Yacine Boularès, saxophoniste et musicien de jazz, s’est emparé de la scène des JMC, lors de sa 8e édition. Programmé en guise de clôture avec d’autres groupes, l’artiste-musicien s’est entouré d’artistes, comme le rappeur Mehdi WMD, Hedi Fahem, Nesrine Jabeur, Omar el Ouaer, Youssef Soltana et Nasreddine Chabli. Ensemble, ils forment «Osool», groupe musical distingué, qui se fraye un chemin, à l’international et qui chante l’identité en ayant un répertoire varié.
Vous participez aux JMC de 2023 en tant qu’intervenant dans des masterclass, mais aussi en tant qu’artiste-musicien programmé sur scène avec votre groupe «Osool». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le groupe s’appelle «Osool». C’est un groupe que j’ai monté il y a 2 ans, pendant la pandémie. À l’époque, il s’appelait «Night In Tunisia». Il a évolué au fur et à mesure. J’ai eu l’opportunité de créer le festival Habibi à New York, premier festival dédié à la musique actuelle du monde arabe. Je l’ai cofondé avec le Joe’s Pub – Public Theatre. Il remplit une fonction importante puisqu’il y a un vide culturel immense spécialement en ce qui concerne la musique actuelle du monde arabe et particulièrement celle du Maghreb aux USA. La première édition s’est faite en 2021, la 2e en 2022. En tant que cofondateur et artiste en résidence, j’ai eu l’opportunité de faire venir des groupes, de les choisir. Je tenais à ce que le groupe «Osool» fasse une tournée aux États-Unis. On a répété à distance, fait un concert à Tunis au théâtre de l’Opéra en 2021, un autre concert à Abidjan (Côte d’Ivoire), puis, c’était autour de la tournée américaine qui a débuté en octobre 2022. Deux soirs à New York à guichets fermés, dans le New Jersey, et on a fini à Duke University en Caroline du Nord. On a aussi enchaîné le travail dans un studio d’enregistrement. Dans le cadre des JMC, j’ai fait trois jours de Masterclass avec Hedi Fahem sur l’improvisation. Le public était diversifié et très présent.
Quel répertoire joue «Osool» ?
Il est plus orienté Jazz. Avec l’équipe, on a réalisé que ce qu’on voulait faire était différent, qu’il fallait mettre le rappeur Mehdi WMD en avant, qu’on voulait aussi écrire le répertoire autour de l’instrument de Hedi Fahem. J’ai donc écrit le répertoire en puisant dans le Hip-Hop, le chant de Nesrine Jabeur et dans le Ouatar. Le jazz reste présent : je suis saxophoniste, musicien de Jazz initialement, mais le jazz est davantage utilisé comme moyen de composition. La musique d’ «Osool» fusionne des sonorités tunisiennes : châabi, stambali. Du tunisien mélangé au Hip-Hop, au Outari donne au final un résultat hybride. Ce n’est pas un mélange forcé : il reflète nos identités. Notre identité commune en tant que Tunisiens ainsi que nos influences. Quand Hedi Fahem m’a parlé de Mahdi WMD, le rappeur, et quand j’ai écouté ses textes, découvert son écriture en arabe littéraire, senti son sens rythmique poussé, j’ai été attiré d’autant plus que ce n’est pas donné à tous de chanter en live. «Osool» surprend, il y a de l’inattendu, et voir notre rappeur s’adapter à cela, c’est excellent.
Que pouvez-vous nous dire davantage sur le Habibi Festival que vous avez co-créé aux USA ?
L’organisation s’appelle Joe’s Pub – public theatre. Ils ont un programme de résidence d’artistes destiné à 5 artistes, chaque année. C’est comme un incubateur qui les aide à monter des projets et à les soutenir. Quand j’étais en résidence dans ce cadre, je regardais énormément de concerts, je vivais là-bas et j’ai réalisé qu’aux USA, il y avait pas mal d’artistes de la diaspora arabe qui n’étaient pas assez représentés par rapport à d’autres identités ou ethnies, ou communautés, venues du monde entier. Aux USA, il y a même une image assez muséale de ce que c’est que la musique au monde arabe, qui se rapporte à l’âge d’or de l’Islam, la musique d’antan… Une image très policée qui ne reflète pas du tout l’alternatif qui bouillonne de nos jours et qui est immensément riche. C’est même sous-représenté aux États-Unis et j’ai fini par en parler au directeur du Joe’s Pub, qui était partant pour l’idée. On a lancé une première édition locale du festival en 2021 dans laquelle on a présenté une panoplie d’artistes pendant 4 soirs. La 2e année, on pouvait faire venir des artistes d’ailleurs, et leur garantir le visa. Un rêve qui se réalise pour moi ! Faire traverser les frontières aux artistes sous Trump pour participer au Habibi Festival, c’est un sacré accomplissement. En 2023, ça continue ! Le public suit et part à la découverte aux États-Unis, ce qui n’est pas le cas en France par exemple où le paysage est garni et reste très différent. C’est une opportunité formidable à saisir pour les artistes étrangers désireux de se produire sur scène aux USA. Je suis franco-tunisien, j’ai grandi en France. J’ai une relation musicale avec la Tunisie, mais je suis aussi beur. Dans ma tête, en tout cas, il y a toujours cette différence que j’essaie de combler, et une volonté de comprendre la Tunisie et le monde arabe. Le festival Habibi est pour moi une manière de reconstituer une identité fragmentée.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille sur un autre disque avec un autre groupe. AJOYO est un groupe avec lequel j’ai déjà joué en Tunisie. J’ai enregistré un disque en quartet de Jazz au mois de novembre. J’ai une série de dates en avril à New York avec Archie Shepp … Et je viens d’avoir un bébé ! (rire). J’espère revenir en Tunisie plus souvent avec ce projet.
«Harka» est le premier long métrage de Lotfy Nathan, réalisateur et cinéaste américain d’origine égyptienne. Il fait écho à la détresse d’une jeunesse tunisienne aux prises avec les désillusions, avec une misère ambiante, un chômage grandissant. Il s’ajoute à une série exhaustive de films tunisiens traitant des maux persistants post-révolution… Douze ans plus tard.
«Harka», d’une durée de 87’, sort dans les salles tunisiennes, la veille d’un 14 janvier 2011, « anniversaire de la révolution » date désormais symbolique dans l’histoire de la Tunisie. Elle célèbre, depuis, le début d’une nouvelle décennie qui a été fort houleuse et qui continue à l’être. « Harka » ou « Brûlure » (en dialecte tunisien littéralement traduit) peut se référer à la migration clandestine des jeunes Tunisiens, de plus en plus fréquente. Elle résonne aussi comme une métaphore qui crie une souffrance permanente, qui lance l’alerte, qui exprime une douleur commune.
Le film est un drame dur : il suit l’existence précaire d’un jeune Tunisien nommé Ali, originaire de Sidi Bouzid, qui, pour subvenir à ses besoins et aux besoins de ses deux sœurs, finit par s’adonner à des activités illégales sur les frontières tuniso-libyennes pour avoir de quoi manger et payer les dettes de son défunt père. Le jeune homme voit partir son frère aîné, subit les aléas d’une banque, sans scrupule, qui prive ces jeunes de leur habitat modeste. Ali se heurte, violemment, à l’hostilité d’un système administratif profondément bureaucratique, injuste, au chômage, à la violence policière… A un pays en déliquescence. Autant de péripéties annonciatrices d’une fin tragique, prévisible, qu’on voit arriver.
La tragédie, brillamment menée de bout en bout par l’acteur franco-tunisien, Adam Bessa (Prix de la meilleure interprétation masculine au festival de Cannes de 2022 à la section « Un certain ,Regard »), fait l’effet d’un tourbillon, d’une tourmente, de plus en plus asphyxiante, mais prévisible, truffée de plans désertiques, arides, d’un soleil de plomb pesant, d’un décor rustique et précaire, qui met en lumière une face de la Tunisie, sans doute la moins reluisante. Une voix off féminine (inutile ?) commente quelques scènes du film en mettant l’accent sur cette misère gangrénée.
Ali, antihéros par excellence, fait écho à des milliers de jeunes Tunisiens marginalisés et défavorisés qui rêvent d’un départ vers l’Europe, quitte à traverser dangereusement la Méditerranée pour fuir une vie précaire. Le héros y pense d’ailleurs vaguement, mais priorise la survie de ses sœurs avant la sienne et son éventuel départ. Le film, dans une durée standard, parvient à interpeller et rappelle surtout à quel point la situation sociale n’a nullement changé en 12 ans… Une existence sociale, qui, au contraire, se détériore. « Harka » est un film maitrisé qui interpelle mais ne nous apprend rien. « Harka » évoque la migration clandestine certes, mais se focalise davantage sur le sort de ceux et celles qui ont décidé de rester au pays et… d’y (sur)vivre par tous les moyens.
Il sera bientôt présenté en salle et reste attendu pour les férus des arts. «L’Homme abstrait : l’aventure picturale de Hédi Turki» de Rami Jarboui, film documentaire qui rend hommage au parcours du peintre tunisien feu Hédi Turki, est un portrait accrocheur d’une heure. En le visionnant, le spectateur pourra connaître au plus près un pionnier de la peinture, et replonger dans une époque historique richissime et peu connue de la Tunisie.
«L’homme abstrait» est un documentaire prenant qui revient sur l’existence même du peintre tunisien Hédi Turki (1922–2019), depuis sa naissance, son enfance, jusqu’à son ascension artistique fulgurante au fil des décennies. Le peintre a toujours allié peinture abstraite et figurative, à une époque « postindépendance », durant laquelle l’art oriental et colon battait son plein. Il perçait en exploitant des terrains inconnus, de nouvelles techniques, un savoir-faire qui perdurera encore jusqu’à nos jours.
Le film cède la parole aux membres de la famille du peintre, qui veillent à conserver ce patrimoine culturel, et à le faire connaître mais également à d’autres artistes de son temps et à des amis, qui l’ont côtoyé. Des témoignages qui lèvent le voile avec beaucoup de lucidité et de recul sur cette période qui a été en grande partie prolifique artistiquement grâce à Hédi Turki. Le documentaire possède une touche visuelle nouvelle, à travers l’animation conçue par Rami Jarboui, son réalisateur.
L’œuvre de «Baba Hédi» puise sa force de son quotidien, des gens qu’il connut, de lieux, et des peintres célèbres dans le monde (citons les Américains Jackson Pollock et Mark Tobey) et qu’il prit comme référence. De nombreuses influences citées ont abouti à un cheminement fructueux et singulier de l’artiste. Son univers fusionne modernité, authenticité, il s’ancre dans son époque, mais continue à résonner dans la nôtre.
Une galerie «L’Espace art et culture Hédi Turki», créée par sa famille, conserve une quarantaine de ses œuvres. En 2022, l’artiste aurait eu 100 ans. Le film a une portée didactique et est destiné en grande partie aux étudiants en arts. Hayder Turki, petit-fils de l’artiste, a coproduit le film qui s’apprête à faire la tournée de quelques festivals dans le monde. Une 2e projection de «L’homme abstrait» est prévue pour bientôt. La première s’était déroulée à la Cité de la culture.
Il paraît quand on s’y attend le moins ! Publié chez les éditions Chama, cet ouvrage de nouvelles et de courts récits inédits de feu Gilbert Naccache, intitulé « Des renards et des hommes : un conte et divers courts écrits », est disponible dans les librairies. Il s’agit d’une publication posthume, tissée sur fond d’anecdotes, de fables, de souvenirs et de rencontres.
Ce livre est riche d’une couverture haute en couleurs, conçue par Nader Boukadi / Une Illustration de Z, finement dessinée, attractive et qui donne vie à des animaux de la jungle plus proche des humains. «Des renards et des hommes : un conte et divers courts écrits » fait échos au contenu de l’ouvrage constitué d’un conte principal anthropomorphique titré «L’heure du renard : conte de Noël», raconté en 6 sous-chapitres. Véritable allégorie sociopolitique, elle se lit d’une seule traite, et plonge les lecteurs dans des histoires de règne, secoué par des rebondissements, des complots, et autres stratégies. Le 2e récit est nommé «Justice… Justice !», Suivi de «Propos sur une amitié», «Histoires racontées au Borj», et un florilège de nombreux passages nommé «Ecrits en passant».
Ces écrits précieux ont été rédigés de 1974 à 2019, publiés en décembre 2022 et ont pour cadre spatial des villes, une jungle, des lieux, un «Borj» ou une prison. Ces nouvelles racontent une époque, la romancent, lui donnent vie, et résonnent comme des souvenirs.
Ce livre entremêle différents rapports, raconte de précieuses relations amicales et amoureuses : des romances à deux, durables ou éphémères, des triangles amoureux complexes, en passant par ces rencontres humaines faites au gré d’une vie, de voyages et d’existences souvent hasardeuses. Des camaraderies de lutte et de résistance, une répression, ou des temps de solitude sont narrés dans un style incisif, léger et qui finit par conquérir. Cette écriture est truffée de symbolisme, fictionnelle certes, mais qui puisent dans un vécu singulier.
La plume distinguée de l’auteur de «Cristal», feu Naccache, parvient assurément à la génération actuelle. Ces écrits, qui sont en partie «mémoriels», reflètent la pensée unique de l’intellectuel, intrinsèque à son intention d’interroger une époque, exploiter le passé tout en se tournant vers l’avenir. Cette dernière publication en date enrichit l’œuvre atemporelle de l’auteur et est parlante à des générations de lecteurs. Cet ouvrage a été publié avec le concours de la «Fondation Rosa Luxembourg North Africa Office».
Pianiste-interprète, arrangeur, compositeur, producteur musical, Isaac Haddour sait, dans les coulisses, manier les instruments, et la sono depuis de nombreuses années : l’artiste a collaboré sur de nombreux projets artistiques et en travaillant étroitement avec une nouvelle vague de musiciens-artistes, citons Hassen Doss, Mahdi Ayachi, Ghada Maatouk, prochainement, avec Kafon et Asma Ben Ahmed… Pluridisciplinaire par excellence et vivant entre deux rives, Tunis et Paris, il se lance en solo, en présentant au public un projet musical singulier. Rencontre avec une révélation !
Vous venez de terminer le tournage d’un nouveau clip, réalisé par Karim Berrhouma. Il s’agit du 2e chapitre de votre projet musical. Peut-on avoir droit à des spoilers avant sa sortie ?
C’est bien mon 2e chapitre. Le premier était « Araaès Kozah », qui vient aussi de paraître avec Ahmed Landoulsi en voix-off et Ahmed Tayâa en interprète. Ce 2e clip s’appelle « Ghorfa 211 » (Chambre 211), dont le tournage s’est achevé hier. Ces deux chapitres font partie d’un projet qui reste encore sans nom. (Sourire). Le clip fait écho au premier et continue d’avoir comme thématique la femme et son corps, de la mettre en valeur, d’une manière pas commune et la moins commerciale possible. J’aime l’interdit et le tabou, et je tiens à piocher dans cet interdit-là, en Tunisie, à travers ma musique et mes clips. Dans « Ghorfa 211 », on y voit bien le nu féminin : je tiens à ce qu’on perçoit le corps de la femme, non pas comme un objet, mais comme une œuvre d’art, tout en le valorisant.
Votre style musical est assez éclectique. Comment le définiriez-vous ?
Musique du monde et brassage de musique classique et tunisienne, sans pour autant revisiter le patrimoine tunisien. Ce sont des compositions à 100%.
Vous avez longtemps fait partie de cette armée de l’ombre qui travaille dans l’univers musical et artistique, mais dans les coulisses. Et actuellement, vous vous lancez en solo en rencontrant votre public. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer cette étape ?
Je me suis lancé en solo, mais toujours sans couper avec ma carrière initiale. Je travaille toujours en collaboration avec les artistes et je tiens maintenant à lancer mon projet personnel, dans lequel j’aurai l’entière liberté de travailler à ma guise et dans lequel j’aborderai les sujets que je veux, sans pour autant m’éloigner de ma vocation principale : compositeur et arrangeur. Je fais de la musique parce que j’aime en faire et non pas juste pour gagner en notoriété ou devenir trop visible. Je commence par la Tunisie, ensuite pourquoi pas ailleurs ? Quand on évoque des sujets en rapport avec la femme en Tunisie, cela n’a pas la même résonance qu’en France. C’est sans doute plus impactant ici.
Vous avez, à plusieurs reprises, collaboré avec Hassen Doss, Ghada Maatouk, prochainement avec Kafon ou Asma Ben Ahmed. Avec Doss, comment s’est passée votre collaboration ?
On s’entend parfaitement, musicalement parlant. Ça se passe, bien même si des fois, avec lui, tout n’est pas évident (rire). On communique beaucoup, et le résultat final reste toujours édifiant. Mes collaborations artistiques sont bien choisies, bien désignées. Je m’arrête sur leurs attentes, essaie de cerner leur univers, leurs visions, en prenant en considération leur public. J’ai commencé par Ghada Maatouk, Mahdi Ayachi, Enji Maaroufi et plein d’autres et ça continue…
Vous êtes compositeur, pianiste-arrangeur, interprète. Qu’est-ce qui a fait que vous soyez tout cela à la fois ?
Je me suis formé, passionnément en puisant dans les études et en intégrant des établissements de renom. J’aime me distinguer, mon travail plaît à de nombreux artistes et cela ne peut que me pousser à aller de l’avant.
Comptez-vous un jour vous lancer dans la musique de films ?
Oui, mais je dois bien choisir la production, le film et son sujet. Ça va se faire sans doute un jour. Pour l’instant, on attend la sortie de « Ghorfa 211 » et celui du clip d’Asma Ben Ahmed.
Cette semaine, nous rencontrons Mona Belhaj pour son livre «J’ai Peur d’Oublier», paru chez Contrastes/Editions. L’auteure est bien connue du public tunisien pour ses émissions radiophoniques sur Rtci et ses articles de presse dans les colonnes de notre journal, après avoir collaboré à Tunis-Hebdo et à Dialogue. Entre-temps, elle a eu des expériences théâtrales avec Taoufik Jebali dans «Klem Ellil» et «Présent Par Procuration». Depuis les années 2000, Mona entre dans le monde de la gravure et sculpture sur bois sans jamais quitter l’écriture. On la retrouve aujourd’hui pour parler de son livre qu’elle a adapté elle-même pour le théâtre.
Vous venez de publier «Nkhaf La Nensa», un livre écrit en tunisien. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
On ne choisit pas d’écrire, on écrit, voilà tout. Pour moi, c’est une longue habitude, une manière de faire le point, de fixer une idée, une rencontre, un événement particulier. Pendant longtemps, c’est en français que je jetais ces notes. L’origine de mon écriture en tunisien, c’est ma participation à un atelier organisé à El Teatro par Zeyneb Farhat. Je me suis aperçue que je pouvais transmettre des émotions et qu’elles étaient reçues. À partir de ce moment, encouragée par Zeyneb, je me suis mise à écrire, comme si les mots tout d’un coup s’étaient illuminés. Ils disaient d’autres choses, ouvraient des voies d’introspection, installaient des échos, levaient en moi des réminiscences, dévoilaient des scènes du passé jusque-là oubliées. Et puis il y a eu la «révolution». J’ai participé à la manifestation du théâtre court où plusieurs artistes étaient invités par Zeyneb Farhat à occuper la scène pendant une dizaine de minutes. C’est là que j’ai dit mon texte sur les blessés et martyrs de la révolution.
Qu’avez-vous peur d’oublier ?
Nous avons tous vécu des moments troubles où des voix se sont élevées pour rejeter toute forme d’art et imposer une vision nouvelle allant jusqu’à mettre en doute l’identité tunisienne, en proposant leur propre lecture de notre histoire. Cette menace sur notre identité m’a placée dans une sorte d’urgence qui m’a poussée à fixer par l’écriture une mémoire qui se dressait devant moi pour exiger son dû. À travers ces souvenirs personnels, je voulais réveiller la mémoire collective en évoquant des personnages pris dans leur quotidien, loin de toute considération politique ou historique avec un grand «H».
Pourquoi le choix de la langue tunisienne ?
Pour moi, c’était évident. Je ne m’adresse qu’aux Tunisiens. Sciemment je n’ai pas utilisé le langage de tous les jours. Car j’ai voulu rendre hommage à tous ces mots qui portent notre histoire et dont certains trouvent racine dans un passé millénaire. Je dois ajouter que, tout au long de la rédaction de ce texte, je suis tombée sous le charme : chacun de nos mots était à lui seul d’une grande poésie. Nos expressions nous racontent. Elles sont la preuve de notre particularité. Ce sont elles qui m’ont dicté la forme poétique du récit. Notre langue est aussi notre identité. Elle évolue, épouse le présent et, dynamique, elle va vers l’avenir.
Est-ce que vous évoquez une expérience personnelle ?
On part toujours de soi, mais on ne se raconte pas forcément. Il s’agit d’un récit poétique. La narratrice qui vit les événements que traverse son pays a été atteinte par la remise en question de l’identité prônée violemment par certains. Cela l’a fragilisée au point de tomber dans une sorte de délire, qui lui a fait croire que le passé, en effet, pouvait être effacé. Une nuit, elle a vu en songe une grand-mère venue d’un passé lointain qui s’est dressée devant elle, le regard lourd de reproches. Pour la narratrice c’était comme un signal qui lui donnait mauvaise conscience : cette sévérité d’Ommi Nana lui intimait l’ordre de ne pas oublier. C’est alors que des personnages sont venus répondre à sa quête. À travers eux, différents lieux et différentes époques étaient revisités. Ainsi, l’écriture lui permettait de voyager dans le temps et de faire revivre des ambiances et des destins. Reprenant ses esprits, elle sait désormais qu’elle a accédé à l’impossible oubli. L’amour de son pays l’habite depuis toujours et ne saurait mourir en elle… Pour ma part, je précise que tous les visages évoqués ont réellement existé. Ils ne font pas partie de la grande Histoire et sont donc en principe voués à l’oubli. En accédant au statut de personnages ils entrent dans l’immortalité. C’est ma façon de conjurer l’oubli. Je crois en la force de la littérature.
Pourquoi cette nécessité d’en faire une création théâtrale, alors ?
J’ai eu le plaisir et la chance de connaître des expériences théâtrales à El Teatro avec Taoufik Jebali. J’avais aimé le souffle du public. C’est pourquoi a germé dans mon esprit l’idée de faire une adaptation de mon texte. Sur scène, j’ai présenté le monodrame du même titre : «J’ai Peur D’Oublier». J’avais envie de faire entendre les mots et les musiques qui accompagnent les personnages. Et de les faire vivre sous les yeux des spectateurs.
«Rehla», signé Jamil Najjar, réunit une panoplie d’acteurs. Haut en couleurs et à l’humour décalé, ce court-métrage a interpellé l’attention d’un important public durant les JCC de 2022. Ces mêmes spectateurs sont sans cesse à l’affût d’un nouvel humour. Dans la lignée de «Ghasra» et de «Linge sale», ses précédentes réalisations, le réalisateur continue d’user de la comédie intelligente afin d’interroger un vécu, et bousculer. Rencontre au sommet !
«Rehla», votre dernier court métrage, a, à son tour, été vécu comme un voyage. Parlons-en !
Comme je suis de La Goulette, j’ai longtemps été marqué par ces véhicules qui passaient avec toutes sortes d’engins, d’accessoires, qu’on voyait en dessus : pneus, tuyaux, papiers… et différentes choses étranges. Le film tire son origine de ces scènes de la vie qui m’étaient restées en tête. Critiquer à travers l’humour m’a toujours attiré : un humour qu’on peut appeler comédie noire, burlesque, qui pousse à réfléchir… Le film est coloré, à l’image d’un pays beau, le nôtre. «Rehla» était, initialement, un long métrage que je n’ai pas fait, au final. Je n’étais pas prêt. Ce n’est pas aussi facile encore pour moi de retenir l’attention du spectateur pendant 1h30. Je l’ai fait donc en 26 min. Je l’ai remis prémonté pour les JCC de 2022, et il a été heureusement retenu. «Ghasra», mon précédent court, a raflé une quinzaine de prix à travers le monde, sans être retenu aux Journées cinématographiques de Carthage. Ce film se fraye différemment un chemin, et j’ai dû l’achever à distance, en post-production. L’avant-première m’a été proposée au « Red Sea Festival » mais j’ai préféré qu’il passe en Tunisie.
Vous vous êtes toujours distingué dans l’assistanat, et avez réalisé trois courts métrages et une sitcom télé. A quand le long métrage ?
C’est la prochaine étape. Etape par étape. C’est une question de moyens et créer un long métrage en Tunisie nécessite beaucoup de moyens et d’efforts. Je privilégie une bonne écriture et un bon casting. L’écriture, c’est la base pour aboutir à un film de qualité.
L’humour a toujours été votre dada. Pousser à la réflexion, à l’autocritique compte pour vous. Envisagez-vous de changer de registre prochainement ?
J’ai déjà travaillé sur des thrillers, des drames à l’étranger. Les films humoristiques et les sitcoms en Tunisie passent par une crise. Le cinéma pour moi est engagé : nous devons véhiculer des messages à travers le cinéma de l’humour. Le Tunisien suffoque, il veut se divertir. Je tiens à ce qu’il rie, et donc autant rire intelligemment. Le public de «Rehla» récemment a beaucoup ri. Quand ils ont terminé la projection, les spectateurs se sont rétractés, à nouveau. Ils ont ri jaune. La comédie est importante. J’adhère à un humour direct. Le film est retenu pour le Festival de Luxor en compétition officielle. Je croise les doigts pour un prix. Deux projections sont déjà programmées à Paris et à Marseille. Cet humour plaira aux Français et aux Tunisiens, résidant là-bas.
Vous avez campé des rôles par moment comme dans la série humoristique policière de Majdi Smiri «Bouliss». Préférez-vous être devant ou derrière la caméra ?
Après trois ans dans «Bouliss», pour moi, ce n’est pas rien. Je n’ai jamais pensé être acteur, malgré mes cinq ans à faire du théâtre au lycée avec Lassâad ben Abdallah. Je n’ai jamais voulu être devant la caméra. Le contexte, autrefois, m’a poussé à me lancer dans l’acting. On m’a demandé, à la dernière minute, d’incarner le rôle de «Mignon» dans «Bouliss». J’ai beaucoup hésité, je m’étais lancé et c’est sans regret. J’ai beaucoup travaillé le rôle, et la composition du rôle. La preuve, ça a duré trois ans. Etre acteur, je me vois le faire avec et pour des amis, mais ce n’est pas mon métier. J’ai joué le rôle d’un flic dans «A peine j’ouvre les yeux» de Layla Bouzid. Une expérience mémorable.
Jamil Najjar et la télé : vous avez à votre actif la sitcom «Le président», datant d’il y a 6 ans. Que gardez-vous de cette expérience?
La sitcom n’a pas reçu le succès escompté. A l’époque, elle a été même ignorée par les journalistes et les médias. C’était dur ! Je faisais le montage au fur à mesure et j’avais l’impression que ce travail passait inaperçu. Je l’ai pourtant bien écrit. J’ai bien fignolé le montage, le casting, l’écriture. Lors de sa diffusion, c’est comme s’il n’existait pas. Il n’y avait même pas eu de mauvaises critiques. Même les acteurs ont douté du projet. L’audience était plate. Même en ligne, des réactions émanaient de profils douteux, «Fake», et répétaient machinalement des commentaires. De nos jours, on ne parle plus d’un travail de qualité, ce sont les chiffres, les vues et l’audience qui priment. La diffusion ramadanesque est une erreur en soi : «Le président» nécessitait une plus grande concentration. Le public, pendant le mois saint, n’était pas apte à recevoir ce genre d’humour. Les téléspectateurs ne pouvaient pas être assez concentrés. Cet humour est en plus interrompu par la pub. Avec du recul, je dirais que mon traitement était peut-être un peu dur, moins accessible. «Le président» a été revu pendant le confinement, et il a fait écho, bien après sa première diffusion. «Attessia» l’a rediffusé récemment.
Quelle vision portez-vous sur le cinéma tunisien de ces 10 dernières années ?
J’apprécie beaucoup ce que la nouvelle vague fait. Au-delà de la subvention, il faut continuer à réaliser des films, même à petit budget. On a un gros problème de distribution. On est en manque profond de salles de cinéma. Les scénarios, les techniciens et les acteurs tunisiens sont les meilleurs dans le monde arabe. On a du succès dans tous les pays arabes, et partout où on passe. Même en Egypte, pays réputé pour son cinéma, on excelle. Pourquoi ne pas faire du cinéma commercial ? Le cinéma tunisien manque de comédies. Mais ce qui est préoccupant, surtout, c’est le manque de salles. Il faut en ouvrir davantage. Nous manquons de volonté pour ouvrir des salles de cinéma, qui sont actuellement concentrées à Tunis ou dans sa banlieue. C’est insuffisant. Il faut partir dans les régions et travailler sur un modèle économique fiable pour assurer la pérennité d’une salle de cinéma. Tant qu’on a des jeunes tunisiens qui montent, qui créent, qui sillonnent le monde et qui résistent, je reste confiant.
Quels sont vos prochains projets ?
Je ferai tourner «Rehla» dans des festivals à travers le monde. Je le donnerai à des associations, gratuitement, pour le projeter. Je viens de terminer le tournage du prochain film saoudien de Dhafer Al Abidine en Arabie Saoudite. J’ai réalisé un documentaire que je vais sortir prochainement «L’Armée blanche tunisienne», hommage au travail acharné des médecins effectué pendant la pandémie. Il a été tourné pendant le confinement général. Ce film est contre l’oubli. Il rappellera une période dure. Je n’ai fait qu’une seule projection pour les médecins à l’IFT. Il a été très bien reçu. La sortie est pour bientôt. J’ai écrit une sitcom «3 Cats», mais pas pour la télé.
Du matin jusqu’au soir, 7/7, «Livre Plus» accueille adolescents, collégiens, lycéens, mais aussi adultes, depuis son ouverture. Se retrouver au milieu des livres pour réviser ou lire, dans un cadre aussi convivial, n’est pas courant dans cette zone touristique.
Situé en plein centre-ville, dans l’ancien centre commercial de Hammamet (autrefois très prisé), un ancien artisanat est désormais converti en adresse dédiée aux bouquins nouveaux… à acheter, mais également à consulter sur place. Fort attractif par sa calligraphie, faite tout en couleurs sur sa façade, et sa signalétique, en vert, posée au bon endroit, «Livre Plus» draine une clientèle, majoritairement jeune à l’affût du moindre endroit où se poser pour étudier ou réviser… Loin des cafés enfumés, ou de la bibliothèque «vieillot» de la ville.
Erige H., 19 ans, tient à y être presque tous les jours, surtout en pleine période des vacances/révisions du mois de décembre. «On travaille mieux ici, plus qu’ailleurs. Le cadre est convivial, motivant, c’est sans fumeurs, la musique berce en douce, les livres renforcent cette ambiance studieuse, et les cafés, jus et autres sucreries ne sont pas chers. L’Internet marche bien». Déclare l’étudiante en première année, dont l’opinion fait écho à de nombreux autres adhérents. Ce café littéraire et culturel se compose d’un espace d’accueil principal, avec livres et petits tableaux, et couleurs qui occupent et donnent vie aux murs. Un accès par des escaliers, à un étage au sous-sol, est bien plus calme, loin du brouhaha. Il ressemble davantage à une bibliothèque classique, et où c’est plus plaisant d’y être… mais en silence.
Les livres disponibles sont nouveaux : classiques, sorties nouvelles, fantaisie, best-sellers sont à se procurer ou à lire sur place. L’espace permet à sa clientèle de consommer et d’y être, normalement, au quotidien. Des abonnements peuvent aussi se faire à 40 dt le mois, avec 10% sur la consommation et l’achat des livres (une formule plus économique).
Le lieu a accueilli un café littéraire autour de la migration clandestine, organisé par l’association JAT Hammamet, animé par la journaliste Zeyneb Gueddiche et en présence de l’acteur Mhadheb Rmili. Ce dernier, étant l’un des acteurs principaux de la série tunisienne «Harga» dans ses deux saisons, et qui a traité de cette thématique épineuse et plus que jamais d’actualité. Un débat s’est déroulé avec les jeunes présents, et d’autres évènements de cette envergure auront lieu pendant l’année 2023. «Livre Plus» est visible sur les réseaux sociaux et est une richesse dans une cité où la vie culturelle manque de dynamisme. Il peut accueillir étudiants, adultes de passages, employés, ou adeptes du télétravail.
Sur une dizaine de jours, visiteurs de passage et citoyens hammamétois ont pu découvrir les tableaux d’un groupe de 6 artistes méconnus, mais désormais émergents. Ils ont la vingtaine, sont étudiants, issus des beaux–arts, et ensemble, ils ont fait de leur passion pour la peinture et de leur savoir artistique une exposition collective titrée « Mon identité ».
C’est sous la houlette de « l’Association Amis Dar Sebastian » que les artistes exposants Aymen Nbili, Nihel Sayenni, Zino Maayoufi, Anas Fajraoui, Amessi Ferchichi et Belhassen Oueslati ont pu présenter leur travail en accès libre à leur entourage, y compris académique, mais aussi à un public plus large et à des citoyens de Hammamet. « Mon identité » s’est tenue à l’ASM (Association de la sauvegarde la Médina) de Hammamet. Son emplacement stratégique en plein centre a drainé du monde. L’association organisatrice « L’association Amis Dar Sebastian », n’ayant pas pu s’organiser à « Dar Sebastian » même, a dû opter pour un autre endroit, qui épouse tout autant la thématique de l’exposition.
L’événement s’est lancé en présence d’un musicien violoniste et d’une ribambelle d’invités. A travers une mini-déambulation dans l’enceinte de l’ASM, le visiteur parvient à cerner rapidement le thème récurrent au fil de quelques tableaux. Il s’agit d’un hommage à la ville, à travers une réesquisse de ses paysages les plus emblématiques, de sa médina arabe, de ses ruelles. Nous rencontrons quelques silhouettes qui nous sont familières, ou qui rappellent d’autres profils qu’on a pu connaître en vrai ou dans d’autres œuvres. «Mon Identité » laisse libre cours aux inspirations.
A travers le graphisme, la peinture et le design, les 6 artistes ont redoublé d’effort afin de pouvoir exposer ce qu’ils tenaient à montrer à temps. Pour bien clôturer l’expo, un atelier d’initiation pour les enfants et pour les jeunes à la pratique des arts s’est déroulé dans l’enceinte de l’endroit, chapeauté par Nihel Sayenni, une des participantes.
Les 6 artistes participants préparent en ce moment même masters et doctorats. C’est dans le cadre d’une activité de « l’Association Amis Dar Sebastian » qui œuvre pour l’organisation d’activités culturelles et artistiques au sein des établissements scolaires dans la région, qu’ils ont été repérés et rassemblés autour de « Mon Identité ». Les artistes ont déjà participé à des expositions et événements divers. Ensemble, ils ont conçu l’affiche, la thématique et l’atelier qui a suivi.