La création de Hatem Karoui regorge de sarcasme et tourne en dérision des faits indissociables faisant partie intégrante du quotidien sociopolitique des Tunisiens.
Dernière création en date du slammeur et comédien Hatem Karoui, la pièce met en scène trois protagonistes hommes joués par Mehdi Mahjoub, Akil Kolsi et Helmi Ben Ali. Avec une voix «off» omniprésente, qui tient habilement les ficelles dans l’ombre et qui fait office d’un quatrième personnage, le gang «des intrus» s’est emparé de la scène d’El Teatro pour la première fois devant un public fort nombreux et habitué à l’humour décadent de Hatem Karoui. Pourtant, la pièce démarre dans une atmosphère sombre, suffocante, qui laisse présager une tragédie scénique. Trois silhouettes en mouvement étouffent, sont en fuite, se noient dans les interrogations et tentent d’interagir avec cette Voix, — celle de Hatem —, qui dicte, dirige, dans l’ombre sur un ton sarcastique. L’ironie prenait le dessus peu à peu, jusqu’à la détente totale. La pièce se classe dans un genre qu’on nomme théâtre expérimental, qui prône les non-dits, et donne libre cours au public d’interpréter, d’être réceptif différemment aux messages véhiculés.
Relations en dents de scie entre peuple et classe politique, politique étrangère (précisément française), répliques salaces, Hatem Karoui, dans sa toute première création en tant que metteur en scène, a mis en place un ascenseur émotionnel divertissant, mais qui pousse à la réflexion et se focalise notamment sur le statut des artistes, ceux qui vénèrent le 4e art spécifiquement, et qui sont pris pour «des intrus».
(crédit photo : Med Karim El Amri)
Quatre protagonistes — deux couples de parents d’élèves — se rencontrent et échangent autour d’un différend qui a opposé leurs deux enfants. Comme dans un huis clos cinématographique, le rythme de cette création théâtrale n’a cessé de s’accentuer au gré des altercations qui ont foisonné… jusqu’au «carnage» final !
Dans sa pièce, adaptée de «Le Dieu du carnage» de Yasmina Reza, Ghassen Hafsia met en scène 4 acteurs d’El Teatro, déjà aperçus dans d’autres créations, à savoir Zied Ayadi, Emira Khelifa, Issam Ayari et Leila Yousfi. 4 artistes qui ont tenu de bout en bout les ficelles de cette réadaptation maîtrisée en tunisien. Des parents d’élèves issus d’un milieu social aisé, instruit, se rencontrent afin de dissiper une altercation juvénile qui a eu lieu entre leurs mômes dans la rue. Ils commenceront au départ à arborer masques et bonnes manières, à faire semblant d’être aimables, corrects, à lancer cette machine infernale des faux semblants, qui n’a cessé de se décarcasser, cédant la place à des piques, des altercations toujours sous couvert d’humour.
Dans le but de résoudre le problème, le différend ne fera que s’accentuer. Les parents de la «victime» s’expliqueront avec les parents du «coupable». Rapidement, les échanges cordiaux cèdent le pas à l’affrontement. « Carnage » est la première expérience de Ghassen Hafsia en tant que metteur en scène. Avec ces acteurs, ils sont tous issus d’El Teatro Studios. La création est dotée d’une scénographie attrayante et est rythmée par une musique de fond.
Ce huis clos scénique — entre pétages de plomb, vomissement, jet de portable dans un vase — tient en haleine de bout en bout. Le véritable exercice était la réécriture réussie du texte en tunisien : les répliques sont tordues, drôles et mordantes à souhait. Un texte truffé de mots qui atteignent leur cible bien plus que les gestes ou même les poings. La pièce rappelle incontestablement la réadaptation cinématographique de ce livre de Reza par Roman Polanski dans un film appelé aussi «Carnage» sorti en 2011 et qui rassemble un quatuor d’acteurs américains époustouflants, à savoir Kate Winslet, Christoph Waltz, John Reilly et Jodie Foster. Nos acteurs tunisiens n’ont pas manqué de peps sur la scène d’El Teatro : ils sont déjà passés les 5 et 6 avril avant l’annonce d’un nouveau cycle prévu pour bientôt.
Des artères entières truffées de stands, et dispersées sur les 3 halls du palais du Kram, abriteront jusqu’au 14 avril, les différentes maisons d’édition et éditeurs étrangers, arabes et tunisiens : elles consacreront leurs espaces aux écrivains et autrices venus échanger avec les visiteurs présents. Le démarrage se fait tout doucement cette année : la présence du public était timide pour un premier week-end mais s’est considérablement accrue au cours de la semaine.
Après une inauguration en grande pompe, effectuée par le chef du gouvernement Youssef Chahed et le ministre des Affaires culturelles M. Zine el Abidine, place désormais aux visiteurs : véritables férus des livres. Des adultes, en grande partie des parents, arpentaient les allées dès samedi matin. Le rendez-vous livresque annuel a commencé… et ils l’entament en compagnie de leurs enfants : bouquins de coloriage, ouvrages ludiques, contes pour enfants, et un espace de garderie, équipé de jouets et d’une assistance. Mais pas que… des spectacles réalisés par des enfants — pour la plupart de théâtre et de chorégraphie — se faisaient en boucle. Les parents rencontrés sur place sont soucieux des connaissances de leurs enfants : ils tiennent à les initier aux livres, à l’écriture et à l’art, et c’est dans le cadre de la foire qu’on réalise que ce n’est nullement une question de classe sociale : toutes les catégories étaient sur place et n’avaient qu’un seul but : l’éducation de leurs progénitures pour la plupart réceptives et enthousiastes.
Les éditeurs tunisiens les plus connus, des plus récents aux plus anciens dans le milieu, arboraient leurs plus belles productions littéraires. Pop Libris, la maison d’édition fondée juste après la révolution par Atef Attia et Samy Mokaddem (également écrivains acharnés), ne cesse de faire connaître de jeunes auteurs et autrices. De nouvelles publications sont en effet apparues : la dernière en date est le recueil de poésie anglaise « Skein Of Wool » du jeune Mohamed Hichem Samaali. « Dimansia » de Tarek Lamouchi était également exposé et demandé, mais aussi « Les contes du clair de lunes » publié par cette même maison d’édition en collaboration avec « Beit Riouaya Tounes ». Le recueil contient douze textes en langues arabe et française écrits par des auteurs tunisiens, issus de toutes les générations, de tout âge et rassemblent les différents genres littéraires. 25% des bénéfices de la vente de ce livre seront versés à l’association d’aide des enfants de la lune de Tunisie. Aussi, disponibles des livres d’Atef Attia, Samy Mokaddem, Salma Inoubli et bien d’autres.
Un peu plus loin, on s’approche paradoxalement de la maison d’édition la plus ancienne en Tunisie, à savoir Arabesque qui organisait une séance de dédicace dédiée à Anouar El Fani, présent sur place pour lancer « Regards de femmes », son nouvel ouvrage qui connaît déjà un franc succès auprès de la gent féminine. Khaoula Hosni, auteure de la trilogie «Into the Deep», dont deux tomes sont déjà publiés, « Le cauchemar du Bathyscaphe » / « Du Vortex à l’Abysse », et qui a depuis récemment sorti le premier book audio paru en Tunisie et dans le monde arabe en langue française, ne pouvait rater ce rendez-vous sous aucun prétexte. Un cadre unique pour rencontrer son public épris depuis quelque temps par son dernier ouvrage de nouvelles « Les cendres du Phoenix ». Une connexion intergénérationnelle enrichissante sur le même stand.
Pas très loin d’Elyzad, celui de Cérès. L’historienne, chercheuse et universitaire, Héla Ouardi, gère une séance de dédicace de son ouvrage « La Déchirure », premier tome de sa série « Les Califes maudits », récemment publié à Paris chez Albin Michel et également édité à Tunis, par Cérès Editions, ce qui le rend disponible à un prix abordable (20 DT). L’écrivaine a fait sensation 2 ans plus tôt en publiant les « Derniers jours de Mohamet ». Ouardi raconte la dispute qui a eu lieu entre les compagnons du prophète concernant son héritage. Tout un hall ou presque est consacré à la littérature algérienne, saoudienne et au monde arabe. Un rayon consacré au spirituel et à la religion, qui attire mais pas autant que les livres consacrés à la psychologie, aux différentes disciplines artistiques, culturelles, et aux nouveautés littéraires nationales et internationales. Les adaptations ciné et sérialisées sont très prisées.
« Oueld Fadhila », d’Amira Charfeddine, a été lancé chez « Cérès » face à une foule de curieux pour la plupart des jeunes venus se procurer le livre qui traite de la question de l’homosexualité et le vécu du personnage principal dans un quartier populaire de la capitale. Une leçon de tolérance, d’acceptation de l’Autre qui s’insère dans la thématique principale de la foire, à savoir « Libertés individuelles et égalité ». Les panels et débats tournent autour de cet axe : un débat animé par Rihab Boukhayatia, journaliste pour le Huffpost, a rassemblé Saif Eddine Jelassi de «Fanni Roghmane Anni » et Mariem Guellouz, directrice des Journées chorégraphiques de Carthage. Ensemble, ils ont traité de la question « du corps dansant » et son rapport à la sexualité, à la liberté, au genre, à l’espace public et à la relation homme / femme. La salle Zoubeida-Bchir a abrité un échange autour « des libertés individuelles et des jeunes » en présence de Haythem el Mekki, Amal Khlif, Lina Ben Mhenni et Youssef Ben Moussa. Le panel réservé à l’écriture en tunisien a connu un vif échange en présence du jeune auteur Dhia Bousselmi, d’Anis Ezzine et modéré par Wahid Ferchichi. 319 Stands, c’est bien, mais autant de conversations autour de cette thématique resteront de loin l’atout fort de cette 35e édition.
Grâce à la direction pointue d’Erige Sehiri, « La voie normale » dévoile au spectateur l’envers du décor, celui du secteur ferroviaire tunisien et de ses failles. Un cri de détresse qui s’annonce retentissant, projeté dans les salles obscures tunisiennes à partir d’hier 27 mars.
Trains, chemins de fer, wagons abandonnés, parfois accidentés, grisaille et bruits de fer en permanence, voyageurs en mouvement et pas moins de 4 personnes qui rythment la narration de ce film au titre attrayant, intriguant. Le long métrage relate l’histoire de 4 cheminots affectés à « La voie normale », il s’agit de la voie la plus délabrée et la plus abandonnée du réseau. Pourtant, c’est celle qui a été initialement construite selon les normes internationales. Au quotidien, rien ne se passe jamais comme prévu : pannes, accidents, altercations entre employés, hiérarchies étouffantes, bureaucratie administrative, l’œuvre projette une réalité dure, brutale, méconnue par les Tunisiens. Un secteur rongé par l’absence des autorités, le manque d’encadrement des employés et qui demeure rythmé par les chassés-croisés de personnes qui se vouent corps et âme au secteur des chemins de fer.
Des travailleurs tenaces, aux parcours rudes, aux personnalités éclectiques et qui luttent pour une situation meilleure, à commencer par Ahmed, 34 ans, qui a hérité d’un savoir-faire, celui d’un père et d’un grand-père anciennement cheminots. Sur le tas, il apprend son métier manuellement aux côtés de nombreux conducteurs.
Fitati (38 ans) lutte autrement pour remédier à la déliquescence de la Sncft. Un combat qui frise l’obsession. Dans le film, on le voit tentant tant bien que mal de mettre la lumière sur les défaillances du secteur ferroviaire tout en s’attirant les foudres des autorités, de l’administration et … de sa propre femme. Le film suit aussi le parcours de Abderrahim Aka Abee. Du haut de ses 27 ans, il puise dans ce chaos ferroviaire pour parvenir à enregistrer son premier album de rap conciliant ainsi profession et passion. « La voie normale » suit également une femme battante qui perce dans un univers masculin.
Le déroulement du tournage pourrait faire un excellent making off au film. Un tournage chaotique à l’image de la Sncft. Produit par Nomadis Images et les films de Zayna. Les coulisses ont été particulièrement rudes : le tournage a mis un temps à démarrer, faute d’autorisation et le film a mis 5 ans pour prendre forme. L’équipe a tenté de filmer en cachette en attendant l’obtention d’une autorisation légale d’un mois seulement. Un temps record pour parvenir à tout boucler. Soutenu par les conducteurs et les travailleurs au sein de la Sncft, il fallait faire face aux aléas d’une administration en perpétuel changement et des ministres qui défilaient. En suivant Fitati, agitateur aux yeux des autorités, nous assistons à ses tentatives pour médiatiser la dégradation du secteur, depuis 2010. Au gré des hasards, il rencontre Erige Sehiri, la réalisatrice qui filmait sur place. Leur rencontre a été capitale pour la concrétisation du film. L’alerte est lancée à travers ce long métrage qui nous prend aux tripes. Une mobilisation des autorités urge. Difficile de sortir indemne face à la dureté d’un quotidien aussi bien poétisé sur le grand écran. Distribué par Hakka Production, le film est disponible dans les salles Cinémadart et Amilcar.
Dans la lignée de «Bidoun» et «Bidoun 2», Jilani Saâdi rempile avec un 3e «Bidoun». Le long métrage, distribué par Hakka distribution, casse avec les codes d’un cinéma conventionnel en traçant l’échappée existentielle de deux êtres que tout oppose et qui finissent par se croiser… au gré des errances.
Pour pouvoir atteindre ses rêves ou un semblant de havre de paix, l’être humain déterminé, doit lutter, survivre, surmonter toute sorte de difficultés et s’armer jusqu’au bout. Dans «Bidoun 3», le poids d’une société étouffante et d’un environnement peu propice à l’épanouissement, voire hostile, a poussé Douja (Lina el Euch), une jeune femme de 20 ans passionnée de chant et de musique, à fuir Bizerte, sa ville natale. Conflit parental, société patriarcale, conservatrice, la pression peut être insupportable, pour une femme (ou un homme), tous âges confondus, qui aspire à un minimum de liberté, qui soit passionnée… et qui voue un culte à la vie.
Douja débarque à Tunis, s’entiche d’un jeune homme (joué par Noureddine Mihoub), devient aussi vite son petit ami : peu fréquentable et générateur d’ennuis, il lui mènera la vie dure. Parallèlement, Momo (interprété par Hached Zammouri), un homme d’un certain âge, ancien chanteur, qui (sur)vivait également de sa passion dans les cabarets/restos glauques de Bizerte, sombre dans l’alcoolisme et la dépression suite au décès de sa mère et… à la perte de sa voix. Rongé par les hallucinations, le désarroi ambiant, les tourmentes, quelques fétichismes, il prend aussi le large dans une quête de soi, qu’elle mènera… jusqu’à Douja. Ensemble, ils s’insulteront, se taperont dessus, trouveront un terrain d’entente… et se réuniront autour d’un Dessein.
Le dernier long métrage de Jilani Saâdi, réalisé en 2016 avec très peu de moyens, porte toujours autant l’empreinte de son créateur, célèbre pour des films qui retracent des fictions filmées avec un réalisme saisissant. Des images qui peuvent paraître floues, peu éclairées, pixélisées, filmées avec une caméra amateur portative, (ou pire un téléphone). Des prises qui donnent vie à un scénario, et à des scènes plus vraies que nature qui se font et se défont sous les yeux du spectateur. Une manière de filmer propre au réalisateur, qui peut paraître peu maîtrisée mais qui ne l‘est sûrement pas. «Chaque tremblement, chaque détail, chaque prise est entièrement maîtrisée et voulue», déclarera le réalisateur aux journalistes peu après la projection- presse. Un résultat sur grand écran qui file le tournis, dérange… mais qui reflète à la perfection l’environnement anxiogène dans lequel vivent les protagonistes. Une caméra qui esquisse aussi un Bizerte sombre et un Tunis nocturne… qui ne l’est pas moins.
Entre un cinéma documentaire et fictif, il n’existe pas de différence pour Jilani Saâdi : tout ce qu’on peut voir défiler sous nos yeux est voulu, minutieusement choisi et décidé. Filmés avec une caméra numérique «Go Pro», les maniements étaient donc restreints pour un «cinéma direct», réalisés dans des conditions difficiles. «Mes films sont des expériences cinématographiques vécues, qui ne sont pas réalisées uniquement dans le but de raconter une histoire», déclare le réalisateur en enchaînant : «Pour «Bidoun 3», réalisé en 11 jours sans autorisation en collaboration très étroite avec les jeunes acteurs et l’équipe technique majoritairement jeune, les autorités ont cru qu’on réalisait un projet de fin d’étude !». La construction des personnages était inspirée d’autres personnes connues dans la vraie vie. Une écriture scénaristique qu’on peut sentir légère, parfois improvisées mais qui est entièrement dirigée. Le scénario a été écrit en langue française, initialement, mais a été traduit par les acteurs en tunisien. Saâdi révèle de jeunes talents dans ses films comme c’est le cas de la jeune Lina El Euch : douée aussi pour le chant, elle a ajouté un vent de fraîcheur au film grâce à une interprétation qui peut paraître juvénile mais juste. Zammouri, en endossant le rôle très peu bavard de l’alcoolique dépressif, a su dégager une rafale de non-dits pendant 1h24. Des personnages qui se fondent dans une esthétique, celle de la fiction du réel.
Le film possède les allures d’un délire onirique pas «tout public» rythmé par une musique issue d’un répertoire tunisien, point fort de ce long métrage. Un fond musical finement ficelé par le jeune musicien Selim Ajroun, et réinterprété par Lina El Euch. «Bidoun 3» reste (très) cru mais casse avec l’ordinaire, le classique. Ce cinéma, peu courant dans des fictions tunisiennes, rend ce dernier «Bidoun» audacieux, voire transgressif.
A l’heure du numérique, des smartphones et des avancées technologiques, il serait aisé de penser que jeunes et lecture ne font plus bon ménage… ou presque ! Pourtant, quelques maisons d’édition, écrivains tunisiens et librairies privées notent un engouement qui perdure. Des ouvrages (tous styles confondus) en langue française, mais surtout anglaise et même arabe suscitent toujours l’intérêt des jeunes lecteurs.
Séances de rencontres et de dédicaces, ventes honorables, avis positifs ou négatifs échangés, groupes de discussion sur les réseaux sociaux… Cette effervescence ne peut qu’attester encore plus de l’engouement d ’une petite partie de la jeunesse tunisienne qui suit, doucement mais sûrement, les nouveautés littéraires locales et étrangères. Une occasion de revenir sur cette relation en dents de scie entre «livre et jeunesse» en Tunisie.
Lecture et jeunesse : la passion y est toujours… ou presque
Se procurer des livres ou opter pour la presse papier devient de moins en moins fréquent. Cette accalmie est universelle et n’est pas l’apanage de la Tunisie. Internet prend de plus en plus d’ampleur et avec l’avènement des smartphones et tablettes, le papier a muté et tout ou presque est devenu lisible en ligne. Une conversion à l’ère du temps qui a impacté le livre négativement… Mais c’est cette passion minime pour le bouquin qui suscite la curiosité.
Une librairie située en plein centre-ville de Tunis attire encore une clientèle fidèle et issue de toutes les catégories sociales. Lotfi, libraire sur place depuis des années, constate cet engouement : «Les jeunes lisent, c’est certain. Ils sont à la page également. S’il y a un genre romanesque très prisé et dont une bonne partie se trouve souvent épuisée, c’est bien les sagas fantaisistes récentes à la “Game of Thrones”, ou “Harry Potter”. Il y a le format livre des séries télé en vogue du moment tel que “13 Reasons Why” qui reste très demandé. Les incontournables Marc Levy, Guillaume Musso ou Laurent Gounelle pour les livres en français, continuent également à attirer des lecteurs, auxquels s’ajoutent quelques “best sellers” et polars en anglais. Pour la langue arabe, c’est surtout la thématique du féminisme qui attire beaucoup, comme Ahlam Mosteghanemi, Nawel Saâdaoui et la jeune romancière tunisienne montante Khaoula Hosni».
Après réflexion, le libraire a souligné l’intérêt pour les livres de psychologie et de développement personnel. «Ce n’est pas une affaire de jeunes seulement, tout le monde s’y intéresse».
D’une librairie à une autre le constat est unanime : de nos jours, les jeunes aiment le surnaturel et le fantastique. Ils cherchent à s’évader et boudent par ailleurs les ouvrages de philosophie et les grands classiques. Selon eux, deux catégories de clients existent : les curieux, qui viennent voir sans forcément acheter, et les fidèles qui s’offrent un livre tous les mois, voire trois. L’avis de S., libraire reste mitigé : «Les jeunes ne se procurent peut-être pas fréquemment des livres, mais ce n’est pas le désert non plus».
Spécialisée dans les ouvrages philosophiques, peu visibles, et dotée d’une façade rétro-vintage, une autre librairie située à la place Barcelone nous renvoie à l’ambiance littéraire des années 80. Une fois à l’intérieur, il est difficile de ne pas sentir l’optimisme débordant de son staff : «Les jeunes lisent de la philosophie, ils sont curieux, ils achètent et s’instruisent, certains vont jusqu’à faire des économies pour en avoir plus. C’est archi-faux de dire que les jeunes ne lisent pas, sinon on aurait fermé boutique depuis longtemps», déclare une libraire, la trentaine.
Un cri de détresse
Mais au-delà des murs des librairies en vogue, le cri de détresse d’un bouquiniste situé rue d’Angleterre se fait entendre : «C’est aberrant de dire que les jeunes sont toujours aussi passionnés de lecture qu’auparavant !», s’indigne Mounir, responsable de « La Bouquinerie Populaire», qui existe depuis bien avant l’Indépendance de la Tunisie. Un simple visiteur ne pourra pas rester indifférent à la quantité considérable de livres et de revues qu’elle possède. Bien achalandé, l’endroit est constitué d’armoires immenses de bouquins divers et anciens pour la plupart. Difficile de ne pas trouver son compte ici, lorsqu’on est passionné de livres. Le responsable enchaîne : «On me sollicite pour des ouvrages scolaires ou universitaires. De futurs bacheliers me rendent visite, mais ils ne le font pas par passion, c’est limite s’ils étaient contraints de le faire. L’époque où les jeunes lisaient plus de 4 livres par semaine est bel et bien révolue».
Mais est-ce seulement cette effervescence technologique qui empêcherait les jeunes de lire davantage ? Pas si sûr…
Le livre est devenu un luxe
Sur terrain, l’amour de la lecture ne s’est toujours pas totalement dissipé. Seulement, se procurer un nouveau livre pour un jeune est devenu une affaire de moyens. Toutes les nouvelles sorties littéraires, et en particulier celles qui sont importées, coûtent cher et n’incitent pas le jeune Tunisien de classe moyenne à acheter. Le pouvoir d’achat a considérablement baissé et la majorité des libraires consultés s’accordent à dire que face à la dévaluation du dinar, celles et ceux qui achetaient des livres fréquemment ne le font plus, faute de moyens.
«Un nouveau livre à 10 ou 15 euros coûte désormais 35 à 40 dinars, une somme vraiment élevée, les jeunes d’aujourd’hui préfèrent de loin dépenser cette somme pour autre chose», déclare Lotfi El Hafi, propriétaire d’une librairie qui a pignon sur rue à La Marsa. Les clients fidèles achètent désormais un livre coûteux tous les deux à six mois. Il est clair qu’il ne s’agit toujours pas d’un véritable désintérêt, mais plutôt d’un manque de moyens. Dépenser autant pour un jeune étudiant tunisien est devenu impossible.
La lecture en ligne ou l’autre alternative
Certains affirment clairement que le coût du livre ne fait pas fuir et que dans les bouquinistes comme dans les librairies, les ouvrages à prix réduit existent bel et bien. Le rôle des parents a été pointé du doigt : ces derniers devraient, selon certains, transmettre la passion des livres à leurs enfants : «Il faut que ces mômes grandissent avec cette passion», affirme le bouquiniste de la rue d’Angleterre sur un ton ferme.
Une jeune libraire à La Marsa constate cependant parfois une réelle implication des parents, qui poussent leurs enfants à acheter des livres, allant jusqu’à essayer de les convaincre de réduire leur usage des tablettes et des consoles de jeux, au profit des livres. Les ouvrages pour enfants se vendent beaucoup. Cette approche éducative a gagné du terrain depuis la révolution et la montée du terrorisme : certains parents veulent que leurs enfants lisent afin de nourrir leur sens critique, leur réflexion, pour, notamment, les préserver du fanatisme. Il s’agit toutefois d’une constatation relevée auprès des familles instruites mais surtout aisées.
Face à cette évolution technologique et au prix élevé du livre, les lecteurs se sont tournés en masse vers la lecture en ligne. Les ouvrages les plus recherchés sont disponible en version PDF, gratuitement, en deux clics… et les libraires comprennent et soutiennent la lecture en ligne. Le livre reste sacré pour eux, le contact du papier demeure irremplaçable. Lire en ligne gratuitement aurait un autre charme, «mais cela reste de la lecture et on ne peut qu’encourager. Il ne faut pas dire que c’est mauvais de lire ainsi de nos jours, c’est juste différent, et il faut s’adapter», concluent-ils.
Le désert, chez beaucoup, provoque le vertige. Une étendue infinie de sable fin où l’aridité, le silence et la solitude sont les maîtres-mots. Une immersion en plein cœur du Sahara tunisien prouve le contraire. Embarquement avec l’équipe du PAMT(*) dans les dunes de Douz.
Douz, au sud de la Tunisie (située à 488 kilomètres de la capitale), a longtemps été surnommée «la porte du désert». Nous la franchissons à bord d’un 4×4 piloté par Omar Sanhouri, chauffeur chevronné qui totalise plus de 20 ans d’expérience. Une fois la porte du désert franchie à travers une oasis, la verdure des palmiers commence à se dissiper, ne laissant paraître qu’arbustes secs et dunes à perte de vue. L’évasion prend peu à peu l’allure d’une plongée sablonneuse dans l’inconnu. Plus on s’enfonce dans les dunes, plus on perd de la vitesse, plus la fréquence radio peine à se faire entendre ; les réseaux téléphoniques rendent l’âme et le souvenir des villes s’engloutit dans les sables.
Dans les virées sahariennes, on perd la notion de distance, spécialement les guides, habitués pourtant à parcourir de longs trajets : une dizaine ou une vingtaine de kilomètres, c’est comme une quarantaine, voire une cinquantaine. Rouler des heures et des heures, c’est ce qu’ils ont toujours accompli, sans la moindre contrainte due à l’insécurité ou encore aux intempéries.
La première escale se fait au gré du hasard : le véhicule doit s’arrêter net pour laisser passer un troupeau de dromadaires sauvages. Ces bêtes robustes vaquaient à leurs occupations les plus élémentaires, ils broutent, et subviennent à leurs besoins. La quarantaine de bêtes semble gênée par cette présence inhabituelle : la nôtre. Le troupeau est gardé par un homme qui, seul semble capable de les dompter : Faouzi, la trentaine, vêtu d’un dengueri défraîchi, une clope à la main. Originaire de la région, forcément, Faouzi semble connaître cette infinité de sables comme sa poche ; il s’y oriente à pied avec la plus grande facilité, toujours entouré de ses chameaux. Ce jeune Bédouin ne vit que pour eux et ne rentre chez lui à Douz qu’en s’assurant qu’ils se sont bien nourris. Son quotidien dans les dunes se résume à cette activité, d’une grande simplicité, mais vitale pour lui : les entretenir est son gagne-pain. Originaire de Nouiria, une localité de Douz, il affirme parcourir plus d’une quarantaine de kilomètres chaque jour en tâchant de rentrer chez lui peu avant le coucher du soleil.
Faouzi n’est pas le seul à partager cette vie aride : reptiles et oiseaux laissent leurs empreintes partout où ils passent. Plus loin, les traces d’une activité humaine occasionnelle commencent à apparaître à l’horizon.
Les vestiges d’une ville
Il est 14 heures. L’échappée commence à s’éterniser et le guide nous suggère, sur un ton sec mais toujours souriant, de rentrer à Douz. Un retour difficile qui devait se faire par un autre chemin, plus dur à emprunter que celui du matin : le véhicule s’est enfoncé à trois reprises dans le sable. Pour le dégager, l’équipe du PAMT doit pousser, suer, souffler et se surpasser physiquement. Le guide, lui, a gardé son calme : une panne comme celle-ci est monnaie courante.
Au loin, une oasis commence à apparaître comme un mirage : nous nous apprêtons à la traverser pour quitter ce quotidien saharien finalement pas si calme qu’on peut le penser. «Le Sahara regorge de trésors, et vous n’en avez eu qu’un bref aperçu…». conclut Omar.
Nous rentrons dans le havre de Douz. La ville vit au rythme de son festival international qui vient stout juste de commencer.
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(*) Le Programme d’appui aux médias en Tunisie organise du 19 au 23 décembre une formation-production impliquant 15 jeunes journalistes dans la couverture rédactionnelle du festival du Sahara de Douz et de sa région. Leurs productions sont publiées dans leurs médias, sur le site du PAMT (www.mediaup.tn) et du CAPJC (www.capjc.tn)
Du haut de ses 15 ans, Amir Fehri s'est fixé comme objectif de lutter contre le harcèlement scolaire à travers un ouvrage qu'il vient de publier au titre évocateur «Harcèlement, les journées mouvementées d'un écolier» paru chez KA'Editions. Un sujet longtemps passé sous silence par les parents, les enseignants, et l'Etat et qui ne cesse de briser des vies.
L'engouement se fait sentir autour de votre livre. Est-ce qu'il s'agit de votre première expérience en tant qu'auteur ?
Non. Il s'agit de mon 4e roman. Le 3e est déjà sous presse et celui-ci a été publié avant le 3e. C'est un peu bizarre, je sais. J'en ai 4 qui n'ont pas tous la même thématique.
Est-ce que cette toute dernière parution est autobiographique ?
Elle l'est, bien sûr. Alex est un pseudonyme. Je compte beaucoup sur le changement de nom parce que le but n'est pas de révéler ce qui s'est passé ou de procéder à un règlement de comptes, non, le but est d'aider les autres. C'est ce que je ressens à chaque fois : on ne doit pas le faire pour nous, on doit penser que chacun a besoin, quand même, de sortir de la situation du harcèlement scolaire. Chaque personne qui souffre de sa différence (couleur de peau, orientation politique, sexuelle, religieuse…) toute chose qui peut faire la différence ne doit pas être un obstacle. On ne doit pas considérer l'autre comme un être étranger.
Vous traitez donc de ce qu'on appelle de nos jours communément le «bullying» ?
Tout à fait ! Et c'est pour cela que j'ai décidé avec Madame Brigitte Macron, avec qui je collabore depuis un certain moment sur la question du harcèlement scolaire, de lancer le hashtag #ImDifferent pour qu'on vienne en aide à ces enfants qui souffrent de ce fléau qui gagne de plus en plus de gens. Et comme le disait Blaise Pascal : «N'ayant pas réussi à faire de ce qui est juste plus fort, on a fait de ce qui est fort plus juste». On a maintenant essayé d'utiliser le harcèlement comme une forme de justice pour punir les gens pour leurs différences, chose qui devrait être une qualité tout d'abord.
Ce sujet sensible est pourtant fréquemment traité sur différents supports (séries TV, films, livres…).
Et heureusement ! Malgré cela, je trouve qu'on n'en parle jamais assez. Et il ne sera jamais assez de dénoncer. Tant qu'il y a un enfant qui n'arrive toujours pas à s'exprimer, c'est qu'on n'a toujours pas fait notre travail comme il faut.
Vous ne trouvez pas que c'est un sujet qui n'est toujours pas pris au sérieux ni par les autorités ni par les parents, encore moins par les enseignants ?
Par les enseignants, je comprends, parce que dans certains cas, c'est eux qui font subir cette forme de harcèlement. Ils ont tout d'abord pour mission de transmettre le savoir, ce qu'ils accomplissent parfaitement dans certaines écoles de la Tunisie, mais on a un certain nombre de plus en plus grand de professeurs ou enseignants qui exercent ce genre de pression, c'est d'ailleurs ce qu'a vécu Alex, le personnage du livre.
Et d'après vous, qui devrait contribuer en premier à faire face à ce phénomène ?
Je pense que c'est l'Etat. C'est ce que je vais demander au président Béji Caïd Essebsi. J'aimerais beaucoup publier un communiqué de presse pour venir en aide aux enfants. C'est une étape essentielle. D'abord, cela aidera les parents à prendre conscience de leurs droits qui seront protégés. Si on instaure une loi contre le harcèlement scolaire, ça ira forcément mieux. C'est comme en France, lorsque l'Assemblée nationale a voté contre le châtiment corporel : une mesure qui est demeurée phare. La suède l'a adoptée depuis les années 70, la France vient de l'adopter, c'est bien. Actuellement, une approche a été présentée contre ces violences-là, comme les parents prendront conscience qu'ils sont protégés par la loi et de part et d'autres les élèves qui pratiquent ce harcèlement auront peur de le faire. Ça sera réciproque. Actuellement, on a besoin de lois pour pouvoir arrêter ce problème-là. On espère avancer le plus rapidement possible. Pour information, je suis parti visiter des enfants dans des camps de réfugiés en Irak, entre autres, pour discuter avec eux sur les droits de chacun, sur le droit d'être libre et sur le droit d'identité. Que chaque personne soit considérée comme un être ayant des sentiments, des émotions. Un enfant n'est pas un objet qu'on peut maltraiter. Il souffre et s'il n'exprime pas cette souffrance, ce n'est pas qu'il ne souffre pas, bien au contraire. C'est qu'elle est en train de devenir de plus en plus profonde.
La cinémathèque Tunisienne a consacré un cycle au « Je » au cinéma et l’a intitulé « de l’autoportrait à l’autobiographie ». Une rencontre avec Rémi Fontanel, spécialiste en 7ème art, enseignant à l’université de Lyon 2 a eu lieu dans l’après-midi du 12 décembre 2018 afin d’animer un échange qui fut fructueux avec les cinéphiles présents et d’éclaircir différents points sur ce genre cinématographique singulier, illustré dans divers films programmés à la cinémathèque. Rencontre avec cet enseignant en Etudes Cinématographiques et Audiovisuelles et également auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma.
Au férus qui étaient absents, pouvez- vous nous rappeler en quoi cet échange a consisté ?
La rencontre a porté sur « le récit de soi au cinéma ». C'est-à-dire, tout ce qui touche à ce qu’on appelle plus communément l’ « autobiographie » ou, la manière de certains cinéastes de relater des parties de leurs vies, des moments de leur existence : leur enfance, leur adolescence … Il s’agit d’une démarche ancrée au présent. Je pense au journal filmé qui est une catégorie du récit de soi que le cinéma restitue : un rapport, un lien, une confrontation avec la littérature et d’autres arts, puisque l’autobiographie n’a pas été inventée par le cinéma : elle a été réinvestie dans le cinéma avec les moyens qui sont les siens et c’est intéressant de comprendre les enjeux qui s’opèrent d’une transposition à une autre : pour moi, est ce que l’image –art du cinéma, art du montage- parvient à investir avec sa propre écriture une catégorie une pratique, un genre qui est littéraire, et qui continu à traverser d’autres arts, mais aussi d’autres pratiques médiatiques ? Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, la question du récit de soi et par soi est présente en permanence dans nos vies.
Est-ce que « le récit de voyage » est considéré comme « un récit de soi » ?
Le voyage peut être un articulateur : une manière de parler de soi. On peut aussi très bien travailler des récits de voyage sans parler de soi. Le film de Coppola « Apocalypse Now » est un film sur un voyage qui évoque le voyage de quelqu’un qui part à la rencontre de quelqu’un d’autre. Il y’a peu d’autobiographie dans le film, ce n’est pas celle de Coppola en tout cas. Même s’il y’a dans l’aventure du personnage, une aventure que le cinéaste va vivre au sein de son tournage. Le récit de voyage n’est pas exclusivement une autobiographie mais il peut en faire partie, oui. Je pense à « No Sex Last Night » de Sophie Calle qui est un Road Movie. L’héroïne prend sa voiture avec son compagnon et raconte au jour le jour leur voyage et à travers leur récit de voyage on les découvre : ce qu’ils sont ce qu’ils vivent … etc etc
Et quelle est donc cette différence entre l’autobiographie et l’autoportrait ?
C’est large ! Il va me falloir beaucoup de temps. Mais je dirais qu’en premier lieu, il y’a une grande porosité entre les catégories. Il n’y’a pas d’étanchéité entre les deux. Après, l’autobiographie a ses avantages si on prend les choses au pied de la lettre. Et c’est toujours difficile de les prendre au pied de la lettre, parce que la pureté de la catégorie est quand même relative. L’autobiographie a un regard rétrospectif, un désir de construire une image, de Neutraliser le temps. Il s’agit d’un rapport au temps qui pourrait distinguer les deux catégories avec cette idée que l’autoportrait, c’est la reconstruction d’une image par éclats, par fragments, par morceaux. C’est assez paradoxal de parler d’autoportrait au cinéma qui est un acte du récit et du mouvement. Alors que l’autoportrait est une mise à l’épreuve du récit et du mouvement. La question serait de savoir comment le cinéma, bien qu’il soit « art du récit » et « art du mouvement », a finalement réinvesti l’autoportrait ? On le voit dans « Les plages d’Agnès » d’Agnès Varda, par exemple : il y’a cette idée d’éclater le « Je », d’éclater ce qu’elle est, et de partir à la reconstruction de sa personnalité à travers ces morceaux, comme du collage.
D’où vous vient cet intérêt pour l’œuvre de Maurice Pialat ?
Mon intérêt pour Maurice Pialat tient au fait d’être toujours attiré par ses films, son cinéma. Il s’agit d’une référence : c’est un cinéma qui m’a fait comprendre beaucoup de chose sur le 7ème art, sur le monde. Je retrouve chez ce cinéaste un rapport au réel assez particulier. Et puis, je suis assez intéressé depuis toujours par ces cinéastes qui décident de se raconter, de tout mettre sur la table, de se servir de leur vie pour faire du cinéma, du cinéma pour aussi construire leur vie, c’est le cas de François Truffaut par exemple, qui a toujours pensé d’une manière proche et intime, le rapport entre le cinéma et la vie. J’ai beaucoup travaillé sur Jean Moustache aussi.
Quelle est la différence entre adapter une autobiographie et adapter un roman sur grand écran ?
La différence est simple : lorsqu’on adapte un roman, il peut être autobiographique, si c’est vous qui avez écrit ce roman. Par contre, si ce n’est pas vous qui l’avez écrit, vous faites une adaptation ou ce qu’on appelle une « biographie » ou « un biopic ». La différence entre la biographie et l’autobiographie, c’est que dans une biographie, on raconte l’histoire de quelqu’un. Dans l’autobiographie, vous racontez une vie, et c’est la votre. Alors, justement le problème que pose le cinéma : « C’est qui raconte ? » est ce que c’est le scénariste ? Le metteur en scène ? Et quelle est la part du monteur dans cette 3ème lecture. Et c’est là que les choses se complexifient au cinéma. Aborder la question de l’énonciation et trouver qui est ce « Je ». En littérature, ça ne semble pas trop poser de problème, quand quelqu’un écrit sa biographie, c’est forcément lui, mais quand on réalise un film, on est dans une démarche collective, même si une petite caméra permet aujourd’hui de travailler seul, mais globalement, on travaille dans le cadre d’une collaboration collective et dans le cadre de 3 écritures au moins. Quand Jean Moustache fait la maman et la putain, la dimension autobiographique réside dans le scénario qu’il écrit tout seul, après, il faut passer par des acteurs pour interpréter son histoire, et ensuite, faire appel à un monteur pour recomposer son histoire. Donc il y’a quand même des strates qui viennent complexifier la nature autobiographique.