«Harka» est le premier long métrage de Lotfy Nathan, réalisateur et cinéaste américain d’origine égyptienne. Il fait écho à la détresse d’une jeunesse tunisienne aux prises avec les désillusions, avec une misère ambiante, un chômage grandissant. Il s’ajoute à une série exhaustive de films tunisiens traitant des maux persistants post-révolution… Douze ans plus tard.
«Harka», d’une durée de 87’, sort dans les salles tunisiennes, la veille d’un 14 janvier 2011, « anniversaire de la révolution » date désormais symbolique dans l’histoire de la Tunisie. Elle célèbre, depuis, le début d’une nouvelle décennie qui a été fort houleuse et qui continue à l’être. « Harka » ou « Brûlure » (en dialecte tunisien littéralement traduit) peut se référer à la migration clandestine des jeunes Tunisiens, de plus en plus fréquente. Elle résonne aussi comme une métaphore qui crie une souffrance permanente, qui lance l’alerte, qui exprime une douleur commune.
Le film est un drame dur : il suit l’existence précaire d’un jeune Tunisien nommé Ali, originaire de Sidi Bouzid, qui, pour subvenir à ses besoins et aux besoins de ses deux sœurs, finit par s’adonner à des activités illégales sur les frontières tuniso-libyennes pour avoir de quoi manger et payer les dettes de son défunt père. Le jeune homme voit partir son frère aîné, subit les aléas d’une banque, sans scrupule, qui prive ces jeunes de leur habitat modeste. Ali se heurte, violemment, à l’hostilité d’un système administratif profondément bureaucratique, injuste, au chômage, à la violence policière… A un pays en déliquescence. Autant de péripéties annonciatrices d’une fin tragique, prévisible, qu’on voit arriver.
La tragédie, brillamment menée de bout en bout par l’acteur franco-tunisien, Adam Bessa (Prix de la meilleure interprétation masculine au festival de Cannes de 2022 à la section « Un certain ,Regard »), fait l’effet d’un tourbillon, d’une tourmente, de plus en plus asphyxiante, mais prévisible, truffée de plans désertiques, arides, d’un soleil de plomb pesant, d’un décor rustique et précaire, qui met en lumière une face de la Tunisie, sans doute la moins reluisante. Une voix off féminine (inutile ?) commente quelques scènes du film en mettant l’accent sur cette misère gangrénée.
Ali, antihéros par excellence, fait écho à des milliers de jeunes Tunisiens marginalisés et défavorisés qui rêvent d’un départ vers l’Europe, quitte à traverser dangereusement la Méditerranée pour fuir une vie précaire. Le héros y pense d’ailleurs vaguement, mais priorise la survie de ses sœurs avant la sienne et son éventuel départ. Le film, dans une durée standard, parvient à interpeller et rappelle surtout à quel point la situation sociale n’a nullement changé en 12 ans… Une existence sociale, qui, au contraire, se détériore. « Harka » est un film maitrisé qui interpelle mais ne nous apprend rien. « Harka » évoque la migration clandestine certes, mais se focalise davantage sur le sort de ceux et celles qui ont décidé de rester au pays et… d’y (sur)vivre par tous les moyens.
Il sera bientôt présenté en salle et reste attendu pour les férus des arts. «L’Homme abstrait : l’aventure picturale de Hédi Turki» de Rami Jarboui, film documentaire qui rend hommage au parcours du peintre tunisien feu Hédi Turki, est un portrait accrocheur d’une heure. En le visionnant, le spectateur pourra connaître au plus près un pionnier de la peinture, et replonger dans une époque historique richissime et peu connue de la Tunisie.
«L’homme abstrait» est un documentaire prenant qui revient sur l’existence même du peintre tunisien Hédi Turki (1922–2019), depuis sa naissance, son enfance, jusqu’à son ascension artistique fulgurante au fil des décennies. Le peintre a toujours allié peinture abstraite et figurative, à une époque « postindépendance », durant laquelle l’art oriental et colon battait son plein. Il perçait en exploitant des terrains inconnus, de nouvelles techniques, un savoir-faire qui perdurera encore jusqu’à nos jours.
Le film cède la parole aux membres de la famille du peintre, qui veillent à conserver ce patrimoine culturel, et à le faire connaître mais également à d’autres artistes de son temps et à des amis, qui l’ont côtoyé. Des témoignages qui lèvent le voile avec beaucoup de lucidité et de recul sur cette période qui a été en grande partie prolifique artistiquement grâce à Hédi Turki. Le documentaire possède une touche visuelle nouvelle, à travers l’animation conçue par Rami Jarboui, son réalisateur.
L’œuvre de «Baba Hédi» puise sa force de son quotidien, des gens qu’il connut, de lieux, et des peintres célèbres dans le monde (citons les Américains Jackson Pollock et Mark Tobey) et qu’il prit comme référence. De nombreuses influences citées ont abouti à un cheminement fructueux et singulier de l’artiste. Son univers fusionne modernité, authenticité, il s’ancre dans son époque, mais continue à résonner dans la nôtre.
Une galerie «L’Espace art et culture Hédi Turki», créée par sa famille, conserve une quarantaine de ses œuvres. En 2022, l’artiste aurait eu 100 ans. Le film a une portée didactique et est destiné en grande partie aux étudiants en arts. Hayder Turki, petit-fils de l’artiste, a coproduit le film qui s’apprête à faire la tournée de quelques festivals dans le monde. Une 2e projection de «L’homme abstrait» est prévue pour bientôt. La première s’était déroulée à la Cité de la culture.
Il paraît quand on s’y attend le moins ! Publié chez les éditions Chama, cet ouvrage de nouvelles et de courts récits inédits de feu Gilbert Naccache, intitulé « Des renards et des hommes : un conte et divers courts écrits », est disponible dans les librairies. Il s’agit d’une publication posthume, tissée sur fond d’anecdotes, de fables, de souvenirs et de rencontres.
Ce livre est riche d’une couverture haute en couleurs, conçue par Nader Boukadi / Une Illustration de Z, finement dessinée, attractive et qui donne vie à des animaux de la jungle plus proche des humains. «Des renards et des hommes : un conte et divers courts écrits » fait échos au contenu de l’ouvrage constitué d’un conte principal anthropomorphique titré «L’heure du renard : conte de Noël», raconté en 6 sous-chapitres. Véritable allégorie sociopolitique, elle se lit d’une seule traite, et plonge les lecteurs dans des histoires de règne, secoué par des rebondissements, des complots, et autres stratégies. Le 2e récit est nommé «Justice… Justice !», Suivi de «Propos sur une amitié», «Histoires racontées au Borj», et un florilège de nombreux passages nommé «Ecrits en passant».
Ces écrits précieux ont été rédigés de 1974 à 2019, publiés en décembre 2022 et ont pour cadre spatial des villes, une jungle, des lieux, un «Borj» ou une prison. Ces nouvelles racontent une époque, la romancent, lui donnent vie, et résonnent comme des souvenirs.
Ce livre entremêle différents rapports, raconte de précieuses relations amicales et amoureuses : des romances à deux, durables ou éphémères, des triangles amoureux complexes, en passant par ces rencontres humaines faites au gré d’une vie, de voyages et d’existences souvent hasardeuses. Des camaraderies de lutte et de résistance, une répression, ou des temps de solitude sont narrés dans un style incisif, léger et qui finit par conquérir. Cette écriture est truffée de symbolisme, fictionnelle certes, mais qui puisent dans un vécu singulier.
La plume distinguée de l’auteur de «Cristal», feu Naccache, parvient assurément à la génération actuelle. Ces écrits, qui sont en partie «mémoriels», reflètent la pensée unique de l’intellectuel, intrinsèque à son intention d’interroger une époque, exploiter le passé tout en se tournant vers l’avenir. Cette dernière publication en date enrichit l’œuvre atemporelle de l’auteur et est parlante à des générations de lecteurs. Cet ouvrage a été publié avec le concours de la «Fondation Rosa Luxembourg North Africa Office».
Une lumière sublime les créations de Hassene Jeljeli depuis le 9 décembre à la galerie « Musk and Amber ». « RAW», son exposition solo, est accessible encore au public jusqu’au 31 décembre 2022, désireux de découvrir les créations du jeune designer, architecte et entrepreneur.
Dans « RAW », qui signifie littéralement « Cru » en français, les créations de l’artiste épousent parfaitement les coins, recoins et murs de la galerie « Musk & Amber ». Le titre fait référence à la matière, déformée, transformée de Hassene Jeljeli, et qui donne lieu à des pièces uniques. L’acier se mélange au marbre, au bois, au fer, aux verres et donne vie à des meubles, tables, chaises, luminaires et autres créations attractives, certaines plus que d’autres.
D’un coin à un autre, dans l’enceinte même de la galerie, les pièces sont exposées, présentées séparément, mais en harmonie : une rudesse se sent au fil de son œuvre complète, forte de sa finition. L’artiste n’a pas hésité à concevoir des objets hybrides, en mélangeant bois, marbre, acier perforé. Le tout, exposé en brillance. « RAW » puise sa force des matériaux cités et qui existent en quantité en Tunisie. Via une approche structuraliste, Hassene donne vie à des meubles et luminaires, fort attractifs.
«Depuis 2016, je travaille sur le design d’où ma marque ’’JK Lighting‘‘. ’’RAW‘‘ est une occasion de présenter mes créations au grand public dans le cadre d’une exposition solo », déclare Hassene Jeljeli. L’exposition est une rétrospective de son travail effectué depuis 6 ans et est un clin d’œil à l’architecture d’intérieur du Show-Room d’Anissa Aida, styliste-modéliste et également son épouse. « Comme je lui ai créé tout l’immobilier en bois, je me suis dit pourquoi ne pas intégrer le nom d’Anissa Aida dans l’expo, par l’immobilier », précise Hassene Jeljeli.
«Raw» ou « Cru » se réfère à une approche propre à l’artiste, brutaliste. A la vue des objets et des collections, on saisit son processus de création, sa genèse au fil des collections présentées, citons, à titre d’exemple, la collection X², faite avec 3 lampes différentes en 3 formes, avec trois matériaux distincts, tel un trio fait en toile perforée, marbre ou en bois. Une autre collection s’appelle « Iron Lamps » : il s’agit de la réinterprétation d’un lampadaire « chinois », revisité avec la même technique de la toile perforée. Une 3e, s’intitule « Four By Four ». Sans oublier, la touche «Noël », d’où l’installation d’un sapin, grandeur nature.
Hassene remporte le prix du talent émergent de la « Tunisia Design Week », 3 fois, successivement en 2019, 2020 et 2022, et s’est fortement distingué dans l’édition la plus récente de la compétition internationale « Lighting Design, Lamp 2022 ».
Mabrouk Elkamel, alias « Bzaow », offre une déflagration de formes et d’organes à travers ses œuvres exposées dans « Autoportrait », titre de son exposition personnelle, maintenue à la galerie Alexandre Roubtzoff-La Marsa jusqu’au 3 décembre 2022. La galerie-espace d’enchères fête, cette année, son 8e anniversaire.
On est comme happé dans un ramassis de détails, rocheux, colorés ou organiques. Des objets ? Des formes éclatées ? Des corps humains dépecés ? Des figures animalières ? Autant de composantes identifiables ou presque font les tableaux de « Bzaow », qui se laissent lire, ou interprétées différemment. « Autoportrait » est une succession de tableaux inédits émanant d’un inconscient personnel, mais qui raconte le collectif. L’artiste fusionne plusieurs fragments, dans un seul cadre, en usant de plusieurs techniques : encres sur toile, à l’origine des taches et des mouvements perçus. De l’eau, des minéraux, et des cristaux salins sont perçus.
Ses toiles racontent son imaginaire, des parcelles d’histoires personnelles, des scènes de vie ou des souvenirs fragmentés, déformés, reflétés dans une narration picturale propre à « Bzaow », parfois saisissable ou pas. En effet, quelques œuvres prennent sens, d’autres sont éclatées. À première vue, son travail paraît chargé : il interpelle, attire souvent, et parfois repousse, mais, à y voir de plus près, il se laisse lire, et aspire le récepteur dans les confins d’un vaste subconscient.
L’univers « Bzaow » se traduit via son acte de création distingué, qui donne lieu à des formes souvent organiques, parfois géométriques, primitives. Son œuvre est truffée de symbolisme et relate des comportements humains ou bestiaux, un vécu collectif, une expérience sociétale, un imaginaire social. Toutes ces parcelles forment des tableaux porteurs d’histoires inachevées, suspendues dans le temps, en perpétuel devenir. Des attributs féminins, masculins, ou hybrides prennent forme, vivent même dans un cadre, disparaissent, et reprennent forme différemment dans un autre. « Autoportrait », cette expo personnelle, est atemporelle : elle oscille entre « rationnel » et « abstrait », « Dynamisme » et « statisme ». L’artiste raconte autrement et à sa manière le « cycle de la vie humaine ».
Mabrouk El Kamel est né à Sidi Bouzid en 1980. Après une maîtrise en beaux-arts (spécialité sculpture) obtenue à l’École des Beaux-Arts de Tunis, il participe à plusieurs expositions collectives en Tunisie et à l’étranger. En 2019, il effectue une exposition personnelle de son travail à Strasbourg. En 2020, il est choisi parmi les 18 finalistes du « Yicca Art Prize ». Connu aussi sous le pseudonyme « Bzaow », il travaille en parallèle au « Centre international d’études, de recherches, de documentation et de formation sur le handicap».
Faire d’un âne le protagoniste central d’un long métrage est un challenge de taille hautement relevé. Jerzy Skolimowski, dans sa dernière œuvre polonaise en date, a offert à son public une errance inédite sur grand écran. Arrêt sur «Eo», prix du jury à la 75e édition du Festival de Cannes.
«Eo», titre intriguant pour un film à l’affiche attractive et juvénile, pourtant, la portée de l’œuvre dépasse l’attendu : elle est universelle, dure et prône une cause juste. Le public est imbibé par des plans attrayants, ceux des lieux où a navigué sur 1h25 «Eo», l’âne : brave et résistant.
Le film est une ouverture vers le monde, vu à travers les yeux de cet animal : Il erre dans un monde injuste, dangereux, enchaîne les rencontres bienveillantes et malveillantes, esquive les dangers, fait l’expérience du bonheur, et du malheur. Sa bonne étoile l’accompagne, et son éternelle innocence le rend attachant. En se basant, sur sa thématique engagée pour la cause animalière, cette fiction, à bien des égards, fait de l’ombre à d’autres films, présentés simultanément, dans la même section cannoise ou dans d’autres.
La fiction, à la structure narrative éclatée, est signée par un maestro de 84 ans. Une proposition, qui marque un renouveau et casse avec le classicisme au cinéma. «Dixit» le Storytelling connu, place à une nouvelle expérience sensorielle et visuelle revigorante.
Son sens de la transgression, son audace ont peu d’équivalence dans le cinéma contemporain. Tel un itinéraire, le film est vécu comme à dos d’âne, confronté à des situations glissantes, exaltantes, douces-amères, voire violentes. «Eo» est une errance ponctuée d’égarements, discontinue et peu éloquente par moments. L’anthropomorphisme est présent dans l’œuvre qui rend hommage à un animal au tempérament unique, à la patience légendaire, à la grâce effacée aux yeux des humains. L’apparition d’Isabelle Huppert fut brève mais solaire. Ce coup de sabot d’«Eo» fait écho au génie de Skolimowski. Le film est une allégorie insoutenable de la folie humaine.
Comme son titre l’indique, ce film court de Rami Jarboui nous plonge de nuit, dans une cité glauque, amochée par la crise économique, en plein délitement et où l’étrange y règne dans chaque coin de rue. Cette étrange cité n’est autre que la capitale «Tunis». «About the Strange City » est une version courte tunisienne revisitée de l’œuvre originale d’Abdeljabbar Eleuch «Les incidents de la ville étrange».
Bienvenue dans un «Tunis by night» qui n’a rien de festif : un Tunis de nuit lugubre, peuplé par des âmes errantes : ivrognes, mendiants, citoyens lessivés de passage, écrasés par un quotidien lourd, travailleurs de nuit, couples amoureux discrets et frustrés, vivants sur cette mythique artère principale de la capitale, appelée couramment «l’Avenue». Toutes et tous défilent à une heure tardive, par un soir caniculaire. Ici est l’endroit où se dérouleront des événements surréalistes, propres à une ville étrange.
Ce court-métrage a un cadre spatial qui est mis en abîme : un grand lieu, grande avenue «Habib-Bourguiba», qui abrite ce bar iconique, bondé d’hommes, où se déroulera la quasi-totalité des événements. «L’univers», ce bar du centre-ville, traversé par mille et une histoires au quotidien, verra entrer Salah, un client fidèle de l’endroit, qui après s’être abreuvé de bières, et lu son journal, décide de rentrer… Mais n’y arrive pas. L’homme est collé à sa chaise, incapable de se lever. Tout le monde l’entoure pour lui trouver une solution et le décoller de son siège. Une cacophonie se déclenche et une agitation aigrie des gens autour se fait sentir… face au désespoir de ce dernier, qui ne comprend pas ce qu’il lui arrive.
Le spectateur ne tardera pas à saisir la dimension métaphorique du film, mais propre à un lieu plus vrai que vrai, à l’ambiance réaliste faite de noirceur nocturne et d’insécurité. L’image est hyperbolique : elle raconte un pays qui broie du noir, rongé par une crise économique et sociale profonde, meurtri par les ego de ses dirigeants, accrochés au pouvoir.
Des leaders, qui se font chasser par un peuple qui rage, qui s’impatiente, au bord du désenchantement… Mais dans «About The Strange City», ce sont les artistes et les intellectuels qui sont visés et dont l’agonie se fait sentir. Leur précarité fait écho à leur souffrance, et à leur désarroi. Ils sont sujets à des persécutions, subissent censure et atteintes et sombrent progressivement dans un abîme sans fin. L’image esquissée dans le film crie d’une manière singulière une détresse. Rami Jarboui la filme durant 18 min, à travers ce court remake, porteur d’une réflexion. «About the Strange City» est un essai métaphorique. Une adaptation sur grand écran présentée pour la première fois dans le cadre de la section «Adaptations» lors des Journées Cinématographique de Carthage 2022 et produit par «Key Prod».
«Abeille», le film court de Mouna Ben Hammed est un portrait filmé. Incisif et poignant, l’essai filmique est une tranche de vie : celle de Deborah Lindoume, femme subsaharienne d’origine congolaise vivant en Tunisie. Une vie, un cheminement difficile, et un accomplissement, partagé avec sincérité.
Le film s’ouvre sur le quotidien de Deborah Lindoume, mère battante, qui aspire à un quotidien meilleur. Deborah arrive en Tunisie, pense partir en Europe avant de, finalement, rester. Elle est maman de deux enfants. Surnommée l’ « Abeille » depuis qu’elle est gamine, elle évoque son parcours, et se livre dans des confidences personnelles. Elle brise l’intime et revient sur son enfance : elle explique pourquoi elle a changé de nom à l’âge de 8 ans, s’exprime sur le sens de son prénom «Deborah», qui signifie «Abeille» et revient sur les origines de ce surnom attrayant. «La vie en Tunisie est très difficile pour les Subsahariens, pour les Noirs. On ressent souvent qu’on n’est pas les bienvenus. On nous insulte, on nous lance des piques, on nous appelle autrement. En Tunisie, comme ailleurs, ce vécu reste difficile». Confie-t-elle. Il s’agit d’un racisme ordinaire, violent, commenté pendant ce court métrage de 7 min 27. Deb a expliqué vouloir partir en Europe clandestinement et s’est finalement désistée quand elle a su qu’elle était tombée enceinte de sa fille. Devenir mère l’a rendue encore plus forte, endurante. La jeune maman dit avoir une vie meilleure : elle partage ses ambitions, ses plans d’avenir, ses projets de vie.
Le film est pertinent et ne tombe pas dans le pathos : le spectateur se rapproche du personnage central, compatit, et en même temps, se sent admiratif de son parcours. Son témoignage est vu et écouté de bout en bout et s’achève sur une note positive et optimiste. «Abeille» se clôt sur des images de ses enfants, des photos de famille et des souhaits à concrétiser. Le film est produit par l’ONU Migration / Pontes. Il est scénarisé et réalisé par Mouna Ben Hammed, dans le cadre de la campagne «Esshih». Mouna est jeune réalisatrice et artiste visuelle.
«Les jardins des secrets», titre intrigant pour une pièce de théâtre marocaine signée Mohamed El Hor. Elle a été présentée lors de cette 23e édition des Journées théâtrales de Carthage au public. D’une durée de 80 mn, la représentation était juste une occasion de découvrir un théâtre, qui nous vient du Maroc… faute d’intrigue saisissante.
Scénographie en place, voix off masculine qui accompagne le public et présence saisissante des trois interprètes… autant de composantes qui interpellent sur scène. Elles sont annonciatrices d’une histoire qu’on sent venir, mais qui n’arrivera pas comme souhaité. «Les jardins des secrets» rassemble pourtant différents ingrédients, nécessaires à la narration d’une tragédie théâtrale.
L’homme, figure paternelle, mari, mélancolique, effacé, sonne le glas d’un conflit familial. Il traîne une vie qui n’est pas la sienne, a épousé, «dans le respect» des traditions, une femme qu’il n’a jamais aimée. Leur union erronée est issue probablement d’un arrangement familial aux répercussions néfastes. L’épouse est fille de fortunés. Dépressive et malheureuse, n’ayant jamais aimé son époux, elle finit par entretenir une liaison avec un amant, aussitôt découverte. Leur vie de couple se disloque, devient un enfer et impacte la vie de leur fille unique. Cette dernière a suivi le mauvais exemple de ses parents en épousant un mari qu’elle n’a jamais aimé, et en se pliant à son tour aux traditions étouffantes. La jeune fille fuit ce mari la nuit de ses noces, et meurt dans un accident de voiture. Une mort qui hantera longtemps ses parents.
«Les jardins des secrets» est composée de plusieurs chapitres, aux différents titres, affichés en arabe, pendant la représentation. Tragique, la pièce, aux événements saccadés, raconte la détresse de cette famille, vivant au bord de l’abîme, dans un dialecte marocain peu saisissable, sans surtitrage. Le rythme lent et long, les émotions étirées sur scène dans d’interminables répliques, le ton monotone en voix off et l’intrigue pesante brouillent le spectateur. Ce dernier perd le fil et se perd dans des événements éclatés, des discours alertes, des lectures, des monologues ou dans différents échanges.
Cette création théâtrale, à la configuration classique, raconte le mal-être de l’humain et traduit sa fragilité, sur fond de tragédie familiale, ponctuée de quelques définitions psychologiques ou philosophiques : complexe d’Electre, Freud, Sartre… La pièce crie, nonchalamment, une existence vaine : celle d’un être humain qui s’interroge sur «Sa raison d’être», face aux épreuves. La pièce crie de nombreux vides existentiels et sombre totalement à son tour. A l’affiche de la création, Jalila Talemsi, Hager El Hamidi et Yassine Ahajjam.