Le nouveau-né des festivals en Tunisie démarrera sur les chapeaux de roues le 13 octobre 2022 et se poursuivra sur 2 jours à la Cité de la culture de Tunis. Intitulé et identité graphique décalés annoncent la couleur de ce Festival de l’humour francophone, qui aura lieu dans sa première édition.
Drôlement titré «Normal Enti ?», au moins quatre humoristes français s’empareront de la scène, face au public. A l’affiche, Mr Nouar, Bruno Coppens, Adel Fugazi et le duo Balla Diop-Willy de Rescap’Art. Maintenue en partenariat avec le «Montreux Comedy Festival», l’Ambassade du Sénégal à Tunis, l’Ambassade de France à Tunis et la Délégation Générale de Wallonie-Bruxelles Tunis, l’édition fête l’humour francophone. L’objectif du festival est de s’ouvrir sur le monde et sur des cultures variées à travers la francophonie et de le faire à travers l’humour sur scène. Un moyen, parmi d’autres, de pousser à la réflexion, d’interroger l’existence de la francophonie, sa pérennité et sa richesse culturelle. Ce rendez-vous de l’Humour francophone programme pour ses conviés une masterclass sur «Le rôle de l’humour et du rire» présentée par Bruno Coppens, et une table ronde autour de «l’humour», organisée en partenariat avec l’Union des Ecrivains Tunisiens.
Dans une conférence de presse, Mohamed Aissaoui, président de l’Alliance française de Tunis, revient sur les rôles majeurs que tient l’AFT dans l’éducation francophone en premier lieu, et ce, à travers ses cours, ses examens et ses certifications agréés, mis à la disposition de tout adhérent pendant l’année et l’accès à la médiathèque. Et en second lieu, l’AFT mise également sur la culture d’où l’organisation de ce festival, entre autres accomplissements à vocation culturelle. Elle a déjà fixé quatre rendez-vous culturels par an : le «Cinémana», organisé récemment à la Cité de la culture, autour du cinéma, un deuxième rendez-vous avec le livre africain, un troisième plus généraliste avec «Les amis du Belvédère» et ce nouveau-né intitulé «Normal Enti ?», consacré à l’humour francophone. «Nous tenons à ce que la langue française s’intègre dans la culture locale et à ce qu’elle se mêle au dialecte tunisien. C’est une manière de la démystifier et de lui permettre de reprendre sa place, sans populisme et sans aucun complexe», cite Mohamed Aissaoui, en commentant l’intitulé du festival «Normal Enti ?», expression purement tunisienne répandue.
Faycel Mezhoudi, directeur de l’AFT, souligne cette volonté de créer la réflexion autour de l’humour à travers ce festival, qui sera désormais annuel. L’AFT est une fusion des cultures francophones valorisées. La masterclass tenue par Bruno Coppens se tiendra à la Faculté des Lettres de La Manouba. Le public aura droit pendant la première soirée, à deux spectacles tenus successivement par Mr Nouar et Bruno Coppens, spécialiste belge de l’humour. La seconde accueillera Adel Fugazi et le duo Balla Diop et Willy. La 2e édition aura lieu en mars 2023, simultanément avec «La Semaine de la Francophonie».
L’immersion s’est faite chez lui : une adresse à l’abri des regards, de l’extérieur ordinaire, mais qui fait office d’atelier, galerie et lieu de création pour Mehdi Benedetto, artiste spécialiste en mosaïque et sculpteur. C’est ici même qu’il accueille toutes celles et ceux désireux de découvrir son art.
Nous traversons un verger pour accéder dans l’antre de l’artiste, décoré par de nombreux objets conservés, comme des huîtres, des pierres semi-précieuses, des souvenirs divers, dénichés lors de ses sorties en mer ou dans la montagne. Quelques créations sont conçues à la main. Il faut savoir qu’ailleurs de chez lui, l’unique thébaïde de l’artiste reste la nature.
Les artisans sur place, maniant la pierre, construisent des œuvres et font des reproductions d’œuvres connues. Des vasques imposantes faites avec de la pierre très spéciales sont exposées. Des œuvres conçues grâce à des techniques mélangées rendent le résultat final très fin. Le marbre reste très présent et visible dans toutes les créations de Mehdi Alexandre Benedetto : des œuvres à l’allure imposante, très attractives : tables, vasques, miroirs, poutres, qui trouveront probablement leur place dans des constructions somptueuses. Son salon est couvert d’œuvres exposées, dont une qui vient de voir le jour après 8 mois de travail acharné et de concentration: la pièce contient 16.000 pierres minuscules. Mehdi Benedetto est une valeur sûre à l’étranger : souvent, il a été désigné pour décorer les vitrines d’Hermès et a livré à cette marque mondiale de maroquinerie, de prêt à porter, de parfums, de mode et de joallerie de nombreuses commandes, en travaillant en étroite collaboration avec feu Leila Menchari, décoratrice d’Hermès, et ce, depuis plus d’une dizaine d’années.
La conception de ses créations, suggérant socles et consoles, entre autres, les rend puissantes et uniques. Benedetto profite de ses évasions et de ses moments de communion avec la nature, dans les sites forestiers, montagneux ou sous-marins, pour y puiser la matière nécessaire à son inspiration et à son travail distingué. Il a longtemps baigné dans diverses cultures, issues de ses origines et influencées par ses voyages. Initié à la sculpture depuis son plus jeune âge, il entretiendra sa fascination pour la pierre très tôt. Il a été diplômé de l’Ecole d’art et de décoration de Tunis, et c’est en enchaînant les expériences qu’il nourrira son savoir-faire. Il accumulera, ensuite, les petits projets personnels : sa participation en tant que décorateur sur des plateaux de tournage de cinéma et au théâtre l’enrichira… Début des années 2000, il se fera un nom en faisant partie des trois meilleurs artistes artisans tunisiens. Il écumera les expositions personnelles et collectives en Tunisie et en Europe : la galerie Sema, Viaduc des Arts à Paris, la fondation Luciano Benetton, Hermès le connaîtront… Benedetto a également participé dans l’exposition collective « Turbulence » et dans l’édition d’un prestigieux concours d’art contemporain le « GemlucArt ». Passionnés d’arts ou collectionneurs peuvent se rendre à son atelier situé à Gammarth supérieur pour découvrir son univers.
Les grands oubliés de cette crise, ce sont bien les artistes. Tout un secteur est à l’arrêt face au silence assourdissant de l’Etat. Divers festivals, dont principalement ceux de Carthage et de Hammamet, étaient la planche de salut pendant l’été pour de nombreux artistes tunisiens programmés, pourtant ils ont tous rimé avec suspension, report et annulation. Le problème n’est pas la crise sanitaire, il remonte même à bien loin …
Leïla Toubel, comédienne : «Nous vivons un changement global à la racine en Tunisie. Je considère que l’annulation de tous les festivals cette année ne peut pas sortir du contexte général et spécifiquement politique : cette politique qui laisse les artistes pour compte. Il y a une sorte de non-considération de l’artiste. Pourquoi ? Parce que dès le début de la crise sanitaire, le secteur de l’art et de la culture était le premier à subir de plein fouet ce revers et à mettre les clés sous le paillasson. Les premières manifestations ont été annulées depuis mars 2020. Ensuite, il y a eu résistance et maintien de quelques manifestations puis, rebelote… On ne peut pas parler aujourd’hui de l’annonce de l’annulation du festival de Carthage et de Hammamet sans évoquer une politique qui a essayé par tous les moyens de massacrer et de détruire ce secteur artistique depuis déjà longtemps.
Au bout de 10 ans, le covid-19 a été le cadeau tombé du ciel pour anéantir complètement ce secteur, qui reste important, vital aux yeux de toutes celles et ceux qui croient en la culture. Ce qui me dérange aussi et ce que je crie haut et fort, c’est que ces jours-ci, on ose encore poser cette question : que va faire l’artiste aujourd’hui ? La résistance des artistes n’est pas occasionnelle ou contextuelle, nous avons toujours été en première ligne de mire… et nous ne réagissons pas à la demande. Nous sommes loin d‘être simplement réactifs. J’ai envie de dire à beaucoup : le problème, ce n’est pas uniquement l’annulation des festivals. Dire cela, c’est vraiment se voiler la face.
Le secteur est, en effet, paralysé depuis 2011, et il est toujours aussi figé pendant la crise sanitaire. Comment peut-on oublier la prise d’assaut du cinéma Africa en 2012 ? Comment peut-on oublier les artistes persécutés d’El Abdalia ? L’agression des artistes de théâtre sur l’avenue Habib Bourguiba ? Feu Najib Khalfallah qui a subi une grande pression et même une agression physique pour changer l’intitulé de son spectacle ? On ne peut parler d’une simple annulation alors qu’il y a toute une machine à l’arrêt depuis au moins une décennie. Résultat de la politique de Ben Ali. Nous sommes éloignés et écartés. Sur le terrain, je tiens à préciser que la santé des spectateurs passe avant tout.
La première de «Yakouta» était attendue au festival de Carthage. Ce n’était pas rien. C’est très dur. Je suis blessée, écorchée. Aucune politique ni accompagnement n’a eu lieu pendant la crise sanitaire. L’artiste est citoyen. Aucune vision politique ou économique n’a été présentée. On n’est pas là pour divertir comme l’a dit Mechichi. L’art est un métier. Ma colère est incommensurable face à ce silence est ce mépris. On n’a plus le droit de « bricoler » et s’il y a une révolution socioéconomique en marche, elle est forcément culturelle aussi. Les artistes ont toujours été sur le front aujourd’hui et auparavant. Notre résistance ne date pas de maintenant. On prend et on façonne dans l’art … On ne sensibilise pas. Les gens sont déjà conscients. Il y a une nécessité de repenser le contexte.
Les cafés / restos sont ouverts, pas nous… alors que nous faisons toujours attention au protocole. On nous écarte clairement. L’émergence des nouvelles technologies va de soi : c’est une volonté citoyenne et l’art et la citoyenneté sont indissociables. Je remercie le festival de Carthage pour cette initiative du Live Streaming : c’est courageux de leur part de proposer l’alternative du digital, même si cela a été également annulé, parce qu’ils sont connaisseurs de la situation des artistes en ce moment. C’est un geste généreux et humain. Je suis reconnaissante. Le théâtre est ma vie et c’est la vie de plein d’artistes– citoyens. Tenons bon ! »
Ramzi Jbabeli, entrepreneur culturel et fondateur du Sicca Jazz : «Un festival comme le Sicca Jazz est spécial : il a une ampleur et un impact économique et social direct. Les gens sont recrutés, les commerces sont vivifiés, et le tourisme intérieur marche : toute la ville subit les aléas directs de l’annulation de ce festival. Le problème est que je suis soutenu par le ministère de la Culture : cependant, le silence radio des autorités est affligeant. Il y a une crise de communication institutionnelle énorme. On est pourtant partenaires. Je souligne l’absence de politique culturelle et évènementielle : le désert. Le soutien se fait au nom de la décentralisation, c’est tout. Quand j’ai reporté le festival à deux jours près, les autorités m’ont envoyé valser me demandant d’improviser seul. On est sans appui et ça continue au rythme des reports. Et on rebondit encore une fois pour exploiter les sites archéologiques, historiques de la région, et les anciennes mines.
Nous organiserons des concerts live et nous éclairerons les sites les plus connus via la musique et le digital. (Altibhuros, table de Jugurtha …). Nous le ferons pour mettre en valeur ces sites et qui nous servira à créer une plateforme d’archivage afin d’attirer des visiteurs. L’attractivité de la région du Kef et son élaboration restent de mise et notre objectif primaire. On enregistra 8 concerts qui s’appelleront le «Live Factory». Nous voudrions faire de ce festival un festival immobile. Nous y reviendrons !
Mohamed Ben Said–Producteur : «On est perplexes face au report des festivals. Ça a été converti au digital comme c’est le cas du festival de Carthage et de Hammamet. Après, il y a eu annulation complète du digital. Dans le monde entier, ça a été adopté pourtant… Divers artistes ont espéré le maintenir. 80% des festivals sont programmés pendant l’été. En tant qu’artiste ou producteur, 50% du chiffre d’affaires se fait pendant l’été. L’annulation est annoncée et on ne nous dit rien au retour… pas d’indemnisations ni d’alternatives. Rien.
Pour le festival de Dougga, par exemple, on a pris la décision de le faire en digital depuis décembre. Des idées étaient exploitables. La programmation promettait… C’était intéressant. On a misé sur les artistes qui avaient un à deux albums à présenter aussi. Et puis quand on parle de festivals, il n y a pas que Hammamet et Carthage, il y a trop de manifestations et de nombreux festivals nationaux. Que deviennent-ils ? Pour Dougga, un dossier pour une version digitalisée a été déposé depuis 3 mois, aucune réponse… Silence radio. Une aide a été promise, l’année dernière… toujours rien. Ça traine ! Le covid19 a tout dénoncé… Il a montré l’absence de planification et de stratégies et ce vide se sentait davantage pendant la crise. Pour les autorités, un festival n’a qu’une programmation à présenter. Alors que c’est un mécanisme en entier qu’il faut repenser. Pour la production, on survit grâce à des fonds. On a pu avoir de l’argent de l’Afrique du Sud, aucun millime de l’Etat tunisien. On est très réglementé pourtant… Qu’a à dire l’Etat pour la culture et les arts ? Nous voudrions le savoir. S’il y a toujours une politique culturelle caduque, l’avenir restera flou et incertain».
Khawla El Hadef, metteure en scène : «Depuis le début de la pandémie, tout semble désordonné, déstructuré. Face à cette crise, il n’y a pas eu une attitude constructive et rationnelle. L’absence de stratégie claire a provoqué le report et l’annulation des manifestations et des festivals. On a eu une saison culturelle presque vide. Il n’y avait pas de continuité, pas de tournée. Si le ministère ne défend pas le projet culturel et le secteur, face au revers que nous avons subi de plein fouet, qui va le faire ? Il n’y avait pas d’écoute, de réactivité, encore moins auprès des conseils scientifiques pour s’adapter à la crise sanitaire. On s’est approprié le digital, récemment, pour faire valider la session du festival du théâtre tunisien mais foncièrement on était contre. Face à l’absence d’alternatives, on ne pouvait pas faire autrement.
Rien ne vaut ce contact direct avec le public, d’être sur scène, dans une salle ou dans un espace précis. Imaginer les artistes performer dans des espaces vides, c’est frustrant à la longue. Je fais partie du comité des JTC, et on n’a pas encore parlé du format qu’il faut adopter. En cas de crise, que faire ? Je suis personnellement contre le digital…, mais c’est quoi l’alternative!
Ceux qui détiennent les rênes restent indifférents, ce qui signifie qu’il n y a pas de projet. Je commence à croire que le secteur ne va pas changer. Excusez mon pessimisme mais on est à l’arrêt. La gestion est catastrophique. On a fait le plein à Hammamet en 2020 avec des conditions sanitaires efficaces … il ne fallait pas annuler complètement cette année. Tout est ouvert : restaurants, cafés, plages … pourquoi pas nous ? Je suis méfiante vis-à-vis des responsables : il y a eu manifestations, grèves, marches, protestations…, mais rien de concret. Le secteur était déjà très fragilisé, le covid-19 a tout dévoilé. Ce qui se passe est une résultante d’une situation générale déjà très précaire. Tout ne peut changer à la racine aussi rapidement. Il y a eu un cumul que nous subissons depuis des décennies. On est face à une réalité peu reluisante… De très nombreux ministres ont défilé, rien n’a été modifié, ou changé en bien… S’il y a un problème de communication au niveau des institutions, c’est parce qu’il n y a pas de projets et que nous manquons de structure, face à un nivellement vers le bas de plus en plus affligeant, qui ne pousse pas l’artiste à l’échelle individuelle à avancer, à se surpasser, à créer ici et à aller de l’avant».
Lassaâd Ben Abdallah– Dramaturge, comédien, metteur en scène : « Est-ce que nous avons su répondre par des solutions à une crise aussi exceptionnelle ? On aurait pu réfléchir à des solutions alternatives pour une situation exceptionnelle… et à une situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles.
Le digital a montré ses limites. On parle des arts vivants et de la présence, pas des arts de l’absence. Le digital n’a de valeur que de témoignages et d’archivage même quand c’est du live. Les plateformes du cinéma ont activé une certaine dynamique et ça a duré pendant le confinement. C’est différent pour l’art vivant. Est-ce que c’est la solution ? Est ce qu’on s’est posé les bonnes questions, trouver de bonnes alternatives ? Et la crise persiste… ici et ailleurs. Il faut poser les vraies questions et leur donner de réponses. Il faut s’interroger pour arriver à un juste milieu qui est de faire travailler les artistes. Il y a des jauges à étudier aussi, actuellement. A 30% d’appui, c’est peu. Il n y a pas de réflexions de base. Et c’est problématique.
En pleine pandémie, qui surprend tout le monde et qui dure, il faut trouver de nouvelles stratégies. Je fais partie de ce secteur, et je suis actant. La question qu’il faut se poser ça sera autour des renouvellements des politiques culturelles qui ne sont plus nationales mais locales et qui ne se sont pas faites. Les politiques culturelles remontent à l’époque de feu Chedli Klibi. Ensuite, on a plâtré sur des années, sans visions concrètes renouvelées. Même en Occident, il y a eu une secousse … Il a fallu des efforts monstrueux pour subvenir aux besoins des artistes. Mais avec des moyens limités comme les nôtres, que peut-on faire sans se victimiser ? Que pouvonsnous faire des budgets des festivals de l’année dernière et de cette année ? Comment peuton les utiliser face à l’arrêt des festivals ? En travaillant avec un protocole sanitaire strict, les questions se posent aussi, d’un point de vue logistique qu’il faut réussir. Est-ce qu’il fallait arrêter les manifestations ou les festivals en guise de solution ? A-t-on épuisé toutes nos ressources autour de cette réflexion ou avons-nous opté pour la solution de facilité ? Une facilité à prendre avec des pincettes car nous sommes le secteur qui a été le plus endommagé par cette pandémie. Pourquoi nous ? Des initiatives peuvent se créer pourtant … Les jeunes, pendant cette crise, n’étaient pas correctement scolarisés, des clubs artistiques réduits auraient pu voir le jour autour d’activités diverses, mais rien … On aurait pu joindre plusieurs bouts, au lieu de tout fermer».
S’interroger sur le statut de l’artiste en pleine période de flottement artistique est justifié. La carte professionnelle définit-elle l’artiste ? Reflète-t-elle son art ? Le valorise-t-elle? Etoffe-t-elle le statut de l’artiste déjà flou, ou au contraire, pourra-t-elle provoquer un changement au niveau des institutions ? Parole libre aux artistes.
Ichraf Sallem, chanteuse d’opéra
« Pour l’opéra, le marché est déjà très restreint. Les concerts ne se font pas beaucoup chaque année… et maintenant, avec le covid-19, il n’y a plus rien. Pour ma part, l’enseignement a été une alternative de survie. Je n’aurais pas pu me contenter des spectacles seulement. Pour la carte pro, j’ai pu avoir la mienne cette année pour la première fois. Les diplômés peuvent l‘avoir d’office et les amateurs doivent passer des auditions. Je trouve que c’est un mode de fonctionnement injuste parce qu’il crée des inégalités : entre quelqu’un qui a fait tout un parcours académique, universitaire et un amateur, qui exerce parce qu’il est mélomane ou simple passionné : on se retrouve, au final, sur un pied d’égalité… et c’est dévalorisant. Cependant, je ne généralise pas : je trouve que de nombreux amateurs méritent amplement la carte pro et sont doués. Auprès de certains recruteurs, posséder la carte est primordiale et définit l’artiste, hélas… Dans mon cas, je n’ai pas fait usage de ma carte encore. On verra… Elle peut nous être utile pour les formalités administratives, pour le visa… Si le système doit changer, je suis pour parce qu’il reste foncièrement discriminatoire. Malheureusement, à l’Institut Supérieur de Musique, les étudiants affluent de moins en moins sur la formation académique, parce qu’ils sont conscients, qu’au final, ils peuvent obtenir cette carte professionnelle, facilement et autrement que d’entamer des études. Ce système nuit déjà à l’enseignement supérieur face à des étudiants de moins en moins présents, des enseignants qui partent et nous assisterons à un délitement progressif du secteur. Il n’y a plus de niveau, en plus, entre professeurs et autres, formés ailleurs ou autodidactes : la différence est fine voire inexistante, puisque tout le monde a sa carte au final… Personnellement, en tant que professionnelle, je préfère faire appel à un amateur passionné que de travailler avec quelqu’un de beaucoup plus formé sur le plan universitaire, ou académique et qui pourrait être réticent, ou exigeant… J’espère voir un jour notre statut de « chanteurs d’opéra » sous de meilleurs auspices et légal. »
Yasser Jradi , artiste musicien et auteur compositeur
« Ce hic m’a personnellement nui. J’ai fait des études à l’école des Beaux-arts, et parallèlement, j’ai entamé un parcours en musique, qui m’a finalement beaucoup plus attiré. Je suis autodidacte et ayant un souci de lecture, je n’ai pas pu passer le concours d’obtention de la carte professionnelle et je n’ai pas moyen de l’avoir. J’ai subi de nombreux refus de concerts et de participation à des festivals… y en a d’autres qui acceptent avec cette diminution de 17% effectuée parce qu’on n’a pas de carte pro… C’est dévalorisant. Cette carte définit l’artiste, non pas son art. C’est tellement administratif comme système. En l’absence de critiques artistiques qui peuvent modérer, sensibiliser davantage quant à ce dysfonctionnement… les choses ne peuvent pas changer facilement. Dans l’histoire de l‘art, les critiques ont un impact et sont annonciateurs de changements ou sinon, c’est l’embrouille… J’ai du mal à participer facilement aux festivals. Avant, à Hammamet et Carthage, on m’a appelé mais je ne peux pas aller vers eux. Auparavant, pour le festival de la Médina, il y a eu une fois où je m’étais embrouillé avec les organisateurs qui m’avaient contacté en 2011, mais quand moi j’ai voulu y participer plus tard, j’ai essuyé un refus de leur part, sous prétexte que « c’est la loi ». Ce système est ridicule et les autorités restent silencieuses. Pour avoir la paperasse, si on ne l’a pas aussi cette carte, ça peut traîner … quand on m’invite à l’étranger, des refus de visa peuvent se faire encore et toujours. Ça dépend des hôtes. La solution serait que le système devienne plus artistique et moins administratif…»
Rym Charfi alias Noy Ara, artiste-DJ
Bien avant la crise du covid-19, le statut de l’artiste suscitait déjà débats et revendications. Textes de loi vus et revus, et décisions en perpétuel report sont restées en suspens. La concrétisation tarde à venir et le flou s’est étalé davantage en pleine tourmente sanitaire et politique. Exercer en ayant une carte professionnelle et revoir le statut de l’artiste restent de mise.
Copyright photo de Benjemy : Emna Jaidane
Ahmed Benjemy, artiste-musicien :
«A une certaine période, concernant la carte professionnelle, les autorités l’ont remise à des artistes professionnels en y ajoutant des prérogatives : c’est comme si le travail s’est fait à l’envers. Même s’ils voulaient s’inspirer du système français, ce n’est pas comparable : en France, quand un concert ou un évènement s’organise dans le cadre d’uns structure légale, tout est réglementé … Ici, tout se fait à l’arraché, en improvisant, en contournant : on se débrouille pour la sono, la vente se fait en ligne ou autre… Avec la carte pro, le secteur peut mieux se structurer, évitant ainsi les débordements. La carte professionnelle peut mieux servir quand le statut de l’artiste s’éclaircira davantage.
«A travers les gouvernements qui se sont succédé, rien n’a été fixé, ou maintenu concernant le statut de l’artiste dans sa globalité. Il y a un problème grave de communication au niveau des institutions. L’année dernière, des régimes liés à l’assurance sociale ont été évoqués, et à travers la carte pro, on pouvait mieux régler notre statut, gérer sa patente… juste avant la crise du covid-19 qui a tout bloqué. Une démarche qui n’aura servi à rien, de toutes les manières, dans un contexte sanitaire aussi grave… Après, il n’y a pas eu de suivi, ni de rappel. Les caisses de subvention doivent être mieux contrôlées. Les projets musicaux sont subventionnés à la va-vite et attribués à des gens qui ne sont pas productifs ou qui ne créent pas depuis longtemps. Les appels à candidature pour les subventions se font dans de couloirs obscurs, on n’en entend même pas parler … tout est encore flou, il n’y a rien de concret autour de ce statut. »
Neysatu – Badiaa Bouhrizi, chanteuse autrice-compositrice– interprète :
« La carte ‘‘professionnelle’’ » ne rime pas avec professionnalisme, selon moi. D’après la loi élaborée autour de cette carte, en tant qu’artiste, pour l’obtenir, il suffit d’avoir un nombre de contrats à son actif, ou bien passer un test de niveau. J’ai essayé auparavant de procéder ainsi … rien de tout ça n’a été pris en compte ou n’a été appliqué. Je m’étais adressée au commissariat régional parce que la loi le stipule noir sur blanc… en vain. La définition de ‘‘professionnel’’ est que l’artiste vit de son art : c’est son gagne-pain. Qui sont ces gens, désignés pour nous juger ? Selon moi, cette carte ne sert à rien… sauf dans le cadre de coopérations, dans des instituts culturels, ou dans des ambassades, ou en cas de contrôle policier.
«Cette carte est un outil de contrôle… comme celle utilisée par un auto-entrepreneur. C’est un statut vague. Pourquoi demander un cahier des charges à un artiste ? Ainsi, jusqu’à maintenant, à part contourner, on n’a pas de statut défini pour l’artiste spécifiquement. S’il y a des réformes à faire, ça serait éclaircir le statut en urgence. On est au ralenti … j’aurais bien aimé gérer ma carrière comme une entreprise, mieux que de devoir adopter un cahier des charges ambigu ou de lancer une société de services ».
Kamel Ring, musicien de rue :
« La carte professionnelle, de nos jours, est montrée par des artistes pour dire qu’on l’est. On dirait que sans cette carte, l’artiste ne l’est pas. Elle sert à avoir son visa, c’est possible … Sinon, certains la possèdent alors qu’ils n’ont rien à voir avec le domaine artistique : Ils l’ont achetée. Pour la carte d’identité, oui, le statut de l’artiste est mentionné grâce à cette carte dite pro. Par ailleurs, quand on a une opportunité de travail, certains recruteurs l’exigent et veulent savoir s’ils sont face à ‘‘un professionnel’’ selon leurs normes ou pas. Aux yeux de certains, c’est cette carte qui détermine l’artiste pas forcément son art. Pour l’assurance sociale, elle renforce. Personnellement, en tant qu’artiste, j’ai eu mon certificat « Busker License », qui me permet de me produire dans les rues de toutes les villes du monde entier sous la protection de l’Association mondiale de défense des droits des artistes de rue. Même quand je me fais embêter par la police, c’est ce que je présente en contactant l’association, et celles et ceux qui m’ont octroyé le certificat. En Tunisie, notre statut, on se le forge encore, en improvisant ».
«Kamel Ring », jeune artiste de 22 ans, ne passe pas inaperçu dans les avenues et les rues de Tunis : il suscite émerveillement, curiosité et esquisse, sourires, airs joviaux chez les passants grâce à la «Street Music» ou la «Musique de Rue».
Muni de sa guitare Ibanez et du matériel nécessaire à une performance sono en plein air, le jeune Kamel attire la foule grâce à sa présence, une énergie décapante, une apparence attrayante—à l’image des idoles du moment—et une voix vibrante. L’artiste n’a rien à envier à des talents professionnels sur scène et c’est au centre-ville de Tunis et à la Marsa qu’il campe le plus souvent.
Kamel se lance dans des reprises en anglais actuellement très connues et prisées par un large public diversifié. Il est féru de pop anglaise et le clame sur les réseaux sociaux et via sa musique. La musique de rue, très peu d’artistes la pratiquent en Tunisie: des années plus tôt, certains d’entre ces pépites montantes ont même été malmenés par les autorités. Kamel Ring voudrait faire connaître cet art, plus connu dans des pays occidentaux sous l’appellation de «Buskers».
Des performances qui éveillent positivité et bienveillance de la part des passants : ces derniers s’empressent de laisser souvent des pièces de monnaie. Outre la passion, l’intention du jeune artiste est de casser avec l’idée que les rues de la capitale sont malfamées, mal fréquentées en commençant, selon lui, par les rendre beaucoup plus vivantes, belles, plaisantes, à travers la musique et la bonne humeur. Des reprises d’Ed Sheeran ou Lewis Capaldi retentissent et plaisent à son public grandissant.
Kamel Ring est passionné de musique anglaise mais cela ne l’empêche pas d’interpréter des morceaux en arabe et en tunisien comme des titres de Halim Yousfi. Grâce à sa guitare et ses pas de danse, il a su conquérir admirateurs et auditeurs. L’enregistrement de son prochain album grâce à «Bluebox Tunisie» est en cours. L’artiste est également suivi sur sa chaîne Youtube, Instagram et Facebook. Du haut de ses 22 ans, il a les atouts nécessaires pour faire de la «Street music» un talent récurrent visible dans nos rues.
Se lancer dans une aventure créative à l’aube de la crise de la Covid-19 était risqué, pourtant, Siwar Bouksila, jeune artiste designer-graphiste, s’est tout simplement accrochée à un rêve à vocation artistique. Focus sur un brin d’espoir dans un océan de morosité.
Titulaire d’une licence fondamentale en audiovisuel de l’Institut des Beaux-Arts de Nabeul, Siwar Bouksila, du haut de ses vingt piges, s’imaginait un avenir épanoui dans le large secteur de l’audiovisuel : sa dynamique, son mouvement, sa production la fascinaient… de loin. Une fois sur le terrain, la réalité était dénuée d’artifices et s’est mêlée à la désillusion. Son parcours a pris une toute autre tournure, vers un univers plus créatif et tout aussi riche en enchaînant avec un mastère professionnel en design graphique à Sousse.
Une fois obtenu avec mention et avec passion, les opportunités ont commencé à fleurir, citons son passage capital à l’espace culturel Inart à Hammamet, qu’elle a géré sous la houlette de Mme Dalel Bouslama, artiste photographe pionnière et universitaire, tout en alternant travail et un 2e mastère de recherche. Une étape universitaire qu’elle n’a pas validée, happée par l’envie pressante de percer professionnellement.
Expositions, rencontres avec des artistes divers de tous bords, évènements en tous genres, conception d’affiches ont élargi son réseau de connaissances et ont alimenté sa passion, son savoir-faire et ses ambitions. Concevoir son propre projet devenait une nécessité… Cadres, graphismes, calligraphies ont commencé à fusionner donnant lieu à « Fyena », son propre espace de création. « Un pari risqué dans une zone qui n’est pas connue pour sa fibre artistique, pour cette passion, mais dont les habitants peuvent être consommateurs, à la recherche constamment de cadeaux à offrir, d’articles de décoration. La création acquise est personnifiée, entièrement réalisée par les goûts de la personne désireuse de s’offrir des produits au final peu communs, commerciaux, distingués», présente passionnément l’artiste- graphiste.
L’espace tel qu’il existe en ce moment n’a vu le jour qu’à la veille de la crise de la Covid-19… Trois ans auparavant, la passion s’entretenait à travers les réseaux sociaux Instagram et Facebook et ciblait un public délocalisé de Nabeul. C’est, en effet, à Tunis et à Sfax surtout que «Fyena» devenait visible et où elle l’est toujours. « L’ Inart m’avait permis de présenter mes créations au fur à mesure en organisant ma propre exposition : je faisais des cadres modifiables en répondant aux goûts des intéressés et ça continue… », déclare Siwar Bouksila.
Jusqu’au début de 2020, son parcours a failli perdurer… à Bali, là où elle a attrapé le virus des concepts Store pendant un voyage. A son retour, son projet devait voir le jour en Tunisie… Rien ne l’empêchait de le faire malgré le contexte extrêmement glissant que le monde vit. Siwar Bouksila était déterminée à revenir à Bali pour mieux se former, mais le coronavirus a tout saboté en fermant les frontières… c’était donc le moment crucial de se lancer, sans hésitation, en s’engageant entièrement en Tunisie.
« Fyena », nom attribué au hasard à son travail par les gens qu’elle a côtoyés, a été présenté à Paris et a désormais une filière prisée à Bali, gérée par son frère, résident là-bas. Tenace, déterminée, elle a pu s’accomplir… rapidement, malgré les obstacles.
Depuis sa création en 2010, « FEST-in » fait fureur à l’étranger. La manifestation cette année s’est étalée en prenant pied à Tunis et en s’organisant à cheval entre l’Institut Cervantes et l’« Esprit School of Business ». Le festival de cinéma a été dirigé au sein de cette école supérieure par « BMovie … », un noyau d’étudiants cinéphiles.
« FEST-in » sillonne le monde et s’est fait connaître au Portugal et dans divers pays européens avant de se poser du 24 au 26 avril en Tunisie pour la première fois. Il s’agit d’une manifestation cinématographique totalement itinérante et qui fête en 2019 sa 10e année. Partage, inclusion sociale, échange font partie des objectifs de ce festival qui veille à les atteindre d’un pays à un autre. La manifestation portugaise regorge de films portugais principalement, courts et longs métrages pour la plupart, riche en techniques pointues de l’audiovisuel. Donner un aperçu sur la culture portugaise et son 7e art a finalement attisé la curiosité des cinéphiles au sein de cet établissement supérieur mais aussi à l’Institut Cervantes. Les projections ont attiré un nombre correct de spectateurs malgré une communication timide. Cette 10e édition du FEST-in a été marquée par la présence de sa directrice Mme Adriana Niemeyer, venue tout droit de Lisbonne pour lancer les festivités et assister ainsi à la première projection du film brésilien « Antes que eu le Esqueça » (Avant que j’oublie).
Un marathon court et simultané de films
Le cinéma lusophone était certes à l’honneur mais la programmation était également composée de films issus du Brésil, du Cap-Vert, du Mozambique, de l’Angola et du Timor-Leste. A « l’Institut Cervantes de Tunez », trois films ont été projetés tous en VO : le brésilien « Place de Paris », le portugais « L’épine de la rose » et « Toutes les chansons d’amour », un film par jour pendant trois jours. « BMovie » au sein de l’ESB s’est chargé d’assurer les séances à partir de 17h00. Après le film d’ouverture, le portugais « Toute une vie à attendre » a été présenté le 25 avril. Le festival a tenu à consacrer sa troisième et dernière journée aux « courts métrages ». Baptisé « Les accents de la langue portugaise », d’une durée totale de 136 mn, les films sont issus des pays déjà cités mais le cycle alterne documentaires courts et fictions. Mission amplement accomplie pour ce noyau de cinéphiles au sein d’un établissement supérieur, celui de l’ESB, qui voit ses activités s’enrichir grâce à ce type d’initiative. « BMovie » a pour but d’introduire les étudiants à la culture cinématographique en temps normal à travers des projections, débats, ateliers et conférences organisés par le club. Et par projections de films, le club s’ouvre aux films d’auteur et indépendants.
Sortir par la grande porte, enter dans l’Histoire…Ou simplement créer sa légende. Chacun de ceux qui l’ont connu aura une version propre .C’est peut-être cette bonhomie, jamais sans arrière-pensées, ou cet air de fausse légèreté face aux déboires du monde, ou parfois cette obsession de l’Etat… Son air de grand-père pour certains, ou son éloquence diplomatique pour d’autres, Mohamed Beji Caid Essebssi, El Béji, Bajbouj… L‘éternel président de tous les tunisiens, puisque premier à être élu démocratiquement..
Mort dans l’exercice de ses fonctions le 25 juillet, jour de la fête de la République…tout est là pour que la trace soit particulière, positive pour certains, ambivalente pour d’autres, nuancée toujours mais présente, incontournable. Il a été un Homme d’Etat, dans une Tunisie qu’il a rêvée, forte, qu’il a certainement aimée, parfois trop parfois mal, parfois autant qu’une mère parfois moins qu’un fils. L’heure du bilan n’a pas sonné et l’histoire a ses raisons et son propre filet. Une voix de jeune fille résonne dans une foule “ Bajbouj il love you, Bajbouj :”Met too », répondit-il comme un éternel message d’humour et d’amour à ce pays aimé profondément et sans relâche jusqu’ ‘au dernier souffle. Loin des communiqués plus ou moins froids des partis politiques, loin des déclarations de peines subites… C’est aux artistes que nous nous sommes adressés, aux intellectuels pour sonder au-delà de la surface, l’impact de cette disparition, pour un ultime adieu.
Ali Bannour -comédien et député
En tant que citoyen artiste et député. Je dis avant toute chose que BCE repose en paix. Toute sa vie durant, il était là, présent pendant les tournants politiques du pays : 2011, 2014, 2019… Ses positions face aux avancements de la loi électorale par exemple, sont claires. Il a agi en tant que chef de l’Etat, juriste, président de parti. Face à sa disparition, personne ne peut lui rapprocher quoi que ce soit de mauvais, à mon avis, c’est un moment de recueillement. Je suis contre toutes celles et ceux qui font des spéculations, qui insultent ou qui dénigrent. Ce n’est pas le moment. M.BCE a fait un passage extraordinaire, après la révolution jusqu’à nos jours. C’est un monsieur qui a été tout le temps présent, comme un vrai chef d’Etat. Il a pu avoir le consensus de tout le monde et a sauvé le pays en 2011, en 2014, et il le sauve maintenant après son décès : le plus important à retenir de tout cela, c’est cette transition, cette Tunisie qui vit sa transition démocratique, doucement mais sûrement. C’est son peuple, sa mentalité, sa politique qui restent exceptionnelles. Un peuple qui avance en ayant derrière lui l’effigie de Béji Caied Essebsi qui reste, sans doute, un symbole. J’ai beaucoup de respect pour ce monsieur. On peut ne peut pas être d’accord avec ses choix, mais c’est cela la démocratie. Les âmes malades sont à esquiver. Et il faut tenir bon. Ça continue, les institutions de l’Etat sont là, l’Etat aussi. Il faut avancer en acceptant le processus démocratique qui n’est pas facile à vivre.
Syhem Belkhodja -chorégraphe
Qu’il repose en paix ! On est toutes et tous très émus. C’est un grand monsieur et on comprendra plus tard ce qu’il a fait pour l’Histoire. Beaucoup de gens étaient malheureusement très négatifs par rapport à tout ce qu’il a entrepris. Mais maintenant il est mort et ils ont déjà commencé à crier ses louanges. Mais ce n’est pas cela le plus important : sa mort va réunir les Tunisiens autour de leur destin. Aujourd’hui, on va être les modernistes et on est en train de vivre les aventures d’une Tunisie démocratique. Je pense qu’il est sorti par la grande porte, le jour du 25 juillet. C’est symbolique ! Cette Tunisie est décidément bénie par tous les Dieux. Il y a une leçon à tirer : ce petit pays qui monte est encore clairement démocratique. C’est un appel à la jeunesse aujourd’hui car c’est le dernier papa qui part. Les Jeunes doivent prendre la relève et doivent être capables de diriger le pays avec le soutien de la société civile.Les grands Messieurs nous ont accompagnés, nous ont protégés, nous –mêmes on disait du mal de nos pères comme tous les complexes d’Œdipe et d’Electra qu’on peut avoir, ça arrive.Mais aujourd’hui, il faut avancer et on a qu’un mois et demi pour continuer à écrire l’Histoire de la Tunisie et de sa 3e République, dirigée par les jeunes avec un regard sur les jeunes, pour les jeunes.
Abdelhamid Bouchnak- cinéaste
Le jeune réalisateur, qui avec mélancolie raconte une génération qui a pu découvrir le sens de l‘Etat sous la présidence de Béji caïd Essebssi. A y voir de plus près,c’est certainement le premier président pour la génération d’Abdel Hamid,le premier élu,le plus réel ,et le plus proche “ j’avais l’impression de perdre une personne proche, je crois que c’était une figure du pouvoir de la proximité.Il a su gouverner ,mais il a surtout su toucher les coeurs des Tunisiens. Beji Caid Essbssi est également pour moi une figure de ce bourguibisme fantasmé. Personnellement c’est une époque qui me fascinait. Je me suis toujours demandé si cette politique de Béji Caid Essebssi est un reflet du Bourguibisme alors qu’est-ce que la version originale aurait donné?Un âge d’or manqué certainement. Je pense que ce qui reste aujourd’hui de lui, c ‘est cette sublime leçon de persévérance, de foi en soi… Ne jamais baisser les bras c‘est la plus belle leçon que je retiens de lui qui à 92 ans devient et meurt en éternel président. Un personnage presque de fiction pourtant vrai et tellement ancré dans la réalité. Hier sa mort a de nouveau réuni les incompatibles, autour d’une idée plus grande que les hommes, celle de la Tunisie. Paix à son âme”.
Adnen Chaouachi -chanteur compositeur
La voix tendre et douce, un artiste à fleur de peau, discret généreux, avec émotion vraie, sans emphase, la voix voilée nous a accueillis dans sa peine de citoyen : ”Ce n’est pas l’artiste qui parle, je suis face à cette perte comme tous les Tunisiens peinés. C’est une grande perte. Tristesse et émotion. Le peuple et la Nation Tunisienne perdent un homme d’Etat, exceptionnel, qui a travaillé jusqu’à la fin et donné ce qu’il a pu au pays. Je garde de lui le souvenir de celui qui a essayé de réconcilier et d’unir. Difficile de le dissocier de la Tunisie aujourd’hui, je pense que tous ceux qui aiment la Tunisie partagent la peine de sa perte, mais ce pays est riche d ‘hommes et de femmes qui prendront le relais. Il nous aura laissé quelques belles leçons, la persévérance, et le sens de l‘Etat”.
Propos recuillis par Amel Douja Dhaouadi et Haithem Haouel