Inaugurée il y a trois semaines, l’exposition «Poemas de Agua» ou «Poèmes de l’eau» de l’artiste Immaculada Montoya est encore accessible au grand public jusqu’au 27 mars 2023 à l’Institut Cervantes de Tunis. De quoi s’offrir une immersion dans un univers pictural rétrécis, mais fait d’illusion, d’itinéraires brouillés, d’éclats ou d’associations.
Sept tableaux sont exposés dans l’enceinte d’une salle centrale à l’Institut Cervantes de Tunis. Des tableaux peints qui paraissent similaires, mais qui sont différents quand on les scrute, de très près en détails. Des éléments picturaux, perceptibles à l’œil nu. La mer ou l’eau les couvre… Une mer truffée de pointillé, sans doute, une présence massive d’individus, capturés d’en-haut, vue aérienne.
Poétiquement titrés «les poèmes de l’eau», ces tableaux sont signés Immaculada Montoya, artiste peintre espagnole, qui n’a pu être présente en Tunisie mais qui est parvenue à maintenir cette exposition, organisée par l’ambassade d’Espagne en Libye et l’Institut Cervantes. Mirages, évasion, cheminement sont des termes qui brouillent la vision des visiteurs.
Le travail de Montoya, peinture à l’huile, s’inspire directement d’une poétesse arabe nommée Fawzyya Abu Khalid. Née en 1955, elle est poétesse, essayiste, sociologue et professeure de nationalité saoudienne. Sa poésie est connue pour ses motifs politiques proéminents et propulse les femmes du monde arabe vers l’éducation et la liberté. «Until When Will They Abduct You on Your Wedding Night? (1974)» est un recueil qui l’a fait connaître. Sont parus ensuite deux autres recueils de poésie, intitulés «Les lectures secrètes dans l’histoire du silence arabe (1985)» et «Mirage Water (1995)», lit-on en ligne. C’est probablement ce dernier recueil qui a inspiré le travail de la peintre espagnole Montoya. L’exposition a été initialement conçue pour être organisée à Tripoli, à l’ambassade d’Espagne en Libye.
Elle a finalement eu lieu à Tunis. Ciel, mer méditerranéenne, bordures, plages. Elle évoque des vies, des mouvements de masse, et une nature conquise, voire envahie. Des populations en mouvement à la recherche d’un avenir, d’une meilleure existence, d’une paix collective.
Une musique du monde a conquis le public présent durant deux soirées successives au théâtre plein air de Hammamet, ouvert au public depuis le 8 juillet, date du démarrage de la 57e édition du Festival. La venue de Kenny Garrett et Ibeyi, un duo d’artistes sœurs jumelles franco-cubaines, rappelle un cosmopolitisme musical propre à Hammamet.
Une floraison de sons
Durant ces deux nuits caniculaires et musicales de juillet 2023, le théâtre de Hammamet est occupé par des mélomanes connaisseurs, venus spécialement écouter Kenny Garrett, le musicien de jazz, qui nous arrive des Etats-Unis… en arborant de l’inédit. L’artiste saxophoniste présente en Tunisie son dernier album en date titré «Sounds from the Ancestrors», composé de 8 morceaux datant de 2021.
Garrett s’est emparé de la scène entouré de Rudy Bird à la batterie, Melvis Santa, vocaliste à la percussion, Corcoran Holt à la contrebasse et Keith Brown au piano.
L’album exploite différents patrimoines musicaux issus de contrées africaines : une façon de rendre hommage à ses origines. Des airs afro-cubains, du jazz moderne, du gospel, du motown et même du hip-hop retentissent durant tout le spectacle.
La performance d’une heure trente se caractérise par une harmonie ressentie, celle qui lie les artistes sur scène. Kenny Garrett rend non seulement hommage à une musique authentique émergeante —en partie— de pays du sud, mais valorise également son attachement à ses ancêtres à travers ses compositions. L’artiste a exprimé son attachement au continent africain, à sa ville natale «Detroit» et déclare rejouer sans hésitation en Tunisie, si l’occasion se présenterait.
Une prouesse en double
Le duo féminin Ibeyi a assuré, la veille, un spectacle des plus rythmés, en sons et en lumière. Voix et instruments accompagnaient leurs morceaux, face à un public connaisseur mais timidement présent. Les hommages vibrants rendus à leur grand-mère originaire de la Tunisie, un autre destiné à leur père, à la patrie ou aux liens forts qui unissent les deux sœurs, se sont succédé, ponctuant ainsi de nombreux morceaux connus et moins écoutés. Les fans présents sont parties à la découverte de quelques morceaux joués et se sont imprégnés des messages, anecdotes, pauses drôles, racontés par ces deux artistes… sans cesse en interaction.
Lisa Kaindé et Noémie Diaz, de leur vrai nom, ont présenté au total 18 morceaux sur une durée d’une heure trente accompagnées d’un claviériste/bassiste. Parmi les morceaux les plus écoutés présentés sur scène «Sister 2 Sister», «Lavender and Red Roses» et le fameux «River», qui les a révélées au public en 2017. Du rap, de la percussion, du chant et de la danse cubaine ont mis en valeur cette performance de Downtempo, hip-hop, RnB ou soul. «Ici, c’est le pays de notre grand-mère. On est émues de chanter pour elle et pour la Tunisie», a confié Liza-Kaindé. Une belle première en Tunisie !
On ne peut que succomber à ce sentiment curieux et persistant de (re)découvrir Hammamet, de l’arpenter autrement à travers une touche picturale, celle d’une femme artiste-peintre, Najoua Hassouna, dont le nom ne vous dit peut-être rien, mais qui tient actuellement sa première exposition personnelle à l’Espace Sidi ben Aïssa (l’ASM de Hammamet), et ce, jusqu’au 20 mai en entrée libre.
C’est dans l’enceinte de l’Espace central Sidi ben Aïssa, en plein cœur du centre-ville de Hammamet, que se tient l’exposition-vente personnelle de l’artiste peintre Najoua Hassouna, qui, après avoir écumé les expositions collectives de la région de Hammamet, se lance à partir du 11 mai dans l’accrochage de sa première exposition personnelle.
C’est au gré des hasards que ses tableaux nous appellent. Faites uniquement à l’acrylique, ses œuvres, esquissées passionnément, révèlent un contenu qui a été déjà vu, à maintes reprises, mais qui se distingue par la touche féminine de son artiste. Fortement imprégnée par son vécu à Hammamet, elle raconte ses ruelles, sa médina arabe et l’architecture de ses édifices les plus emblématiques. Elle les dessine souvent dans les détails près, dans l’enceinte de sa médina historique, tout comme dans ses environs, à commencer par les poissons symboliques, son coucher de soleil, le golfe, quelques paysages sablonneux ou marins, qui font la beauté côtière de Hammamet, peinte à l’état initial, sans ses artifices hôteliers ou touristiques.
« El Ghram Eli fik », tel est l’intitulé de l’expo-vente, exprime la passion ardente de l’artiste, pour la peinture. Elle y raconte consciemment ou inconsciemment l’environnement dans lequel elle vit toujours, alternant souvent des portraits peints de quelques icones de la chanson arabe qu’elle adule ou qui l’attirent, citons Abdelhalim Hafedh, Om Kolthoum, ou même l’iconique Charlie Chaplin, en affichant sur ses tableaux quelques citations connues. Vortex en couleur, yeux ou des roses ponctuent aussi la découverte, sans oublier le clin d’œil à l’habit traditionnel local.
« El Ghram Eli Fik » est le titre d’une exposition subjective, qui traduit une passion presque juvénile pour la peinture, entretenue par Najoua Hassouna. Cette expo-vente pourrait éventuellement attirer les amoureux de la ville, les visiteurs passagers, qui affluent actuellement en pleine saison estivale et qui aimeraient découvrir les villes… d’une autre manière.
Publié aux «Editions Arabesques», le premier livre de Feryel Saïmanouli, écrivaine tunisienne, annonce, de prime abord, une fuite dans le temps. Un temps qui s’étire, fait surgir de nombreuses interrogations élémentaires, annonciatrices de combats pour la justice et l’égalité. Berceau de plusieurs parcours de vie, l’autrice, au bout d’une centaine de pages, fait écho à un dialogue générationnel, creuse les différences entre les genres, remet en questions les rapports familiaux, avec, en trame de fond, une histoire de famille tunisienne. On a lu «Elles n’avaient pas le temps», disponible actuellement dans toutes les librairies et à la foire du livre, et on a rencontré pour vous son écrivaine. Entretien.
Feryel Saïmanouli, au gré de vos études supérieures en Lettres menées à Paris, vous vous êtes consacrée à l’écriture de nouvelles, avant la parution de votre premier récit fiction titré «Elles n’avaient pas le temps» (Arabesques Editions). Pouvez-vous revenir sur votre rapport avec l’écriture et la genèse de votre livre ?
J’ai commencé à écrire des nouvelles : la première était «Ses yeux gris qui me souriaient», que j’avais présentée à un concours pour L’Harmattan, en France, et qui a, également, était première sélectionnée. Elle a été postée, ensuite, en ligne, libre de droit et d’accès. La deuxième a vu le jour, dans le cadre d’une exposition, organisée par plusieurs artistes, juste après le confinement, et qui s’appelait «Un pas vers l’Après». Elle s’est passée au B7L9, à Tunis, et un des projets était celui de l’artiste Feryel Zouari. Dans ce cadre, des écrivains devaient produire un texte de 2 pages et, ensuite, d’autres artistes, issus d’autres disciplines, devaient produire des œuvres à partir de nos écrits. Au final, un artiste peintre avait, donc, produit un tableau à partir de mon texte.
Jusqu’à la parution en 2023 de «Elles n’avaient pas le temps», votre premier livre, publié en Tunisie aux éditions Arabesques…
C’était au tout début une nouvelle que j’ai transformée en roman. Sa genèse me tient à cœur parce que, je l’ai vu, il y a dedans du vécu personnel. Il y a énormément d’histoires, mais pas que cela. Je suis féministe depuis ma plus tendre enfance et je remarquais des choses qui m’interpellaient… J’ai, de nos jours, eu envie d’écrire sur le sujet de l’inégalité dans l’héritage. La genèse de ce livre était donc différente de ce que je faisais d’habitude… Pour «Elles n’avaient pas le temps», j’ai commencé à noter toutes les remarques sexistes que j’ai pu écouter, qu’on m’avait adressées. Du coup, je les ai écrites, les unes après les autres, jusqu’à en avoir des pages entières, dans un carnet. Je l’ai fait assez rapidement. Initialement, «Elles n’avaient pas le temps» est une nouvelle que j’ai écrite en quatre jours. Je l’ai publiée après l’avoir retravaillée sur des mois…
Peut-on le considérer comme un livre militant ou engagé ?
Ce n’est pas un livre de militante. J’ai posé une situation, que j’ai racontée au gré de scènes statiques, dans des huis clos, tout en sentant le bouillonnement qu’il y a autour de ce sujet. Un récit que j’ai pas mal travaillé et retravaillé sur une période. A Paris, j’ai vu une fois une pièce de théâtre autour des contes de Perrault. Je me suis rendu compte à quel point les récits courts étaient efficaces, pouvaient raconter une histoire captivante, couramment, avec des personnages élaborés, des sujets importants, avec une clarté surprenante et le tout dans un cadre merveilleux, fantastique. Je m’étais donc inspirée de cela pour mes écrits. Pour le roman, je m’étais dit que c’était efficace de parler au lecteur, de l’impliquer, qu’il ne soit pas que lecteur ou spectateur, mais qu’il soit aussi acteur.
«L’inégalité dans l’héritage» est-elle la thématique principale de votre livre ?
Oui, bien sûr. C’est le sexisme d’une manière générale, et le cœur du sujet est l’inégalité successorale, qui reste et qui restera toujours d’actualité en Tunisie. On n’est toujours pas au même statut que les hommes, en ce qui concerne l’héritage : on n’est pas égaux face à la loi. Il faut que la société évolue et que les politiques prennent conscience que tous les citoyens ne sont pas égaux. On s’est embourbé dans du conservatisme depuis le déclenchement de la révolution, et on disait souvent que ce n’était pas prioritaire… Et cet argument-là, ils le sortiront toujours. C’est pourtant un droit vital et élémentaire d’être égaux. Il faut commencer à changer les lois. C’est ce qui nous fera changer après et bousculera les mentalités.
D’où le fait d’avoir publié votre livre en Tunisie, et non pas en France ?
En France, publier des livres est très compétitif. En Tunisie, on peut facilement sortir du lot, être plus visible, impactant. Je commence par la Tunisie, et on verra bien après….
Sans spolier les lecteurs, a qui fait référence le pronom «Elles» dans le titre ?
A toutes les femmes. Mais on comprend rapidement que c’est des Tunisiennes, ou des musulmanes, qu’il s’agit. Je ne le dis pas directement, parce que je tenais à ce qu’il y ait une universalité dans le roman : je ne dis jamais où ça se passe, je dis des noms qui ne donnent pas vraiment d’indication sur des lieux précis… Je tenais à ce que tout le monde puisse se reconnaître. Donner cette dimension d’universalité, j’y tenais. Ce récit fait sans doute écho à toutes les femmes issues de toutes les classes sociales. A travers mes mots, je pose un problème, une situation, et je tiens à ce que les récepteurs ou les lecteurs en parlent. Je ne prône pas frontalement un engagement ou un militantisme.
Engagement et littérature, parlons-en.
Mes nouvelles ne sont pas toutes engagées. Elles ont quand même traité de sujets tels que la loi 52. J’ai raconté l’histoire d’une personne transgenre en Tunisie, et parlé du viol, de sa complexité dans le monde arabo-musulman et de l’épouse, victime contrainte souvent, sous pression, d’épouser le violeur. Jusqu’aux étudiantes qui se prostituent pour subvenir à leurs besoins… Ce sont des sujets importants qu’il faut déterrer, à mon avis. Qu’il faut admettre.
Une suite de «Elles n’avaient pas le temps» est-elle prévue ? La fin est annonciatrice d’une suite.
Ce n’est pas de refus. Pourquoi pas ? (sourire) Peut-être un autre genre de suite, mais du point de vue de «Jo», le frère. Actuellement, je suis sur un autre projet d’écriture pour enfants dans lequel je raconterai des récits de femmes figures importantes, historiques, ou légendes, mais oubliées par l’histoire ou pas assez représentées et mises en valeur. Ça sera une série de livres qui racontent les voyages d’une petite fille, partie à la rencontre des femmes orientales ou africaines.
Le Colloque international consacré à l’écrivain français Pascal Quignard et à la Méditerranée, qui s’est tenu les 2 et 3 mars à Ennejma Ezzahra, aura été un événement culturel marquant, associant des lectures croisées de l’œuvre par des universitaires de renom à deux spectacles musicaux qui feront date dans l’histoire du Centre des musiques arabes et méditerranéennes. Cet événement littéraire d’envergue a été organisé par le laboratoire «Langues et Formes Culturelles» de l’Institut supérieur des langues de Tunis, grâce aux efforts conjugués de la présidence de l’université de Carthage et du Centre des musiques arabes et méditerranéennes (Ennejma Ezzahra), en partenariat avec l’Institut français de Tunisie, le Cerilac Paris VII et l’Item (Cnrs-ENS de Paris).
Musicien, scénariste, et écrivain contemporain, Pascal Quignard est connu du grand public pour ses récits: tous les matins du monde (1999) consacré à la figure de Marin Marais, joueur de viole de gambe du XVIIes, et adapté au cinéma la même année par Alain Corneau, Villa Amalia (2006), ou encore tout récemment, L’Amour, la mer (2022), hymne à la beauté du monde, à la vie ainsi qu’à l’impermanence de toutes choses, d’une écriture poétique remarquable, autant de textes rythmés par la musique qui traverse tous les romans de Quignard, et qui y joue un rôle essentiel à l’instar de la beauté des choses “naturelles”. Mais il est également l’auteur d’essais inimitables comme le Dernier royaume : t.1 Les Ombres errantes Prix Goncourt 2002, Les Désarçonnés ou Vie secrète, faisant de son œuvre, complexe, exigeante et érudite, l’une des plus importantes de la littérature française contemporaine, dans la lignée d’écrivains comme Blanchot ou Bataille.
Si l’art occupe une place centrale dans sa réflexion, les frontières entre les genres disparaissent dans son écriture musicale, au profit de l’entrelacement des thèmes obsessionnels du silence, de la lecture, de la mort, de la sidération, ou encore de la figure du jadis.
Puisant dans l’héritage universel, la pensée de Quignard établit un dialogue original avec le fonds méditerranéen dont se nourrit son imaginaire tout autant que sa poétique. Ses références — à cet égard — sont multiples et variées, puisant aussi bien dans L’Odyssée, L’Enéide, Les Mille et Une Nuits ou les mythologies égyptienne, phénicienne, sumérienne que dans les contes populaires et les grands auteurs de l’Antiquité ou du Moyen-Age : Eschyle, Euripide, Averroès, Ibn Arabi, Apulée, Ovide, Saint Augustin, ou Montaigne, pour ne citer que ceux-là; à la source de son inspiration également, les œuvres d’art (mosaïques, tableaux, fresques ou gravures), mais aussi les cités (telles Carthage, Alexandrie, Rome, Athènes, Utique, Naples), et les îles (Ischia, Jerba, Capri), sans oublier le soleil méditerranéen, très présent dans son œuvre.
Dans cette perspective, une équipe de chercheurs du laboratoire « langue et formes culturelles » de l’Institut supérieur des langues de Tunis a proposé une réflexion sur le rapport de l’œuvre de Quignard avec la Méditerranée, interrogeant les mécanismes créateurs dans ses textes, afin de voir comment cet espace marin façonne l’imaginaire de l’auteur et comment sa représentation se trouve en retour façonnée par la pensée quignardienne.
Carthage, cité-phare du monde méditerranéen, point de rencontre entre l’Afrique du Nord, Rome et le Moyen Orient, mais aussi l’un des « lieux de Pascal Quignard », constituait un cadre idéal pour accueillir une telle réflexion, d’autant que cette problématique n’avait pas encore été abordée dans le contexte d’une réflexion collective internationale. Et il est hautement significatif que le colloque se soit tenu au Palais du baron d’Erlanger, cet esthète des années 1900, qui, comme Quignard, était féru d’art et de musique, auteur d’une précieuse histoire de la musique arabe, et collectionneur de manuscrits anciens et d’instruments de musique rares.
Dans ce haut lieu de l’art et de la pensée, le colloque a réuni des universitaires tunisiens, mais aussi français, italiens et japonais, en présence de Pascal Quignard lui-même, et les communications furent de haut niveau, permettant aux étudiants, aux chercheurs et au public de découvrir l’œuvre d’un auteur inclassable et inimitable, mais aussi de rencontrer un écrivain chaleureux et simple, profondément humain et toujours à l’écoute de l’Autre.
La représentation du fonds méditerranéen dans l’œuvre de Quignard, et les lectures que les textes quignardiens proposent d’un tel fonds comportaient plusieurs axes : la mer, aspect essentiel de l’œuvre, mais aussi les figures d’Ulysse et de Boutès (ou l’appel du chant) ou encore Saint Augustin, figure des deux rives. Ont été également étudiés le dialogisme littéraire et artistique de son œuvre, ses descriptions-commentaires de la mosaïque d’El Djem, ou des fresques étrusques, ainsi que son rapport à la rhétorique antique et à la linguistique.
Les regards croisés des chercheurs des deux rives de la Méditerranée ont permis de fructueux points de convergences et de stimulantes découvertes ; étudiants et public ont pu apprécier les différentes étapes de l’écriture d’une œuvre à travers une belle exposition des manuscrits de Boutès ou le désir de se jeter à l’eau : Rendue possible grâce à la collaboration du Cerilam et de la Banque centrale.
Au plaisir de l’esprit, s’ajoutait celui des sens, chaque journée ayant été clôturée par un récit-récital, avec les textes de Quignard, lus par l’auteur lui-même, accompagné au piano par Aline Piboule, artiste virtuose passionnée et sensible, dont le talent a conquis l’auditoire. Si le premier récital, Boutès, consacré à la figure de cet homme symbole du désir, comprenait des œuvres musicales du répertoire classique (Ravel, Chopin, Fauré, Schubert, Messiæn), et une transcription inédite de La Mer de Debussy, la grande première fut le récit-récital Les Ruines de Carthage, texte inédit, écrit spécialement pour l’événement par Quignard, poignante méditation sur la destruction de la pensée, des cultures et des civilisations.
Enfin, la matinée du 4 mars, à l’Institut supérieur des langues, a été consacrée à la présentation des travaux des doctorants, en présence de l’auteur lui-même et de tous les intervenants au colloque, qui ont pu apprécier la qualité de nos jeunes chercheurs, stimulés par un tel public.
La convention de partenariat entre l’Université de Carthage et le Centre des musiques arabes et méditerranéennes, aura permis de réaliser cette jonction entre le monde universitaire et celui de la culture. Méditerranéen, cet événement le fut assurément, avec la rencontre des cœurs et des esprits des deux rives, grâce aux énergies fédératrices des femmes et des hommes, universitaires, enseignants, chercheurs, libraire, artistes et étudiants qui ont fait de ces journées, une célébration mémorable.
Amina Chenik, (Spécialiste en littérature et civilisation françaises) et Haithem Haouel
C’était comme pénétrer un édifice noir pour s’y ressourcer. Oui ! Le noir comme couleur met en valeur la calligraphie attractive de Mohammad Bulifa, artiste visuel libyen qui perce en Tunisie. Focus !
«The Experiment», «The Observation», «The Conclusion», c’est ce qu’on peut lire en guise d’annonce ou de teaser du vernissage.
Trois termes clés qui invitent le public à découvrir sur 5 jours l’univers de «Bulifa». Expérience, observation et conclusion sont les mots-clés qui traduisent bien cette exposition, maintenue au «Modd Studio», un espace converti en salle d’exposition sur deux étages à l’occasion, situé à Bhar Lazreg.
Nous savons de «Bulifa» qu’il a déjà exposé sa première calligraphie en 3D, intitulée «Kawakéb» ou «Planète». Une installation qui n’est pas passée inaperçue. Il rempile ce mois-ci avec sa propre exposition personnelle, truffée de calligraphies, de différentes tailles et aux différentes couleurs. Son travail reflète son background, son savoir, sa culture initiale.
«Bulifa» réside en Tunisie depuis 2016. Ce n’est qu’en 2019, peu de temps avant la pandémie, qu’il décide de se consacrer à l’art de la calligraphie. Il fusionne ses touches contemporaines, avec différentes techniques donnant à ses propres œuvres calligraphiques une dimension saisissante, souvent attractive. Il y déverse diverses couleurs, rassemble peinture et art numérique, crée des traits, tantôt fins, tantôt épais et va jusqu’à inviter les visiteurs, présents sur place, au «Peeling d’une calligraphie». Son travail valorise les lettres arabes et possède un aspect traditionnel ambiant, tout en s’ancrant dans une époque actuelle moderne. «L’expérience, l’Observation et la Conclusion» sont les termes qui traduisent son processus de création. Ils peuvent être exprimés et vécus également par le visiteur.
«Bulifa» s’adonne à la mode, participe à des expos-ventes et jouit d’une visibilité importante sur les réseaux sociaux. Son vernissage et les 5 jours qui ont fait son exposition ont été accompagnés de sets musicaux et ont vu défiler une panoplie d’artistes tunisiens et libyens, toutes disciplines artistiques confondues.
L’Alliance française de Tunis, en partenariat avec le Montreux Comedy Festival, lance la deuxième édition du Festival de l’humour francophone «Normal Enti?!!» qui aura lieu à Tunis les 16 et 17 mars courant.
Placé sous l’égide de la francophonie et de l’humour, ce festival a pour ambition de rassembler le public autour de temps forts dédiés au divertissement et d’encourager de jeunes stand-uppers tunisiens. Fort du succès de la première édition, le festival, tout aussi «pimenté», revient avec un concours, deux masterclass et deux soirées, selon le communiqué de presse de l’événement.
Le jeudi 16 mars, à 19h30, à la salle le Rio, le festival propose une soirée intitulée «Jeunes talents, objectif Montreux», animée par l’humoriste belge Bruno Coppens. Sept talents auront l’occasion de participer au concours «Jeunes talents-objectif Montreux». Le finaliste pourrait se produire sur la scène du prestigieux Montreux Comedy Festival en Suisse.
Le vendredi 17 mars, à 19h30 au Colisée, une soirée stand-up avec Meniways (Imen Lahmar) (Alliance française de Tunis), Alexandre Kominek (ambassade de Suisse en Tunisie) et Gaëtan Delferière (délégation Wallonie Bruxelles en Tunisie). La soirée sera animée par l’humoriste français Kallagan. En plus des spectacles, le festival «Normal Enti?» se distingue par des rencontres d’échange et de réflexion autour de l’humour francophone. Le Festival de l’humour francophone propose ainsi des masterclass sur le rôle de l’humour et du rire, présentées par Bruno Coppens à l’Université de La Manouba et au Théâtre national.
Les dates clés à retenir sont celles du mardi 14 mars avec la Masterclass de Bruno Coppens à la faculté de La Manouba, le mercredi 15 mars : Masterclass de Bruno Coppens au Théâtre national, le jeudi 16 mars : Soirée «Jeunes talents-objectif Montreux» au Rio avec la participation de 7 artistes, et le vendredi 17 mars : Soirée «Normal Enti?» au Colisée, en présence de trois artistes. Les partenaires de «Normal Enti?» sont «Montreux Comedy Festival», l’ambassade de Suisse en Tunisie et la Délégation «Wallonie Bruxelles» en Tunisie.
Deux nouvelles ont retenti cette semaine sur les réseaux sociaux, ébranlant l’univers des arts et de la culture : la fermeture définitive de la salle de cinéma Amilcar à El Manar, après 8 ans de bons et loyaux services, et l’annulation de Mûsîqât, manifestation musicale tout aussi importante. Deux disparitions regrettables, révélatrices d’une détresse économique.
L’endroit et le rendez-vous musical possèdent leur public. Une notoriété acquise depuis bien après 2011. Le Cinéma Amilcar est opérationnel depuis 2015, sous l’égide du distributeur de films tunisiens «Hakka Distribution». Composé d’un noyau de jeunes passionnés, cinéphiles, engagés, «Hakka» est parvenu à créer une dynamique nouvelle dans le secteur cinématographique à travers la gestion d’au moins deux autres salles en Tunisie, celle de Menzel Bourguiba, et Cinémadart Carthage. Les salles prônent un cinéma tantôt commercial, tantôt indépendant, très varié. Cinéclubs, rencontres, masterclass, évènements musicaux, ciné-concerts ont fait partie intégrante de leur programmation. Cette salle était la plus prisée du côté d’El Menzah-Manar-Mutuelle-ville, et même du centre-ville de Tunis. La voir disparaître est une perte pour le cinéma, dans une époque où les salles se font rares.
Le communiqué est posté sur les réseaux par l’équipe «Hakka». L’équipe informe que le 12 mars 2023, la salle fermera ses portes. «Annonce importante, après une magnifique aventure qui a commencé depuis octobre 2015, notre collaboration avec la salle Amilcar se termine. Nous fermerons à partir du dimanche 12 mars et rendons la salle à ses propriétaires (…) Nous appelons les autorités compétentes et particulièrement le ministère de la Culture à se pencher sérieusement sur la situation des salles de cinéma. Ce secteur continue d’exister grâce au courage des exploitants et à leur passion, mais l’Etat doit prendre ses responsabilités pour préserver et faire avancer ce secteur, pilier majeur de la vie culturelle en Tunisie. L’aventure Amilcar s’achève là, mais notre dévouement aux auteurs tunisiens et aux cinéphiles se poursuit au Cinémadart Carthage et au Métropole à Menzel Bourguiba». Lit-on dans cette annonce.
L’équipe tente d’attirer l’attention des autorités et du ministère de la Culture, quant à la dégradation des salles de cinéma et de l’importance de les garder. Les exploitants rendent la salle à son propriétaire, après avoir essayé de surmonter les aléas économiques des deux dernières années, causées par la pandémie. La conjoncture globale du pays reste très critique. Cette volonté collective de maintenir et de sauver le lieu s’est dissipée, face à un ministère de la Culture indifférent, peu réactif. L’entretien des machines et du matériel n’est plus faisable. Les multinationales s’imposent également dans le paysage : elles possèdent une autonomie financière et ont davantage de moyens pour garantir leur fonctionnement. La concurrence est rude et les salles tunisiennes indépendantes voient de nos jours leur pérennité sérieusement menacée. Amilcar a consacré sa dernière semaine à un public désireux de (re)découvrir les plus grands films qui ont fait le succès de l’année 2022. Un marathon qui clôt en beauté un lieu dont on se souviendra longtemps. *
Une manifestation musicale à l’arrêt
Mûsîqât, évènement prisé et fédérateur de la scène musicale tunisienne, n’aura pas lieu aussi cette année. La nouvelle a déçu les plus mélomanes, public, musiciens et passionnés. D’après le communiqué de presse, repris par l’agence TAP et d’autres médias locaux, nous pouvons lire :
«Le Festival Mûsîqât, événement phare de la scène musicale traditionnelle et néo-traditionnelle, ainsi que de la musique du monde, ne pourra malheureusement pas être organisé cette année encore..."
Créé en 2006, en co-production entre Scoop Organisation et le Cmam, le Festival Mûsîqât a été le premier PPP culturel. Après plusieurs années de programmation de qualité, la direction du Cmam a finalement décidé de ne plus allouer de budget, malgré l’obligation contractuelle de cette institution de prendre en charge le budget artistique.
Malgré les efforts des co-organisateurs, le ministère des Affaires culturelles n’a pas réagi aux différentes sollicitations et problèmes persistants dans le secteur, probablement trop occupé (ou préoccupé) par la bonne douzaine de festivals qu’il gère et finance directement, faisant ainsi de l’ombre aux initiatives privées.
Les années 2022 et 2023 auraient dû être les années de reprise de Mûsîqât, mais il faut maintenant se faire une raison : la politique culturelle en Tunisie a d’autres préoccupations et objectifs.
"Nous sommes profondément attristés de ne pas pouvoir vous proposer une nouvelle édition de Mûsîqât cette année, mais nous tenons à remercier tous les artistes et les partenaires qui ont contribué à faire de cet événement un beau succès au fil des ans. Nous espérons que la situation évoluera favorablement et que le Festival Mûsîqât pourra renaître, probablement différemment, dans le futur pour le plus grand plaisir des amoureux de la musique traditionnelle et néo-traditionnelle ainsi que de la musique du monde». Lit-on dans le communiquée.
Deux disparitions provoquées par une politique culturelle précaire, fragilisée, au plus haut point, une crise économique suffocante, et sans doute par les conséquences de la pandémie. Prémices d’une agonie inévitable ?
« The Event of a Thread » est une exposition artistique faite en fils et textile. Elle a démarré en grande pompe le 27 janvier 2023 et reste accessible à « Central Tunis » et son espace le 15, jusqu’au 11 mars. Cet évènement co-organisé par « La Central Tunis », « Le Goethe Institut Tunis » et l’IFA nous raconte différentes histoires sociales, des récits singuliers d’artistes et constitue un dialogue entre l’Allemagne et la rive sud, le tout, dans une esthétique artistique qui valorise le patrimoine culturel d’ici et d’ailleurs. Inka Gressel, curatrice allemande de l’exposition, nous en parle davantage à l’occasion de son arrivée en Tunisie.
Que pouvez-vous dire à nos lecteurs à propos de l’exposition «The Event Of a Thread», organisée par le Goethe Institut Tunis et la « Central Tunis » et qui est ouverte au public jusqu’au 11 mars 2023 ? Pouvez-vous revenir sur sa genèse ?
Ces dernières années, un certain nombre d’expositions ont mis en exergue l’importance du textile dans l’art contemporain. Leur impact et leur popularité sont sans équivoque. Dans l’univers des Textiles, le traditionnel et le contemporain, les arts et l’artisanat, les connaissances locales et mondiales artistiques fusionnent. Les récits personnels et l’esthétique se mêlent afin de refléter les conditions sociales et économiques des sociétés dans un monde globalisé. Les textiles nous touchent toutes et tous à l’unanimité.
Lors de l’élaboration de l’exposition, Susanne Weiß et moi-même, Inka Gressel, nous nous sommes posé une série de questions — les questions sont toujours un point de départ important afin de concrétiser nos idées : Quelles informations le textile stocke-t-il ? Quelles histoires les tissus peuvent-ils raconter sur leurs origines, leurs significations, leurs utilisations matérielles ou Immatérielles ? Dans quelles conditions économiques et à travers quelles structures sociales les motifs et les divers langages se sont-ils développés au fil du temps ? Comment se transforment-ils quand ils traversent les cultures ? Comment les artistes peuvent-ils enrichir notre compréhension des textiles ? Quelles techniques s’approprient-ils ?
Ainsi, l’événement «The Event of a Thread. Global Narratives in Textiles» porte sur les œuvres textiles dans l’art contemporain, et revient sur des significations et des messages véhiculés par les tissus : leurs significations culturelles, ainsi que sur les façons de les lire. Dans les textiles, nous pouvons découvrir des codes, des symboles et différentes esthétiques. Un tissu révèle-il également quels matériaux sont importants ou comment les techniques migrent, se transmettent ou changent ?
L’exposition présente treize artistes contemporains internationaux d’Allemagne en dialogue avec des artistes locaux. Ainsi, les liens entre les différentes œuvres changent en fonction des espaces culturels dans lesquels elles ont vu le jour et ont pu être regardées. L’exposition vise à s’enraciner dans différents contextes, permettant ainsi l’émergence de nouvelles narrations. Il n’existe pratiquement aucune région du monde dans laquelle les textiles n’ont pas été inscrits dans l’histoire culturelle, économique ou industrielle. Ainsi, à travers cette matière vitale, nous pouvons créer des liens puissants.
Le titre de l’exposition — « The Event Of a Thread » ou « L’événement du fil » — est une citation de l’artiste du Bauhaus, spécialiste en tissu Anni Albers, qui l’a cité dans la préface de son célèbre ouvrage intitulé « On Weaving ». Ses réflexions sur les textiles nous ont interpelés par leur modernisme et leur poésie. C’est par le biais de l’événement — qui se veut matériel, spirituel, visuel — que nous pouvons redécouvrir ensemble des parcours, des personnes, des récits et des contextes, à l’échelle individuelle ou collective. L’histoire de l’atelier textile du Bauhaus joue un rôle important dans l’exposition. Nous avons invité l’artiste berlinoise Judith Raum à examiner de près l’atelier dans l’intention de l’intégrer à l’exposition.
Judith a fait des découvertes étonnantes. En six chapitres, l’installation, intitulée « Bauhaus Space », retrace l’histoire de l’atelier, à l’aide de reproductions de tissus et d’enregistrements de personnages importants tels que Gunta Stölzl et Otti Berger, de Weimar et Dessau, une période cruciale en Allemagne, celle située entre les deux guerres mondiales. Judith a créé un espace qui pousse les spectateurs à toucher et à sentir les matériaux, leur permettant ainsi d’apprécier leurs qualités artistiques.
Avant de vous avoir connue à Tunis en tant que curatrice de l’exposition « The Event of a Thread», vous faites partie de l’IFA, qui est co-organisatrice de l’événement. Pouvez- vous nous présenter brièvement l’IFA ? Quel rôle a-t-il joué dans la réussite de cet événement ?
L’IFA (Institut für Auslandsbeziehungen) a été fondé en 1917 à Stuttgart — dans le sud de l’Allemagne — en tant qu’organisation intermédiaire internationale qui promeut une coexistence entre les peuples et les cultures du monde entier. Nous considérons l’art contemporain comme un vecteur important du dialogue international. L’IFA organise des expositions d’art visuel, d’architecture, de design, de photographie.. etc. Les présentations monographiques et thématiques mettent en valeur des prises de positions d’artistes qui s’expriment différemment, dans une époque actuelle. Avec les expositions itinérantes internationales — comme « The Event of a Thread » — et les programmes d’accompagnement, nous créons des échanges entre les artistes et les institutions de partout et soutenons ainsi l’expansion des réseaux artistiques. Dès 2008, l’ifa s’est consacré à la question de la culture textile mondiale et de sa signification, socialement parlant. Avec le projet d’expositions, l’ifa a initié une plateforme de dialogue sur la mode, l’Afrique et sa diaspora. Comment la signification lue dans les tissus évolue-t-elle au cours des voyages, à travers différents contextes ? Les pièces de Zille Homma Hamid que nous exposons à Central Tunis / Le 15 sont une résultante de ce projet. En tant que co-directrice de la galerie IFA à Berlin et en collaboration avec la galerie IFA de Stuttgart, nous présentons les arts visuels issus d’un monde globalisé et qui puisent leurs sens dans les développements culturels et sociopolitiques actuels (Des axes à thèmes comme les héritages coloniaux dans nos sociétés contemporaines, les questions de migration, les mouvements sociaux ou écologiques sont traités…). Les séries d’expositions donnent un aperçu de ce qui se passe dans les sociétés du monde, dépassant ainsi les frontières.
Avec le programme « Contacts d’artistes « (titre traduit du français à l’allemand), ainsi qu’avec un programme de « Financement d’expositions «, l’ifa soutient la coopération internationale et met en contact les acteurs culturels au niveau international, consolidant ainsi le dialogue interculturel entre l’Allemagne et les pays du sud. Créer, des réseaux artistiques de la sorte, a permis de développer entre autres, cette exposition.
L’exposition a mis en valeur des artistes allemands autour de ce savoir – faire textile, mais également des artistes locaux tunisiens. Quels ont été vos critères de sélection et comment s’est-elle faite?
Les artistes allemands que nous avons invités viennent de cultures différentes. Ils créent à travers la vidéo, la peinture ou autres… De cette manière, nous mettons en exergue la qualité des textiles et la manière dont elle est travaillée, sa beauté et le contexte dans lequel cette matière s’est développée.
En collaboration avec des artistes et des galeristes et spécialistes locaux, l’exposition est enrichie par des œuvres d’art, des performances ou des actions qui donnent vie à de nouveaux récits pertinents, reliant ainsi l’exposition à la ville concernée et à ses textures. Les histoires liées au textile que nous pouvons découvrir dans cette «édition de Tunis» sont le résultat d’une collaboration avec les commissaires locales Emna Ben Yedder et Soumaya Jebnouni de la « Central Tunis ». Grâce à un appel lancé par le Goethe Institut Tunis, nous avons reçu un nombre considérable de candidatures.
Lors d’une visite effectuée en décembre, des commissaires d’Allemagne et de Tunisie, avec le chaperonnage du Goethe Institut Tunis — Andrea Jacob, la directrice et Souhir Buonomo, programmatrice culturel — nous avons demandé à un groupe d’artistes de présenter leur travail et leurs idées, ainsi que leurs visions. Par exemple, Abdesslem Ayed a fait usage de la broderie dans ses œuvres d’art, ce qui nous permet de nous rapprocher d’une pratique ancienne et quotidienne. Nous avons été fascinés par le va-et-vient spatial et temporel que l’on retrouve dans les œuvres d’art, en général. Oumayma Ben Hamza utilise également la broderie et nous a fait prendre conscience de la renaissance ou de la continuité. Dans son travail textile, Asma Ben Aissa crée des paysages impressionnants qui traversent les frontières et se connectent à d’autres que nous retrouvons dans d’autres œuvres, faisant partie de l’exposition. Ces mêmes œuvres puissantes sont pour nous une véritable découverte. Il en va de même avec les nouvelles pièces de Ferielle Doulain Zouari, qui travaille aussi bien avec des matériaux industriels que naturels. Elle construit des liens et créée un dialogue entre ces éléments opposés mais inhérents à l’histoire du textile. Gani Riza, un jeune designer textile basé à Paris, utilise les tapis et la tapisserie pour raconter l’histoire et les origines de sa famille kosovare-albanaise ; il questionne les traditions et souligne le « vivre ensemble » de deux cultures. Safa Attyaoui coud également des fils pour raconter l’histoire de la matière, liée à la famille. Enfin, je tiens à souligner ici l’œuvre révélatrice de Soufia Ben Said qu’elle a présentée lors du vernissage. C’était la meilleure façon de présenter au public ce que peut être un «événement fait en fils». Les tissus font l’architecture de notre corps. Ils nous protègent, nous abritent ; ils sont associés à l’identité, à la transgression, et nous permettent de communiquer.
Comment avez-vous vécu le vernissage de l’exposition à Tunis et en quoi était-il différent des autres pays ?
Il s’agit d’une expérience unique à Tunis qui a permis de valoriser le contenu de l’exposition d’une manière impactante et via une performance. Vous pouvez voir comment l’exposition devient un rempart via lequel il est possible d’établir un réseau local d’artistes avec leur travail autour du tissu, fait d’histoires, de pratiques singulières, d’un savoir-faire qui distinguent cette exposition.
Crédit photos : Hamza Bennour