«Rehla», signé Jamil Najjar, réunit une panoplie d’acteurs. Haut en couleurs et à l’humour décalé, ce court-métrage a interpellé l’attention d’un important public durant les JCC de 2022. Ces mêmes spectateurs sont sans cesse à l’affût d’un nouvel humour. Dans la lignée de «Ghasra» et de «Linge sale», ses précédentes réalisations, le réalisateur continue d’user de la comédie intelligente afin d’interroger un vécu, et bousculer. Rencontre au sommet !
«Rehla», votre dernier court métrage, a, à son tour, été vécu comme un voyage. Parlons-en !
Comme je suis de La Goulette, j’ai longtemps été marqué par ces véhicules qui passaient avec toutes sortes d’engins, d’accessoires, qu’on voyait en dessus : pneus, tuyaux, papiers… et différentes choses étranges. Le film tire son origine de ces scènes de la vie qui m’étaient restées en tête. Critiquer à travers l’humour m’a toujours attiré : un humour qu’on peut appeler comédie noire, burlesque, qui pousse à réfléchir… Le film est coloré, à l’image d’un pays beau, le nôtre. «Rehla» était, initialement, un long métrage que je n’ai pas fait, au final. Je n’étais pas prêt. Ce n’est pas aussi facile encore pour moi de retenir l’attention du spectateur pendant 1h30. Je l’ai fait donc en 26 min. Je l’ai remis prémonté pour les JCC de 2022, et il a été heureusement retenu. «Ghasra», mon précédent court, a raflé une quinzaine de prix à travers le monde, sans être retenu aux Journées cinématographiques de Carthage. Ce film se fraye différemment un chemin, et j’ai dû l’achever à distance, en post-production. L’avant-première m’a été proposée au « Red Sea Festival » mais j’ai préféré qu’il passe en Tunisie.
Vous vous êtes toujours distingué dans l’assistanat, et avez réalisé trois courts métrages et une sitcom télé. A quand le long métrage ?
C’est la prochaine étape. Etape par étape. C’est une question de moyens et créer un long métrage en Tunisie nécessite beaucoup de moyens et d’efforts. Je privilégie une bonne écriture et un bon casting. L’écriture, c’est la base pour aboutir à un film de qualité.
L’humour a toujours été votre dada. Pousser à la réflexion, à l’autocritique compte pour vous. Envisagez-vous de changer de registre prochainement ?
J’ai déjà travaillé sur des thrillers, des drames à l’étranger. Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise. Le cinéma pour moi est engagé : nous devons véhiculer des messages à travers le cinéma de l’humour. Le Tunisien suffoque, il veut se divertir. Je tiens à ce qu’il rie, et donc autant rire intelligemment. Le public de «Rehla» récemment a beaucoup ri. Quand ils ont terminé la projection, les spectateurs se sont rétractés, à nouveau. Ils ont ri jaune. La comédie est importante. J’adhère à un humour direct. Le film est retenu pour le Festival de Luxor en compétition officielle. Je croise les doigts pour un prix. Deux projections sont déjà programmées à Paris et à Marseille. Cet humour plaira aux Français et aux Tunisiens, résidant là-bas.
Vous avez campé des rôles par moment comme dans la série humoristique policière de Majdi Smiri «Bouliss». Préférez-vous être devant ou derrière la caméra ?
Après trois ans dans «Bouliss», pour moi, ce n’est pas rien. Je n’ai jamais pensé être acteur, malgré mes cinq ans à faire du théâtre au lycée avec Lassâad ben Abdallah. Je n’ai jamais voulu être devant la caméra. Le contexte, autrefois, m’a poussé à me lancer dans l’acting. On m’a demandé, à la dernière minute, d’incarner le rôle de «Mignon» dans «Bouliss». J’ai beaucoup hésité, je m’étais lancé et c’est sans regret. J’ai beaucoup travaillé le rôle, et la composition du rôle. La preuve, ça a duré trois ans. Etre acteur, je me vois le faire avec et pour des amis, mais ce n’est pas mon métier. J’ai joué le rôle d’un flic dans «A peine j’ouvre les yeux» de Layla Bouzid. Une expérience mémorable.
Jamil Najjar et la télé : vous avez à votre actif la sitcom «Le président», datant d’il y a 6 ans. Que gardez-vous de cette expérience?
La sitcom n’a pas reçu le succès escompté. A l’époque, elle a été même ignorée par les journalistes et les médias. C’était dur ! Je faisais le montage au fur à mesure et j’avais l’impression que ce travail passait inaperçu. Je l’ai pourtant bien écrit. J’ai bien fignolé le montage, le casting, l’écriture. Lors de sa diffusion, c’est comme s’il n’existait pas. Il n’y avait même pas eu de mauvaises critiques. Même les acteurs ont douté du projet. L’audience était plate. Même en ligne, des réactions émanaient de profils douteux, «Fake», et répétaient machinalement des commentaires. De nos jours, on ne parle plus d’un travail de qualité, ce sont les chiffres, les vues et l’audience qui priment. La diffusion ramadanesque est une erreur en soi : «Le président» nécessitait une plus grande concentration. Le public, pendant le mois saint, n’était pas apte à recevoir ce genre d’humour. Les téléspectateurs ne pouvaient pas être assez concentrés. Cet humour est en plus interrompu par la pub. Avec du recul, je dirais que mon traitement était peut-être un peu dur, moins accessible. «Le président» a été revu pendant le confinement, et il a fait écho, bien après sa première diffusion. «Attessia» l’a rediffusé récemment.
Quelle vision portez-vous sur le cinéma tunisien de ces 10 dernières années ?
J’apprécie beaucoup ce que la nouvelle vague fait. Au-delà de la subvention, il faut continuer à réaliser des films, même à petit budget. On a un gros problème de distribution. On est en manque profond de salles de cinéma. Les scénarios, les techniciens et les acteurs tunisiens sont les meilleurs dans le monde arabe. On a du succès dans tous les pays arabes, et partout où on passe. Même en Egypte, pays réputé pour son cinéma, on excelle. Pourquoi ne pas faire du cinéma commercial ? Le cinéma tunisien manque de comédies. Mais ce qui est préoccupant, surtout, c’est le manque de salles. Il faut en ouvrir davantage. Nous manquons de volonté pour ouvrir des salles de cinéma, qui sont actuellement concentrées à Tunis ou dans sa banlieue. C’est insuffisant. Il faut partir dans les régions et travailler sur un modèle économique fiable pour assurer la pérennité d’une salle de cinéma. Tant qu’on a des jeunes tunisiens qui montent, qui créent, qui sillonnent le monde et qui résistent, je reste confiant.
Quels sont vos prochains projets ?
Je ferai tourner «Rehla» dans des festivals à travers le monde. Je le donnerai à des associations, gratuitement, pour le projeter. Je viens de terminer le tournage du prochain film saoudien de Dhafer Al Abidine en Arabie Saoudite. J’ai réalisé un documentaire que je vais sortir prochainement «L’Armée blanche tunisienne», hommage au travail acharné des médecins effectué pendant la pandémie. Il a été tourné pendant le confinement général. Ce film est contre l’oubli. Il rappellera une période dure. Je n’ai fait qu’une seule projection pour les médecins à l’IFT. Il a été très bien reçu. La sortie est pour bientôt. J’ai écrit une sitcom «3 Cats», mais pas pour la télé.
Du matin jusqu’au soir, 7/7, «Livre Plus» accueille adolescents, collégiens, lycéens, mais aussi adultes, depuis son ouverture. Se retrouver au milieu des livres pour réviser ou lire, dans un cadre aussi convivial, n’est pas courant dans cette zone touristique.
Situé en plein centre-ville, dans l’ancien centre commercial de Hammamet (autrefois très prisé), un ancien artisanat est désormais converti en adresse dédiée aux bouquins nouveaux… à acheter, mais également à consulter sur place. Fort attractif par sa calligraphie, faite tout en couleurs sur sa façade, et sa signalétique, en vert, posée au bon endroit, «Livre Plus» draine une clientèle, majoritairement jeune à l’affût du moindre endroit où se poser pour étudier ou réviser… Loin des cafés enfumés, ou de la bibliothèque «vieillot» de la ville.
Erige H., 19 ans, tient à y être presque tous les jours, surtout en pleine période des vacances/révisions du mois de décembre. «On travaille mieux ici, plus qu’ailleurs. Le cadre est convivial, motivant, c’est sans fumeurs, la musique berce en douce, les livres renforcent cette ambiance studieuse, et les cafés, jus et autres sucreries ne sont pas chers. L’Internet marche bien». Déclare l’étudiante en première année, dont l’opinion fait écho à de nombreux autres adhérents. Ce café littéraire et culturel se compose d’un espace d’accueil principal, avec livres et petits tableaux, et couleurs qui occupent et donnent vie aux murs. Un accès par des escaliers, à un étage au sous-sol, est bien plus calme, loin du brouhaha. Il ressemble davantage à une bibliothèque classique, et où c’est plus plaisant d’y être… mais en silence.
Les livres disponibles sont nouveaux : classiques, sorties nouvelles, fantaisie, best-sellers sont à se procurer ou à lire sur place. L’espace permet à sa clientèle de consommer et d’y être, normalement, au quotidien. Des abonnements peuvent aussi se faire à 40 dt le mois, avec 10% sur la consommation et l’achat des livres (une formule plus économique).
Le lieu a accueilli un café littéraire autour de la migration clandestine, organisé par l’association JAT Hammamet, animé par la journaliste Zeyneb Gueddiche et en présence de l’acteur Mhadheb Rmili. Ce dernier, étant l’un des acteurs principaux de la série tunisienne «Harga» dans ses deux saisons, et qui a traité de cette thématique épineuse et plus que jamais d’actualité. Un débat s’est déroulé avec les jeunes présents, et d’autres évènements de cette envergure auront lieu pendant l’année 2023. «Livre Plus» est visible sur les réseaux sociaux et est une richesse dans une cité où la vie culturelle manque de dynamisme. Il peut accueillir étudiants, adultes de passages, employés, ou adeptes du télétravail.
Sur une dizaine de jours, visiteurs de passage et citoyens hammamétois ont pu découvrir les tableaux d’un groupe de 6 artistes méconnus, mais désormais émergents. Ils ont la vingtaine, sont étudiants, issus des beaux–arts, et ensemble, ils ont fait de leur passion pour la peinture et de leur savoir artistique une exposition collective titrée « Mon identité ».
C’est sous la houlette de « l’Association Amis Dar Sebastian » que les artistes exposants Aymen Nbili, Nihel Sayenni, Zino Maayoufi, Anas Fajraoui, Amessi Ferchichi et Belhassen Oueslati ont pu présenter leur travail en accès libre à leur entourage, y compris académique, mais aussi à un public plus large et à des citoyens de Hammamet. « Mon identité » s’est tenue à l’ASM (Association de la sauvegarde la Médina) de Hammamet. Son emplacement stratégique en plein centre a drainé du monde. L’association organisatrice « L’association Amis Dar Sebastian », n’ayant pas pu s’organiser à « Dar Sebastian » même, a dû opter pour un autre endroit, qui épouse tout autant la thématique de l’exposition.
L’événement s’est lancé en présence d’un musicien violoniste et d’une ribambelle d’invités. A travers une mini-déambulation dans l’enceinte de l’ASM, le visiteur parvient à cerner rapidement le thème récurrent au fil de quelques tableaux. Il s’agit d’un hommage à la ville, à travers une réesquisse de ses paysages les plus emblématiques, de sa médina arabe, de ses ruelles. Nous rencontrons quelques silhouettes qui nous sont familières, ou qui rappellent d’autres profils qu’on a pu connaître en vrai ou dans d’autres œuvres. «Mon Identité » laisse libre cours aux inspirations.
A travers le graphisme, la peinture et le design, les 6 artistes ont redoublé d’effort afin de pouvoir exposer ce qu’ils tenaient à montrer à temps. Pour bien clôturer l’expo, un atelier d’initiation pour les enfants et pour les jeunes à la pratique des arts s’est déroulé dans l’enceinte de l’endroit, chapeauté par Nihel Sayenni, une des participantes.
Les 6 artistes participants préparent en ce moment même masters et doctorats. C’est dans le cadre d’une activité de « l’Association Amis Dar Sebastian » qui œuvre pour l’organisation d’activités culturelles et artistiques au sein des établissements scolaires dans la région, qu’ils ont été repérés et rassemblés autour de « Mon Identité ». Les artistes ont déjà participé à des expositions et événements divers. Ensemble, ils ont conçu l’affiche, la thématique et l’atelier qui a suivi.
Une lumière sublime les créations de Hassene Jeljeli depuis le 9 décembre à la galerie « Musk and Amber ». « RAW», son exposition solo, est accessible encore au public jusqu’au 31 décembre 2022, désireux de découvrir les créations du jeune designer, architecte et entrepreneur.
Dans « RAW », qui signifie littéralement « Cru » en français, les créations de l’artiste épousent parfaitement les coins, recoins et murs de la galerie « Musk & Amber ». Le titre fait référence à la matière, déformée, transformée de Hassene Jeljeli, et qui donne lieu à des pièces uniques. L’acier se mélange au marbre, au bois, au fer, aux verres et donne vie à des meubles, tables, chaises, luminaires et autres créations attractives, certaines plus que d’autres.
D’un coin à un autre, dans l’enceinte même de la galerie, les pièces sont exposées, présentées séparément, mais en harmonie : une rudesse se sent au fil de son œuvre complète, forte de sa finition. L’artiste n’a pas hésité à concevoir des objets hybrides, en mélangeant bois, marbre, acier perforé. Le tout, exposé en brillance. « RAW » puise sa force des matériaux cités et qui existent en quantité en Tunisie. Via une approche structuraliste, Hassene donne vie à des meubles et luminaires, fort attractifs.
«Depuis 2016, je travaille sur le design d’où ma marque ’’JK Lighting‘‘. ’’RAW‘‘ est une occasion de présenter mes créations au grand public dans le cadre d’une exposition solo », déclare Hassene Jeljeli. L’exposition est une rétrospective de son travail effectué depuis 6 ans et est un clin d’œil à l’architecture d’intérieur du Show-Room d’Anissa Aida, styliste-modéliste et également son épouse. « Comme je lui ai créé tout l’immobilier en bois, je me suis dit pourquoi ne pas intégrer le nom d’Anissa Aida dans l’expo, par l’immobilier », précise Hassene Jeljeli.
«Raw» ou « Cru » se réfère à une approche propre à l’artiste, brutaliste. A la vue des objets et des collections, on saisit son processus de création, sa genèse au fil des collections présentées, citons, à titre d’exemple, la collection X², faite avec 3 lampes différentes en 3 formes, avec trois matériaux distincts, tel un trio fait en toile perforée, marbre ou en bois. Une autre collection s’appelle « Iron Lamps » : il s’agit de la réinterprétation d’un lampadaire « chinois », revisité avec la même technique de la toile perforée. Une 3e, s’intitule « Four By Four ». Sans oublier, la touche «Noël », d’où l’installation d’un sapin, grandeur nature.
Hassene remporte le prix du talent émergent de la « Tunisia Design Week », 3 fois, successivement en 2019, 2020 et 2022, et s’est fortement distingué dans l’édition la plus récente de la compétition internationale « Lighting Design, Lamp 2022 ».
Mabrouk Elkamel, alias « Bzaow », offre une déflagration de formes et d’organes à travers ses œuvres exposées dans « Autoportrait », titre de son exposition personnelle, maintenue à la galerie Alexandre Roubtzoff-La Marsa jusqu’au 3 décembre 2022. La galerie-espace d’enchères fête, cette année, son 8e anniversaire.
On est comme happé dans un ramassis de détails, rocheux, colorés ou organiques. Des objets ? Des formes éclatées ? Des corps humains dépecés ? Des figures animalières ? Autant de composantes identifiables ou presque font les tableaux de « Bzaow », qui se laissent lire, ou interprétées différemment. « Autoportrait » est une succession de tableaux inédits émanant d’un inconscient personnel, mais qui raconte le collectif. L’artiste fusionne plusieurs fragments, dans un seul cadre, en usant de plusieurs techniques : encres sur toile, à l’origine des taches et des mouvements perçus. De l’eau, des minéraux, et des cristaux salins sont perçus.
Ses toiles racontent son imaginaire, des parcelles d’histoires personnelles, des scènes de vie ou des souvenirs fragmentés, déformés, reflétés dans une narration picturale propre à « Bzaow », parfois saisissable ou pas. En effet, quelques œuvres prennent sens, d’autres sont éclatées. À première vue, son travail paraît chargé : il interpelle, attire souvent, et parfois repousse, mais, à y voir de plus près, il se laisse lire, et aspire le récepteur dans les confins d’un vaste subconscient.
L’univers « Bzaow » se traduit via son acte de création distingué, qui donne lieu à des formes souvent organiques, parfois géométriques, primitives. Son œuvre est truffée de symbolisme et relate des comportements humains ou bestiaux, un vécu collectif, une expérience sociétale, un imaginaire social. Toutes ces parcelles forment des tableaux porteurs d’histoires inachevées, suspendues dans le temps, en perpétuel devenir. Des attributs féminins, masculins, ou hybrides prennent forme, vivent même dans un cadre, disparaissent, et reprennent forme différemment dans un autre. « Autoportrait », cette expo personnelle, est atemporelle : elle oscille entre « rationnel » et « abstrait », « Dynamisme » et « statisme ». L’artiste raconte autrement et à sa manière le « cycle de la vie humaine ».
Mabrouk El Kamel est né à Sidi Bouzid en 1980. Après une maîtrise en beaux-arts (spécialité sculpture) obtenue à l’École des Beaux-Arts de Tunis, il participe à plusieurs expositions collectives en Tunisie et à l’étranger. En 2019, il effectue une exposition personnelle de son travail à Strasbourg. En 2020, il est choisi parmi les 18 finalistes du « Yicca Art Prize ». Connu aussi sous le pseudonyme « Bzaow », il travaille en parallèle au « Centre international d’études, de recherches, de documentation et de formation sur le handicap».
Omar el Ouaer est pianiste jazz et compositeur. Il participe à une tournée musicale unique dans son genre aux USA, depuis octobre 2022, et s’apprête à concrétiser de nouveaux projets. Dans cet entretien, il nous parle de son actualité et lève le voile sur une scène jazz tunisienne en agonie.
Crédit photo : Mehdi Hassine
Vous avez entamé une tournée musicale aux USA et qui se poursuit prochainement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le leader du projet est bien Yacine Boularès. Il a eu l’idée en 2021, en plein Covid, de créer un groupe de jazz tunisien, qui ne fait pas vraiment du jazz, mais il le mixe à des sonorités tunisiennes. Il y a eu du rap en arabe littéraire, des chansons écrites par Nesrine Jabeur et la musique composée par Yacine. Yacine est saxophoniste, basé à New York. Il tenait à mettre en lumière cette génération de musiciens tunisiens qui a émergé, et pour lui, c’était une manière de montrer que cette musique s’exporte très bien à l’étranger aussi bien aux USA qu’en Europe. On a passé une année à travailler. On a tenu bon, malgré la pandémie… Yacine nous a décroché une petite tournée en octobre 2022 : on a participé à un festival en Côte d’Ivoire et enchaîné avec une première partie aux USA en octobre 2022 : on a fait New York, Duke University, New Jersey. C’était une mini-tournée de 4 dates qui s’est bien déroulée avec une résidence artistique. La 2e partie se fera en janvier 2023. On est 7 musiciens : moi-même au piano et au Keyboard, Jihed Bedoui à la basse, Youssef Soltana à la batterie, Hedi Fahem à la guitare et au Ouatar (instrument tunisien traditionnel), Nesreddine Chebli à la percussion, le rappeur Mehdi WMD, Nesrine Jabeur au chant et, bien sûr, Yacine Boularès qui chapeaute.
Comment percevez-vous la scène Jazz actuelle en Tunisie ?
D’habitude, je suis très optimiste. Ces derniers temps, il y a un effet étrange qui persiste… Post-Covid, peut-être ? On constate qu’il n’y a presque plus d’endroits où jouer de la musique live. Il y en avait beaucoup avant, mais plus maintenant. Les musiciens passent par une phase critique, faute d’endroits où jouer. Financièrement, c’est aussi la chute libre. Ce qu’on vit en ce moment est dérangeant, pénible, dur. Ce n’est pas les lieux qui manquent pourtant, mais presque aucun ne veut ouvrir ses portes à la musique Live. Cette baisse drastique de lieux où se produire est inquiétante. Notre communauté n’est pas unie : elle s’agrandit pourtant, mais elle est divisée. Le jazz club de Tunis nous réunissait avant… ça donnait de l’impact. Cela nous a donné plus de visibilité. Mais on n’a pas su créer une plateforme qui nous rassemble. La génération actuelle n’a pas où se produire, où apprendre. Il y a beaucoup de facteurs annonciateurs d’une crise de la scène jazz. Il faut s’interroger encore sur ce qui cloche. Les médias devraient encore plus nous soutenir. C’est aussi de notre faute : on ne fait pas assez d’efforts. Je vais lancer un appel aux musiciens prochainement pour essayer d’y remédier. Notre but suprême reste de soutenir la scène locale qui, actuellement, agonise. Il faut trouver une solution tous ensemble en impliquant les propriétaires des clubs, médias, public, musiciens. Il y a un gros malaise : en tant que tunisiens, on a besoin de cette scène. On est oublié par l’Etat et la Cité de la culture. On existe pourtant ! La Tunisie a toujours été une terre de jazz : le festival de Tabarka l’atteste. Le festival de Carthage, dans sa première édition, était jazz. (Très peu de gens le savent). Toutes les icônes du jazz mondiales sont passées par la Tunisie… Aux USA, récemment, les Américains étaient surpris de découvrir notre musique et notre patrimoine. Il y a un potentiel énorme, mais l’Etat ne veut rien voir. La transmission doit se faire de génération de musiciens à une autre. Il faut être rassembleur, fédérer et s’accrocher encore de nos jours.
Avez-vous des projets à venir ?
Je travaillerai en trio pour mon prochain disque. Le 3e. Les deux autres sont sortis en 2014 et 2019. Deux musiciens sont venus en Tunisie pour une résidence : Guilhem Flouzat et Clément Daldosso. Ce projet musical qui verra le jour bientôt est soutenu par l’Agora et l’Institut français de Tunisie. Actuellement, je cherche à l’enregistrer à Paris en 2023. Je fais partie aussi d’un Quartet en Tunisie. Tous les quatre, on a joué dans le cadre du 18e Sommet de la francophonie à Djerba. C’était dans un musée traditionnel : c’est l’Agence du Patrimoine qui nous a contactés. Je prépare, depuis, un projet avec cette même agence qui vise à promouvoir les musées de Tunisie à travers la musique, comme une tournée afin de les faire connaître. Je suis à la recherche de soutien financier. L’idée, c’est de faire tourner un projet musical dans les musées et les sites archéologiques tunisiens. J’essaie aussi de monter un projet de workshops de jazz qui viserait à créer une rencontre entre des musiciens américains professionnels et des musiciens tunisiens. Je cherche des fonds pour cela. En tant que musiciens, on a appris dans des stages auparavant : l’idée est de continuer à initier la nouvelle communauté à la musique jazz. C’est utile pour les jeunes artistes montants qui n’ont aucun environnement où apprendre, qui ne savent pas où se produire, où pratiquer. Le fait de monter un projet actuellement en Tunisie est difficile, et travailler avec l’étranger revient aussi cher, mais nous le ferons.
Faire d’un âne le protagoniste central d’un long métrage est un challenge de taille hautement relevé. Jerzy Skolimowski, dans sa dernière œuvre polonaise en date, a offert à son public une errance inédite sur grand écran. Arrêt sur «Eo», prix du jury à la 75e édition du Festival de Cannes.
«Eo», titre intriguant pour un film à l’affiche attractive et juvénile, pourtant, la portée de l’œuvre dépasse l’attendu : elle est universelle, dure et prône une cause juste. Le public est imbibé par des plans attrayants, ceux des lieux où a navigué sur 1h25 «Eo», l’âne : brave et résistant.
Le film est une ouverture vers le monde, vu à travers les yeux de cet animal : Il erre dans un monde injuste, dangereux, enchaîne les rencontres bienveillantes et malveillantes, esquive les dangers, fait l’expérience du bonheur, et du malheur. Sa bonne étoile l’accompagne, et son éternelle innocence le rend attachant. En se basant, sur sa thématique engagée pour la cause animalière, cette fiction, à bien des égards, fait de l’ombre à d’autres films, présentés simultanément, dans la même section cannoise ou dans d’autres.
La fiction, à la structure narrative éclatée, est signée par un maestro de 84 ans. Une proposition, qui marque un renouveau et casse avec le classicisme au cinéma. «Dixit» le Storytelling connu, place à une nouvelle expérience sensorielle et visuelle revigorante.
Son sens de la transgression, son audace ont peu d’équivalence dans le cinéma contemporain. Tel un itinéraire, le film est vécu comme à dos d’âne, confronté à des situations glissantes, exaltantes, douces-amères, voire violentes. «Eo» est une errance ponctuée d’égarements, discontinue et peu éloquente par moments. L’anthropomorphisme est présent dans l’œuvre qui rend hommage à un animal au tempérament unique, à la patience légendaire, à la grâce effacée aux yeux des humains. L’apparition d’Isabelle Huppert fut brève mais solaire. Ce coup de sabot d’«Eo» fait écho au génie de Skolimowski. Le film est une allégorie insoutenable de la folie humaine.
L’édifice ne manquera pas de taper dans l’œil des passants. La 3e librairie «Al Kitab-Mutu», située en plein centre du quartier de Mutuelleville-Tunis, est désormais accessible aux clients, passionnés d’expositions d’arts, et d’intellectuels, à l’affût de nouveautés littéraires.
Dans la lignée d’«Al Kitab-Avenue Habib-Bourguiba, Tunis», et «Al Kitab-La Marsa», cette troisième adresse voit le jour, en ayant une structure nouvelle, plus spacieuse, réservée à d’autres activités : expositions de tableaux, clubs divers à vocation culturelle et artistique auront lieu désormais sur place et l’espace est conçu afin de tout abriter, y compris la vente importante de livres. Ce même univers s’étend et devient ainsi plus attractif, de par sa conception et son contenu. Cette adresse unique tend, en effet, à faire évoluer le concept de librairie, et le présente comme étant un espace de vie fait de zone d’animation, de galerie et de café.
L’enseigne «Al Kitab» ambitionne de concevoir un lieu de vie qui rime avec art et accès aux livres, à faire perdurer l’histoire d’Al Kitab (qui dure depuis 1967) et tient à être en phase avec son époque, à se distinguer. Cette nouvelle adresse dynamisera le secteur du livre en Tunisie, aux prises souvent à des difficultés.
Une douzaine de personnes veilleront à dynamiser le lieu, qui s’étend sur 400 m2, constitué de 3 étages, consacrés à la vente de livres, aux expositions artisanales et artistiques et à un «Rooftop», qui fait office de café/restaurant. Priorité à la langue française : «Al Kitab-Mutu» met à la disposition de sa clientèle 75% d’ouvrages en langue française, 15% en langue arabe, 8% en anglais et 2% en d’autres langues. 40 rayons en tout sont consacrés à la vente d’ouvrages : près de 250 éditeurs y seront visibles. Cette nouvelle Mecque du livre est désormais ouverte 7/7 jours. Sa conception est moderne : elle répond à des normes internationales et à des attentes, dans l’air du temps. Au moins, 4 événements ponctuels verront le jour chaque semaine : la programmation oscillera entre dédicaces et présentations de livres, expositions d’art et de tableaux, conférences, vernissages, ateliers, y compris pour les enfants. Le lieu sera visible sur les réseaux sociaux. Il vise à être au maximum attractif, et soutient la vente de livres sur place, plus que l’achat en ligne. Gérants / propriétaires de l’endroit cassent ainsi avec le format classique connu des librairies, et en font un lieu de vie. Toute la programmation en continu est présentée sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram.
Comme son titre l’indique, ce film court de Rami Jarboui nous plonge de nuit, dans une cité glauque, amochée par la crise économique, en plein délitement et où l’étrange y règne dans chaque coin de rue. Cette étrange cité n’est autre que la capitale «Tunis». «About the Strange City » est une version courte tunisienne revisitée de l’œuvre originale d’Abdeljabbar Eleuch «Les incidents de la ville étrange».
Bienvenue dans un «Tunis by night» qui n’a rien de festif : un Tunis de nuit lugubre, peuplé par des âmes errantes : ivrognes, mendiants, citoyens lessivés de passage, écrasés par un quotidien lourd, travailleurs de nuit, couples amoureux discrets et frustrés, vivants sur cette mythique artère principale de la capitale, appelée couramment «l’Avenue». Toutes et tous défilent à une heure tardive, par un soir caniculaire. Ici est l’endroit où se dérouleront des événements surréalistes, propres à une ville étrange.
Ce court-métrage a un cadre spatial qui est mis en abîme : un grand lieu, grande avenue «Habib-Bourguiba», qui abrite ce bar iconique, bondé d’hommes, où se déroulera la quasi-totalité des événements. «L’univers», ce bar du centre-ville, traversé par mille et une histoires au quotidien, verra entrer Salah, un client fidèle de l’endroit, qui après s’être abreuvé de bières, et lu son journal, décide de rentrer… Mais n’y arrive pas. L’homme est collé à sa chaise, incapable de se lever. Tout le monde l’entoure pour lui trouver une solution et le décoller de son siège. Une cacophonie se déclenche et une agitation aigrie des gens autour se fait sentir… face au désespoir de ce dernier, qui ne comprend pas ce qu’il lui arrive.
Le spectateur ne tardera pas à saisir la dimension métaphorique du film, mais propre à un lieu plus vrai que vrai, à l’ambiance réaliste faite de noirceur nocturne et d’insécurité. L’image est hyperbolique : elle raconte un pays qui broie du noir, rongé par une crise économique et sociale profonde, meurtri par les ego de ses dirigeants, accrochés au pouvoir.
Des leaders, qui se font chasser par un peuple qui rage, qui s’impatiente, au bord du désenchantement… Mais dans «About The Strange City», ce sont les artistes et les intellectuels qui sont visés et dont l’agonie se fait sentir. Leur précarité fait écho à leur souffrance, et à leur désarroi. Ils sont sujets à des persécutions, subissent censure et atteintes et sombrent progressivement dans un abîme sans fin. L’image esquissée dans le film crie d’une manière singulière une détresse. Rami Jarboui la filme durant 18 min, à travers ce court remake, porteur d’une réflexion. «About the Strange City» est un essai métaphorique. Une adaptation sur grand écran présentée pour la première fois dans le cadre de la section «Adaptations» lors des Journées Cinématographique de Carthage 2022 et produit par «Key Prod».