourberie ! Vive le travail, vive la clarté, vive le travail, vive les mathématiques et, en tout premier lieu : Vive la Tunisie !
La sortie nationale de « Thala mon Amour », de Mahdi Hemili étanchera la soif des cinéphiles qui l’ont raté durant les dernières Journées Cinématographiques de Carthage. Après plus de trois ans effrénés de préparation, cette première fiction du jeune Hemili voit, le jour. Le titre du film téléporte le spectateur à Thala, berceau de la révolution tunisienne et ville natale du scénariste. L’œuvre relate le parcours de Mohamed (interprété par Ghanem Zrelli), ancien prisonnier du régime répressif de Ben Ali, parti à la recherche de Houria (Najla ben Abdallah). Un périple effectué en pleine période ou l’oppression en Tunisie avait atteint son paroxysme. Un hommage cinématographique, conçu par ce jeune scénariste, réalisateur, poète, ex – footballeur, passionné de théâtre et d’art, avec le soutien de son équipe. Un artiste polyvalent, issu de cette nouvelle vague de jeunes cinéastes tunisiennes qui ne cessent de donner un souffle nouveau au 7ème art tunisien. Ce long - métrage est un hommage à une révolution qui s’essouffle, à ses victimes, aux tunisiens de Kasserine, de Thala, aux victimes du bassin minier, aux femmes battantes tunisiennes, le tout, porté par un casting solide. L’avant – première a eu lieu à Kasserine. En pleine promotion, Mahdi Hemili, nous en parle davantage….
Parle – nous de la genèse de cette fiction ?
On s’était revus Mohamed Ali ben Hamra (le producteur) et moi, après nos retours presque simultanés de Paris et de Torino, peu avant l’éclatement de la révolution, en 2010. Je lui ai fait part de mon envie de réaliser ma toute première fiction intitulée « Ville Ouverte », qui parle de cette dictature. J’avais imaginé un univers totalement futuriste d’une Tunisie ou règne le chaos, et ou le spectateur se retrouverait totalement plongé dans un futur chaotique, en 2020, plus précisément. Il y’avait un homme qui cherchait une femme et cette femme là, était la dernière qui reste, toutes les autres sont parties. Etc Etc C’était un film d’anticipation, que je voulais réaliser en noir et blanc, un peu comme mes précédents courts – métrages. Le scénario de cette fiction a été finalisé, très exactement le 25 décembre 2010… en pleine période ou ça commençait à bouger en Tunisie. Et je n’arrêtais pas de dire « mais, on est dans le film, on est dans le film ! »… Et la révolution éclata ! Ensuite, en évoquant le scénario, on a commencé à le recadrer, le remodeler, à mon insu, au tout début, au gré des événements actuels historiques qui se déroulaient. Je tenais absolument à la version originale. Après rectification, le scénario a été déposé auprès d’une commission, qui a approuvée. On l’a présenté à l’ « Atelier des pro » à Torino et on ne cessait de nous dire qu’on décrédibilisait cette révolution « Du Jasmin ». Je voulais voir ma vision des faits, qu’on sente ma touche… à travers l’histoire d’un homme qui cherche une femme. Il s’attendait à ce qu’on réalise un film « épique », « politiquement correct » sur la révolution, ou l’amour triomphe etc etc… mais, au retour ils ont trouvé un film complètement personnel, qui pose des questions, et s’en prend à la racine des problèmes régionaux, sociaux, provoqués par le soulèvement de 2011 …
Qu’est ce qui distingue « Thala mon amour » des autres films qui traite cette thématique de la révolution ?
Les autres films, je ne veux pas en parler… Mais ce que je peux vous dire, par contre, est que « Thala mon amour », le film en lui - même est lassé de la révolution. Il vomit la révolution ! C’est pour cela que je laisse la fin ouverte, parce que je crois encore au changement. Il faut voir le coté humain, intimiste que dégage le film, c’est ce qui m’intéresse. « Les slogans et les magouilles politiques », ça ne m’intéresse pas… . Ce que je veux montrer, c’est le vécu de des personnages, qui reflète le vécu des tunisiens durant la révolution. Ça parle de l’intime. Les spectateurs sont invités à regarder et à penser à demain… un demain incertain, flou ! On vit l’instant présent… et ce n‘est pas forcément rassurant.
Peut – on le considérer comme un film politique ?
Ce film est subversif, mais il est essentiellement politique et poétique à la fois. Avec un net penchant pour le poétique que je voudrais voir triompher, parce que le politique est à gerber, c’est sale, c’est malsain, malveillant. En amour et en poésie, tu ne peux pas mentir, c’est pure …
Comment s’est passé le casting ?
Au départ, j’avais déjà en tête deux acteurs. Faute de disponibilités et d’à priori sur la production, ça n’a pas aboutit… Le tout s’est enchainé par la suite, j’ai donc aussitôt lancé un casting, il le fallait ! Et il fallait être ouvert, partir à la découverte de ce nombre important d’acteurs et d’actrices… Je cherchais sans arrêt « Houria », j’ai fait appel à une assistante de casting dont le but était de dénicher celle qui va endosser ce rôle principal. Beaucoup sont venues… de très bonnes comédiennes. Et pourtant, personne ne m’a convaincu ! Le dernier jour, Najla ben Abdallah est venue ! Puisque moi, je ne regardais pas la télé, j’avais pas du tout de Background télévisuel, je ne la connaissais pas du tout … Et là, j’ai vu autre chose chez elle… Donc, je me suis dis autant prendre cette tête connue, et tout transformer… j’ai vu en elle la femme, ouvrière dans une usine, très loin du coté Bling- Bling auquel elle nous a habituée. Et Ghanem, je l‘avais aussi découvert le dernier jour. J’avais écrit son rôle pour moi, initialement. C’était clair que j’allais galérer en réalisant et jouant en même temps. Et du coup, Ghanem est venu, on a parlé de tout et de rien, de l’art, de l’amour du football, et j’ai trouvé en lui mon double cinématographique, comme un alter – égo. Rim Hamrouni, j’ai écrit son rôle exclusivement pour elle. Fatma ben Saaïdane, c’est venu naturellement aussi, parce que je cherchais quelqu’un qui incarne une femme forte. On a fait des séquences trop belles. Je sentais la fragilité chez Dahech, dans le rôle du mari cocu… C’était une très belle équipe et le tout s’est fait précipitamment, spontanément, au feeling… Une réussite totale !
Et en ce qui concerne la musique du film ?
J’ai travaillé avec le compositeur Dimitri Scarlato, un italien qui a vu le film et l‘a aimé. Ce dernier a auparavant collaboré avec Paolo Sarrentino sur son film « Youth ». Et j’ai fait appel également à Amel Mathlouthi, pour qu’elle nous fasse un Acapella. Elle a magnifiquement accompagné la fin du film. Depuis New York, Mathlouthi m’a envoyé l’enregistrement et le résultat était à la hauteur de ce que je cherchais. Le film repose sur l’instantané ! Tout s’est construit à la dernière minute.
Vous avez dû surmonter des difficultés de taille lors de la réalisation …
Bien sûr ! Des difficultés financières essentiellement. Très peu d’argent mais beaucoup de courage de la production de s’être investit dans le film. On a résisté, malgré le manque de sous. La post production était éprouvante aussi. Le tournage s’est terminé en 2014, et depuis, j’ai passé les pires dernières années de ma vie.
Des projets en perspective ?
Oui. Ma prochaine fiction qui a comme thème le foot ! Une passion de toujours que j’ai du abandonné à cause d’une blessure. Le film parle d’une famille prolétaire dont le père est footballeur. Le scénario est déjà prêt depuis 2008, et a gagné de nombreux concours. Il est déjà soutenu par le « Doha Film Institut » et je participe avec, dans un grand atelier « Le grand nord », très prochainement au Canada, à coté de 15 autres scénaristes du monde entier. C’est un film sombre autour d’une famille, qui cherche à se faire une place dans ce monde violent, dénué de moral et de valeurs. Une fiction qui se déroule presque entièrement la nuit. C’est un film sur la condition humaine, sur l’idée de la rédemption, du pardon et de l’amour. Et il y’a énormément d’espoir vers la fin ! Et j’espère le tourner dans un an. Notons qu’il se passe en Tunisie, entre l’attentat du Bardo et de Sousse.
Un message à transmettre à la jeunesse actuelle ?
Protéger ses rêves. Ne vivez pas pour rêver la vie des autres, vivez à fond pour concrétiser vos propres rêves. Ne râlez plus, passez à l’action, et soyez persévérants. N’ayez crainte de souffrir et de ramer pour atteindre vos rêves.
Qui a déjà entendu parler de « Sophonisbe » ? Un prénom à la connotation historique Intriguant, délicieusement mystérieux, générateur d’interrogations diverses ? A la lecture du titre entier du dernier ouvrage d’Alia Bournaz Baccar « Sophonisbe, princesse carthaginoise et reine de Numidie », le mystère se dissipe doucement mais surement. Grâce à la chercheure, doctorante, universitaire et écrivaine, déjà auteure d’ouvrages baptisés « Ulysse et les délices de Djerba » et « Elissa Didon reine de Carthage » (entre autres), Alia Bournaz Baccar s’est donnée comme objectif d’éclairer un lectorat tout public en le replongeant dans les annales de l’histoire de Carthage. Cet ouvrage, publié chez Arabesque est une reconstruction historique des plus ludiques, l’histoire de « Sophonisbe » a été soigneusement esquissée, son vécu finement ré – illustré en collaboration Zohra Larguèche, diplômée des Beaux Arts de Tunis, enseignante et aquarelliste, et le personnage féminin historique, ressuscité. L’extraire des oubliettes, tel était l’objectif phare d’Alia. Un défi hautement relevé, après des années de lutte acharnée. Entretien.
Pourquoi écrire sur "Sophonisbe" aujourd’hui et en quoi cette princesse est-elle actuelle ?
L’idée d’écrire sur Sophonisbe m’est venue lorsque j’ai constaté la chape de plomb qui recouvre cette princesse carthaginoise ! C’est une héroïne historique qui est très peu connue dans son propre pays. En dehors des spécialistes, son nom est toujours suivi par un silence interrogatif lorsque vous le prononcez. En Tunisie seuls quelques rares ouvrages lui ont été dédiés alors qu’à l’étranger elle a inspiré autant de romanciers, dramaturges, poètes que d’artistes peintres, musiciens, cinéastes….J’ai pensé qu’aujourd’hui où je sens que notre jeunesse est désorientée, il serait bon de lui rappeler ses racines et les héros qui ont marqué l’Histoire plurielle de son pays. C’est un encrage, à mon avis des plus bénéfiques pour notre jeunesse, d’autant plus qu’on retrouve en cette princesse les critères de la tunisianité, à savoir le lien avec un passé grandiose, l’amour de la patrie, le courage, le don de soi, le sens de l’éthique et de l’honneur la finesse d’esprit, bref ce qui fait la spécificité de la personnalité tunisien, du moins en partie.
Dans chacun de vos livres, la femme tunisienne semble avoir un rôle majeur dans l'histoire de ce pays ...
Oui, en effet, c’est un sujet qui me tient à cœur et une étude complète sur les Femmes illustres de Tunisie de l’Antiquité à l’Epoque contemporaine doit être envisagée. Nos héroïnes sont les grandes oubliées de notre Histoire. De nos jours, on parle peu de celles qui appartiennent à un passé lointain ou même proche et qui se sont estompées dans la mémoire collective. Pourtant, ces femmes ont marqué leur époque soit en prenant les armes, soit en léguant une œuvre. Bien d’autres aussi sont restées dans l’ombre. C’est le cas des militantes qui ont sacrifié leur vie pour libérer leur pays ou encore des pionnières dans le domaine médical et pédagogique. Leurs faits et gestes n’ont jamais été intégrés dans les cours scolaires d’Histoire. Ils peuvent servir de modèles bénéfiques et donner à réfléchir à notre jeunesse qui gagnera plus d’assurance et d’espoir. Il y a vraiment l’embarras du choix et de la matière pour réaliser des volumes. J’ai modestement contribué, pour ma part à cet aspect en publiant sur Elissa-Didon, Sophonisbe, Maherzia Bornaz, Zobeïda Amira, Mongia Mabrouk, pionnières dans l’éducation et l’émancipation de la Tunisienne, sur la militante Rafiâ Bornaz, j’ai préfacé le livre de Najet Fakhfakh « La Liberté en héritage »… mais il reste encore tant à faire !
D'aucun pense que malgré le rôle très important que les figures féminines emblématiques ont joué dans l'histoire, la femme tunisienne actuelle reste toujours fragile face aux différents courants qui risquent de lui faire perdre tous ses acquis. Qu'en pensez- vous ?
Oui, c’est vrai, c’est un constat qu’il faut hélas avouer. Je suis préoccupée et inquiète face à la maltraitance de la gente féminine au lendemain de notre révolution. En ce début du XXI° siècle où la technologie de pointe progresse à une allure vertigineuse, à l’ère des sciences où les découvertes se bousculent pour le bien de l’humanité, la matière grise de ces messieurs est phagocytée par une idée fixe : ramenez la femme à sa condition moyenâgeuse ! Toute leur énergie est bloquée pour pourchasser la femme qui est menacée, prise à partie, oppressée, brimée. Bref, nous assistons à la mise à mort de la femme libre, cultivée, équilibrée, épanouie. Elle dérange et on fait tout pour lui couper ses ailes. Même la petite fille dérange. Pourquoi lui vole-t-on son enfance à l’heure où elle doit sauter à la corde et jouer à la poupée ? On exploite sa naïveté et on l’affuble du hijjab. C’est une véritable gangrène qui ronge le pays. Mais j’ai confiance en la Tunisienne. Depuis l’antiquité la plus lointaine, combative, elle a toujours montré ses multiples capacités et marqué l’Histoire de la Tunisie. Pour obtenir l’indépendance de leur pays, les femmes ont sacrifié leur vie et leur famille tout en restant dans l’ombre. Elles se sont ensuite investies dans le combat pour leur émancipation et ont su prouver leurs compétences, leur sérieux, leur sagesse, leur sens des responsabilités et des gestions, tout en ne négligeant pas leurs rôles de mères et d’épouses. Elles ont porté haut le nom de leur pays dans tous les domaines : savoir, arts et culture, sports… En ces jours où on veut l’ensevelir sous un linceul noir, la fresque féminine qu’offre la Tunisie devrait être enseignée dans les manuels scolaires pour que nul n’oublie. D’où ma modeste contribution par ce conte sur Sophonisbe.
Quelle place peut avoir le conte aujourd’hui auprès de nos jeunes confrontés aux diktats de l'image et de l'internet ?
Là aussi, il faut reconnaître le recul de la lecture face à la recrudescence de l’audiovisuel, comme d’ailleurs partout dans le monde. C’est une forme d’éducation qui inculquerait à son enfant l’amour de la lecture, en créant des moments de complicités où l’un des parents lui lirait des passages chaque soir avant de dormir ou à d’autres moments perdus. La lecture deviendrait alors une habitude incontournable et une évasion. Les contes doivent plaire et instruire car ils enrichissent les connaissances du jeune lecteur en lui faisant découvrir d’autres cieux, d’autres époques, d’autres héros, en élargissant ses horizons et en développant ses facultés. C’est du moins ce que je recherche en écrivant mes contes pour la jeunesse.
Les deux volets précédents « Ulysse et les délices de Djerba » et « Elissa Didon reine de Carthage », vulgarisent une Tunisie antique pour les jeunes. Reconstruire tout un univers historique ne doit pas être de tout repos ...
Je me suis mise à vulgariser ces deux contes qui ont eu un succès fulgurant, avant de me focaliser sur « Sophonisbe ». Et ces textes me demandent énormément de travail : une recherche très approfondie et de la documentation acharnée. Quand on se fixe un but de faire revivre des personnages historiques qui ont réellement existé, on se doit d’être très pointu sur les informations récoltées qu’on s’apprête à ré-véhiculer. On se déplace sur des sites historiques, on se renseigne sur l’architecture d’antan… Ce genre de « contes », raconte des personnages et une époque historique très lointaine, qu’on essaye de vulgariser et d’interpréter. Et c’est là ou réside la difficulté. Il ne s’agit pas d’un roman ou on laisse notre imaginaire planer. Quand on a une espèce de « balises », qui sont l’histoire l’époque les personnages, il faut que ça soit net et vrai. Je tiens absolument à ce que les jeunes, s’instruisent sur leur passé. Qu’on les éclaire sur 3000 ans d’histoire !
D’où l’emploi de ces illustrations attrayantes de Zohra Larguèche pour une immersion assurée …
Bien sur ! Tout comme mes autres livres, je tenais à ce que ça soit illustré. Et pour se faire, j’avais absolument envie de faire participer les jeunes. D’où ma rencontre initialement, avec trois étudiants à la faculté des arts que j’ai chargé de me fournir les illustrations historique, mais peine perdue, ils n’ont rien pu faire. Ils n’ont cessé d’esquisser des illustrations qui n’ont rien à avoir avec l’antiquité. Leur travail a montré, hélas, que de nos jours, la jeunesse d’aujourd’hui souffre d’une carence culturelle très profonde. Finalement, je me suis tourné vers Zohra Larguèche, artiste peintre confirmée de ma génération et également enseignante, qui s’est chargée de tout faire au bout d’un mois. Mon éditeur, qui prend en compte l’avis de l’auteur, a tout finalisé après et le résultat est à la hauteur de mes attentes et devrait plaire.
Lors d'une rencontre dans le cadre des JTC, ce sont des professionnels qui ont parlé de la création de ce manifeste qui a changé le visage du théâtre tunisien, cinquante ans plus tôt.
C’est dans l’enceinte de la salle des conférences, très peu éclairée « Malawi », à l’Africa, que s’est tenue une rencontre - débat sur le « manifeste des onze » qui a fortement imprégné l’histoire du théâtre tunisien. Devant une vingtaine de participants, Lassaad Jammousi, président des Journées Théâtrales de Carthage, accompagné de Ali Louati et de Fradj Chouchane, porte – parole du groupe du Manifeste se sont, exprimés sur la création de ce traité, cinquante ans plutôt …
Outre l’aspect humain qui les a réunis, Chouchane, le plus âgé de cette poignée de jeunes tunisiens autrefois révolutionnaires, retrace au public le cheminement d’une révolution théâtrale historique, avec ses collègues, alors étudiants de la première école de théâtre dans le pays. Tous, y compris Moncef Souissi, décédé récemment, étaient influencés par l’école de Bertolt Brecht et celle de William Shakespeare. Ensemble, ils ont transgressé le théâtre classique de son maître Ali Ben Ayed, en 1966.
Avec l’implication des jeunes de sa génération et le soutien de certains sympathisants dont Tawfik Jebali, Abdelraouf Basti, Hichem Rostom, Naceur Chemam, Taoufik Guiga, ils ont lancé les prémices d’un théâtre nouveau, aux allures révolutionnaires.
Fradj Chouchane se remémore de l’époque et plus précisément, des circonstances ou a été conçu ce manifeste qui a vu le jour dans un contexte historique glissant durant lequel la Tunisie post-indépendante commençait à peine à s’ériger. Même à l'échelle du monde, l'époque était sans cesse en effervescence.
Toute la clique se réunissait, durant pas moins d’une semaine, à l’ancien café du « capitole » ou au « Studio 38 », situé en plein cœur de Tunis. Ils décortiquaient l’actualité nationale ou internationale, débattaient, s’échangeaient des idées à n’en plus finir. Rassemblés tous par un seul rêve : cette envie pressante de rénover. Une jeunesse qui aspirait à un changement radical grâce au 4ème art, celui de « la représentation » par excellence. Un miroir social qui permet à ses adeptes de mieux cerner les failles d’une société en construction.
Les signataires du « manifeste » étaient issus de la première école de théâtre dans le pays, le premier établissement qui enseignait toutes les ficelles du métier dont la réalisation, la direction d’acteur etc Ces adhérents et supporters étaient profondément alimentés par l’actualité mondiale : la guerre du Vietnam, le conflit israélo-palestinien, l’Apartheid, mai 68 et les révolutions estudiantines à caractère culturelle et artistique.
« On était forcément au courant de ce qui se passait au quatre coins du monde ». Se souvient Chouchane, qui, la même année, a fini par réadapter une célèbre pièce de théâtre "brechtienne" en langue arabe. Un travail honorable, qui leur a valu, à sa troupe et à lui, maintes récompenses, dont la principale était ce voyage d’une vie à Avignon, cette ville française qui abrite l’un des plus grands festivals de théâtre européens. Sur place, ont succédé des rencontres qui ont changé le cour de leur vie : George Wilson, Roger Planchon, Jean Vilar, Boris Béjart, entre autres.
Fortement secoués après cette virée, une révolution culturelle devait absolument remédier à un théâtre tunisien précaire, fortement sclérosé par l’école archaïque de Ben Ayed, qui prônait des valeurs bourgeoises et été considérée comme « élitiste », d’où ce différend d’envergure qui l’a opposé aux « jeunes loups ».
Il n’y avait plus de doute, la révolution était en marche et s’apprêtait à permettre « au théâtre de l’heure » d’émerger, composé de 30 adhérents, chaperonnés par Samir Ayedi, qui ne faisait pas parti des « Onze ». Le manifeste commençait par et « si nous parlions théâtre, et si nous faisions du théâtre… » ; Une incitation directe à un dynamisme inédit.
Une page nouvelle commençait alors dans l’histoire du théâtre tunisien… Ces « Grands papas » étaient porteurs d’un changement, d’un souffle nouveau, qui aurait très bien pu aboutir à une révolution culturelle plus approfondie.
La cité des sciences de Tunis a consacrée toute une matinée à une thématique, celle de « l’exploration de l’eau », pas seulement sur la planète terre, mais également dans le système solaire. Les planètes avoisinantes regorgeraient de mystères qui tardent à faire surface, mais les recherches effrénées, effectuées par l’Homme se précisent ; les scientifiques sont déterminés à déceler toute forme de vie extraterrestre en commençant par mettre au point la science, la recherche et les technologies modernes les plus développées au service de l’exploitation de l’espace.
A l’aube du 21ème siècle, cette recherche de l’eau, forcément fructueuse, rythme le quotidien professionnel des spécialistes dans le domaine. Parmi eux, Dr Essam Heggy, invité d’honneur d’une conférence qu’il a dirigé devant un parterre d’étudiants à l’auditorium de la cité. Cet astrophysicien égyptien compte, de nos jours, parmi les chercheurs les plus compétents de sa génération ; il est Co-investigateur au laboratoire de production jet de la NASA, spécialisé dans la géophysique planétaire et spatiale et a récemment participé à la mission ROSETTA, qui s’est achevée le 30 septembre 2016.
Cette conférence d’envergure a permis aux invités de saisir l’importance de l’eau, l’essence même de la vie sur la planète bleue. Saisir cette matière ici-bas permettrait de mieux cerner l’éventualité d’arriver un jour à découvrir concrètement une forme de vie ailleurs. La conférence a comme objectif aussi d’éclairer davantage les invités présents sur l’issue de cette évolution climatique rapide qu’est entrain de connaître la Terre actuellement. Une grande partie des recherches pertinentes de Dr Heggy révèlent si les éléments, liés à la subsistance de l’eau sur la Terre existent aussi sur d’autres planètes, permettant ainsi à la vie d’émerger, sur cette voie lactée, qui tarde à révéler ses secrets.
Dr Essam Heggy a mis l’accent, peu avant son intervention, sur l’importance de cette expérience humaine acquise au fur à mesure de ses recherches. D’après lui : « l’homme, s’il est déterminé à découvrir le monde, ou l’espace temps qui l’entoure, ira loin dans ses recherches. Il faut affiner ce flair pour la science et étancher sans cesse sa soif de savoir pour un développement meilleur et durable. Plus rien ne peut l’arrêter s’il aime ce qu’il fait et s’il nourrit d’une manière continue ses centres d’intérêt. Ceci concerne n’importe quel domaine du savoir, pas uniquement les sciences physiques. »
Essam Heggy s’est exprimé aussi sur l’état du monde arabe qui hiberne face à l’occident. Un monde rongée, depuis des siècles, par une carence voire une paresse intellectuelle. Il ajoute : « Le monde arabe stagne, c’est vrai! mais ce dont il a besoin c’est qu’on l’encadre. Et pour y arriver, il faut impérativement remédier au domaine du savoir et œuvrer pour la réforme de l’enseignement supérieur. Une révolte culturelle et intellectuelle provoquerait l’éveil du monde arabe. ». La Tunisie, pour lui, est un pays qui a déjà une longueur d’avance dans le domaine de la recherche, structuré depuis les années 60 est qui demeure en effervescence : « C’es très important de s’y investir autant afin d’éviter aux jeunes les dérives de l’obscurantisme qui n’a jamais autant sillonné nos sociétés. » S’enrichir d’abord intellectuellement, permettra à la nation de sortir de sa torpeur.
D’autre part, ce chercheur s’est longtemps consacré à l’amélioration de l’enseignement supérieur et de la recherche en Egypte. Un engagement farouche, défini comme un besoin élémentaire et fondamental qu’il faut fournir aux générations actuelles, témoins d'un changement radical en cours, depuis le début du printemps Arabe. Heggy a validé son doctorat en astronomie et en science planétaire en 2002 avec les honneurs à l'Université Paris VI en France. Ses principaux intérêts scientifiques en géophysique planétaire ciblent principalement Mars, la Lune et les satellites glacés.