Une lumière sublime les créations de Hassene Jeljeli depuis le 9 décembre à la galerie « Musk and Amber ». « RAW», son exposition solo, est accessible encore au public jusqu’au 31 décembre 2022, désireux de découvrir les créations du jeune designer, architecte et entrepreneur.
Dans « RAW », qui signifie littéralement « Cru » en français, les créations de l’artiste épousent parfaitement les coins, recoins et murs de la galerie « Musk & Amber ». Le titre fait référence à la matière, déformée, transformée de Hassene Jeljeli, et qui donne lieu à des pièces uniques. L’acier se mélange au marbre, au bois, au fer, aux verres et donne vie à des meubles, tables, chaises, luminaires et autres créations attractives, certaines plus que d’autres.
D’un coin à un autre, dans l’enceinte même de la galerie, les pièces sont exposées, présentées séparément, mais en harmonie : une rudesse se sent au fil de son œuvre complète, forte de sa finition. L’artiste n’a pas hésité à concevoir des objets hybrides, en mélangeant bois, marbre, acier perforé. Le tout, exposé en brillance. « RAW » puise sa force des matériaux cités et qui existent en quantité en Tunisie. Via une approche structuraliste, Hassene donne vie à des meubles et luminaires, fort attractifs.
«Depuis 2016, je travaille sur le design d’où ma marque ’’JK Lighting‘‘. ’’RAW‘‘ est une occasion de présenter mes créations au grand public dans le cadre d’une exposition solo », déclare Hassene Jeljeli. L’exposition est une rétrospective de son travail effectué depuis 6 ans et est un clin d’œil à l’architecture d’intérieur du Show-Room d’Anissa Aida, styliste-modéliste et également son épouse. « Comme je lui ai créé tout l’immobilier en bois, je me suis dit pourquoi ne pas intégrer le nom d’Anissa Aida dans l’expo, par l’immobilier », précise Hassene Jeljeli.
«Raw» ou « Cru » se réfère à une approche propre à l’artiste, brutaliste. A la vue des objets et des collections, on saisit son processus de création, sa genèse au fil des collections présentées, citons, à titre d’exemple, la collection X², faite avec 3 lampes différentes en 3 formes, avec trois matériaux distincts, tel un trio fait en toile perforée, marbre ou en bois. Une autre collection s’appelle « Iron Lamps » : il s’agit de la réinterprétation d’un lampadaire « chinois », revisité avec la même technique de la toile perforée. Une 3e, s’intitule « Four By Four ». Sans oublier, la touche «Noël », d’où l’installation d’un sapin, grandeur nature.
Hassene remporte le prix du talent émergent de la « Tunisia Design Week », 3 fois, successivement en 2019, 2020 et 2022, et s’est fortement distingué dans l’édition la plus récente de la compétition internationale « Lighting Design, Lamp 2022 ».
Omar el Ouaer est pianiste jazz et compositeur. Il participe à une tournée musicale unique dans son genre aux USA, depuis octobre 2022, et s’apprête à concrétiser de nouveaux projets. Dans cet entretien, il nous parle de son actualité et lève le voile sur une scène jazz tunisienne en agonie.
Crédit photo : Mehdi Hassine
Vous avez entamé une tournée musicale aux USA et qui se poursuit prochainement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le leader du projet est bien Yacine Boularès. Il a eu l’idée en 2021, en plein Covid, de créer un groupe de jazz tunisien, qui ne fait pas vraiment du jazz, mais il le mixe à des sonorités tunisiennes. Il y a eu du rap en arabe littéraire, des chansons écrites par Nesrine Jabeur et la musique composée par Yacine. Yacine est saxophoniste, basé à New York. Il tenait à mettre en lumière cette génération de musiciens tunisiens qui a émergé, et pour lui, c’était une manière de montrer que cette musique s’exporte très bien à l’étranger aussi bien aux USA qu’en Europe. On a passé une année à travailler. On a tenu bon, malgré la pandémie… Yacine nous a décroché une petite tournée en octobre 2022 : on a participé à un festival en Côte d’Ivoire et enchaîné avec une première partie aux USA en octobre 2022 : on a fait New York, Duke University, New Jersey. C’était une mini-tournée de 4 dates qui s’est bien déroulée avec une résidence artistique. La 2e partie se fera en janvier 2023. On est 7 musiciens : moi-même au piano et au Keyboard, Jihed Bedoui à la basse, Youssef Soltana à la batterie, Hedi Fahem à la guitare et au Ouatar (instrument tunisien traditionnel), Nesreddine Chebli à la percussion, le rappeur Mehdi WMD, Nesrine Jabeur au chant et, bien sûr, Yacine Boularès qui chapeaute.
Comment percevez-vous la scène Jazz actuelle en Tunisie ?
D’habitude, je suis très optimiste. Ces derniers temps, il y a un effet étrange qui persiste… Post-Covid, peut-être ? On constate qu’il n’y a presque plus d’endroits où jouer de la musique live. Il y en avait beaucoup avant, mais plus maintenant. Les musiciens passent par une phase critique, faute d’endroits où jouer. Financièrement, c’est aussi la chute libre. Ce qu’on vit en ce moment est dérangeant, pénible, dur. Ce n’est pas les lieux qui manquent pourtant, mais presque aucun ne veut ouvrir ses portes à la musique Live. Cette baisse drastique de lieux où se produire est inquiétante. Notre communauté n’est pas unie : elle s’agrandit pourtant, mais elle est divisée. Le jazz club de Tunis nous réunissait avant… ça donnait de l’impact. Cela nous a donné plus de visibilité. Mais on n’a pas su créer une plateforme qui nous rassemble. La génération actuelle n’a pas où se produire, où apprendre. Il y a beaucoup de facteurs annonciateurs d’une crise de la scène jazz. Il faut s’interroger encore sur ce qui cloche. Les médias devraient encore plus nous soutenir. C’est aussi de notre faute : on ne fait pas assez d’efforts. Je vais lancer un appel aux musiciens prochainement pour essayer d’y remédier. Notre but suprême reste de soutenir la scène locale qui, actuellement, agonise. Il faut trouver une solution tous ensemble en impliquant les propriétaires des clubs, médias, public, musiciens. Il y a un gros malaise : en tant que tunisiens, on a besoin de cette scène. On est oublié par l’Etat et la Cité de la culture. On existe pourtant ! La Tunisie a toujours été une terre de jazz : le festival de Tabarka l’atteste. Le festival de Carthage, dans sa première édition, était jazz. (Très peu de gens le savent). Toutes les icônes du jazz mondiales sont passées par la Tunisie… Aux USA, récemment, les Américains étaient surpris de découvrir notre musique et notre patrimoine. Il y a un potentiel énorme, mais l’Etat ne veut rien voir. La transmission doit se faire de génération de musiciens à une autre. Il faut être rassembleur, fédérer et s’accrocher encore de nos jours.
Avez-vous des projets à venir ?
Je travaillerai en trio pour mon prochain disque. Le 3e. Les deux autres sont sortis en 2014 et 2019. Deux musiciens sont venus en Tunisie pour une résidence : Guilhem Flouzat et Clément Daldosso. Ce projet musical qui verra le jour bientôt est soutenu par l’Agora et l’Institut français de Tunisie. Actuellement, je cherche à l’enregistrer à Paris en 2023. Je fais partie aussi d’un Quartet en Tunisie. Tous les quatre, on a joué dans le cadre du 18e Sommet de la francophonie à Djerba. C’était dans un musée traditionnel : c’est l’Agence du Patrimoine qui nous a contactés. Je prépare, depuis, un projet avec cette même agence qui vise à promouvoir les musées de Tunisie à travers la musique, comme une tournée afin de les faire connaître. Je suis à la recherche de soutien financier. L’idée, c’est de faire tourner un projet musical dans les musées et les sites archéologiques tunisiens. J’essaie aussi de monter un projet de workshops de jazz qui viserait à créer une rencontre entre des musiciens américains professionnels et des musiciens tunisiens. Je cherche des fonds pour cela. En tant que musiciens, on a appris dans des stages auparavant : l’idée est de continuer à initier la nouvelle communauté à la musique jazz. C’est utile pour les jeunes artistes montants qui n’ont aucun environnement où apprendre, qui ne savent pas où se produire, où pratiquer. Le fait de monter un projet actuellement en Tunisie est difficile, et travailler avec l’étranger revient aussi cher, mais nous le ferons.
Mabrouk Elkamel, alias « Bzaow », offre une déflagration de formes et d’organes à travers ses œuvres exposées dans « Autoportrait », titre de son exposition personnelle, maintenue à la galerie Alexandre Roubtzoff-La Marsa jusqu’au 3 décembre 2022. La galerie-espace d’enchères fête, cette année, son 8e anniversaire.
On est comme happé dans un ramassis de détails, rocheux, colorés ou organiques. Des objets ? Des formes éclatées ? Des corps humains dépecés ? Des figures animalières ? Autant de composantes identifiables ou presque font les tableaux de « Bzaow », qui se laissent lire, ou interprétées différemment. « Autoportrait » est une succession de tableaux inédits émanant d’un inconscient personnel, mais qui raconte le collectif. L’artiste fusionne plusieurs fragments, dans un seul cadre, en usant de plusieurs techniques : encres sur toile, à l’origine des taches et des mouvements perçus. De l’eau, des minéraux, et des cristaux salins sont perçus.
Ses toiles racontent son imaginaire, des parcelles d’histoires personnelles, des scènes de vie ou des souvenirs fragmentés, déformés, reflétés dans une narration picturale propre à « Bzaow », parfois saisissable ou pas. En effet, quelques œuvres prennent sens, d’autres sont éclatées. À première vue, son travail paraît chargé : il interpelle, attire souvent, et parfois repousse, mais, à y voir de plus près, il se laisse lire, et aspire le récepteur dans les confins d’un vaste subconscient.
L’univers « Bzaow » se traduit via son acte de création distingué, qui donne lieu à des formes souvent organiques, parfois géométriques, primitives. Son œuvre est truffée de symbolisme et relate des comportements humains ou bestiaux, un vécu collectif, une expérience sociétale, un imaginaire social. Toutes ces parcelles forment des tableaux porteurs d’histoires inachevées, suspendues dans le temps, en perpétuel devenir. Des attributs féminins, masculins, ou hybrides prennent forme, vivent même dans un cadre, disparaissent, et reprennent forme différemment dans un autre. « Autoportrait », cette expo personnelle, est atemporelle : elle oscille entre « rationnel » et « abstrait », « Dynamisme » et « statisme ». L’artiste raconte autrement et à sa manière le « cycle de la vie humaine ».
Mabrouk El Kamel est né à Sidi Bouzid en 1980. Après une maîtrise en beaux-arts (spécialité sculpture) obtenue à l’École des Beaux-Arts de Tunis, il participe à plusieurs expositions collectives en Tunisie et à l’étranger. En 2019, il effectue une exposition personnelle de son travail à Strasbourg. En 2020, il est choisi parmi les 18 finalistes du « Yicca Art Prize ». Connu aussi sous le pseudonyme « Bzaow », il travaille en parallèle au « Centre international d’études, de recherches, de documentation et de formation sur le handicap».
Faire d’un âne le protagoniste central d’un long métrage est un challenge de taille hautement relevé. Jerzy Skolimowski, dans sa dernière œuvre polonaise en date, a offert à son public une errance inédite sur grand écran. Arrêt sur «Eo», prix du jury à la 75e édition du Festival de Cannes.
«Eo», titre intriguant pour un film à l’affiche attractive et juvénile, pourtant, la portée de l’œuvre dépasse l’attendu : elle est universelle, dure et prône une cause juste. Le public est imbibé par des plans attrayants, ceux des lieux où a navigué sur 1h25 «Eo», l’âne : brave et résistant.
Le film est une ouverture vers le monde, vu à travers les yeux de cet animal : Il erre dans un monde injuste, dangereux, enchaîne les rencontres bienveillantes et malveillantes, esquive les dangers, fait l’expérience du bonheur, et du malheur. Sa bonne étoile l’accompagne, et son éternelle innocence le rend attachant. En se basant, sur sa thématique engagée pour la cause animalière, cette fiction, à bien des égards, fait de l’ombre à d’autres films, présentés simultanément, dans la même section cannoise ou dans d’autres.
La fiction, à la structure narrative éclatée, est signée par un maestro de 84 ans. Une proposition, qui marque un renouveau et casse avec le classicisme au cinéma. «Dixit» le Storytelling connu, place à une nouvelle expérience sensorielle et visuelle revigorante.
Son sens de la transgression, son audace ont peu d’équivalence dans le cinéma contemporain. Tel un itinéraire, le film est vécu comme à dos d’âne, confronté à des situations glissantes, exaltantes, douces-amères, voire violentes. «Eo» est une errance ponctuée d’égarements, discontinue et peu éloquente par moments. L’anthropomorphisme est présent dans l’œuvre qui rend hommage à un animal au tempérament unique, à la patience légendaire, à la grâce effacée aux yeux des humains. L’apparition d’Isabelle Huppert fut brève mais solaire. Ce coup de sabot d’«Eo» fait écho au génie de Skolimowski. Le film est une allégorie insoutenable de la folie humaine.
L’édifice ne manquera pas de taper dans l’œil des passants. La 3e librairie «Al Kitab-Mutu», située en plein centre du quartier de Mutuelleville-Tunis, est désormais accessible aux clients, passionnés d’expositions d’arts, et d’intellectuels, à l’affût de nouveautés littéraires.
Dans la lignée d’«Al Kitab-Avenue Habib-Bourguiba, Tunis», et «Al Kitab-La Marsa», cette troisième adresse voit le jour, en ayant une structure nouvelle, plus spacieuse, réservée à d’autres activités : expositions de tableaux, clubs divers à vocation culturelle et artistique auront lieu désormais sur place et l’espace est conçu afin de tout abriter, y compris la vente importante de livres. Ce même univers s’étend et devient ainsi plus attractif, de par sa conception et son contenu. Cette adresse unique tend, en effet, à faire évoluer le concept de librairie, et le présente comme étant un espace de vie fait de zone d’animation, de galerie et de café.
L’enseigne «Al Kitab» ambitionne de concevoir un lieu de vie qui rime avec art et accès aux livres, à faire perdurer l’histoire d’Al Kitab (qui dure depuis 1967) et tient à être en phase avec son époque, à se distinguer. Cette nouvelle adresse dynamisera le secteur du livre en Tunisie, aux prises souvent à des difficultés.
Une douzaine de personnes veilleront à dynamiser le lieu, qui s’étend sur 400 m2, constitué de 3 étages, consacrés à la vente de livres, aux expositions artisanales et artistiques et à un «Rooftop», qui fait office de café/restaurant. Priorité à la langue française : «Al Kitab-Mutu» met à la disposition de sa clientèle 75% d’ouvrages en langue française, 15% en langue arabe, 8% en anglais et 2% en d’autres langues. 40 rayons en tout sont consacrés à la vente d’ouvrages : près de 250 éditeurs y seront visibles. Cette nouvelle Mecque du livre est désormais ouverte 7/7 jours. Sa conception est moderne : elle répond à des normes internationales et à des attentes, dans l’air du temps. Au moins, 4 événements ponctuels verront le jour chaque semaine : la programmation oscillera entre dédicaces et présentations de livres, expositions d’art et de tableaux, conférences, vernissages, ateliers, y compris pour les enfants. Le lieu sera visible sur les réseaux sociaux. Il vise à être au maximum attractif, et soutient la vente de livres sur place, plus que l’achat en ligne. Gérants / propriétaires de l’endroit cassent ainsi avec le format classique connu des librairies, et en font un lieu de vie. Toute la programmation en continu est présentée sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram.
Comme son titre l’indique, ce film court de Rami Jarboui nous plonge de nuit, dans une cité glauque, amochée par la crise économique, en plein délitement et où l’étrange y règne dans chaque coin de rue. Cette étrange cité n’est autre que la capitale «Tunis». «About the Strange City » est une version courte tunisienne revisitée de l’œuvre originale d’Abdeljabbar Eleuch «Les incidents de la ville étrange».
Bienvenue dans un «Tunis by night» qui n’a rien de festif : un Tunis de nuit lugubre, peuplé par des âmes errantes : ivrognes, mendiants, citoyens lessivés de passage, écrasés par un quotidien lourd, travailleurs de nuit, couples amoureux discrets et frustrés, vivants sur cette mythique artère principale de la capitale, appelée couramment «l’Avenue». Toutes et tous défilent à une heure tardive, par un soir caniculaire. Ici est l’endroit où se dérouleront des événements surréalistes, propres à une ville étrange.
Ce court-métrage a un cadre spatial qui est mis en abîme : un grand lieu, grande avenue «Habib-Bourguiba», qui abrite ce bar iconique, bondé d’hommes, où se déroulera la quasi-totalité des événements. «L’univers», ce bar du centre-ville, traversé par mille et une histoires au quotidien, verra entrer Salah, un client fidèle de l’endroit, qui après s’être abreuvé de bières, et lu son journal, décide de rentrer… Mais n’y arrive pas. L’homme est collé à sa chaise, incapable de se lever. Tout le monde l’entoure pour lui trouver une solution et le décoller de son siège. Une cacophonie se déclenche et une agitation aigrie des gens autour se fait sentir… face au désespoir de ce dernier, qui ne comprend pas ce qu’il lui arrive.
Le spectateur ne tardera pas à saisir la dimension métaphorique du film, mais propre à un lieu plus vrai que vrai, à l’ambiance réaliste faite de noirceur nocturne et d’insécurité. L’image est hyperbolique : elle raconte un pays qui broie du noir, rongé par une crise économique et sociale profonde, meurtri par les ego de ses dirigeants, accrochés au pouvoir.
Des leaders, qui se font chasser par un peuple qui rage, qui s’impatiente, au bord du désenchantement… Mais dans «About The Strange City», ce sont les artistes et les intellectuels qui sont visés et dont l’agonie se fait sentir. Leur précarité fait écho à leur souffrance, et à leur désarroi. Ils sont sujets à des persécutions, subissent censure et atteintes et sombrent progressivement dans un abîme sans fin. L’image esquissée dans le film crie d’une manière singulière une détresse. Rami Jarboui la filme durant 18 min, à travers ce court remake, porteur d’une réflexion. «About the Strange City» est un essai métaphorique. Une adaptation sur grand écran présentée pour la première fois dans le cadre de la section «Adaptations» lors des Journées Cinématographique de Carthage 2022 et produit par «Key Prod».
«Abeille», le film court de Mouna Ben Hammed est un portrait filmé. Incisif et poignant, l’essai filmique est une tranche de vie : celle de Deborah Lindoume, femme subsaharienne d’origine congolaise vivant en Tunisie. Une vie, un cheminement difficile, et un accomplissement, partagé avec sincérité.
Le film s’ouvre sur le quotidien de Deborah Lindoume, mère battante, qui aspire à un quotidien meilleur. Deborah arrive en Tunisie, pense partir en Europe avant de, finalement, rester. Elle est maman de deux enfants. Surnommée l’ « Abeille » depuis qu’elle est gamine, elle évoque son parcours, et se livre dans des confidences personnelles. Elle brise l’intime et revient sur son enfance : elle explique pourquoi elle a changé de nom à l’âge de 8 ans, s’exprime sur le sens de son prénom «Deborah», qui signifie «Abeille» et revient sur les origines de ce surnom attrayant. «La vie en Tunisie est très difficile pour les Subsahariens, pour les Noirs. On ressent souvent qu’on n’est pas les bienvenus. On nous insulte, on nous lance des piques, on nous appelle autrement. En Tunisie, comme ailleurs, ce vécu reste difficile». Confie-t-elle. Il s’agit d’un racisme ordinaire, violent, commenté pendant ce court métrage de 7 min 27. Deb a expliqué vouloir partir en Europe clandestinement et s’est finalement désistée quand elle a su qu’elle était tombée enceinte de sa fille. Devenir mère l’a rendue encore plus forte, endurante. La jeune maman dit avoir une vie meilleure : elle partage ses ambitions, ses plans d’avenir, ses projets de vie.
Le film est pertinent et ne tombe pas dans le pathos : le spectateur se rapproche du personnage central, compatit, et en même temps, se sent admiratif de son parcours. Son témoignage est vu et écouté de bout en bout et s’achève sur une note positive et optimiste. «Abeille» se clôt sur des images de ses enfants, des photos de famille et des souhaits à concrétiser. Le film est produit par l’ONU Migration / Pontes. Il est scénarisé et réalisé par Mouna Ben Hammed, dans le cadre de la campagne «Esshih». Mouna est jeune réalisatrice et artiste visuelle.
«Les jardins des secrets», titre intrigant pour une pièce de théâtre marocaine signée Mohamed El Hor. Elle a été présentée lors de cette 23e édition des Journées théâtrales de Carthage au public. D’une durée de 80 mn, la représentation était juste une occasion de découvrir un théâtre, qui nous vient du Maroc… faute d’intrigue saisissante.
Scénographie en place, voix off masculine qui accompagne le public et présence saisissante des trois interprètes… autant de composantes qui interpellent sur scène. Elles sont annonciatrices d’une histoire qu’on sent venir, mais qui n’arrivera pas comme souhaité. «Les jardins des secrets» rassemble pourtant différents ingrédients, nécessaires à la narration d’une tragédie théâtrale.
L’homme, figure paternelle, mari, mélancolique, effacé, sonne le glas d’un conflit familial. Il traîne une vie qui n’est pas la sienne, a épousé, «dans le respect» des traditions, une femme qu’il n’a jamais aimée. Leur union erronée est issue probablement d’un arrangement familial aux répercussions néfastes. L’épouse est fille de fortunés. Dépressive et malheureuse, n’ayant jamais aimé son époux, elle finit par entretenir une liaison avec un amant, aussitôt découverte. Leur vie de couple se disloque, devient un enfer et impacte la vie de leur fille unique. Cette dernière a suivi le mauvais exemple de ses parents en épousant un mari qu’elle n’a jamais aimé, et en se pliant à son tour aux traditions étouffantes. La jeune fille fuit ce mari la nuit de ses noces, et meurt dans un accident de voiture. Une mort qui hantera longtemps ses parents.
«Les jardins des secrets» est composée de plusieurs chapitres, aux différents titres, affichés en arabe, pendant la représentation. Tragique, la pièce, aux événements saccadés, raconte la détresse de cette famille, vivant au bord de l’abîme, dans un dialecte marocain peu saisissable, sans surtitrage. Le rythme lent et long, les émotions étirées sur scène dans d’interminables répliques, le ton monotone en voix off et l’intrigue pesante brouillent le spectateur. Ce dernier perd le fil et se perd dans des événements éclatés, des discours alertes, des lectures, des monologues ou dans différents échanges.
Cette création théâtrale, à la configuration classique, raconte le mal-être de l’humain et traduit sa fragilité, sur fond de tragédie familiale, ponctuée de quelques définitions psychologiques ou philosophiques : complexe d’Electre, Freud, Sartre… La pièce crie, nonchalamment, une existence vaine : celle d’un être humain qui s’interroge sur «Sa raison d’être», face aux épreuves. La pièce crie de nombreux vides existentiels et sombre totalement à son tour. A l’affiche de la création, Jalila Talemsi, Hager El Hamidi et Yassine Ahajjam.
Produit phare typiquement tunisien, connu dans le monde entier, l’harissa fait sensation en l’intégrant dans le patrimoine immatériel de l’Humanité. Piquante et relevée, elle tire son origine des piments séchés au soleil. 100% tunisienne, son succès n’a cessé de retentir à travers l’histoire, celle de la Tunisie, et ne passe sûrement pas inaperçue dans différents plats et recettes.
Le 1er décembre 2022 est désormais une date historique : l’Unesco a, en effet, fait honneur à l’Harissa en l’inscrivant dans son patrimoine immatériel de l’Humanité. Une consécration souhaitée depuis longtemps, et désormais assouvie. « L’harissa, savoirs, savoir-faire et pratiques culinaires, sociales et millénaires », cite le comité à la tête du patrimoine immatériel de l’Humanité lors de l’annonce de cette nouvelle. Ce même comité valorise des us, coutumes, et des pratiques ancestrales uniques, à travers toutes les sociétés du monde, bien plus que les produits matériaux. La fameuse harissa conserve sa saveur unique grâce à l’huile d’olive et possède un goût meilleur grâce aux épices 100% locales et à ses piments séchées au soleil, particulièrement piquants.
Ce produit culinaire inestimable pour la Tunisie peut s’inviter dans de nombreux plats tunisiens : elle fait le bonheur des invités de la Tunisie ayant une connaissance culinaire autre, et est utilisée par des restaurateurs et chefs cuisiniers. Ce condiment s’exporte facilement et depuis longtemps à travers le monde et est considéré comme ingrédient, souvent incontournable. Sa saveur est unique et est représentative de l’identité d’un pays. L’harissa raconte un patrimoine culinaire national. Des villes, connues en Tunisie pour leur récolte des piments, la produisent, en lui insufflant un goût différent, propre à chaque région. Le Cap Bon, ses petites villes, et sa grande ville Nabeul sont connus pour leur harissa prisée par les touristes et les Tunisiens eux-mêmes.
Un dossier de candidature bien fourni, présenté auprès de l‘Unesco, a valorisé ce produit national. Il cite son importance dans la cuisine tunisienne courante, le plus souvent préparée par des femmes. L’harissa rime avec convivialité, célébrations, et entretient l’esprit communautaire.
Son histoire remonterait au XVIIe siècle. C’est à ce moment-là que l’exploitation du piment a commencé à s’ancrer en Tunisie jusqu’à sa déclinaison en purée piquante. L’appellation même de l’harissa provient du verbe arabe «harrasa» qui veut dire broyer ou écraser.
La liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité compte actuellement plus de 530 éléments inscrits, dont 72 qui restent à sauvegarder d’urgence, selon l’AFP. Adoptée en octobre 2003 et ratifiée par 180 pays, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel promeut la sauvegarde des connaissances et savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel, et les pratiques culturelles transmises de génération en génération, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, sans oublier les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers. Cet ingrédient est à consommer avec modération, trop de piquant tue le goût et peut avoir un mauvais effet sur la digestion. Il existerait même une Harissa sucrée, typiquement tunisienne aussi, mais ça, c’est une autre histoire…