A l’aube d’une nouvelle année, il y a de ces initiatives qu’on voit défiler et qui semblent être en phase avec leur époque. « Diasporactive » en fait partie. Ce programme incite de jeunes entrepreneurs tunisiens, installés à l’étranger, et même ceux qui ambitionnent de devenir investisseurs, à implanter leurs projets dans leur pays d’origine. Tout un programme édifiant leur a été préparé pour un retour au bercail.
La Presse — En rencontrant ce noyau de jeunes Tunisiens, résidents à l’étranger, l’espoir renaît grâce à leur volonté de s’accomplir dans leur pays et d’y apporter leurs pierres à l’édifice. Déployer ses ailes et apprendre à l’international, c’est sans doute important mais s’implanter dans son pays d’origine reste à l’ordre du jour. Dans une époque où on évoque le plus souvent la migration vers d’autres cieux et la fuite des cerveaux, « Diasporactive » valorise une migration des cerveaux à l’envers. Celle qui rime avec le retour d’une vie… pensé, conçu, imaginé par une cohorte de 6 personnes munis de 6 projets solides à concrétiser pour la Tunisie.
Un programme d’accompagnement
« Diasporactive » est un programme élaboré par l’incubateur « 1kub » et a pour objectif d’encourager de jeunes entrepreneurs tunisiens, vivant à l’étranger, d’investir dans leur pays. Une initiative qui offre accompagnement, sessions de formation, services et consultations effectuées par des experts. «Diasporative» est l’émergence d’un espace d’échanges d’expériences, d’outils, de savoir et se présente comme une aubaine pour réseauter dans un cadre propice à la créativité et à la conception. Le programme engage les participants dans une expérience fructueuse, qui donne des réponses, en théorie, aux inquiétudes liées à l’investissement en Tunisie, à l’aspect administratif tunisien, à la bureaucratie, à la loi tunisienne, et au contexte national, qui reste méconnu pour des jeunes ayant passé des années de leur vie, loin du pays. Le programme « Diasporactive » a débuté en septembre avec la sélection de 9 entrepreneurs tunisiens essentiellement basés en France, Belgique, Italie, Autriche, Allemagne … mais aussi aux USA. La moitié sont des femmes, pour la plupart de formation ingénieur ou issues du secteur informatique. Les candidats ont, à leur actif, au minimum 12 années à l’étranger, et envisagent de percer professionnellement avec un projet qui leur permet d’être fonctionnels, pourquoi pas, entre deux rives. Cette envie devient persistante, malgré leur position professionnelle avantagée à l’étranger.
Une succession de projets ambitieux
Un éventail de projet viables est présenté lors d’une session de formation organisée par « 1Kub ». Les secteurs concernés sont le tourisme durable, l’amélioration des services du quotidien chez les Tunisiens, l’exportation de produits d’artisanat ou du terroir tunisien, et d’autres, à caractère technologique impactant comme le lancement d’applications, de plateformes ou de CRM. L’accompagnement dans une première étape a duré 3 mois pour les participants désireux d’élaborer leurs projets. La progression pour chacune et chacun varie : il y en a qui pensent encore leur vision, et d’autres qui sont déjà dans la concrétisation. Sarah Bourouissi pense un projet écolo, pour un tourisme durable et sain pour l’environnement à développer auprès de restaurants et d’hôtels en Tunisie. Une idée qui nécessite actuellement son étude du marché. L’aspect «développement» de son projet prometteur évolue bien. Adel Lusakula est tuniso-congolais, ingénieur à Toulouse. Depuis son plus jeune âge, il rêve d’entreprendre. Son souhait prend forme dans son projet destiné à la fabrication du miel organique : une vente export qu’il trouve nécessaire à la valorisation du miel de Tunisie. Safouane ben Haj Ali tient à concevoir une plateforme numérique au nom insolite « My Chakchouka » qui connecte les artisans tunisiens au marché global. Sa cible, ce sont les personnes qui s’intéressent aux produits tunisiens.
Aya Omrani, au parcours universitaire atypique, veut fonder « Med Journey », une agence de tourisme médical en Tunisie. Une aubaine qui pourrait rallier soins et tourismes. Ala Selmi savoure son expérience naissante dans le e-commerce avec son associé tunisien basé aux USA. Son projet vise à lier les commerçants à leurs clients à travers « Souk express ». Son e-ccommerce a pour but de faciliter les courses de tous les jours chez les citoyens tunisiens. Taoufik vit à Paris depuis 35 ans. Il tient à récupérer un bien familial : une ferme coloniale, qu’il tient à convertir en chambres ou maison d’hôtes. Il a une collection importante d’objets historiques qu’il peut exposer ou en faire un musée. Un lieu de villégiature est actuellement en devenir à Zaghouan, dans ce domaine de Bir Mchergua.
Cette première cohorte de ce programme est financée par l’Union européenne et soutenue par «Thamm Ofii» qui cible les membres de la diaspora et leur capacité d’offrir des opportunités économiques, sociales et culturelles attrayantes. Le programme est aussi déployé sur d’autres gouvernorats : le Cap Bon et Zaghouan, Béja et Sfax. D’autres projets vont voir le jour. «1Kub», l’incubateur, lance régulièrement des appels pour le programme «diasporactive», pour accompagner d’autres entrepreneurs de la diaspora, dans la structuration et la mise en œuvre de leurs projets, dans la définition du Business Modèle, la construction du Business Plan, l’étude de marché mais aussi la connexion avec les structures facilitatrices, peut -on lire dans un communiqué.
En enchaînant les rôles remarquables de mères battantes et fortes, Salha Nasraoui effectue son grand retour en 2024 pour son public connaisseur. Elle a été aussi une grande découverte pour d’innombrables spectateurs férus de théâtre et de cinéma, mais qui ne la connaissaient pas. A l’affiche de « La source » de Meryem Joober, en salles à partir du 15 janvier, elle sublime l’écran au cinéma et conquiert par son interprétation, y compris au théâtre. Rencontre.
Vous êtes à l’affiche de « Mé Al Ain » ou « La source » de Meryem Joober qui sort le 15 janvier dans toutes les salles de cinéma. Précédemment, en 2019, beaucoup vous ont remarquée dans « Brotherhood », signé par la même réalisatrice et nominé aux oscars. Vous y campez le rôle d’une mère meurtrie mais résiliente face à la destinée de son enfant. Selon vous, comment s’est passée cette transition du film court à sa version longue ?
Les deux films paraissent similaires parce qu’il s’agit de la même famille, qu’il y a aussi le retour du jeune garçon de Syrie. Dans « Brotherhood » — le court — l’histoire était plutôt vue par le mari. La réalisatrice a eu l’idée de faire du film un long métrage, mais raconté du point de vue de la mère. Comment elle vit le déchirement, la séparation d’avec ses enfants, la tourmente ou la déroute. A partir de cette idée, tout le personnage a été développé pour raconter l’histoire autrement. « La source » raconte une histoire autrement, d’un autre point de vue.
Vous jouez le rôle de la figure maternelle, par excellence. Comment s’est passée votre incarnation de ce personnage assez complexe ?
Ce n’était pas facile, comme tout personnage composé. Façonner et s’imprégner d’un rôle comme celui-ci n’est pas facile. Je ne banalise rien. Je ne prends rien à la légère. Il faut de la persévérance, de l’ardeur. Il s’agit d’un travail ficelé. C’est le théâtre qui nous apprend à être minutieux, à bien s’imprégner d’un personnage, bien le connaître, tisser sa vie, tout savoir sur sa personnalité, ses qualités, ses défauts. On a beaucoup écrit, et on a formé les autres acteurs plus jeunes du film. « Aïcha », je l’ai beaucoup adopté et j’ai su comment lui donner vie. Faire de sa résilience, sa force, sa tranquillité un point fort. La direction d’acteurs de Meryem Joober était excellente : on connaissait ce qu’on voulait, nous, acteurs. Sa direction est si douce. Elle nous a fait comprendre qu’on peut arriver à bout d’un très bon travail, sans être dur, forcément sur un plateau de tournage. Elle est d’une bienveillance exemplaire.
Comment s’est passé le travail avec les jeunes acteurs du film et avec Mohamed Grayaâ? Il y a beaucoup d’esthétique dans le film, notamment celle du lieu. Très naturel. Que gardez-vous en souvenir du tournage ?
On a effectué des ateliers classiques et indispensables d’acting : avec exercices de base, de respiration, de mouvement, d’allures. Ce sont des cours de théâtre qu’il a fallu pour eux en premier, pour bien les initier. La réalisatrice a suivi le processus dès le départ et ils ont vite appris. Avec Grayaa, nous formons un très bon tandem à l’écran. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Pendant 6 semaines, j’ai été coupé du monde en fermant mon téléphone. (Rire) Le paysage était splendide, avec des plaines arides, naturelles et il ventait beaucoup. C’était un tournage sans doute très physique avec ses petites difficultés mais surmontables et qui reste très plaisant. Ça a duré 6 semaines et c’était magnifique.
« Le Bout de la mer », dernière pièce de théâtre en date de Fadhel Jaibi, vous a fait connaître dans le rôle extrêmement complexe et dur d’Atika, une autre mère à la destinée tragique. Une œuvre dure mais remarquable qui me pousse à vous interroger sur le lien que vous avez à la scène. Quelle est la différence pour un acteur de jouer dans le cinéma et d’être sur scène ?
J’ai fait du théâtre, ensuite, du cinéma, et je suis revenu au théâtre. Ce sont les outils et la formation qu’on a qui comptent le plus. Notre prestation, nos corps, notre présence scénique, visage, gestuel. Notre mental, la voix. Ce sont des outils qui doivent tout le temps être entretenus. C’est ce qui nous forge en tant que comédiens. Ce qui nous forme. Tout cela à la fois doit être dosé sur scène ou à l’écran, et c’est au metteur en scène ou au réalisateur de le faire. Il ne s’agit pas de disciplines différentes. Un acteur reste un acteur avec une bonne direction, un bon encadrement. Nous avons « un témoin » en tête, en tant qu’acteur qui nous permet de sentir quel résultat avoir dans une création. L’acteur s’adapte à un film comme dans une pièce théâtrale avec peut-être un peu plus d’effort physique fourni sur scène, et avec plus de sentiments, d’émotions exprimées.
Après « Jounoun », pièce de Fadhel Jaibi, mise en scène en 2000, vous avez retravaillé avec lui en 2023 sur « Le bout de la mer ». Que gardez-vous en tête des deux expériences ?
Dans « Jounoun », j’ai été étudiante. Je faisais encore du théâtre et j’ai été flattée qu’il m’ait choisie. J’étais jeune, honnêtement. On a fait le tour du monde avec. Elle a été jouée 150 fois partout. J’étais poussée par ma passion et mon envie effrénée de travailler, sans arrêt, sans parvenir sur le moment à cerner exactement ce que j’ai acquis comme savoir. Ce n’est qu’en enchaînant les expériences après « Jounoun » qu’une prise de conscience s’est déclenchée et que j’ai su à quel point j’ai tellement appris de Jaïbi. Renouer avec lui récemment m’a fait comprendre qu’il était bien plus important que je ne l’imaginais.
Dans les trois rôles que vous présentez actuellement, vous jouez le personnage de la mère-totem. Comment s’est faite cette succession de choix de rôles ?
Franchement, ça s’est fait par hasard. Ce sont des figures maternelles très différentes que j’ai eu plaisir à jouer. C’est une question de timing et j’ai fait avec pour « La source », comme pour « Les enfants rouges » de Lotfi Achour (Qui sort prochainement) ou pour « Le bout de la mer » de Jaibi.
A l’échelle nationale, les créations se sont succédé et ont mis en lumière deux talents remarquables. Deux actrices qui se sont emparées de la scène, puis du grand et du petit écrans, et ont conquis un large public. Point de rétrospectives, sans qu’elles ne soient citées : Salha Nasraoui et Fatma Sfar.
Sa performance dans « Le bout de la mer » de Fadhel Jaibi fait l’effet d’un séisme… qui persiste toujours, plus d’une trentaine de représentations plus tard. Salha Nasraoui, magistralement dirigée dans cette création, saisit largement le public féru de théâtre. Son personnage d’Atika interpelle, choque, repousse, déroute… et la met en lumière. Fin 2023, le public la découvre sur scène dans ce nouveau rôle puissant et complexe. Un personnage féminin central, inspiré du mythe de Médée d’Euripide, contextualisé dans notre époque dans « Le bout de la mer ». Criante d’humanité, Salha l’interprètera durant 2h35, de nombreuses fois en 2024, marquant sans doute un tournant dans son parcours au théâtre.
Parallèlement, le cinéma lui fait de l’œil et, la même année, le public recroise l’actrice à l’affiche de « La Source », premier long métrage de Meryem Joober, réalisatrice tunisienne qui perce à l’international. Durant 2 heures, l’interprète joue le rôle d’une mère, meurtrie par le sort de ses enfants partis en Syrie, pris au piège par l’intégrisme religieux. Film déroutant retenu à la Berlinale, pour sa première projection, il est aussi sélectionné en compétition officielle aux JCC 2024. « Brotherhood », la version courte et initiale de cette même histoire, réalisée en 2018, a été sélectionnée aux oscars 2019. Toujours en 2024, la consécration pour l’actrice a été couronnée par les nombreux prix raflés à l’international par « Les enfants rouges » de Lotfi Achour. Plus récemment, le Tanit d’Or et le prix du public lors des JCC 2024 lui ont été décernés. Elle y joue le rôle d’une tante, anéantie, et solide face à l’épreuve du terrorisme… encore. Ce 2ème long métrage, pour son réalisateur, narre un fait divers sanglant, qui a eu lieu en 2015 en Tunisie.
Fatma Sfar, au gré des expériences diverses
C’est sur écran dans « l’Aiguille » d’Abdelhamid Bouchnak qu’elle s’impose. La date de sortie de ce long métrage remonte, certes, à décembre 2023, mais pour Fatma Sfar, c’était le commencement d’une succession de productions, qui la propulsent au plus près d’un large public. L’artiste pluridisciplinaire a, en effet, été remarquée et pas qu’un peu en 2024.
A travers ce tout premier film, « The Needle » (titre en anglais), le cinéma lui a permis d’y faire un pas remarquable… et ce n’était que le début. L’actrice n’est pas passée inaperçue dans le rôle de Meriem, mère battante, prête à tout pour protéger son bébé et le sauver des griffes d’une société impitoyable, car il est né « intersexe ». Sujet brûlant, qui a suscité le débat en public et a marqué le début d’une nouvelle année 2024, ponctuée de créations pour elle.
S’enchaîne ensuite son apparition évènement à la télé, dans le rôle de « Mahbouba » dans « Ragouj ». Elle rempile, toujours sous la houlette d’Abdelhamid Bouchnak mais cette fois -ci dans une série télévisée. Le quotidien houleux de villageois, issus d’une région fictive « Ragouj », déchaîne la passion des téléspectateurs ,le temps d’un ramadan. Fatma Sfar campe le rôle décalé, pétillant, attachant d’une « Ragoujienne ». La télé rapproche en général l’artiste du grand public : « Mahbouba » séduit.
Parallèlement, l’actrice n’abandonne pas la scène théâtrale pour autant. Elle enchaîne les représentations d’une pièce de théâtre, produite par « El Teatro » et mise en scène par Walid Ayadi, « Le cœur hanté », qui a été programmée au festival international de Dougga et à Paris, entre autres dates. Toujours aux côtés de Walid Ayadi et d’une large équipe de musiciens et d’acteurs, elle enchaîne avec la première de « Nawbet Gharam » au festival international de Carthage, création mi-théâtrale, mi-musicale, présentée le 12 août 2024.
Fin d’été rimera pour l’artiste avec le bouclage d’un tournage engagé, celui du court métrage de Bechir Zayene « Beyond Reality », retenu en compétition nationale aux JCC de 2024.
Le film d’une vingtaine de minutes, réalisé avec le soutien de ONU Femmes Tunisie, traite d’un sujet sensible et universel, à l’ordre du jour, celui des violences faites aux femmes. Les semaines suivantes, l’artiste enchaînera les festivals internationaux comme le Red Sea, Venise ou, plus récemment, nos JCC nationales, afin de promouvoir son 2e long métrage « Aicha », réalisé par Mahdi Barsaoui. En tête d’affiche, elle joue le rôle d’Eya, une jeune fille, contrainte de fuir son village natal, suite à un malencontreux accident routier, et déterminée à reprendre sa vie en main à Tunis, sous une nouvelle identité. S’enchaîneront alors des évènements inattendus, qui la mettront à rude épreuve. La sortie nationale du drame est attendue pour le 22 janvier 2025.
Nous y verrons Yasmine, Dimassi, Hela Ayed, Nidhal Saadi ou encore Mohamed Ali ben Jemaa et Saoussen Maalej. Fatma Sfar a percé des années auparavant, en commençant certes par le théâtre à El Teatro, mais surtout en produisant de la musique dans « Denya Okhra », un couple de musiciens, qui a marqué la scène musicale tunisienne alternative des années durant.
La parution remarquable de cette fin d’année est celle d’un beau livre d’art au titre insolite «Tkharbich», conçu par l’artiste dessinateur et universitaire Tarek Souissi. L’ouvrage a vu le jour grâce à l’appui du Fonds d’encouragement à la création littéraire et artistique du ministère des Affaires culturelles.
Des instants de vieux monuments ou édifices historiques de la Tunisie, en passant par de splendides baies aux couchers du soleil ou des ruelles des médinas emblématiques de notre pays, le savoir-faire de l’artiste fait déambuler visuellement toutes celles et ceux qui se laissent happer par ces tableaux soigneusement exposés. En tant que spectateur, scrutant ses créations, c’est comme si on traversait la Tunisie à travers les yeux du concepteur.« Gribouillage», titre évocateur du livre traduit en français, est un bel éventail des propres tableaux du dessinateur, présentés au fil des 160 pages.
A l’origine de ce travail minutieux, Tarek Souissi, diplômé de l’Institut supérieur des Beaux-arts de Tunis, titulaire d’un master en sciences et techniques des arts, enseignant à l’Institut des Beaux-arts de Nabeul depuis une vingtaine d’années. Toute sa vie, l’artiste dessine avec des stylos ce qu’il voit, les endroits ou lieux qui le touchent, comme s’il les capturait en se servant d’un appareil photo. Ces dessins prennent vie en un temps concis et figent l’instant présent.
Au départ, il le faisait spontanément dans des carnets. La technique, au fur à mesure, a évolué et a été maîtrisée au fil des années. « Je cherche aussi à dessiner des coins et recoins peu visibles, tout en les mêlant à des lieux parlants, célèbres d’une ville précise. Clin d’œil à notre patrimoine et notre histoire si riche. Je n’utilise pas de crayon pour dessiner, seulement des stylos », déclare Tarek Souissi.
Sous les conseils d’un ami proche, connaisseur des arts, l’artiste finit par convertir ses œuvres dessinées en un ouvrage élégamment conçu. Un livre ponctué par des textes en arabe et en français de critiques d’art, d’universitaires, écrivains, poètes et artistes tunisiens de renom a finalement vu le jour en pleine période des fêtes de fin d’année. Ce 2e évènement de présentation, organisé en double format — Vernissage / Parution de livre d’art —, s’est déroulé à l’espace culturel « Fausse note » à Hammamet en collaboration avec l’association Inart. La première présentation a eu lieu à Ennejma Ezzahra, le 21 décembre 2024.
C’est à la galerie Kalysté à la Soukra que l’artiste Hamadi Ben Neya donne vie à 55 œuvres d’art conçues avec du bronze et du fer. Le sculpteur manie la matière habilement et sublime l’espace, le temps de l’exposition «Bronze Dance» qui s’est achevée hier.
L’exposition tourne autour de la chanson, la danse, et une culture populaire. Avec de la matière, le créateur crée des œuvres attrayantes, dansantes, figées dans des pauses qui racontent des corps en mouvement, l’art populaire, ses contes et anecdotes.
A la vue de sa grande exposition, l’artiste fait danser ou bouger le bronze et pas qu’un peu. Il expose ses œuvres dans deux parties distinctes de l’espace : la première est consacrée à des créations modernes et d’autres qui racontent notre histoire, patrimoine ou contes et musiques tunisiennes d’antan, connues de tous les Tunisiens. «Ommek Tango», «Bou Saadia», «Bou Teliss», «Bou Tbila» ou encore «Azouzét Stout», autant de figures qui ont profondément habité notre imaginaire collectif et notre enfance sont désormais reconstituées à travers les œuvres en bronze et en métal de Hamadi Ben Neya.
Le créateur manie et modèle des déchets, du fer et principalement le bronze pour «Bronze dance».
Il plie la matière et fait usage du feu afin de concevoir une cinquantaine d’œuvres créées sous différents formats. La partie de l’exposition consacrée à notre imaginaire populaire reflète le pouvoir de la transmission, pratiquée jusqu’à nos jours d’une génération à une autre, oralement, via la création manuelle ou encore la musique ou les histoires énoncées. Autodidacte toute sa vie, Hamadi Ben Neya puise son art de la récupération. Passionné de collecte d’objets et de matière souvent rare, il réussit à en faire des expositions, présentées en Tunisie ou à l’étranger.
Ses nombreuses participations à des symposiums internationaux ou nationaux se succèdent mais ne se ressemblent pas. L’artiste donne une seconde vie à de la matière et accorde une importance particulière à son processus de création. Les créations de Ben Neya voient le jour grâce au recyclage et sont «écolos». Le métal ou le fer sont conçus et vus autrement à travers les œuvres de cet artiste distingué.
Penser l’environnement lors des Journées cinématographiques de Carthage s’est concrétisé à travers la création d’une petite section consacrée à de longs métrages engagés et a sensibilisé les festivaliers et organisateurs au devenir d’un festival, responsable écolo. L’heure était à des JCC un zeste plus vertes. Naoures Rouissi, fondatrice de cette nouvelle section et directrice de la programmation du festival, nous en parle davantage.
En quoi consiste très concrètement cette nouvelle section « Green Carthage », qui a vu le jour aux JCC 2024 ?
«Green Carthage» est une initiative qui devait se faire et qui a, finalement, vu le jour dans un essai pilote. C’est un premier pas pour penser l’environnement et faire de notre festival national de cinéma une manifestation engagée écologiquement, dans la lignée des plus grandes manifestations cinématographiques dans le monde. C’est une préoccupation mondiale, une action importante, menée individuellement ou collectivement, pour la sauvegarde de notre planète et pour la lutte contre la pollution. Les festivals de culture et d’art doivent être engagés écolo dans le monde, les JCC aussi, donc. D’où l’émergence de cette idée de créer une section de films axés sur l’écologie à l’image du festival de Cannes, la Berlinale, Venise ou d’autres, mais surtout de penser tout un festival autrement. La participation des festivaliers aussi doit être responsable : diminution du papier, taxes symboliques sur les tickets des films, digitalisation, lutte assidue contre le plastique pendant toute la manifestation. Pour les JCC 2024, nous avons fait appel à «Chkarty», pour des «Totebags» écologiques, puisque l’enseigne tunisienne est fondée sur le recyclage. C’est vrai qu’un festival fait bouger toute une ville, mais, en contrepartie, la pollution augmente : plastiques, carburants, cigarettes, déchets.
«Green Carthage» était une petite section dans cette 35e édition. Est-ce parce qu’il s’agit de son lancement ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les films verts retenus pour cette année ?
C’est une section sans compétition, au format petit, avec 5 films seulement programmés. C’est un test avec projections et débats. Nous avons l’ambition de la faire évoluer, de faire un prix «Green» pour les prochaines années et de sensibiliser sur une industrie de fabrication de films moins polluante, aussi parce que les tournages de films polluent beaucoup l’environnement. Parmi les films nous citons «Sh’hili» de Habib Ayeb et l’espagnol «Papillons noirs» de David Baute et trois autres. Le réalisateur était aussi engagé et a soutenu l’idée directement, lui qui a toujours réalisé des films qui visent à traiter des sujets liés à la protection de l’environnement. Même en feuilletant le programme, vous trouverez une mention verte «Green » qui montre qu’un titre de films est classé dans notre section écologique. Nous voudrions nous ouvrir sur le cinéma à réalité virtuelle. Je n’oublie pas «Breath» d’Ilaria Congiu. La réalisatrice italienne a eu un réel plaisir à mener le débat avec ses spectateurs après la projection. Les révélations faites dans les films verts interpellent et choquent. Ce sont des films qui suscitent clairement le débat.
Pourquoi cette initiative a pris autant de temps à voir le jour ?
La question était soulevée, depuis longtemps. Elle s’est concrétisée cette année avec la volonté de la faire clairement évoluer dans un avenir proche. Il était temps que les choses bougent et qu’on adopte des initiatives orientées «écologie». Les rapports des ONG et des associations à travers le monde sont alarmants. Il faut que la Tunisie suive cette manière de faire et suive d’autres exemples internationaux de manifestations engagées.
Dans son premier court métrage d’une durée de 19 min, Bechir Zayene, réalisateur, sensibilise à une cause juste, celle de la lutte contre les violences faites aux femmes et, globalement, faites aux personnes à capacité réduite. « Au-delà de la réalité » ou « Beyond Reality » lève le voile sur une dure réalité. Il est retenu en compétition officielle Court métrage fiction lors de la 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage. A l’affiche, Fatma Sfar, Kahena et la participation spéciale de Nadia Boussetta et Najla ben Abdallah.
Vous êtes connu en tant que photographe, et à travers le court métrage « Beyond Reality », vous voici réalisateur. Comment cette conversion a eu lieu et comment est née votre réalisation ?
C’était dans le cadre d’une action que je devais accomplir au sein d’ONU Femmes. L’équipe a pensé qu’il serait utile de faire quelque chose pour sensibiliser contre les violences faites aux femmes. C’était la genèse de « Beyond Reality », d’où l’idée de réaliser ce court métrage, qui mettrait à nu de nombreuses formes de violences. Mon inspiration, je l’ai puisée de la série à succès «Black Mirror». Je l’ai structurée en créant un lien conducteur, d’où l’émergence de ce court scénario que j’ai écrit en consultant Ahmed Essid, scénariste, qui m’a accompagné dans ce processus. Je suis autodidacte, et je me devais d’être accompagné. C’était un appui d’une grande utilité et qui m’a permis d’étoffer mon histoire le plus possible.
Comment expliquer l’omniprésence de la très haute technologie dans votre film et son lien avec les violences faites aux femmes ?
La femme, ou tout humain qui subit une violence, est marquée. Les agressions mentales ou physiques ne disparaissent pas. Face à l’émergence de l’Intelligence Artificielle et aux réseaux sociaux, générateurs de violences diverses, les limites sont enfreintes totalement. Technologie et violences vont de pair ! L’I.A. remplacera bientôt plusieurs fonctions, plusieurs métiers. Peut–être qu’elle atteindra, un jour, un seuil d’intelligence émotionnelle développé. Tout est possible ! Nous vivons une période de transition profonde.
Pour le scénario, est-ce qu’il a vu le jour rapidement ?
Pas vraiment. Une dizaine de jours ! Je me suis isolé pour le réfléchir et j’ai dû rassembler les idées que j’avais. D’ailleurs, on le sent dans le film : c’est une succession d’événements qui sont liés les uns aux autres. J’ai fait un brainstorming utile finalement qui a donné vie au film. On voit l’héroïne passer un entretien symbolique, aux prises avec son passé et les événements d’après ont suivi d’une manière fluide.
Le titre du film en anglais est «Beyond Reality» ou «Au-delà de la réalité». Quelle réalité pointez–vous du doigt ?
C’est la nôtre : l’image qu’on voudrait vivre, qui n’existe pas, qui est derrière les écrans, celle des apparences, du Bling–Bling, jusqu’à la déconnexion de la réalité, de notre vrai contexte, de la vie. Le moment de la documentation prétournage du film m’a reconnecté à la réalité. On vit des traumatismes collectivement jusqu’à la banalisation. Nous vivons dans une réalité dissociée des artifices créés par les écrans et Internet.
Avez-vous eu à élaborer une documentation fournie ?
Oui, avant, mais pas en tant que réalisateur. C’était l’année dernière. Je prenais les informations, je les fouillais et les mettais à bon escient. Je raconte des faits dans la subtilité. Les violences courantes telles que vous les avez vues dans le film en mettant en évidence le manque d’empathie, les agressions digitales, la société écrasante et sans merci. Le manque de soutien.
Le personnage principal passe un entretien. Elle le fait pour qui ?
Pour la société elle–même. Pour avoir son approbation et ses attentes. C’est une image métaphorique.
Le personnage principal est celui d’une jeune femme, «Hayet», qui souffre d’une malsurdité. Pourquoi avoir esquissé un personnage fragile ?
Afin d’inclure les violences faites aux personnes à capacité réduite. Après plusieurs études effectuées avec ONU Femme, ceci nous a tenus à cœur. Le handicap devait apparaître furtivement à la base, ensuite on s’est dit autant l’inclure totalement. Le handicap génère souvent un manque de communication, une incapacité à se défendre souvent ou à exprimer une détresse.
Loin de tout, comme dans une contrée aride et isolée, vivent Achraf et son cousin Nizar. Les deux adolescents font paître leur troupeau, quand ils sont violemment attaqués par des terroristes. L’un d’eux est tué quand l’autre devra informer leur famille. Choc, hallucinations, perte de repères et cri d’alerte inaudible, « Les enfants rouges » est le récit d’un traumatisme qui happe.
Ils ont 14 et 16 ans, et refont le monde dans leur élément naturel : montagnes, sources d’eau et paysages rocheux, à perte de vue. Le lieu, dans le film, accentue les difficultés d’un quotidien, fait écho à la survie des enfants et de leur famille et creuse le sentiment d’être oublié. Mais au-delà de la misère, la lumière toujours… car les deux adolescents s’accrochent à leurs rêves, à leurs espoirs et à la compagnie de leur troupeau, leur source de subsistance.
Leur quiétude est broyée par l’attaque sanglante d’un groupe de terroristes, qui assassine Nizar, et laisse délibérément en vie Achraf. En guise de messager, le jeune survivant devra informer son clan. Ces terroristes agissent d’une manière habile, discrète, et font des montagnes désertes leurs terreaux. Ils tiennent surtout, au fil de leurs agissements macabres, à lancer des messages intraçables pour marquer leur territoire et faire savoir qu’ils ne sont jamais bien loin, prêts à surgir pour attaquer.
Une quête de survie
Sous la violence du choc, Achraf perd conscience, se reprend doucement, a dû mal à réaliser la mort barbare de son cousin, décapité sous ses yeux. Livré à lui-même dans un paysage écrasé par la chaleur, entre perte de conscience, hallucination, déshydratation et volonté de se faire entendre et de crier secours, les frontières entre réalité et imaginaire se mêlent et font toute l’atmosphère du long métrage. Entre souvenirs et bribes du choc qui habiteront désormais son subconscient, une histoire, en partie onirique, s’installe et accompagne l’adolescent jusqu’aux siens.
Entre les plans panoramiques, le murmure du vent, et le silence assourdissant d’une nature sèche, l’enfant avance en solo. Le film passe d’un récit solitaire à une dimension collective. La famille est intégrée dans l’histoire. Latifa Gafsi, dans le rôle de la mère meurtrie, ajoute une couche à la tragédie, jusqu’à inclure voisinage, autorités…
Le film tourne désormais autour de la famille, et de sa détresse étirée dans le temps. Les évènements se suivent, dans le but d’être écoutés par les autorités absentes, de désigner les coupables, de retrouver le corps et de pouvoir l’inhumer, faire le deuil et enfin encaisser le choc, après un si long périple qui s’avèrera pénible.
« Les enfants rouges » s’inspire de faits réels survenus en Tunisie en 2015, quand Mabrouk Soltani, berger, s’est fait décapiter par des terroristes dans la montagne de Méghilla.. Les mêmes criminels récidiveront, deux ans après, et tueront de la même manière son frère Khalifa Soltani, dans une indifférence totale des autorités, et face à la sidération des Tunisiens. Lotfi Achour tenait à mettre en lumière cet évènement marquant, contre l’oubli. « Les enfants rouges » traite avec une grande maîtrise cinématographique ce drame abject. Il porte la voix des oubliés de l’Etat. Le film est en compétition officielle long métrage de fiction pour les JCC de 2024, dont le palmarès sera annoncé aujourd’hui samedi 21 décembre 2024.
Le réalisateur Yoro Mbaye assure à son public une plongée éclair mais brutale dans un environnement rude. Ses protagonistes n’ont de but que d’assouvir leur faim et littéralement leur gagne–pain. «Lees Waxul» est un court métrage sénégalais d’une vingtaine de minutes, qui raconte une discorde intra-familiale autour du pain rassis.
Ousseynou vit dans un village où le pain est un luxe. Le posséder peut être un signe d’aisance, le fabriquer est carrément un symbole de richesse. L’homme, qui était pêcheur initialement, vit de la vente de la «Fagadaga» (pain rassis), pour réussir à nourrir les siens. Son relationnel avec le voisinage paraît solide. Sa réputation est globalement bonne, et l’homme arrive à joindre les bouts. Jusqu’au jour où sa belle–sœur, prénommée Nafi, décide d’ouvrir sa propre boulangerie traditionnelle, écrasant ainsi son commerce et creusant surtout les inimitiés entre eux.
Commence, alors, une discorde voire un chassé-croisé, tout sauf amical, à couteaux tirés.
Les coups bas sont pensés et les mouchards s’en mêlent, le tout dans un non-dit assourdissant. Les relations se détériorent et les actions malsaines prennent le dessus. La tension est à son comble, sans qu’elle ne soit très visible ni apparente. La force du court métrage de Yoro Mbaye réside dans sa capacité à transmettre intensément des émotions, sans que la mésentente soit filmée, visible. C’est peut-être ainsi qu’on reconnaît la force d’une écriture, d’un scénario. Son image de patriarche de la famille est ternie, sa vente de pain rassis en prend un coup et la menace plane.
Grâce à une direction d’acteurs irréprochable, hautement bien gérée, les acteurs finissent par faire parvenir la fable en peu de temps, racontée dans «Lees Waxul». A l’affiche, principalement un duo d’acteurs qui interpelle : Alassane Sy et Fatou Binetou Kane. Le court métrage, qui nous parvient directement du Sénégal, a été retenu dans des festivals dans le monde, dont Namur récemment. Il figure dans la compétition officielle des courts métrages de fiction lors de la 35e édition des Journées Cinématographiques de Carthage.