Articles

«Asker Ellil» ou «Les ann�ées folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
REVIEWS & CRITIQUES6 / 2 / 2019

«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !

Sa scène est reconstituée avec des décors imposants qui réfèrent aux édifices tunisiens des années 20. Une immersion temporelle commence dans une période d’effervescence qui a duré une dizaine d’années. «Les soldats de la nuit» ou «Asker Ellil» en étaient les protagonistes, ce sont ceux qu’on surnommait «Les bohémiens», de l’après-Première Guerre mondiale. Issus pour la plupart de l’intelligentsia : ils se livraient à des errances nocturnes passionnantes, toujours dans une Tunisie soumise au colon français.

Cette comédie musicale reconstitue cette atmosphère typiquement tunisoise où régnaient autrefois des divas : elles enivraient leur public, attisaient les convoitises et ensorcelaient la foule. Présence scénique radieuse, voix envoûtante, elles étaient devenues les symboles de la libération de la femme, des transformations des mœurs, d’un affranchissement des superstitions et des traditions. L’œuvre est une reconstitution des bas-fonds de Tunis : de Beb Souika, en passant par El Halfaouine. Quatre divas très connues dans ses quartiers auparavant s’adonnaient aux chants : l’iconique Habiba Msika, Chefia et Hassiba Rochdi et Fathia Khairi. Des femmes ayant toutes un destin différent. Elles étaient souvent entourées, voire adulées par «les soldats de la nuit» : Ali Douagi, Abdelaziz el Aroui, Abderrazak Karabaka, Hédi Laâbidi, Jamel Eddine Bousnina, Mahmoud Bourguiba, Jaleleddine Naccache et Mustapha Khraief. D’autres citoyens lambda, esquissés d’une manière caricaturale, ont été ajoutés à cet univers haut en couleur, en chant, en poésie.

Comme toutes les comédies musicales, les acteurs devaient jouer la comédie sur scène, danser et chanter. Pour cette création, une quinzaine d’acteurs s’en sont donnés à cœur joie : des professionnels du milieu du théâtre, du cinéma, de la télévision et du chant se sont emparés gracieusement de la scène : Khaled Houissi, Fathi Msalmeni, Taoufik el Bahri, Oumaima Maherzi. Ils portaient le travail de bout en bout. Le point fort était surtout d’écouter un ancien jargon tunisien, arabe, particulièrement soutenu, recherché et très bien maîtrisé par les acteurs. Un florilège de mots et d’expressions retentissait tout autant que les chansons.

La création consacrait un volet à chaque diva. Des femmes iconiques interprétées par de vraies chanteuses à la voix remarquable. On regrette les parties jouées en play-back par moments mais aussitôt, rattrapées par des morceaux en live plaisants à écouter : une exploitation réussie de ce patrimoine musical tunisien, toujours aussi prisé de nos jours.

«Asker Ellil» a embarqué sur scène près de 24 artistes dont des chorégraphes amateurs. Cette époque-là n’a pas été représentée auparavant sur scène. Défi globalement relevé par toute l’équipe : Mourad Gharsalli en tant que metteur en scène, Ahmed Rezgui et Siwar Ben Cheikh en tant que scénographe et costumier. Des costumes qui n’épousaient pas totalement l’époque par moments, mais qui se diluent finalement dans cet univers générateur de nostalgie. Nourredine Ben Aicha s’est chargé du volet musical. Cette époque marquante bouleversait la société et ses mœurs, la vie culturelle et artistique et a vu naître les premières prémices d’une conscience politique, d’une lutte pour l’indépendance : l’histoire d’une nation enrichie par le mouvement des syndicats et par l’émergence de partis politiques dont le Destour. Une époque qui a connu la création de la Rachidia également. La recherche pour «Asker Ellil» fut d’ailleurs en grande partie journalistique.


«Asker Ellil» ou «Les années folles» de Soufiane ben Farhat : Tunis d’antan !
« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques
REVIEWS & CRITIQUES5 / 30 / 2019

« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques

La vision sombre d’une Tunisie post-révolutionnaire, mise en scène sur le théâtre d’El Hamra par Moez Mrabet repasse toujours au même endroit pendant trois rendez-vous ramadanesques. « Blood Moon », cette dernière création, oscille entre espoir, désenchantement, rêves brisés et craintes. Un cri d’alerte à peine perceptible…


Une scène, un voile transparent, deux femmes perplexes dans une atmosphère qui s’annonce anxiogène. Dès le départ, « Blood Moon » plonge le spectateur dans un univers chaotique où deux femmes sont en fuite, tentent de survivre. Elles fuient un monstre invisible, qui peut les happer à tout moment. Elles tentent inlassablement d’esquiver un vécu devenu hostile. Le texte de la pièce, écrit par Besma El Euchi, également comédienne aux cotés de Mariem Sayeh, raconte les 8 années qui ont suivi la révolution tunisienne et les aléas endurées par le peuple.


L’échange entre les deux actrices relate un fait divers fictif : le meurtre sur la place publique d’une poétesse suivi d’une errance initiatique, truffée de questionnements restés sans réponses suite à cet assassinat, révélateur d’un chamboulement social profond, d’un quotidien devenu invivable, suffocant. Les deux protagonistes font face à des monstres invisibles, briseurs de rêves, d’espoir, de libertés et se noient dans les interrogations.


Cette production du théâtre el Hamra réunie Basma El Euchi, Mariem Sayeh et Moez Mrabet, réunis ensemble, tous les trois, pour la première fois atour d’une création théâtrale. L’écriture éclatée de Besma est à l’image du résultat final sur scène : une création abstraite, chimérique qui s’en prend à des forces obscures déterminées à dérober l’avenir d’une nation broyée de plus en plus par les déceptions.


6 mois de préparatifs ont été nécessaires à la genèse de cette création rudement tenue par l’interprétation des deux actrices et l’assistance technique d’Ahmed Makhlouf à la vidéo, Sabri Atrous à l’éclairage et la bande son réalisé par Zain Abdelkafi.


Cette pleine – lune sanglante a duré 3 nuits durant à El Hamra laissant perplexe le public, voué à différentes interprétations.

« Blood Moon » de Moez Mrabet : Convulsions scéniques
"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale
REVIEWS & CRITIQUES5 / 28 / 2019

"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale

Avec «El Farah Watana», le metteur en scène Walid Ayadi a signé une création théâtrale particulièrement caractérisée par son humour grinçant. Sous couvert de mariage, il est parvenu à tourner en dérision la société et ses entraves.


L’intitulé résonne d’emblée comme une invitation à un mariage scénique, et l’affiche, comme esquissée subtilement au crayon, révèle le cadre spatial de la création. Le public assiste à un chassé-croisé de relations familiales, d’amitiés, d’inimitiés, d’amour et de faux-semblants innés, à la culture de toute société : la nôtre regorge d’aléas et rime avec l’absurdité des traditions et une mentalité patriarcale dominante.


«Le mariage vous va si bien» est un bal de faux-semblants, d’hypocrisie régnante, celle d’une union censée initialement sceller la vie d’un couple, qui se marie au final pour son entourage, selon les normes imposées. Cette fête organisée par Rania Louati, Mohamed Taher Mendili, Salima Ayari, Boulbaba Hedhili, Firas Labidi, Lamine Hamzaoui, Dhouha Harzallah, Salma Harzallah, Fatma Sfar, Khouloud Hamzaoui, Ihsène Zayane et Aïda Driss échappe merveilleusement bien à leur contrôle.

45706039_1967548390205267_9171249997377699840_n_83fdd036e8.webp

Une création dérisoire


Dès le départ, la mise en scène lumineuse et les personnages en mouvement initient directement le spectateur à l’univers déglingué et salace qui s’apprête à défiler sous ses yeux pendant 75 mn. Divers personnages, tout aussi riches et différents les uns des autres, tiennent davantage en haleine, tout en offrant au spectateur du recul pour parvenir à cerner la nature des relations qui les unissent. Le ton, humoristique à souhait, diminue l’aspect grotesque qui ronge notre société et pousse le public à en rire, et ce, pendant le mariage, jusqu’à peu de temps après. La pièce est le mariage d’une frange sociale entière où tout le monde est concerné : l’ancien amoureux alcoolique épris de la dulcinée, au père possessif qui ne veut pas la laisser partir, en passant par des mamans rivales, obsédées par la hantise des apparences, et qui veillent à alimenter le voyeurisme des proches. Le rythme de la pièce était fort soutenu par une musique de fond captivante, et les événements condensés : un débordement aurait pu facilement avoir lieu si le tout n’était pas traité subtilement. Le public est capté du début à la fin, et s’il réagit, c’est pour s’adonner à des rires à n’en plus finir.

45803843_1967547940205312_1228167519156568064_n_1529a613c8.webp

«El farah Watana» est une satire sociale bien maîtrisée, qui traite avec intelligence différents sujets tabous sans tomber dans le vulgaire où l’humour lourd : pari relevé pour Ayadi et son équipe d’acteurs, qui sont parvenus à transcender stéréotypes et idées reçues. La reprise des représentations se déroulera jusqu’au 30 mai 2019 à El Teatro.

"El Farah Watana" de Walid Ayadi : Satire sociale
« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour
REVIEWS & CRITIQUES5 / 15 / 2019

« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour

Mise en scène par Naoufel Azara, « Epuisé, L’Amoureux ! » a vu le jour sur la scène d’El Teatro. Riche d’une panoplie d’actrices férues de théâtre et d’un seul acteur, la pièce définit autrement l’amour. Elle repasse le 16 et 17 mai 2019 toujours au même endroit.


Redéfinir l’amour en s’inspirant de l’œuvre de Roland Barthes « Fragments d’un discours amoureux » et en le calquant sur le vécu de prostituées maghrébines reste un défi de taille relevé par Naoufel Azara et son équipe sur scène composée de Jihen Cherrak, Emna Fessi, Nader Rahmouni, Samira Hamdi, Sahar El Fessi, Nadia Montassar, Manel Zarrami, Mayna Ghali et Awatef Mabrouk.


L’œuvre scénique casse avec le conventionnel et le fait frontalement savoir en usant d’avance de la citation de Roland Barthes qui réduit le sentiment amoureux et l’assimile à des systèmes : « Tous les arguments que les systèmes les plus divers emploient pour démystifier, limiter, effacer, bref déprécier l’amour, je les écoute, mais je m’obstine : ‘‘Je sais bien, mais quand même…’’ Je renvois les dévaluations de l’amour à une sorte de morale obscurantiste, à un réalisme-farce, contre lesquels je dresse le réel de la valeur : j’oppose à tout ‘‘ce qui ne va pas’’ dans l’amour, l’affirmation de ce qui vaut en lui ». Citait Roland Barthes. Une partie de la vision de Barthes devait prendre forme sur scène. L’allusion était difficile à cerner.

45835143_1968720816754691_6466988886730997760_n_ba030a5a7b.webp

Sur pas moins de 8 mois, la pièce a mis un temps considérable avant de voir le jour. Un travail d’arrache-pied a été effectué, à commencer par une lecture ficelée de l’œuvre consistante du philosophe Roland Barthes : une véritable référence dans l’univers des lettres. Les artistes ont lu le livre en arabe et en français avant de le convertir en tunisien pour les besoins de la pièce. Le livre décortique l’amour d’une manière universelle et étale sa complexité. Des parties entières ont été traduites au fur et à mesure, certains passages ont fini par être retenus étant nécessaires à «Epuisé, L’Amoureux! ». Son intrigue s’éclairait peu à peu jusqu’à basculer dans l’univers de la prostitution qui demeure peu exploitable, voire tabou.

45866480_1968720573421382_8782025591269359616_n_ca1961bc7b.webp

Le public assiste à de nombreuses scènes de leur quotidien. Elles défilent parfois dans le cadre d’un échange verbal épicé, cru pour certains ou même d’une chorégraphie synchronisée. Des femmes rejetées par la société, qui vivent dans la marginalité, dans la précarité, qu’on voit davantage comme de « la chair vendue », et beaucoup moins en tant que femmes, communiquent, vivent en communauté et relatent leurs expériences. Les prostituées aiment et sont aussi en manque d’amour, les prostituées ne sont pas aussi dénuées d’humanité qu’une société patriarcale le véhicule. Les prostituées, selon Naoufel Azara et son équipe, réfèrent à l’ambiguïté des relations sentimentales, à la complexité de l’amour, à la survie d’un homme dans cet univers féminin, qui reste méconnu et stéréotypé dans l’inconscient collectif.

46068199_1968720620088044_5392617673928474624_n_c7ff7dda49.webp

L’immersion dans cet univers sur scène était difficile. Une épreuve d’envergure qui s’ajoute à l’exploration du livre de Barthes et à sa traduction en tunisien. Le public oscille entre perplexité et sourires, s’en prend plein les yeux mais l’œuvre s’épuise peu à peu au fil des scènes : le poids lourd du texte se fait sentir : il reste théorique et ponctué de répliques insipides. Leur ré-esquisse de l’amour devait davantage se faire sentir. «Epuisé, L’Amoureux ! » s’inspire d’une œuvre peu accessible au grand public et étouffe finalement sous son poids.





« Epuisé, l’amoureux !» de Naoufel Azara : Une version revisitée de l’amour
«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs
REVIEWS & CRITIQUES5 / 9 / 2019

«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs

Comment ré-esquisser sur grand écran «le Caire, la nuit» ? Le scénario en soi manque d’originalité, pour avoir été traité maintes fois dans de nombreux films, de différentes nationalités, le dernier long métrage en date d’Ahmed Abdallah, néanmoins, peut être considéré comme une comédie dramatique à l’humour intelligent.


Cette fiction, coproduite par l’Egypte et les Emirats Arabes Unis est une déambulation nocturne à bord d’un taxi dans un Caire la nuit, éveillé, qui ne dort jamais, mais qui demeure sombre et hostile. L’échappée commence quand un jeune réalisateur «Moe», issu d’une classe bourgeoise monte à bord d’un taxi et fait la connaissance du chauffeur «Mustapha», un homme d’un certain âge, charismatique, mais traditionnaliste aux idées carrées, et de «Toutou» une prostituée cairote dissimulée en apparence sous une chape de valeurs, d’habits discrets qui lui permettent de subvenir à ses besoins en toute discrétion, loin du regard inquisiteur d’un peuple ultraconservateur (du moins en apparence, le jour).


Contrairement à son apparence de sainte-nitouche et de son charme juvénile, la personnalité volcanique de cette jeune femme finira par égayer le parcours de cette nouvelle bande, liée par des inimitiés et qui aura le vertige à force de se prendre la tête et d’être confrontée aux aléas d’ «un Caire», autre, différent, peu connu du grand public… A moins d’y habiter et de le fréquenter de nuit. Lutte de classes, pauvreté, sexisme, patriarcat, violence… le tout est présenté sous une note d’humour léger, parfois noir, qui ne cesse de mettre en valeur le désarroi de Mou, totalement ébranlé par la complexité d’une existence qui, jusque-là, lui échappait totalement.


Le cinéma égyptien regorge de films qui dressent divers tableaux de la société égyptienne : du noir au tragique, en passant par la comédie et le burlesque, les cinéphiles ont toujours eu l’embarras du choix. Leurs feuilletons ramadanesques n’échappent d’ailleurs pas à la règle. «Exterior/Night», malgré un démarrage qui a tardé à se faire, un rapport entre les personnages pas facilement discernable au début, et une mise en abyme, celle d’un film qui nous donne un aperçu direct du tournage d’un autre film. Une fois la déroute des débuts passée, les acteurs Karim Kassem dans le rôle de Moe, Mona Hala (Toutou, la fille de joie) et Sherif El Deskoury dans le rôle de Mustapha, le taxiste, feront leurs preuves en interprétant des personnages attachants, qui vont devoir survivre à des mésaventures rocambolesques, qui questionnent le Caire d’aujourd’hui, loin des clichés et des prises de position politique. Ahmed Abdallah, son réalisateur, a remporté, lors des Journées cinématographiques de Carthage de 2010, le Tanit d’or pour son long métrage audacieux «Microphone». Le film a été distribué par Hakka Production est présenté à «Gabès Cinéma Fen» en mars 2019 en présence de son actrice principale Mona Hala.

«Exterior/Night » d’Ahmed Abdallah : Une comédie de mœurs
First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !
REVIEWS & CRITIQUES5 / 5 / 2019

First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !

Interminable attente, curiosité et … crainte. Voici l’état d’esprit d’un voyageur lambda sur le point de dépasser une frontière qui sépare deux pays. Le lieu ? Une salle d’embarquement ou de transit. Le temps ? Celui d’un décollage… qui va tarder à se faire.


Une suspension dans le temps et l’attente interminable dans une salle de transit. Pas si simple de sillonner le monde, peu importe la nationalité, la destination, la raison derrière ce voyage… Trois personnes verront le cours de leur vie se faire ou se défaire par un agent de la douane dans un aéroport. L’attente est longue et elle se fait sentir… Les voyageurs se retrouvent confrontés à des questionnaires, une fouille minutieuse, une paperasse insurmontable, à contrôler ou à revoir et se heurtent à des barrières tenaces, parfois infranchissables. Pourquoi certains aéroports génèrent-ils autant d’attente et de réticences ? Le silence est devenu assourdissant à force d’attendre. Comme suspendue dans le temps, la déroute s’est finalement emparée de tout le monde : spectateurs présents et voyageurs protagonistes sur le point d’embarquer.


La pièce traite des restrictions imposées par les Etats du monde pour empêcher les individus de se déplacer, une manière autre aussi de les tracer. Un droit élémentaire humain souvent bafoué par les autorités.


La création introduit d’avance son public dans son cadre spatial : une salle de transit reconstituée à l’extérieur de la salle d’El Teatro, des billets d’avion pour tous les invités en guise de tickets d’entrée, une destination baptisée «Une ville dans le monde»…Au début, cette pièce se laisse désirer et se veut interactive. Quant au voyage, il s’annonce trépidant pour le public, et mouvementé pour les voyageurs sur scène. Le silence est langage et c’est ce qui a plané pendant tout le spectacle. Des bribes de phrases et des bruits ont émané. «First class» n’est pas une simple dénonciation de ces pratiques restrictives, il s’agit également d’un voyage dans le temps, singulier, intimiste, extrait d’un vécu réel, d’un passé ponctué de déplacements : celui de son créateur Rémi Sarmini, qui a fui l’enfer de la guerre en Syrie, en partant au Liban, aux Emirats Arabes Unis, en Egypte, entre autres, avant de rechuter dans le gouffre soudanais et de s’installer en Tunisie. Il le projette dans le personnage d’un jeune homme, à l’apparence défraîchie, appartenant à un autre espace-temps, et qui s’offre à lui seul, un monodrame : tel un homme des cavernes malmené par les aléas de la vie, il lance des cris, difficilement discernables et se lance dans des remises en question avec lui-même, ses rapports aux autres, son relationnel, sa spiritualité étalée, son rapport avec son créateur : une partie qui laisse perplexe, et qui se déroule en simultané sur scène avec l’intrigue de la pièce et de sa thématique centrale. L’embarquement à «First class» peut être vu différemment d’une personne à une autre : les non-dits embrouillent la bonne réception de quelques scènes par moments, mais n’empêchent pas d’encaisser le message principal.


Cette création est jouée par des acteurs tunisiens et syriens : Ichraq Matar, Ahmed Mourad Khanfir, Nejdvan Soliman et Bashar Abassi mise en scène par Rémi Sarmini, sans oublier la remarquable scénographie de Hossein Tikriti. La pièce a été programmée jusqu’à hier 4 mai. Cette production d’Al Mawred et ArtVeda a été soutenue par El Teatro. Il s’agit de la 4e création de Tajroubah Troupe.


Crédit Photo : © Med Karim Amri

First Class » de Rémi Sarmini : Le terminal !
«Délivrance» de Haykel Rahali : Le théâtre de la dérision
REVIEWS & CRITIQUES4 / 23 / 2019

«Délivrance» de Haykel Rahali : Le théâtre de la dérision

La «Délivrance» selon Haykel Rahali, c’est transgresser les tabous sociaux sur la scène d’El Teatro. «Tanfissa» ou «Délivrance» redonne un souffle nouveau à un spectateur avide d’exprimer tout haut ce que la société vit tout bas.


L’intitulé rime, à première vue, avec liberté, tabous, échappatoire… Une thématique suffisamment présente et qui alimente souvent cette effervescence artistique tunisienne, toute discipline confondue. Pendant 60 minutes, les spectateurs assistent à divers tableaux scéniques, avec, comme fond sonore, une musique variée, tantôt contemporaine, tantôt théâtrale. Une troupe surgit sur scène comme troublée, confuse, hagarde, aux prises avec des questionnements ou tentant de se situer dans un espace-temps qui est méconnu, étranger aux protagonistes : ces derniers peuvent paraître aussi comme suspendus dans le temps, en attente, essayant de s’accrocher à des brèches en guise de repères.

44410827_1957551017871671_1313635435611684864_n_6f73ce5dfc.webp

Mouvements corporels et silences expressifs, qui précèdent un discours, difficilement saisissable au départ. Grâce à la tournure verbale — qui constitue le texte — l’auditoire se retrouve rapidement emporté par les répliques acerbes mais audacieuses, échangées au fur et à mesure. Le texte est en grande partie dérisoire : maîtrisé par ses acteurs, il réussit à exprimer tout haut et explicitement leurs tourments : sentimentaux, sexuels, relationnels, sociaux parfois, existentiels. Leur existence est menée d’une main de fer dans une société qui peut être libertine dans les coulisses mais qui demeure conservatrice en apparence. Une masse qui s’adonne à tout, mais qui ne parle pas et ne montre rien. La «Délivrance», selon son créateur, c’est de s’affranchir autant que possible du tabou dans une époque où même faire semblant de vivre librement peut être perçu comme un acte de résistance.


Cette production El Teatro Studio & Association : Ahl el Fen, conçue en 2018 rassemble une nouvelle vague de jeunes acteurs comme Amine Ferah, Helmi Ben Ali, Ihsen Timoumi, Inès Ben Moussa, Molka Draoui, Sadok Bousnina et Wafa Memmi.

«Délivrance» de Haykel Rahali : Le théâtre de la dérision
« Poisonous Roses » de Fawzi Salah & « Une affaire de famille » de Hirakozu Kore-Ada
REVIEWS & CRITIQUES4 / 21 / 2019

« Poisonous Roses » de Fawzi Salah & « Une affaire de famille » de Hirakozu Kore-Ada

A « Gabes Cinéma Fen », les festivaliers vivaient au gré des films récents. Entre appréciations et déceptions, les réactions ont foisonné. Tout juste avant la clôture des festivités, « Poisonous Roses » de Fawzi Salah laisse un gout d’inachevé.


L'inachevé "Poisonous Roses"


Le film tourne autour de Saqr, un jeune homme issu des bidonvilles où il a vécu et travaillé toute sa vie. Il rêve de s’évader de ces tanneries, mais il est tiraillé par un conflit intérieur entre l’amour qu’il ressent pour sa sœur, qui vit avec lui, et Reem, qui pourra l’aider à sortir de ce milieu.

Chacun des trois personnages principaux raconte l’histoire de son point de vue, et à chaque fois, les détails, les motivations, le contexte ainsi que les événements changent. L’immersion est totale dans un quartier extrêmement pauvre de l’Egypte mais la fiction en 1h10 prendra peu à peu l’eau : l’histoire n’a finalement pas aboutie, les relations entre les personnages était ambiguë, les répliques se faisaient rares et les non-dits pour une fois n’étaient pas discernables à cause d’une construction peu solide des relations qui liaient les personnages. Le film traite d’une relation incestueuse entre frère et sœur : la forte admiration de la sœur pour son frère, figure masculine pour elle, de possibles amants … Mais Le film ne peut être uniquement réduit à cette relation. Le réalisateur Fawzi Salah, présent lors du débat en post projection a exprimé son souhait de ré esquisser l’espace et ces bidonvilles. Un travail qu’il aurait pu mouvoir en documentaire. Sa fiction, elle, est restée à la surface.


cinema_japon_une_histoire_de_famille_kore_eda_2018_1_6ffac5efa1.webp

« Une affaire de famille » de Hirakozu Kore-Ada : détonnant de poésie

A « Gabes Cinéma Fen », les festivaliers vivaient au gré des films récents. Entre appréciations et déceptions, les réactions ont foisonné. Retour sur « Une affaire de familles » de Hirokazu Kore-ada, palme d’or à Cannes, projeté à la salle de l’Agora Gabès.

cinema_-_japon_-_une_histoire_de_famille_-_kore-eda_-_2018-1.webp

La palme d’or 2018 au festival de Cannes continue à faire des vagues et d’être projetée y compris dans des festivals locaux à travers le monde. « Une affaire de famille » relate le drame accélérée d’une famille nippone.

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement de secrets terribles. Le film pose avec subtilités la question des liens familiaux, entre résignation, consentement et acceptation forcée. Dans le monde, ce long métrage continu de conquérir son public et ceux dans toutes les sociétés qu’il a sillonné, mais à ce demander comment il a été accueilli au sein de sa société nippone mère. Beauté des plans, maitrise plus que parfaite de la mise en scène, acteurs prodigieux : ils endossent les rôles d’une famille qui transgresse les tabous, qui est marginale, qui va à l’encontre des convictions de la masse, massacre les règles et les codes sociaux, et fait surtout éclater la sacralisation des liens familiaux dans le japon d’aujourd’hui.


« Poisonous Roses » de Fawzi Salah & « Une affaire de famille » de Hirakozu Kore-Ada
« You come from Away », D’Amal Ramsis
REVIEWS & CRITIQUES4 / 17 / 2019

« You come from Away », D’Amal Ramsis

Au gré des projections à « Gabes Cinéma Fen », « You come from Away » D’Amal Ramsis, projeté en dernier lors d’une séance en fin de journée au Complexe Culturel de Gabes lève le voile sur une période historique méconnue, vécue par une partie des Arabes. Ceux qui se sont soulevés aux cotés des espagnols pour combattre le régime fasciste de Franco au début du 20ème siècle entre 1936 et 1939.


Le documentaire, réalisé par l’égyptienne Amal Ramsis est traité sur fond de drame familial. Une famille palestinienne éclatée. Le traitement du film est intimiste est fignolé grâce à des archives photos, lettres échangée entre les membres de la famille et mémoire réanimée. Un travail de recherche laborieux qui se sent dans le traitement de ce documentaire : le film se perd d’ailleurs dans la narration et la lenteur jusqu’à ce qu’à éclipser l’épisode historique, mais cela n’enlève en rien son importance. L’oeuvre atteste de la participation de 1000 arabes bénévolement et des combattants résistants à coté de républicains contre la dictature de Franco : 500 de nationalités algériennes et d’autres issus de différentes nationalités arabes. Une recherche très approfondie a été entamée depuis 2002.


La guerre civile espagnole était une occasion pour elle d’aborder la notion de l’identité et de l’appartenance surtout avec la naissance de palestiniens nés en dehors de la Palestine. L’histoire relatée de la famille de Najati Sidki dans ce film renforce la thématique de la question identitaire chez les Palestiniens. Sa famille a été dispersée au quatre coin du monde à savoir en Russie, au Brésil, au Liban et en Grèce et les suivre a demandé beaucoup d’efforts et de travail.


La fin des années trente évoque également la dislocation de familles palestiniennes, y compris celle-ci, accélérée par des troubles historiques majeurs comme l’éclatement de la 2ème guerre mondiale, la guerre des 6 jours de 1967 ou encore le conflit palestino-israélien. Ce soutien arabe aux espagnoles enjolive l’image négative des arabes maghrébins chez les espagnoles : le rôle de son documentaire était de mettre en valeur le parcours d’arabes anarchistes, communistes au parcours atypiques, très loin de l’image fausse véhiculée actuellement par les médias. Une aide à la production « Takmil », obtenue lors des Journées Cinématographiques de Carthage lui a permis de finaliser son documentaire.

you_come_from_away_4fa6818e50.webp

Secteur cinématographique : parlons- en :


« Gabes Cinéma Fen », c’est aussi des rencontres et des panels réalisés qui ont traité de l’avenir du cinéma arabe dans les journées du 15 et du 16 avril 2019. L’académicienne Lamia Guiga BelKaid et la chargée de programmation Samia Laabidi : toutes les deux et en présence d’invités et d’un parterre de festivaliers, ont abordé la question des circuits de distribution des films, du fonctionnement des distributeurs, des enjeux et des challenges à relever, dans une période où la nation arabe est secouée par des bouleversements sociopolitiques importants et des conflits qui opposent le nord au sud. Ils ont mis le voile sur l’émergence du cinéma indépendant arabe et de sa diffusion également, en présence de la critique cinéma Houda Ibrahim, le réalisateur Mourad Ben Cheikh et le critique Ikbel Zalila : ils ont évoqué le pouvoir de l’image, du regard du cinéma arabe sur le cinéma du sud. La chargée de programmation a également parlé de son expérience dans le cinéma palestinien en évoquant d’autres effectuées dans le cinéma arabe. Des cinéastes – réalisateurs tunisiens et arabes comme Abbes Fadhel, Malek ben Ismail, Jilani Saadi et Hechmi Zortal ont relaté leur parcours et leur manière de dépasser les difficultés des subventions. D’autres artistes jeunes comme Mouna Hala, Najoua Zouhaier et abou Bakr Chawki ont prôné les libertés dans le cinéma et ont appelé à dépasser certainement visions clichétiques et à un renouveau du secteur. Tout comme Sami Tlili, le directeur artistique du festival, qui a proposé de reconstruire le système de production en Tunisie dans son intégralité et à le développer à la racine.

panels_74f7ecdd4f.webp
« You come from Away », D’Amal Ramsis
Facebook
Twitter
Instagram
LinkedIn
haithemhaouel221@gmail.com