« Yasmina Khadhra » fait un détour par Tunis et part, entre autres, à la rencontre d’étudiants tunisiens en lettres, comme ceux de l’Institut Supérieur des langues de Tunis où il a animé une rencontre - débat intitulée « La Braise des mots, les mots de la braise », organisée par le département de l’établissement universitaire. Le romancier attise la foule et attire le lendemain un raz de marée de lecteurs férus à la librairie El Moez à Tunis : son dernier ouvrage paru « Khalil » a été épuisé en moins d’1h et sa séance dédicace a duré pendant plus de 4h. Samedi après -midi, c’est à la première 3Assise mondiale des journalistes" que le romancier s’est livré devant un public attentif. Un retour s’impose sur les déclarations de l’auteur.
1-L’accueil de votre dernier livre paru « Khalil » en Tunisie était fabuleux. Qu’avez-vous à dire sur cette rencontre avec un public aussi féru ?
C’était un grand bonheur ! Merci beaucoup à l’universitaire Cyrine ben Rjab et à Mohamed Bahri, propriétaire de la librairie El Moez d’avoir organisé cet évènement. Ils y ont cru et ils l’ont fait. Le public était mélangé, j’ai vu des gens venir du sud spécialement pour cette rencontre. Je m’attendais un peu à ça : les tunisiens m’écrivent beaucoup sur les réseaux sociaux. Ce peuple a besoin de recouvrir sa lucidité et j’y crois beaucoup, il se relèvera. Il résistera. Je suis admiratif. Une prochaine tournée aura sans doute lieu prochainement.
2-« Khalil », votre dernier roman en date présente une approche différente du terrorisme. Vous avez à votre actif, autant de romans qui traitent de différents sujets. Etes –vous tenté d’évoquer un thème encore inexploité pour vous ?
Peut – être un roman érotique ! (rire). Je ne suis pas spécialisé dans le terrorisme. J’ai fait voyager mes lecteurs un peu partout au Mexique, aux Etats-Unis, au Cuba, en Palestine. Je suis quelqu’un de très à l’écoute de son époque. Le grand malaise de la littérature, c’est qu’elle se fait actuellement otage des manifestations et des problèmes d’identification alors qu’on a beaucoup de chose à dire du monde et au monde qui est toujours réceptif. Il ne faut pas hésiter à répondre aux attentes du public.
3-Le terrorisme change de visage et a été traité différemment dans un grand nombre de vos romans y compris le dernier…
Il y’a un courant terrible pire que le djihadisme, c’est celui des philosophes et ntellectuels, politiques, qui essaient de stigmatiser l’Islam et les musulmans alors que notre maux suprême à tous c’est le terrorisme. Cette manipulation peut être le résultat d’un choc entre les cultures, les nations. On est voué à des théories fantaisistes, on est effrayé, c’est ça le véritable terrorisme psychologique. Autant vivre sa vie, malgré tout, foncez et ce qui doit arriver arrivera. Ne pas se plier face à cette idéologie fasciste. Il s‘agit d’un mouvement ultra puissant. D’un endoctrinement terrible derrière lequel il existe un grand lobbying.
4- Avez – vous un auteur que vous admirez ?
Je n’ai pas d’auteur qui m’inspire mais tous les auteurs m’ont construit, je leur dois tout ce que je fais, tout ce que j’écris. Il faut se nourrir de tous les courants littéraires.
5- Vous participez à un évènement majeur comme ces premières « Assises du journalisme » organisé à la cité de la culture. Il s’agit d’une occasion en or pour les journalistes de débattre…
Pas débattre, les journalistes savent exactement ce qu’ils ont à faire mais de se rassembler, de se retrouver, d’échanger, c’est bien. Il faut qu’ils retrouvent cette notoriété qu’ils ont toujours ou qu’ils avaient, qu’ils luttent à leur manière contre les courants extrêmes et les dictatures naissantes. Qu’ils soient solidaires, convaincus par leur mission, par l’apport qu’ils doivent donner pour une société meilleur. Des militants.
6-Quelle est la part de responsabilité d’un citoyen comme vous et moi ?
Un citoyen n’a pas honte d’avoir confiance. S’il s’aperçoit qu’on lui ment, il cède à la toile, qui est capable d’apporter tout ce qu’il a besoin de savoir en un simple clic. Mais le journaliste a la légitimité de l’information, il doit absolument la recouvrir cette information, sur la toile elle est chosifiée, vilipendée … ce qui provoque un ras-le-bol citoyen. J’espère que tout cet enthousiasme pour la toile va s’amenuiser. La vérité et l’authenticité retrouvent toujours leur place.
7- Mais le citoyen, comme le journaliste de nos jours est devenu acteur. Il ne relaye pas cette information sur le net mais il l’a reproduit …
C’est un figurant, il est souvent anonyme. Le citoyen n’aura jamais autant de poids face au journaliste et la presse redeviendra la force qu’elle était le jour ou elle comprendre qu’elle ne doit obéir qu’à sa propre conscience. Trump se bat tout le temps contre le « Washington Post » et ce 4 ème pouvoir, mais la Presse américaine n’a rien à craindre là-bas parce qu’elle est libre et qu’elle croit en son authenticité.
Avant d’être élue 4ème femme à la tête de la Fédération Tunisienne des Cinéclubs, Manel Souissi, médecin de formation a toujours été membre actif pendant des années au sein de cet organisme historique réputé pour son militantisme pour la diffusion d’une culture cinématographique accessible à tous les citoyens sans concession. Avec l’émergence d’un cinéclub à Hammamet, depuis 2012 et plus d’une trentaine d’autre à travers toute la Tunisie, la présidente nous livre un bilan des acquis, des travaux réalisés et nous donne un avant-gout des objectifs à atteindre.
Puisque votre actualité récente a davantage tourné autour de la 2ème édition de « Regards de femmes - Biouyounihonna », pouvez-vous nous dire comment cette initiative a vu le jour ?
Tout d’abord, il faut retenir que le festival « Regards de femmes » est le 4ème festival réalisé par la Fédération Tunisienne des Cinéclubs : le cinéma de la Paix, le festival des Courts métrages à Gabes, et un autre à Menzel Bourguiba. Pourquoi un festival ? Parce qu’au sein de la FTCC, on croit fort que ce type d’initiatives peut refléter une vision qui peut être compatible avec la diffusion de la culture cinématographique à travers les cinéclubs mais aussi les festivals et toutes les journées ciné organisés, notamment dans les régions. Des journées qui peuvent avoir un impact important dans des villes et des régions qui n’ont jamais connu le 7ème art auparavant. Ces citoyens peuvent connaitre une cohésion sociale, iront dans des endroits qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter et connaitront les passionnés actifs au sein de la FTCC. Ils peuvent s’y initier et seront là également à guetter les retombés économiques grâce à ces manifestations : les jeunes auront plus de chance de travailler. Ils œuvrent pour un paysage cinématographique meilleur qui a surtout besoin d’une distribution. Puisqu’il n’y’a pas de salles de cinéma, les cinéclubs et les festivals les remplacent et serviront de plateformes de distribution de films en Tunisie ou ailleurs. Des festivals aux petits budgets et à la thématique récurrente comme la paix, la femme…
Pourquoi la femme ?
La femme parce qu’à Hammamet par exemple, tout est partie sur la discrimination : le festival repose essentiellement sur une rencontre des femmes cinéastes en Tunisie ou dans le sud de la méditerranée. Elles sont dans l’échange, rencontrent leur public et présentent leurs films. L’important est que l’œuvre soit créée par une femme peu importe la thématique traitée. En plus des formations consacrées aux enfants, les résidences d’écriture pour les jeunes cinéastes femmes dirigées par Besel Ramsis, les tables rondes pour parler d’un sujet précis. L’année dernière c’était l’écriture féminine, cette année, c’’était l’aide à la production. Une table ronde en présence de réalisateurs, de femmes cinéastes. Dire, qu’il y’a des ouvertures sur différents axes aux participants. Il faut citer aussi les statistiques qui attestent que le nombre des femmes cinéastes ou travaillant dans le domaine du cinéma est bien plus qu’inférieur aux hommes. J’ai jeté un coup d’œil sur le programme des Journées Théâtrales de Carthage, j’ai trouvé que dans chaque catégorie il n’y avait que 2 ou 3 femmes … c’est peu. Le festival valorise la place de la femme dans le secteur. La 2ème édition, on l’a aussi attaché aux « films Festival Academy » qui est une formation pour des jeunes cinéastes organisée presque en parallèle par la FTCC et qui se déroulait à Hammamet, au centre culturel de la ville sur 4 sessions. Les participants à cette formation ont pu y participer et apprendre beaucoup notamment en matière de « Branding », d’écriture, de journalisme… Ces mêmes jeunes qui conserveront ainsi en même temps la pérennité du festival.
Vous dirigez également la Fédération Tunisienne des Cinéclubs depuis un an. Un petit bilan de vos travaux accomplis s’impose …
On a opté en premier lieu pour un retour aux fondamentaux et aux cinéclubs. Les festivals par la suite, et aussi les formations. Le cinéclub de Tunis à un très bon atelier. Les autres cinéclubs tentent de lancer les leurs aussi. Je vois dans cette effervescence la naissance d’un mouvement cinématographique alternatif. Les clubs pullulent partout, à Tibar, Médenine, dans toutes les régions… ce réseau alternatif qui est accompagné, encadré … on diffuse la culture cinéma, et on accorde de l’importance aux débats, aux sorties tunisiennes inédites. Armé les spectateurs pour leur permettre d’être mieux réceptifs aux productions cinéma quelque soit son genre, son thème, son origine, et grâce aussi au maintien des formations.
Et quels sont les projets d’avenir de la Fédération ?
Cette année par exemple, on a assisté au lancement de l’initiative « Cinéma fi Houmetna » dans 26 régions. On a transporté du matériel afin de projeter des longs, courts et moyens métrages dans toute la Tunisie et dans des quartiers divers principalement les régions isolées. Les projections ont eu lieu sur les murs, dans des places publiques. L’expérience est importante et est aux cœurs des objectifs de la FTCC. On compte en faire à long terme un cinéma ambulant.
Le cinéclub Hammamet a été conçu par une équipe de jeunes dont vous, en 2012 et il poursuit ses activités depuis au centre culturel international d’Hammamet. Une programmation est – elle à l’heure du jour ?
Bien sur ! Le temps de terminer les Journées Culturelles de Carthage et les activités reprendront comme chaque année. Le cinéclub de la ville a acquis une notoriété importante, il possède son public, ses habitués. Comme elle est en manque de salle de cinéma, Hammamet doit bénéficier d’un cinéclub, d’un festival. On va vers l’ouverture de nouveau projet comme on a fait avec « Tfannen », et on a des projets prochainement avec le réseau des cinéclubs algériens. On était à Bjaïa, le réseau algérien a vu le jour dans ce cadre là. Ils ne savent pas encore si c’est une association ou un réseau. On s’est partagé notre expérience mutuellement à travers des formations. Dans un moyen terme, on assistera espérons à la naissance d’un festival itinérant entre la Tunisie et l’Algérie.
En tant que jeune femme active dans l’engagement cinématographique local, quels sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée ?
Je sens par moment, qu’on est toujours réticent à l’idée qu’on puisse compter sur une femme dans ce milieu, celui de l’engagement, ou du militantisme. Mais je signale que je suis volontaire, pas du tout professionnel et qu’entre les deux, ce n’est pas pareil. Le combat de la femme sur ses deux fronts n’est pas comparable.
Etes – vous toujours optimiste face à cette fuite des cerveaux et celles des jeunes talents en particulier ?
On ne reste pas indifférent face à cette fuite que je vis depuis la médecine. Je suis médecin et pendant mon cursus, on n’a pas cessé de voir les jeunes partir. De nos jours, il s’agit d’une politique, que je comprends. Je ne blâme pas ceux et celles qui partent, parce qu’en restant ici ils ne trouvent pas d’alternatifs, rien qui puisse réellement subvenir à leur attente. Y’en a qui restent, qui ne sorte pas de leur bocal : ils se résignent. La résignation que je considère comme un acte de résistance de nos jours. Il s’agit d’un concept qu’on discute beaucoup de nos jours, très récurrent d’habitude dans le domaine de la psychiatrie. C’est des épreuves qu’il faut surmonter pour instaurer de force et parfois malgré le manque de moyens, la culture des cinéclubs. Heureusement qu’il y’en a qui restent, qui s’accrochent et qui aspirent aux changements. Je reste quand même optimiste.
Comment définiriez – vous le paysage cinématographique tunisien actuel ?
On vit une renaissance ! Il y’a un mouvement important qui se créé. Une nouvelle vague de jeunes créateurs qui ne cessent d’émerger, qui innovent, qui surprennent des fois, malgré le manque de budget. On voit davantage les films d’animation : à la FIFAK par exemple, j’ai vu des créations sur l’environnement. Les jeunes sont sensibles à divers sujets internationaux. Ça fait plaisir.
La FTCC sera présente lors des prochaines JCC ?
Evidemment ! Comme chaque année. On est un partenaire historique. On va faire la présentation de tous les films retenus dans la compétition officielle et hors compétition, les 4 focus avec l’aide de nos cinéphiles venus de toute part. On les prend en charge, ils animent au retour les rencontres, les débats, les présentations. On donne cet aspect là au festival, pour qu’il ne devienne pas un marché du film. Et on travaille sur le décorticage des œuvres cinématographiques, le rapprochement entre public et réalisateurs. Etc
L’artiste tunisienne Emel Mathlouthi est revenue spécialement de New York à Tunis, le temps d’assurer un concert qu’elle donnera à l’occasion du lancement de la toute première édition des « Journées culturelles de Carthage pour les artistes tunisiens à l’Etranger », programmé pendant la soirée du 13 octobre 2018 à la Cité de la culture. Enthousiasme débordant et nouveautés se font sentir et seront au rendez-vous.
Nous assistons au lancement d’une manifestation tunisienne inédite dédiée aux « artistes tunisiens à l’étranger » et vous serez la première à ouvrir les festivités. Qu’avez –vous à nous dire sur ce festival ?
J’ai senti d’emblée qu’il y’ avait énormément d’enthousiasme derrière cette initiative de la part des initiateurs de ce festival et de l’équipe organisatrice. Ils ont dû faire face à beaucoup de difficultés et ont tenu bon. Je m’associe à eux et je les encourage vivement. Il s’agit d’une initiative noble qui vise à promouvoir les artistes tunisiens vivant à l’étranger et c’est important. Tout mon soutien aux musiciens particulièrement. Tout artiste tunisien est comme une fenêtre qui s’ouvre sur le monde : il tend à enjoliver l’image de notre pays. Des nouveautés se créent à l’échelle locale et c’est extraordinaire !
Qu’avez-vous préparé à votre public ce samedi 13 octobre 2018 pour la soirée d’ouverture ?
J’ai quand même pris mon temps, et j’ai beaucoup réfléchie en me référant au concert que j’avais donné à Carthage l’année dernière. D’ailleurs, j’ai tenu bon à revenir en Tunisie depuis, et voilà que l’occasion se présente. J’opterai pour une sorte de compilation de mes anciens morceaux. Quelques uns du moins, jusqu’à arriver aux nouveautés et à l’inédit voire jusqu’à présenter quelques morceaux de mon dernier album. Je serai accompagnée sur scène d’un quatuor à cordes. Depuis ma prestation au prix Nobel, je me suis focalisée davantage sur la rythmique, la sono, les cordes.
Les responsables des « Journées culturelles de Carthage pour les artistes tunisiens à l’étranger » vous rendront hommage lors de la cérémonie d’ouverture. En tant que jeune artistes, quelle importance peut avoir cette récompense pour vous ?
Je viens tout juste de le savoir, en effet. Je suis agréablement surprise. (rire) J’en suis honorée et touchée. On se sent comme éternellement jeune (rire). Je ne demande rien. Le plus important pour moi est d’être en Tunisie très souvent. Je ne peux pas me permettre de m’absenter. Je veux être présente lors des festivals. Revenir à la source. Dès qu’on m’offre la possibilité de me produire sur la scène de n’importe quel festival ici, je suis toujours partante avec mes musiciens.
Se produire sur scène à l’étranger ou ici, est-ce la même chose pour vous ?
Non, pas du tout. Déjà, je stresse davantage quand je suis ici (rire). Je me suis produit un peu partout, dans pas mal de concerts, mais ici, sur n’importe quelle scène, je me dois de me donner toujours plus et c’est comme si c’était ma première fois sur scène. Une sensation plaisante, déjà parce que je chantais en arabe, d’ailleurs je le fais toujours. Mon nouvel album est pour information, en préparation. J’ai déjà beaucoup chanté en arabe devant un public qui ne le comprenait pas y compris pour le public arabe qui ne comprend pas forcément le tunisien.
Qu’avez-vous à nous dire sur votre dernier album ?
Je vis depuis 4 ans aux Etats-Unis et j’ai éprouvé le besoin d’enregistrer mon dernier disque en anglais. Me surpasser tout en ayant en tête que je peux le faire. Chanter en tunisien ou en arabe est toujours une fierté mais j’ai envie de me donner dans de nouvelles expérimentations. L’album comporte 12 chansons dont 3 en arabe et les thématiques traitées concernent davantage les aspects humains. L’humanité a besoin d’empathie face à autant de malheurs dans le monde. On doit toutes et tous se sentir concerner par les réfugiés les immigrés, les guerres, les maladies … etc
Un dernier mot à dire à votre public tunisien ?
Vous m’avez tant manqué. Même si je ne suis pas souvent ici, je voudrais leur dire que je ne pourrai hélas pas l’être davantage. Je suis reconnaissante et je ne vous remercierai jamais assez pour votre soutien notamment sur les réseaux sociaux. J’essai d’interagir le plus possible et j’espère que le concert de samedi vous plaira.
Vous avez défini le théâtre dans un média étranger en citant « Il est temps de mettre fin au théâtre bourgeois », qu’est ce que vous entendez par cela ?
Grâce au théâtre, on peut changer un point de vue sur le monde. Pour le passionné, le théâtre est comme le cinéma ou la musique. Le 4 ème art devrait être plus ouvert, plus populaire. Je me réfère au concert que je chante : je me suis retrouvé dans des situations extraordinaires et dans des ambiances festives. Il y’a des gens qui viennent voir mon concert musical et qui sont mélangés, issus de tout bord : de différentes religions, cultures, des réfugiés, venant de territoires de guerre. Le théâtre est plutôt réservé à un une élite ciblée. En Europe, en tout cas, il l’est. Et pour moi le théâtre doit être ouvert aux autres, à tout le monde sans exception, et toujours plus accessible.
Votre spectacle « La Goia », « La Joie » programmé lors de la 54 ème édition du Festival international d’Hammamet, est défini comme une idée angoissante. Contrairement à ce que son titre reflète. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La joie c’est une parole, une felcidade, c’est hippie… c’est un sentiment très profond qui se confond avec la douleur dans certaines conditions. « La joie », on peut l ‘atteindre après avoir traversé des épreuves difficiles. C’est la tragédie qui génère la joie dans des contextes inattendus et qui n’inspire que douleur et tristesse.
Est-ce qu’on peut dire que votre démarche théâtrale repose sur le questionnement plutôt quesur les discours ?
Oui, je me questionne tout le temps. Au fond, je suis une personne qui a beaucoup de capacités mais qui a aussi ces limites. Ces limites m’ont poussé à bout, m’ont montré le plus dur dans la vie et m’ont permis de me poser des questions : qu’est ce que tu fais ? Pourquoi tu fais du théâtre ? Pourquoi parler de certains sujets ? Des éléments qu’il faut remettre en cause incessamment. Et c’est toujours bien de se remettre en question.
Votre travail est très visuel et met en valeur le travail du corps …
Oui, c’est un théâtre de couleurs, de paroles, de mots, de chants, d’images, de musique. Je préfère me perdre dans mes spectacles. Il y’a un sens profond dedans : on parle de la guerre, de la vie, de la mort, de l’amour, de l’espoir, de l’amitié… de la JOIE. Et avant d’arriver à ça, tu te perds dans le rêve et dans l’imaginaire.
La scène artistique et culturelle tunisienne s’enrichit ! Une compétence s’apprête en effet à faire son grand retour. Ayant trop vécu entre deux rives, Fériel Remadi tunisienne, spécialiste en danse théâtrale et en chorégraphie décide de revenir doucement mais surement aux sources. Elle troque un vécu personnel et professionnel longuement mené en France contre un retour en Tunisie, sa terre natale, bouillonnante d’art, de culture et de nouvelles initiatives jeunes à booster. A partir du 16 décembre jusqu’au 26 décembre 2017, elle mettra au service des jeunes, son savoir-faire dans le cadre d’un projet baptisé « Boussole » et réalisé par l’association tunisienne «Tunisie paix » à Djerba. Fériel, qu’on surnomme couramment « Folla », travaillera essentiellement sur 4 axes : la confiance, le corps, la voix et l’art visuel. De quoi titiller la fibre artistique des participants dans le cadre de 8 workshops où elle les initiera également à l’écriture scénaristique d’un spectacle et à la réalisation. Rencontre !
En parcourant vos 23 ans de carrière, votre polyvalence ne laisse pas indifférent. Vous avez touché aux arts visuels, aux arts sonores, à l’expression corporelle et à l’associatif. Parlons – en histoire de nous mettre dans le bain !
C’est en France, pendant 23 ans que j’ai pu acquérir autant d’expériences qui n’ont cessé de se renouveler. Pour des raisons familiales, j’ai été plus ancré là-bas. J’ai commencé à 18 ans dans le socioculturel et mes créations ont commencé à émerger à ce moment- là. Récemment des portes se sont ouvertes en Tunisie. Je chapeaute très prochainement un projet à Djerba, celui de « Tunisie paix », section Médenine qui m’ont contacté pour prendre en charge de jeunes amateurs afin de les initier à la chorégraphie théâtrale basée sur le mouvement. Ce qui est important pour moi, c’est d’être à l’écoute et de savoir ce que les gens aiment faire, tel un chef d’orchestre qui ramène des idées et les laisse surtout s’exprimer. L’art pas pour l’art, l’art qui a une portée et qui peut être un vecteur de paix, entre autres… J’ai été emporté tôt par cette dynamique éclectique, du métissage, des différences, au moment même où j’ai entamé des études en droit que j’ai validé. A Lyon, là ou j’ai vécu, je me suis spécialisé dans le théâtre, j’ai fait de la coordination et j’ai fait aussi beaucoup de photos notamment en Egypte, à Beyrouth. Ça n’a pas été rose et encore moins facile là-bas, j’ai souffert de racisme entre autres, mais on y arrive.
Avez-vous enseigné ?
J’ai enseigné ado, adultes, enfants. J’ai travaillé l’encrage du corps avec des autistes et des parkinsoniens, et des gens plus âgés. M. Paul Bocuse a fait appel moi. Et le fait d’être bilingue m’a beaucoup aidé. Je suis fédératrice de bonne énergie avant tout en continuant à me développer.
Et en quoi consiste votre apport à la Tunisie ?
La tentative, c’est d’essayer de montrer ce que j’ai accompli pendant toutes ces années à la Tunisie parce que ça me manque terriblement. Il y’a des perspectives à saisir à Tunis et je prévois de revisiter les régions, de les ré-exploiter à travers le vecteur artistique et je retravaillerai sur la notion « du bien et du mal » pure et dure à la « Matrix », à travers le personnage d’un « papillon ».
Il s’agit là d’un retour sur votre dernière création « Butterfly destiny », réalisée en 2012 ?
Je l’avais écrite et travaillée en 2012 avec un irakien. A un moment donné, on a juste traité la question du « paradis et de l’enfer ». Je ne l’ai pas totalement accompli, j’ai eu à réaliser d’autres créations par la suite, à propos de ma cuisine, où j’ai fait une performance en cuisine sur place pour retravailler sur la notion de l’attention : une femme confinée dans sa cuisine, capable de gérer plusieurs tâches à la fois et réalisée toujours en danse théâtralisée sous la forme de plusieurs tableaux où j’intègre la voix. Puisque je suis en contact direct avec le public, le tout doit être chorégraphié, super fixé. J’aime toujours laissé une petite touche d’improvisation.
Vous travaillez souvent en solo ?
Souvent, oui ! Et ce n’est pas un choix. C’est juste parce que soit on m’appelle pour diriger des projets de 45 acteurs ou pour coordonner un groupe de jeunes. Mais je suis « moi – même » plusieurs fois sur scène. Il y’a mille et une Fériel qui vont sortir sur scène. Je suis bien dans ça. Je me comprends.
En quoi se résume votre engagement associatif ?
Il se repose sur la notion de l’ascétisme et de la paix. Le vecteur de la paix est essentiel à la dynamique de mon association « la compagnie Folla » lancée en 2001 et forte de son métissage culturelle, des cultures minoritaires et des outils artistiques. Je suis porteuse de projet. Je donne de l’importance à tout ce qui est coopérative. Ce qui compte pour moi, c’est que les personnes qui bossent avec moi se sentent bien. Je n’ai jamais voulu faire une carrière fulgurante. L’important pour moi a toujours été de se sentir bien avec les autres. Et ça créée une reconnaissance sur la durée.
La Tunisie sera – elle satisfaisante d’après vous ?
La demande y ‘est, l’accueil aussi ! En Tunisie, en même temps, j’aime cette mise à l’épreuve, d’être comme les autres, je suis une observatrice artistique. Dès le départ, j’ai galéré ici, je n’arrêtais pas de courir dans tous les sens. Loin de cette bulle de confort. Mais je suis une « challengeuse ». Je n’ai pas de hautes idées mais je n’ai que des idées hautes, « des idéaux ». En mars dernier c’était un élément déclencheur, lorsque je me suis senti « embourgeoisée », tout me paraissait à porter de main. Et il fallait que ça s’arrête ! Mon existence devenait carrée et il fallait que ça cesse. Il est temps de partir vers de nouveaux horizons.
La prochaine édition de « Dream City » aura lieu, toujours à la médina de Tunis du 4 au 8 octobre 2017. Elle s’innove en proposant des ateliers d’art, des parcours créations, des night-shifts, des gratuits de la nuit avec du cinéma, de la performance, des concerts, dans des places publiques ! Oui, des concerts où tout le monde pourra y assister gratuitement. Derrière cette manifestation, créée en 2007, se cachent trois directeurs artistiques les Ouissi Salma et Sofiane ainsi que Yann Guessens et leur équipe. Tous tiennent d’une main de maitre les ficelles d’une biennale, d’ores et déjà attendue. Contrairement à ce qu’on pourrait voir en apparence, « Dream City » est loin d’être un simple festival.
Salma Et Sofiane, vous aviez toujours été les directeurs artistiques de cette biennale artistique. M. Yann Guessens fait partie intégrante de l’aventure cette année. Lui avez – vous légué les rênes de « Dream City » ?
Salma Ouissi : (rire) Non ! Pas du tout. Il s’est joint à nous depuis 2015 déjà. Il était présent à coté de Sofiane et actuellement, en 2017, c’est M. Guessens qui dirige « Dream City » artistiquement.
Pouvez-vous définir « Dream City » à notre lectorat ?
Salma Ouissi : Moi je veux bien le définir tel que nous on l’a initié au départ, depuis sa création en 2007. Ça serait plutôt bien d’entendre la définition de Yann. (Sourire) « Dream City » était au départ un geste artistique qui visait à prendre possession ou à habiter artistiquement l’espace public. C’était aussi déplacer le geste artistique voire l’associer à de nouvelles démarches et à des processus beaucoup plus contextuels. C’est un événement qui est né d’une manière underground et qui a été préparé totalement dans le salon de Sofiane ou on communiquait avec des gens de la pensée et ou on a veillé à accompagner des artistes, qui avaient pris part à l’aventure. Dès le départ, tout se construisait sur un temps long, en collectivité. On a travaillé beaucoup sur le commun ! Tout était suivi par des experts. Et ensuite, c’était également, aboutir sur les parcours et parvenir à concrétiser une réalisation de l’ordre de la fête ouverte à tous. Il y’avait eu l’idée des parcours et des œuvres qui tournent en boucle. Au départ, on avait fait appel à une vingtaine d’artistes tunisiens. Les artistes étrangers qui étaient présents dans les éditions d’après étaient des pointures qu’on avait repéré sur l’espace public, ailleurs. Et avec Yann, on est allé à la conquête de talents ou comment tout construire à partir d’un contexte sociopolitique et urbain précis. Comment on peut parler à la ville, et à tous avec ce médium d’art contemporain pluridisciplinaire.
Sofiane Ouissi : Il y’a effectivement la dimension artistique mais « Dream City » était né aussi à l’issu d’une marche pacifique sur l’espace public. Ce n’est pas anodin car en 2007, cet espace public était confisqué par le pouvoir et dans la même période, subitement, on a été même censuré sur antenne, dans une radio. On a été malmené, et une journaliste a été suspendue de ses fonctions, uniquement, parce qu’on a juste fait appel à un gouvernement en le mettant, face à ses responsabilités et à son devoir face aux citoyens et aux artistes et parce qu’on avait demandé à ces artistes là de prendre possession de l‘espace public, de descendre, d’agir, pour une marche pacifique. On a ici la dimension de la marche, cette traversée de cette ville. Et c’est suite à cela qu’on s’est rendu compte que toute cette ville était confisquée par le politique qui en a fait une vitrine du pouvoir, exercé sur la cité et sur la vie qui l’anime. Et C’est à partir de là qu’on s’était demandé « Comment créer un dispositif de l’ordre de la création ? » On revient ainsi à notre nature de créateurs. On n’est pas des directeurs artistiques dans le sens de programmateurs. Notre savoir, c’est celui du corps et la manière de transporter une énergie et faire en sorte que plusieurs énergies fusionnent dans de larges diversités. Et le médium auquel on a fait appel c’était pour nous une voix plurielle, reflétant une Tunisie dans sa diversité et non pas dans le cloisonnement. Du coup, c’est ce que Salma a dit, « Comment se réapproprier l’espace public ? » Il faut toute une réflexion autour de ça. Mais « comment recréer une marche ? » Puisqu’on a interdit aux artistes de marcher sur l’espace public toujours cette époque là.
Salma Ouissi : Moi j’aurais utilisé le terme « tactique ». On a usé de tactique par l’art pour défendre nos points de vue. Et on a tout écrit en tactique d’où le jeu du parcours. Mais la tactique aussi c’était au-delà de l‘œuvre artistique elle – même, on avait prétexté « L’art » pour pousser ces gens à marcher ensemble dans la ville. Et c’est de là ou tout était parti ! Il faut rappeler qu’on était dans un autre contexte ou les artistes travaillaient chacun de manière isolée et on était désolé par rapport à ça. Tout s’est enchainé après en rencontrant des amis qu’on n’avait pas vu depuis longtemps et qui nous disaient qu’ils allaient arrêter parce que « c’était très dur, qu’on se sent seuls et que c’est un métier de solitaire que celui de créer ici, dans un pays comme la Tunisie ». Et nous on était là à vouloir les convoquer autour de quelque chose qui nous travaille tous. C’était un geste d’engagement très politique au départ. Convoquer ces 20 artistes autour d’une table et réfléchir ensemble pendant 9 mois à comment on allait faire pour habiter cet espace public. Mais au départ, c’était que des jeux de tactique, au point ensuite de se dire comment intéresser M. tout le monde, ces gens qui ne s’intéressaient pas à l’art. C’était un constat alarmant que celui de voir la même minorité, le même public, les mêmes têtes, toujours partout, peu importe la manifestation culturelle. On voulait atteindre bien plus de gens. Et c’était à partir de ce déclencheur là -et il y’en a d’autres, bien sur- qui fait qu’aujourd’hui, on a beaucoup évolué. Et on s’est dit qu’on n’allait pas à chaque fois, dire au revoir au même public, voir à la même foule.
Sofiane Ouissi : Il y’a eu aussi une pièce de théâtre pas du tout anodine qu’on avait créée Salma et moi et qui avait comme thématique la guerre en Irak. Une guerre qui faisait fureur à cette époque là. On se sentait désarmer, tous petits face à cette injustice très forte qui nous a tous violenté. Mais après, comment on était arrivé à l’espace public ? C’est aussi lorsqu’on a inventé une marche du discours : « Quelle posture pour quel discours ? ». Je pense que cette marche s’est retrouvée sur l’espace public d’une manière inconsciente. Et il y’a eu cette traversée qui avait percée les murs. On avait travaillé sur tout un parcours de discours et c’était une manifestation en live avec un corps complètement explosé en se demandant, « Comment joueraient aujourd’hui les enfants de la guerre ? Est ce qu’ils joueraient avec les cadavres ? » Et du coup, tout s’est prolongé après, en emmenant ce geste artistique dans la cité et en propulsant l’artiste tunisien sur scène : des créateurs qui étaient déconnectés de leur quotidien. Au niveau de la production et de la création, ils étaient plus dans une réponse à ce que l’Europe leur demandait et ils ne saisissaient pas la richesse, n’exploraient pas suffisamment notre territoire qui était riche par ces murs, par sa mémoire, son savoir.
Et au fur à mesure, cette conception embryonnaire de « Dream City » a évolué selon le contexte sociopolitique ...
Salma Ouissi : On ne comptait l’organiser qu’une seule fois. Le seul souci est qu’on marchait énormément dans la rue. On s’affichait ! (sourire) Et le public nous réclamait de plus en plus et en redemandait. On était un peu responsables de ce qu’on avait déjà déclenché. Mais les artistes tunisiens aussi ! Parce que finalement, on s’était tous retrouvé dans cet espace qu’on avait crée tous ensemble. On a décidé donc de continuer. Et a un moment donné, jusqu’en 2013, Sofiane et moi avons tous sur nos épaules, on était redevables de quelque chose qui au départ, n’était qu’une création : on a décidé de prendre un peu de distance, on était dans l’exploration, et c’est comme ça qu’on a rencontré Yann Guessens. C’est l’un des seuls directeurs artistiques qui a quand même, laissé une partie de son budget pour travailler sur des projets en Afrique avec des gens du sud. C’est quelqu’un qui suit grandement les artistes à travers le monde.
M. Guessens, comment s’est déroulée votre collaboration ?
Yann Guessens : Ce qui m’a toujours motivé, passionné, ce n’est pas juste les artistes, mais c’est le dialogue, l’échange entre artistes et contexte et encore plus la conversation entre artiste – contexte et public. Et je trouve que cette conversation là en Europe et souvent devenue une conversation assez pauvre. Tout est extrêmement cloisonné en disciplines artistiques, en institutions culturelles, aux artistes et à leurs trajets individuels et ce qu’ils créent parle peu à une ville, à une société à un contexte. Mon combat a toujours été d’investir dans la durée, dans ces conversations là, avec la forte envie de créer des espaces partagés de création mais à l’intérieur d’un contexte urbain sociétal qui a besoin de la création, d’un avenir commun. Parce que ce soit dans les grandes villes que ça soit européennes ou j’ai travaillé comme Marseille (où je suis basé maintenant), à Tunis et ou même dans les grandes villes de l’Afrique subsaharienne où j’ai travaillé et ou j’y travaille encore, on ne partage de passé commun mais il ‘y a vraiment un avenir commun à construire et ça ne se fera pas sans les artistes et sans la création, dans son sens large qui implique les populations et les communautés de toute sorte. C’est pour ça que je me suis battu à Bruxelles, en partant d’une institution « Le théâtre national flamant » qui était devenue un OVNI dans la ville, qui s’enfermait dans une toute petite communauté flamande à l’intérieur d’une ville extrêmement multiculturelle et qui s’enfermait dans son infrastructure, dans sa boite noire. J’ai essayé de m’ouvrir vers toutes les communautés de cette ville, vers tout un territoire urbain. Et puis vers plusieurs endroits au monde avec lesquels Bruxelles est fortement reliée. En effet, si j’avais travaillé beaucoup à Kinshasa, ce n’était pas parce que j’avais envie de voyager un peu ou de faire mon touriste, mais parce que Bruxelles est aujourd’hui aussi une ville africaine et parce que s’il y’a des troubles à Kinshasa, on les aura à Bruxelles demain. Et de dire que le projet d’un théâtre flamant à Bruxelles, doit avoir un lien avec une réalité artistique et citoyenne, c’était pour moi évident. En même temps, il est vrai que je me sentais parfois seul. Avec cette vision, cet engagement, je n’ai pas l’impression qu’en Europe, dans le monde culturel, elle est suffisamment partagée, pour des raisons culturelles mais aussi politiques. Et donc, de se trouver des alliés était très important pour moi d’où la rencontre avec Salma et Sofiane qui s ‘est faite d’une manière directe à Bruxelles. C’était une rencontre très intéressante pour moi, qui avait pris les allures d’une conversation. C’est ainsi que j’ai entendu parler de « Dream City », de toute cette méthodologie, de cet engagement, de son développement. Ça m’avait beaucoup inspiré en leur disant que j’avais envie de l’apprendre, de le vivre avec l’ambition modeste d’ajouter un petit plus, vers une multidisciplinarité encore plus grande mais surtout en ouvrant cette famille d’artistes avec laquelle on travaille, vers des territoires qui, en 2014, n’étaient peut être pas présent dans le cadre de « Dream City » mais qui ont énormément de pertinence à Tunis, en se basant sur son histoire, son passé, en s’ouvrant vers l’Afrique du nord, le moyen orient, l’Afrique Subsaharienne. C’est important, ce n’est pas un choix exotique pour des artistes issus de certaines villes lointaines. Les raisons étaient de voir surgir des artistes d’un peu partout dans cette ville. La programmation de 2017 se développe dans cette direction là. Et ce qui est bien, c’est que d’avance, on prépare cette prochaine édition en créant cet espace temps partagé, intense, ou la méthodologie et l’équipe extrêmement compétente et engagée apporte beaucoup à ses artistes, qui arrivent ici pour la première fois, imprégnés d’envies et d’un autre trajet artistique. Qu’ils sentent cet échange très enrichissant, c’est primordial !
Cette exploitation des espaces publics se fait – elle de la même manière en Europe qu’ici ?
Yann Guessens : Elle se fait d’une manière bien plus intéressante ici. En Europe, on est déjà beaucoup dans les arts de la rue qui ne m’ont personnellement jamais intéressé. Ce qui m’intéresse, c’est un contexte une ville une société à exploiter et à créer. Je suis convaincu que des espaces partagés sont importants dans cette construction là et qui sont rares. Créer des petites communautés temporaires qui permettent de s’imaginer des alternatives et des futurs autres. Il faut se confronter directement à un espace public mais surtout à un territoire urbain dans toute sa diversité et aller directement en dialogue avec des populations, de nouveaux publics, des institutions. Ça doit faire partie intégral et permanente d’un projet culturel qui se doit engager à l’intérieur d’un contexte comme Tunis. En France, ces arts de la rue sont une sorte de discipline en soi. Tandis qu’ici ou à Kinshasa quand les artistes s’engagent, il s’agit d’une urgence artistique et citoyenne, qu’on veut raconter et qui mènera d’une manière inévitable à l’espace public.
Vous organisez aussi des résidences d’artistes, notamment une qui s’est déroulée, il y’a quelques mois. Pouvez – vous nous en dire plus ?
Salma Ouissi : C’est un Workshop. Je précise que c’est des créations. « Les arts de la rue », c’est de la diffusion sur les espaces publics. On organise des Workshop, dirigés par des experts. Il y’a des artistes qui arrivent, on essai de voir ce qui les travaille en arrivant ici. C’est que des créations ! Ce, à qui je pense qu’on a la folie de la liberté, d’autant plus qu’on ne fait pas partie d’une institution pour dire que c’est possible, au contraire, c’est difficile. Et c’est vrai que quand on est dans un système économique, notamment occidental, c’est beaucoup plus compliqué d’entreprendre cette aventure et que par conséquent, on ne peut être que dans la diffusion pur et dur de leur coté. Je trouve que sur ce continent, c’est ça qu’on doit défendre et réinventer.
Yann Guessens : Tout à fait ! Déjà voir ce genre de résidence d’immersion avant qu’un projet ne soit clairement défini, en Europe, ça n’existe presque pas ou plus ! Comment est ce qu’on a abordé cette résidence ? Le point de départ, c’était ce territoire d’un coté, et puis des artistes qui pourraient apporter des démarches qui seraient pertinentes pour eux et pour Tunis. C’est sur cet engagement que tout repose. C’est à partir de cette expérience que les vrais projets se sont construits dans le temps, dans l’échange. C’est à la fois rare et important.
Sofiane Ouissi : Il y’a cette dimension des voyages. Ça me rappelle tout ce qui est « Route de la soie », là c’est « la route de la pensée ou d’art » dans sa pratique la plus diverse et enveloppe le citoyen qui est pour nous une bibliothèque vivante, une encyclopédie vivante par sa mémoire et qui est largement partenaire de ce dispositif et grâce à lui, on arrive à toucher des points névralgique de tension parce qu’on travaille sur l’instant T, on lui donne la dimension du festival, c’est un objet de laboratoire qui sort de sa cité, qu’on le voit tenir la MAP de cette ville. On sent que tout bouge depuis 2007 jusqu’à maintenant, tout n’est pas figé.
Yann Guessens : La pratique artistique, il vient de la définir comme voyage et c’est ce qui nous motive tous. Ce n’est pas comme un de ces voyages qu’on effectue sur Facebook. Il s’agit de voyage vécu pleinement, et qui nous confronte à l’autre, et qu’on vit pleinement sur terrain.
Avez – vous pensé de décentraliser « Dream City » ?
Salma Ouissi : on l’a fait en 2012 à Sfax. Ça demande énormément d’effort, et de travail. C’est titanesque !
Sofiane Ouissi : La médina est aussi un espace de décentralisation. Les gens viennent de partout : de Djerba, du Kef, de ben Guerdane …. On a un échantillonnage de tunisiens issus de partout ici et qui apprennent à vivre ici, à s’intégrer, en ajoutant leur touche nouvelle de coutumes et de culture venue d’autres régions. Et c’est déjà énorme !
Avant-dernière invitée aux rencontres littéraires féminines organisées à Mille feuilles, l’écrivaine tunisienne « Emna belhaj Yahia » s’est confiée à un public, venu nombreux la découvrir. « Les femmes qui écrivent sont –elles dangereuses ?» accorde sa prochaine et dernière séance, le 19 avril, à Elodia Turki, poétesse. Un bref retour sur cette rencontre s’impose en deux questions …
Vous éprouvez une passion incommensurable pour l’écriture. Pourquoi écrivez- vous ?
E.B.Y : C'est probablement parce que je me sens « poreuse », et comme envahie à chaque instant par les divers éléments constitutifs du monde. Le moindre petit fait, le moindre petit mot, la moindre respiration des choses peut constituer à mes yeux un instantané de vie, retenir mon attention, me parler silencieusement, et aller jusqu'à me confondre quasiment avec ma propre personne. Chaque micro-fait, dans les limites qui m'enferment, est un concentré de sens et d'existence. Il s'offre à moi, me pénètre, m'habite… Mais il risque toutefois de partir tout de suite, de s'effacer comme un dessin sur le sable, si je ne le retiens pas dans des mots. Les mots que je cherche, que je me mets à inventer peu à peu. Si ces micro-faits sont précieux, c'est qu'ils se confondent un peu avec moi-même, et que leur disparition serait aussi un peu la mienne. C'est donc au besoin de retenir toutes ces choses éphémères que j’obéis, quand j’écris. Mais mon écriture les modifie, bien sûr, les fait obéir à ma logique, les ordonne selon ma nécessité propre. Je ne me propose guère, en écrivant, de refléter fidèlement « ces petits bouts de monde » que je croise et qui m'habitent, que je veux empêcher de mourir et dont je veux préserver l'intensité. Non, je les réorganise, les métamorphose, les réinvente inévitablement.
D’après vous, les femmes qui écrivent sont – elles dangereuses ?
Oui, bien sûr, puisque l'écriture est une façon de se libérer des pressions qui s'exercent sur moi, et c'est donc un acte de liberté. C'est une transgression, un défi lancé à un tas de choses : la bêtise, le temps, l'oubli, le silence, l'arbitraire... C'est une façon de mettre à distance tout cela et de ne plus en être l'esclave. Et c'est même une façon de vaincre la mort, puisqu'en écrivant on retrouve en soi tous les textes et toutes les traces laissées en nous par les écrivains qu'on a lus et qui appartiennent à tous les temps, à tous les lieux. On établit avec eux une grande passerelle (et c'est essentiel, les passerelles !) On les retrouve donc là, présents en nous par-delà les années, et on crée avec eux des liens de complicité, de solidarité. Liens de l'intelligence, de la beauté et de l'émotion qui triomphent des barrières qu'on construit entre les hommes. Ainsi, grâce à l'écriture et à la littérature, chaque expérience singulière rejoint et se nourrit de la richesse et de l'infinie diversité de l'expérience humaine dans sa totalité et son universalité. Et les textes que j’ai lus et engrangés ont effacé une part d'obscurité qui était en moi ou autour de moi.
Quant aux trois femmes écrivains qu’Emna Belhaj Yahia a choisi de présenter comme figurant parmi ses « muses », il s'agit de Nathalie Sarraute dans « Entre la vie et la mort », de Marguerite Yourcenar dans « L’œuvre au noir » et d’Annie Ernaux dans « Les années »
« Gunfactory » a fait sensation lors de son passage au 4ème art. Son metteur en scène Jean – Michel d’Hoop et toute sa troupe belge, ont enchainé stage au théâtre national et séjour en Tunisie, dans le cadre d’une coopération Tuniso – belge. Entretien avec un professionnel du théâtre belge.
Vous n’avez pas fait le déplacement jusqu’en Tunisie uniquement pour présenter vos créations. Une tâche ou un rôle vous a été attribué. Pouvez – vous nous en parler davantage ?
Le premier contact avec l’école de l’acteur s’est passé l’année dernière. Au tout début du processus, Fadhel Jaibi, voulait inviter un spectacle de la compagnie « Point Zéro ». On était très enthousiaste à l’idée de collaborer ensemble. Malheureusement, faute de timing, tout a été difficilement organisé. Au final, on nous a proposé un stage avec notre troupe de théâtre. Et c’est comme ça qu’on a appris qu’il y’ avait une école de théâtre. Et Mr Jaibi était fort intéressé qu’on vienne donner ce cours de marionnettes techniques pour adulte. Une technique bien particulière pas très présente ici. Et du coup, on ne voulait pas juste présenter le spectacle « Gunfactory », mais prolonger le séjour par une formation, un 2eme stage. D’autant plus que la problématique traitée était délicate. On voulait voir comment ça résonnait chez les élèves et voir comment la Tunisie pouvait réagir à ce même sujet. C’est comme ça que nous sommes parvenus a initié ce stage, en une semaine.
Et avec « Gunfactory », c’est « le théâtre éclaté » ?
On a usé de plusieurs outils différents : vidéos, images, interviews, documentations, audio, marionnettes … Etc Il s’est passé quelque chose d’important pour nous au niveau des thèmes abordés aussi : là, on a un prochain spectacle en préparation sur le nucléaire et la catastrophe de Tchernobyl. On est en pleine préparation. On part du réel pour en faire un spectacle. On va essayer de l’aborder différemment avec plus de marionnettes.
Peut – on définir votre théâtre comme un « théâtre direct » ?
Oui, tout à fait ! Les autres spectacles étaient plus oniriques. « Gunfactory » était beaucoup plus direct, au prise avec l’actualité.
Envisagez – vous de faire une tournée dans le monde arabe ?
J’espère bien ! Oui. Pourquoi pas ? (rire). Pas pour l’instant, mais par le biais de contacts, ça peut se faire ou pas, en Algérie ou au Maroc. Je ne suis pas du tout un spécialiste du monde arabe, mais je pense que la Tunisie est une exception : porteuse d’espoir, la parole est quand – même assez libre, par rapport aux autres nations. J’ai été fortement impressionné lors de ma première visite de voir à quel point c’était une société mixte, très complexe sans doute.
Avez – vous une idée sur le théâtre tunisien et sur ce qu’il s’y fait actuellement, à part, le travail du théâtre national ?
Non ! Je connais seulement le travail de Jaibi, et encore, je n’ai vu qu’un seul travail. On me dit souvent, qu’il ne faut pas que je parte d’ici sans un DVD ou autres, pour que j’en sache davantage, de découvrir. Je n’ai pas encore eu la chance de regarder d’autres créations. J’ai davantage vu ce que faisaient les élèves.
Est-ce qu’il y’a des participations des troupes tunisiennes en Belgique ?
Non, je n’ai pas eu l’occasion. Mais j’espère les voir parmi nous. La Belgique devrait inviter des troupes tunisiennes prochainement. Il est temps et pas que la troupe de Mr Jaibi. Ça fait deux ans que je suis particulièrement attentif à la Tunisie. Je me bats actuellement pour mettre en contact le théâtre national tunisien avec celui de la Belgique, pour plus de coopérations. En Belgique, il y’a aussi le théâtre de poche, qui est extraordinairement avant – gardiste et qui travail surtout sur les relations nord – sud et sur tout ce qui est « mouvement citoyens », qui est actuellement très répandu en Tunisie.
Et pour finir, pouvez – vous nous en dire plus sur le docu- théâtre ?
C’est mon premier spectacle que je fais ! C’est vrai que c ‘est un courant qui est entrain de venir beaucoup en Belgique. Ce travail nécessite beaucoup de temps et de recherche. Le « zoo théâtre » en Belgique de Françoise Bloch, fait un travail très précis sur du théâtre centré sur l’entreprise, le monde de la finance… etc Le lien entre l’argent et la politique. C’est un travail d’enquête. Mais ce qui diffère de notre travail à nous, c’est qu’on y ajoute un peu plus de théâtralité. Il y’a de la marionnette, ce qui est assez étonnant avec le doc- théâtre, des vidéos, des séquences.
Déclaration d’Amine, 24 ans, stagiaire, à l’école de l’acteur chaperonné par Jean – Michel d’Hoop :
« Affiner la notion acteur – créateur »
« On participe à une formation à l’école de l’acteur. Il y’a eu deux stages auparavant. Je fais parti de la 3eme promotion formée. Avec Jean – Michel on se focalise plus sur la notion de l’acteur – créateur. On nous met dans un laboratoire de recherche, on nous apprend, des techniques, des artifices, on nous inculque des méthodes, afin de devenir acteur. C’est ce qu’on apprend en temps normal à l’école de l’acteur. Ce dernier, s’il veut devenir metteur en scène, ou s’acquérir de nouvelles techniques, ici, on peut consolider nos acquis : on travaille dans beaucoup d’espaces, on est en contact avec les gens pour trouver de la matière. C’est ainsi qu’à partir de plusieurs questions, on peut mettre en scène cette matière. Mélanger toutes ses choses : l’humain, le théâtre, se servir de la technologie, et de bien l’intégrer sur scène. »
Troisième rencontre organisée par la Compagnie des Vives Voix à la librairie Mille feuilles, avec, à l’honneur, cette semaine, l’écrivaine et universitaire tunisienne Najet Abdelkader Fakhfakh, qui s’est livrée à un échange des plus enrichissant avec un public, venu nombreux la découvrir.
Comment êtes venue à l’écriture ?
Quand je suis descendue les 6 et 13 août dans la rue, avec les milliers d’autres femmes pour manifester notre mécontentement, notre Exaspération et notre crainte grandissante face à la montée de l’obscurantisme, une pulsion presque viscérale m’a poussée à écrire. Ecrire, dans l’urgence, pour répondre au monde entier qui s’interrogeait sur les sources de notre courage, notre détermination, notre combativité. Ecrire pour démontrer qui nous étions vraiment. Ecrire, pour expliquer notre différence par rapport aux autres femmes du monde arabo-musulman. Ecrire, pour prouver que rien n’est fortuite, que notre émancipation est ancrée en nous, qu’elle n’est pas l’œuvre d’un seul homme- certes Bourguiba a donné un sérieux coup de pouce en légalisant les droits des femmes, mais il a trouvé un terrain favorable pour promulguer le Code du Statut Personnel- d’autres hommes et femmes avant lui, depuis des siècles, lui ont facilité la tâche. Il n’aurait pas pu agir de la sorte ni en Algérie, ni au Maroc ou en Libye. Ecrire, pour rendre hommage aux Tunisiennes qui depuis 3000 ans sont méconnues, voire oubliées involontairement ou volontairement. Les femmes font l’histoire n’en déplaise à certains ! Ecrire pour transmettre, pour raconter le passé, le présent aux générations futures et contrecarrer ainsi des forces malveillantes, qui profitent de la méconnaissance de l’histoire de la Tunisie par la majorité des jeunes, pour gommer le passage de quelques civilisations et en favoriser d’autres. « Un pays qui oublie son passé n’a pas d’avenir » W. Churchill. Ecrire, enfin, pour le plaisir de triturer les mots et les phrases même si leurs accouchements se font souvent dans la douleur. Je crois que l’oxymore plaisir-douleur qualifie bien, dans mon cas, l’acte d’écrire.
Pourquoi le choix de ces trente femmes ?
Ces personnalités féminines vouent toutes un amour indéfectible à leur pays, elles ont une soif inextinguible de savoir et de connaissances et un désir exacerbé de liberté. Pour Om Millel, elle est très peu connue, j’ai donc voulu la sortir de l’ombre. Elle est l’unique femme qui a dirigé l’Ifriqiya en tant que régente. Elle a gouverné autrement, avec équité, sagesse et générosité. Aucun conflit notable entre les tribus n’a été signalé au cours de ses années de règne. Quant à Zoubeida Béchir, elle est la première poétesse, qui a publié un recueil de poèmes. Et quels poèmes ! Cette autodidacte ose y parler d’amour et parfois d’érotisme. Elle a l’audace d’épancher ses sentiments, de dévoiler ses désirs par l’écriture. Je pense que grâce à elle, les Tunisiennes ont commencé à écrire. C’est pour cette raison que le CREDIF (centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme), a donné son nom à un prix récompensant les écrits des femmes. J’ai eu l’honneur de le recevoir en 2015.
Parlez – nous de vos influences littéraires féminines…
Avant d’écrire, il faut lire, encore lire, toujours lire pour reprendre la fameuse formule de Danton : de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. J’ai commencé à lire dès l’age de 8 ans. Au fur à mesure de mes lectures, je devenais une femme qui pense, réfléchis, analyse, critique. Initialement, il y a eu une Najet avant et après la découverte de la philosophie. Je ne puis trouver de meilleure transition que cette citation de Marguerite Yourcenar qui écrivait : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même: mes premières lectures ont été les livres. » Je dois avouer avoir lu qu’un seul ouvrage de MY : Mémoires d’Hadrien (1951), il m’a tellement subjuguée qu’il m’a peut-être donné l’envie d’écrire des romans historiques autrement. D’abord, l’auteure, première femme à faire sauter le verrou qui ouvre l’accès au cercle très fermé des académiciens et à devenir immortelle. Ensuite, elle écrit à la première personne du singulier, prenant ainsi la place de son personnage masculin, l’empereur Hadrien romain, malade, qui adresse une longue lettre à son petit-fils adoptif Marc Aurèle dans laquelle il raconte sa vie et médite sur la maladie, la guerre, le pouvoir, la philosophie, l’art, la mort et l’amour qu’il éprouve pour le bel Antinoüs, fusionnant complétement avec cet homme d’Etat du 2ème siècle après J.C., éclairé, humaniste, aimant la musique, helléniste. J’ai trouvé cette démarche innovante et audacieuse. Puis, j’ai été fascinée par son incroyable connaissance et son interprétation de l’histoire ; l’histoire sous le regard scrutateur d’un personnage historique, un homme, qui écrit ses mémoires avant de mourir. Enfin l’écriture, claire, pure, classique. L’érudition rendue légère et accessible grâce à la magie des mots et du style. Je n’aime pas les textes pédants.
Une autre lecture m’a marquée : Barrage contre le pacifique de Marguerite Duras. C’est un roman de l’attente jusqu’à ce que le lecteur ressente la nausée. C’est un roman engagé qui démonte un système colonial de l’intérieur : âpre combat d’une femme contre une administration-rapace qui exploite autant les autochtones que les petits colons. Le barrage contre le pacifique est une image, une métaphore qui présage, anticipe la prochaine décolonisation. Nul ne peut résister à la nature. Tôt ou tard, la nature reprend ses droits comme les pays colonisés reprennent leur indépendance. Mon prochain roman serait un questionnement sur la colonisation en partant d’un événement historique peu connu : la bataille de Sfax. Je suis toujours très curieuse de lire les travaux d’écrivaines, d’aller voir les spectacles musicaux féminins, les expositions et les films de réalisatrices et de metteures en scène tunisiennes. Il faut bien-sûr les encourager mais surtout être au diapason de leurs œuvres et de leurs centres d’intérêts. Depuis la révolution, la création féminine se porte plutôt bien. Elle est diversifiée, innovante, audacieuse, voire téméraire et elle est récompensée, exemple du livre de Faouzia Zouari, Le Corps de ma Mère, Comar d’Or 2016.
Un roman a particulièrement attiré mon attention, c’est celui de Azza Filali : Ouatann, mais je dois avouer que je lui ai préféré : Chronique d’un décalage(2005). J’ai eu un certain plaisir à le lire même si l’auteure trouve avec le recul que son écriture est « trop comme il faut », qu’il lui manque un grain de folie. Filali nous entraine avec son personnage Zohra jusqu’aux frontières de la folie. Le lecteur suit la narratrice, aux prises avec son personnage, dans son acte d’écriture. C’est cette démarche qui m’a fortement intéressée.
J’ai découvert plus récemment, grâce au précieux conseil d’une amie, la quatrième auteure qui m’a profondément secouée, un véritable électrochoc. Cette rencontre tardive a répondu à toutes mes attentes littéraires. Un vrai modèle. La vie de cette femme de lettres est déjà un roman( 1936-2015) : pour ne pas choquer et porter préjudice à sa famille. Il s’agit de Fatima-Zohra Imalayène, une écrivaine remarquable qui s’invente un pseudonyme pour publier son premier roman Soif et devient Assia Djebar, deux termes presque antinomiques (consolation et intransigeance). Son talent littéraire, déjà apprécié par le Général De Gaulle, lui ouvre les portes de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et celles de l’Académie française, elle y remplace Georges Vedel au fauteuil numéro 5, en 2005. Elle est le premier auteur d’Afrique du Nord à occuper cette place honorifique, et bien-sûr la première femme musulmane. Dans ses nombreux travaux, elle parle souvent des deux cultures, des deux communautés qui entretiennent des rapports difficiles et ambigus de sorte qu’ils engendrent des obstacles à la quête de soi, à la construction d’une nation, au développement d’une langue( la langue française). Une permanence de deux territoires que l’on retrouve clairement dans l’incipit de son roman l’Amour, la Fantasia(1985). Cet extrait est très important et très intéressant à découvrir dans la mesure où il nous éclaire sur le projet d’écriture d’Assia Djebar. Une autre caractéristique de cette remarquable écrivaine qui me plait c’est qu’elle commence ses romans par l’individuel pour ensuite s’ouvrir sur le collectif, elle joue avec le temps (passé lointain / passé récent), elle jongle avec les pronoms personnels, elle passe du elle au je, du il au nous multipliant ainsi les narrateurs et ce dans une écriture maîtrisée et savante. J’apprécie le subtil mélange entre son histoire personnelle, ses amours naissantes et la prise d’Alger qui indéniablement est la cause de cette situation contradictoire qui se reflète au début du roman. En mêlant l’écriture de soi à celle de l’histoire, Assia Djebar inaugure un genre autobiographique qui me séduit.
Et pour finir, « Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses », d’après vous ?
Quand les femmes agissent, sortent de leur silence, dépassent leur pudeur, quand elles osent aller fouiller dans les méandres de leurs pensées, de leurs réflexions, de leurs envies, de leurs pulsions pour les exprimer librement dans un livre, quel que soit le thème de leur ouvrage, elles dérangent. Ecrire, est un acte subversif dans la mesure où il délivre un message qui potentiellement risque d’éveiller les consciences, de remettre en question des superstitions, d’ébranler un conformisme enraciné depuis des siècles au profit d’une catégorie d’individus. Le livre escalade les remparts les plus hauts et les prisons les plus gardées. C’est pour cette raison que tous les régimes totalitaires et théocratiques brulent les livres. Le film de Youssef Chahine, le Destin, qui retrace la montée de l’intégrisme dans l’Andalousie à l’époque du grand savant et philosophe Ibn Rochd, Averroès, illustre parfaitement la menace que représente les écrits de l’exégète. Olympe de Gouges, femme de Lettres et révolutionnaire, considérée comme la pionnière du féminisme français a été guillotinée, 1793, au 18ème siècle, en pleine révolution, pour ses écrits subversifs. Elle a milité pour de nombreuses causes : pour les droits des Noirs, en écrivant une pièce de théâtre, Zamore et Mirza, ou l’heureux naufrage. Pour ceux des femmes en publiant : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, texte qui sert de pendant à la Déclaration promulguée par l’Assemblée Constituante qui en excluait les femmes. Elle considérait que si la femme avait le droit de monter à l’échafaud, elle devait avoir également celui de monter à la tribune. Cependant, l’écrit qui lui a été fatal, est celui où elle fustige sans ménagement Marat et notamment Robespierre « l’opprobre et l’exécration de la Révolution »qu’elle accuse de vouloir instaurer une dictature. Là, j’ai pris un exemple extrême. Mais aujourd’hui, sous d’autres cieux, elles sont encore menacées de mort car elles informent, elles sont des passeuses d’idées. Elles sont la lueur qui guide les autres femmes dans les ténèbres, elles sont l’étincelle qui risque d’allumer un brasier. Les femmes qui écrivent sont dangereuses car celles qui les lisent deviennent dangereuses.