Cette exposition initie les visiteurs à l’art psychopathologique soigneusement chaperonné par l’artiste plasticienne Mme Jihene Benaich Elmouaddeb, avec l’aide de l’association. Scruter chaque œuvre accrochée, c’est comme permettre à une personne de voir par le trou de la serrure d’une porte : ces tableaux donnent un aperçu fascinant, déroutant souvent, intrigant de l’univers dans lequel baigne le patient. Des pensées aux idées, en passant par des maux esquissés : certaines œuvres paraissaient juvéniles… malgré l’âge des 6 patients-artistes participant à cette activité et qui oscille entre 30 et 50 ans.
L’idée a germé depuis plus d’une année, mais le processus de sa concrétisation était lent : il s’agit du premier projet présenté par ses activistes militants pour la santé mentale et qui ne se veut pas caritatif mais vise plutôt à abolir les tabous qui entourent les troubles mentaux et à promouvoir un potentiel artistique.
Dans sa première étape, l’association a collaboré avec l’hôpital Razi doté déjà d’une unité pilote d’«Art-thérapie». Comme elle n’est pas active depuis 5 ans, il fallait juste la renforcer, l’appuyer, y créer, entre autres, des activités : la faire revivre et mettre par la suite en exergue ses œuvres précisément. L’art thérapie est une spécialité dédiée aux plasticiens et qui vise à soigner mentalement via un art précis : musique, peinture, etc. Une spécialité déjà mise en pratique à l’hôpital Razi depuis des années, mais qui reste peu visible, connue : elle apaise, soigne les patients en mal de vivre et les aide à mieux se réinsérer socialement.
L’artiste Jihen Benaich Elmouaddeb, avec l’assistance d’une psychologue, a créé un processus de sélection des patients consentants et intéressés à participer à cette activité : s’assurer qu’ils ne sont pas réticents à y participer est capital. «Pour la nouvelle collection, 6 patients ont répondu à l’appel», souligne Imen Bel Abid, médecin résidente à l’hôpital Razi et cofondatrice de l’Association des activistes pour la santé mentale.
Par ailleurs, on remarque que les œuvres n’étaient pas titrées et que certaines n’étaient même pas signées. Notre résidente explique : «Les patients ne veulent pas signer : de nombreuses explications sont possibles, mais l’histoire, la littérature ont vu défiler ce type d’expériences et cette réticence à s’exposer était et est toujours récurrente. Il ne faut pas non plus les obliger à le faire. De très nombreuses toiles ont été réalisées, mais au final, on n’a pas pu être sûr de l’identité exacte de celui qui les a peintes». L’activité a duré un an pour prendre totalement forme. L’exposition s’est étalée sur trois jours et de nombreuses toiles ont été vendues. Ce vernissage était une occasion unique pour découvrir la forêt secrète de ces patients-artistes hors du commun.
« Florilège», un nouveau recueil de poésie, est à la portée des férus de lecture. Il s’agit d’un ouvrage édité chez «Contraste Editions» et qui rassemble de nombreux textes appartenant à Slaheddine Haddad, poète tunisien des temps modernes.
L’initiative a vu le jour en avril 2018 grâce à sa fille Hager Haddad et à ses plus proches amis, dont entre autres, l’écrivain François George Bussac, Rabâa Ben Achour Abdelkefi, Moncef Ghachem ainsi que d’autres poètes tunisiens ou français comme Moez Majed, Anne Brousseaux ou James Sacré. Plus connu en France dans les cercles des poètes, ce groupe de proches a choisi de publier des textes de ce virtuose des mots poétisés. Actuellement, la santé du poète lui fait défaut.
A la découverte de Slaheddine Haddad et de son œuvre
A l’occasion du Festival de la Poésie de Sidi bou Said, hommage à Slaheddine Haddad est programmé le 15 juin 2019 de 17 à 18h! Nous avons rencontré sa fille Hager Haddad, qui tient à valoriser l’œuvre de son père à travers cet ouvrage intitulé «Je ne saurais jamais, Florilège» et qui s’ajoute à des écrits à lui comme «Vie : visages démodés», Arabesques, «Au nom du temps, je vous arrête», publié chez Nirvana et «Les auto-stoppeurs», Contraste éditions.
On voudrait en savoir davantage sur le contenu de ce nouveau recueil, réalisé par les amis proches de Slaheddine Haddad ?
En ce qui me concerne, j’ai sélectionné les textes selon mon vécu. Des moments de mon enfance. Ce sont des textes qui rassemblent mes états d’âme. Il s’agit de textes de mon père dans lesquels je me retrouve. J’ai fait la sélection d’une partie, et pour les autres collaborateurs et amis de mon père, chacun d’eux s’est chargé de s’occuper d’une partie, de sa propre sélection, jusqu’à en atteindre le nombre de 6. Chaque sélection est différente de l’autre : tout dépend de la sensibilité de chacun et de son vécu avec mon père. Par exemple, Moez Majed est plus sensible aux poèmes de mon père qui évoquent La Goulette.
Le livre rassemble donc les meilleurs textes de votre père, selon ses amis ?
Tout à fait ! Il rassemble les best de tous les livres de mon père. Une vraie sélection. Sachant qu’il a écrit près de 27 livres si ce n’est plus. Il a à son actif des contes pour enfants mais il s’est consacré essentiellement à la poésie.
Parlez-nous du lien qui vous unit à l’œuvre de votre père ?
Comme on a grandi à l’époque à Grombalia, ma sœur et moi, avant de nous installer à La Goulette, mon père a commencé à écrire depuis que nous étions toutes petites. Il se découvrait en tant que poète et on a assisté au démarrage de sa carrière. Nous n’étions pas conscientes de cela, nous n’y accordions pas beaucoup d’intérêt. Il a beaucoup tenté d’attirer notre attention sur ses textes. Mais on fuyait… Après, quand nous avons commencé à évoluer, comme je suis designer et j’enseigne à l’école de Design, sa poésie a parallèlement commencé à se faire entendre, à se faire connaître, j’en étais consciente et je n’ai jamais eu le courage de connaître ses œuvres. Ensuite, quand il est tombé malade, j’ai pris conscience que je passais à côté et je m’étais dit qu’il fallait valoriser son œuvre. On se devait de le faire… et j’ai lu presque la majorité de ses textes. J’ai découvert mon père à travers ses écrits. Je m’y suis retrouvée. C’était une véritable immersion. On lui a rendu hommage.
Vous souhaitez rendre cet hommage impactant…
C’est la moindre des choses. Il a beaucoup souffert de cela. Le monde de la poésie est vraiment très restreint en Tunisie. On cultive plus de l’intérêt pour la poésie et la littérature arabes. Lui, il s’est forgé une notoriété à l’étranger. Et ce n’est pas quelqu’un qui sait se vendre non plus. Il se consacrait davantage à son travail de professeur d’histoire/géographie. Et sa poésie était une satisfaction personnelle.
Ses écrits s’inspiraient de la vie de tous les jours ?
Oui. Ils s’inspiraient des histoires de la famille, des histoires de tous les jours, de ses relations, de la solitude, ses tracas, ses doutes, les subtilités d’un quotidien qui peut toucher tout le monde, de ses promenades. Une écriture sans artifices, accessible, simple et touchante…
Parlez-nous des textes que vous avez choisis ?
J’aime tous les poèmes que j’ai choisis en fait parce qu’ils parlent de souvenirs d’enfance, marquants, à la portée de tous, que tout le monde a dû vivre au moins une fois dans sa vie. La façon de les raconter est simple, subtile, limpide, avec peu de mots. Parler des envies, de la sensualité de l’enfance, le rapport au père, de la colonisation, etc.
Et comment l’idée de lancer ce recueil a vu le jour ?
C’était une idée du «Capitaine», alias François-George Bussac qui a demandé à ses proches poètes d’y collaborer. C’était en mars 2018 et tout le monde était coopérant. Un bel hommage. Abderrazak Khchine, qui est un très bon ami de mon père, s’est chargé de l’éditer chez «Contraste Editions» et je me suis chargée d’étoffer l’ouvrage par des illustrations. Ce petit livre est un bel objet fait avec beaucoup d’amour. Lors des prochaines rencontres littéraires, on fera en sorte de le faire connaître au public.
Le programme du RightsCon Tunis a couvert de nombreuses questions pressantes et d’actualité dont des sujets cruciaux comme l’intégrité du système électoral et l’érosion des valeurs démocratiques.
Après Toronto, l’année dernière, San Francisco, Rio de Janeiro, Manilla ou encore Bruxelles, c’est au tour de Tunis d’accueillir le premier évènement mondial sur les droits humains à l’ère du numérique organisé par « Access Now ». 3000 participants venus du monde entier n’ont cessé d’affluer depuis le 11 juin. L’évènement s’est étalé sur 5 jours au palais des congrès et aux hôtels avoisinants. Il s’agit d’une première en Afrique et au Moyen-Orient.
Ce sommet mondial a démarré sur les chapeaux de roues dans la soirée du 11 juin : Facebook, Amazon, Reddit, Instagram, Microsoft, Google et une quarantaine de leaders du net ont répondu présent au palais des congrès. Le RightsCon, c’est des rencontres, panels, du networking, des workshops, des évènements privés et autres conférences qui ont tourné principalement autour de la sécurité numérique, entre autres, l’émergence des réseaux sociaux, la démocratie à l’ère du numérique, etc. L’évènement, qui reste considérablement payant, attire un grand nombre de participants engagés dans l’activisme à l’échelle mondiale et s’adresse spécialement, dans sa ville hôte, à sa société civile : ONG, activistes, associations diverses qui œuvrent pour les droits humains : ils ont fusionné et sont entrés en contact pendant presque une semaine avec les chefs d’entreprises mondiales, décideurs/politiques, directeurs/trices juridiques, représentants/es de gouvernements, technologues, universitaires, chercheurs et défenseurs des droits humains. Ensemble, ils ont mobilisé un grand nombre de secteurs afin de créer des partenariats, collaborer, élaborer des stratégies pour mener à de grands changements pour un monde plus libre, ouvert, connecté mais surtout sécurisé. Des problèmes urgents et forcément d’actualité se trouvant à l’intersection des droits humains et de la technologie numérique ont été largement abordés.
Une grande diversité de thèmes
Le programme du RightsCon Tunis a couvert de nombreuses questions pressantes et d’actualité dont des sujets cruciaux comme l’intégrité du système électoral et l’érosion des valeurs démocratiques, l’intelligence artificielle et la responsabilité algorithmique, notre identité en ligne, la biométrie, et les technologies de reconnaissance faciale, la convergence des technologies émergentes, la protection des données et le contrôle des utilisateurs aux niveaux local, régional et mondial, la désinformation et l’avenir du journalisme, la perturbation et la discrimination des réseaux, la vie privée, la surveillance et le contrôle social, l’inclusion numérique et l’accessibilité, la technologie comme outil pour les objectifs de développement durable, le renforcement de la sécurité informatique et l’avenir du cryptage, la politique de cybersécurité, ou encore le conflit et les réponses de l’aide humanitaire à l’ère du numérique.
Mme Michelle Bachelet, Haut Commissaire des droits de l’homme, ainsi que 5 rapporteurs spéciaux représentants des Nations unies ont répondu présent. Plusieurs personnes éminentes du gouvernement tunisien et de l’Union européenne sont déjà sur place. Sociétés privées et acteurs de la société civile et mondiale sont massivement représentés.
Pourquoi Tunis ?
Étant un centre de technologie émergente et de démocratie naissante, la Tunisie a été choisie parce qu’elle est toujours perçue comme un symbole d’espoir dans la région et dans le monde depuis le déclenchement de la révolution de 2011. D’ailleurs, depuis 2014, « Access Now » se situe à Tunis et travaille sur des cadres juridiques basés sur le respect des droits, la sensibilisation du public à travers des campagnes de plaidoyers et offre un soutien technique pour les utilisateurs à risque disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Les événements récents en Tunisie, tels que le décernement du prix Nobel de la paix et l’entrée en vigueur du StartUp Act, situent le pays à l’avant-garde de la région grâce à son engagement dans ces conversations cruciales au sujet des droits humains à l’ère du numérique. RightsCon Tunis est aussi une opportunité pour mettre en valeur la richesse du patrimoine et l’histoire de la Tunisie, ainsi que sa vision de l’avenir où le pays a plusieurs fois affirmé son engagement à devenir un chef de file dans le domaine de la technologie numérique. 130 pays ont rythmé le RightsCon Tunis depuis son démarrage. Il prendra fin aujourd’hui vendredi 14 juin.
L’interprétation magistrale d’un trio d’acteurs : Ghazi Zaghbani, Nadia Boussetta et Mohamed Ali Grayâa, les protagonistes du huis clos haletant «El harba» (La fuite), ne cesse de drainer un public venu nombreux les applaudir chaque fin de semaine : Prochain rendez-vous le 22 juin 2019 à partir de 19h30 toujours à l’Artisto.
Mise en scène et jouée par Ghazi Zaghbani, son œuvre «La fuite» se joue toujours à guichets fermés dans ce théâtre de poche. La thématique de la pièce, à la fois audacieuse et subtilement traitée, la rend toujours aussi attrayante.
Le public se retrouve témoin d’un face-à-face improbable entre une prostituée et un fanatique religieux. Ce dernier tentait d’échapper à la vigilance des autorités et se retrouve coincé dans l’antre d’une fille de joie. Commence alors un dialogue tumultueux entre les deux personnages que tout oppose.
L’échange se déroule dans l’enceinte d’un espace fermé : la chambre d’une prostituée, au décor minimaliste reconstituée et parfaitement adaptée à l’espace, maîtrisé aussi minutieusement. Le spectateur fait brutalement la connaissance d’une travailleuse de sexe, «Narjess», vêtue légèrement et d’un extrémiste à la barbe et au quamis long. Ce dernier fait irruption chez elle, fuyant la police à ses trousses. «Narjess» l’aidera malgré l’idéologie extrémiste qu’il prône.
Éclate alors un dialogue salace, mais subtil pendant une heure. Les deux personnages, censés se repousser, fusionneront au fur et à mesure de cette rencontre.
L’objectif de l’œuvre est de mettre en relief les contradictions d’une Tunisie, tiraillée entre modernisme et conservatisme, et accentuées depuis l’éclatement de la révolution. Ce petit pays, qui demeure le plus ouvert du Maghreb et du Moyen-Orient, continue de subir les aléas d’un soulèvement populaire doublé par une crise identitaire. Rongé par le conservatisme, il continue tant bien que mal de résister. «El Harba» de Ghazi Zaghbani est un hymne à la tolérance et une invitation au dialogue et au vivre-ensemble malgré les différences.
L’œuvre, conçue à l’espace L’Artisto à Tunis, devait toujours se jouer dans un espace clos en cas de décentralisation car elle repose sur la proximité qui unit les personnages à leur public. Le texte de «La fuite» est une adaptation du roman en français de Hassan Mili «La P… savante» et sera adapté bientôt sur grand écran.
Sa scène est reconstituée avec des décors imposants qui réfèrent aux édifices tunisiens des années 20. Une immersion temporelle commence dans une période d’effervescence qui a duré une dizaine d’années. «Les soldats de la nuit» ou «Asker Ellil» en étaient les protagonistes, ce sont ceux qu’on surnommait «Les bohémiens», de l’après-Première Guerre mondiale. Issus pour la plupart de l’intelligentsia : ils se livraient à des errances nocturnes passionnantes, toujours dans une Tunisie soumise au colon français.
Cette comédie musicale reconstitue cette atmosphère typiquement tunisoise où régnaient autrefois des divas : elles enivraient leur public, attisaient les convoitises et ensorcelaient la foule. Présence scénique radieuse, voix envoûtante, elles étaient devenues les symboles de la libération de la femme, des transformations des mœurs, d’un affranchissement des superstitions et des traditions. L’œuvre est une reconstitution des bas-fonds de Tunis : de Beb Souika, en passant par El Halfaouine. Quatre divas très connues dans ses quartiers auparavant s’adonnaient aux chants : l’iconique Habiba Msika, Chefia et Hassiba Rochdi et Fathia Khairi. Des femmes ayant toutes un destin différent. Elles étaient souvent entourées, voire adulées par «les soldats de la nuit» : Ali Douagi, Abdelaziz el Aroui, Abderrazak Karabaka, Hédi Laâbidi, Jamel Eddine Bousnina, Mahmoud Bourguiba, Jaleleddine Naccache et Mustapha Khraief. D’autres citoyens lambda, esquissés d’une manière caricaturale, ont été ajoutés à cet univers haut en couleur, en chant, en poésie.
Comme toutes les comédies musicales, les acteurs devaient jouer la comédie sur scène, danser et chanter. Pour cette création, une quinzaine d’acteurs s’en sont donnés à cœur joie : des professionnels du milieu du théâtre, du cinéma, de la télévision et du chant se sont emparés gracieusement de la scène : Khaled Houissi, Fathi Msalmeni, Taoufik el Bahri, Oumaima Maherzi. Ils portaient le travail de bout en bout. Le point fort était surtout d’écouter un ancien jargon tunisien, arabe, particulièrement soutenu, recherché et très bien maîtrisé par les acteurs. Un florilège de mots et d’expressions retentissait tout autant que les chansons.
La création consacrait un volet à chaque diva. Des femmes iconiques interprétées par de vraies chanteuses à la voix remarquable. On regrette les parties jouées en play-back par moments mais aussitôt, rattrapées par des morceaux en live plaisants à écouter : une exploitation réussie de ce patrimoine musical tunisien, toujours aussi prisé de nos jours.
«Asker Ellil» a embarqué sur scène près de 24 artistes dont des chorégraphes amateurs. Cette époque-là n’a pas été représentée auparavant sur scène. Défi globalement relevé par toute l’équipe : Mourad Gharsalli en tant que metteur en scène, Ahmed Rezgui et Siwar Ben Cheikh en tant que scénographe et costumier. Des costumes qui n’épousaient pas totalement l’époque par moments, mais qui se diluent finalement dans cet univers générateur de nostalgie. Nourredine Ben Aicha s’est chargé du volet musical. Cette époque marquante bouleversait la société et ses mœurs, la vie culturelle et artistique et a vu naître les premières prémices d’une conscience politique, d’une lutte pour l’indépendance : l’histoire d’une nation enrichie par le mouvement des syndicats et par l’émergence de partis politiques dont le Destour. Une époque qui a connu la création de la Rachidia également. La recherche pour «Asker Ellil» fut d’ailleurs en grande partie journalistique.
La vision sombre d’une Tunisie post-révolutionnaire, mise en scène sur le théâtre d’El Hamra par Moez Mrabet repasse toujours au même endroit pendant trois rendez-vous ramadanesques. « Blood Moon », cette dernière création, oscille entre espoir, désenchantement, rêves brisés et craintes. Un cri d’alerte à peine perceptible…
Une scène, un voile transparent, deux femmes perplexes dans une atmosphère qui s’annonce anxiogène. Dès le départ, « Blood Moon » plonge le spectateur dans un univers chaotique où deux femmes sont en fuite, tentent de survivre. Elles fuient un monstre invisible, qui peut les happer à tout moment. Elles tentent inlassablement d’esquiver un vécu devenu hostile. Le texte de la pièce, écrit par Besma El Euchi, également comédienne aux cotés de Mariem Sayeh, raconte les 8 années qui ont suivi la révolution tunisienne et les aléas endurées par le peuple.
L’échange entre les deux actrices relate un fait divers fictif : le meurtre sur la place publique d’une poétesse suivi d’une errance initiatique, truffée de questionnements restés sans réponses suite à cet assassinat, révélateur d’un chamboulement social profond, d’un quotidien devenu invivable, suffocant. Les deux protagonistes font face à des monstres invisibles, briseurs de rêves, d’espoir, de libertés et se noient dans les interrogations.
Cette production du théâtre el Hamra réunie Basma El Euchi, Mariem Sayeh et Moez Mrabet, réunis ensemble, tous les trois, pour la première fois atour d’une création théâtrale. L’écriture éclatée de Besma est à l’image du résultat final sur scène : une création abstraite, chimérique qui s’en prend à des forces obscures déterminées à dérober l’avenir d’une nation broyée de plus en plus par les déceptions.
6 mois de préparatifs ont été nécessaires à la genèse de cette création rudement tenue par l’interprétation des deux actrices et l’assistance technique d’Ahmed Makhlouf à la vidéo, Sabri Atrous à l’éclairage et la bande son réalisé par Zain Abdelkafi.
Cette pleine – lune sanglante a duré 3 nuits durant à El Hamra laissant perplexe le public, voué à différentes interprétations.
Avec «El Farah Watana», le metteur en scène Walid Ayadi a signé une création théâtrale particulièrement caractérisée par son humour grinçant. Sous couvert de mariage, il est parvenu à tourner en dérision la société et ses entraves.
L’intitulé résonne d’emblée comme une invitation à un mariage scénique, et l’affiche, comme esquissée subtilement au crayon, révèle le cadre spatial de la création. Le public assiste à un chassé-croisé de relations familiales, d’amitiés, d’inimitiés, d’amour et de faux-semblants innés, à la culture de toute société : la nôtre regorge d’aléas et rime avec l’absurdité des traditions et une mentalité patriarcale dominante.
«Le mariage vous va si bien» est un bal de faux-semblants, d’hypocrisie régnante, celle d’une union censée initialement sceller la vie d’un couple, qui se marie au final pour son entourage, selon les normes imposées. Cette fête organisée par Rania Louati, Mohamed Taher Mendili, Salima Ayari, Boulbaba Hedhili, Firas Labidi, Lamine Hamzaoui, Dhouha Harzallah, Salma Harzallah, Fatma Sfar, Khouloud Hamzaoui, Ihsène Zayane et Aïda Driss échappe merveilleusement bien à leur contrôle.
Une création dérisoire
Dès le départ, la mise en scène lumineuse et les personnages en mouvement initient directement le spectateur à l’univers déglingué et salace qui s’apprête à défiler sous ses yeux pendant 75 mn. Divers personnages, tout aussi riches et différents les uns des autres, tiennent davantage en haleine, tout en offrant au spectateur du recul pour parvenir à cerner la nature des relations qui les unissent. Le ton, humoristique à souhait, diminue l’aspect grotesque qui ronge notre société et pousse le public à en rire, et ce, pendant le mariage, jusqu’à peu de temps après. La pièce est le mariage d’une frange sociale entière où tout le monde est concerné : l’ancien amoureux alcoolique épris de la dulcinée, au père possessif qui ne veut pas la laisser partir, en passant par des mamans rivales, obsédées par la hantise des apparences, et qui veillent à alimenter le voyeurisme des proches. Le rythme de la pièce était fort soutenu par une musique de fond captivante, et les événements condensés : un débordement aurait pu facilement avoir lieu si le tout n’était pas traité subtilement. Le public est capté du début à la fin, et s’il réagit, c’est pour s’adonner à des rires à n’en plus finir.
«El farah Watana» est une satire sociale bien maîtrisée, qui traite avec intelligence différents sujets tabous sans tomber dans le vulgaire où l’humour lourd : pari relevé pour Ayadi et son équipe d’acteurs, qui sont parvenus à transcender stéréotypes et idées reçues. La reprise des représentations se déroulera jusqu’au 30 mai 2019 à El Teatro.
Mise en scène par Naoufel Azara, « Epuisé, L’Amoureux ! » a vu le jour sur la scène d’El Teatro. Riche d’une panoplie d’actrices férues de théâtre et d’un seul acteur, la pièce définit autrement l’amour. Elle repasse le 16 et 17 mai 2019 toujours au même endroit.
Redéfinir l’amour en s’inspirant de l’œuvre de Roland Barthes « Fragments d’un discours amoureux » et en le calquant sur le vécu de prostituées maghrébines reste un défi de taille relevé par Naoufel Azara et son équipe sur scène composée de Jihen Cherrak, Emna Fessi, Nader Rahmouni, Samira Hamdi, Sahar El Fessi, Nadia Montassar, Manel Zarrami, Mayna Ghali et Awatef Mabrouk.
L’œuvre scénique casse avec le conventionnel et le fait frontalement savoir en usant d’avance de la citation de Roland Barthes qui réduit le sentiment amoureux et l’assimile à des systèmes : « Tous les arguments que les systèmes les plus divers emploient pour démystifier, limiter, effacer, bref déprécier l’amour, je les écoute, mais je m’obstine : ‘‘Je sais bien, mais quand même…’’ Je renvois les dévaluations de l’amour à une sorte de morale obscurantiste, à un réalisme-farce, contre lesquels je dresse le réel de la valeur : j’oppose à tout ‘‘ce qui ne va pas’’ dans l’amour, l’affirmation de ce qui vaut en lui ». Citait Roland Barthes. Une partie de la vision de Barthes devait prendre forme sur scène. L’allusion était difficile à cerner.
Sur pas moins de 8 mois, la pièce a mis un temps considérable avant de voir le jour. Un travail d’arrache-pied a été effectué, à commencer par une lecture ficelée de l’œuvre consistante du philosophe Roland Barthes : une véritable référence dans l’univers des lettres. Les artistes ont lu le livre en arabe et en français avant de le convertir en tunisien pour les besoins de la pièce. Le livre décortique l’amour d’une manière universelle et étale sa complexité. Des parties entières ont été traduites au fur et à mesure, certains passages ont fini par être retenus étant nécessaires à «Epuisé, L’Amoureux! ». Son intrigue s’éclairait peu à peu jusqu’à basculer dans l’univers de la prostitution qui demeure peu exploitable, voire tabou.
Le public assiste à de nombreuses scènes de leur quotidien. Elles défilent parfois dans le cadre d’un échange verbal épicé, cru pour certains ou même d’une chorégraphie synchronisée. Des femmes rejetées par la société, qui vivent dans la marginalité, dans la précarité, qu’on voit davantage comme de « la chair vendue », et beaucoup moins en tant que femmes, communiquent, vivent en communauté et relatent leurs expériences. Les prostituées aiment et sont aussi en manque d’amour, les prostituées ne sont pas aussi dénuées d’humanité qu’une société patriarcale le véhicule. Les prostituées, selon Naoufel Azara et son équipe, réfèrent à l’ambiguïté des relations sentimentales, à la complexité de l’amour, à la survie d’un homme dans cet univers féminin, qui reste méconnu et stéréotypé dans l’inconscient collectif.
L’immersion dans cet univers sur scène était difficile. Une épreuve d’envergure qui s’ajoute à l’exploration du livre de Barthes et à sa traduction en tunisien. Le public oscille entre perplexité et sourires, s’en prend plein les yeux mais l’œuvre s’épuise peu à peu au fil des scènes : le poids lourd du texte se fait sentir : il reste théorique et ponctué de répliques insipides. Leur ré-esquisse de l’amour devait davantage se faire sentir. «Epuisé, L’Amoureux ! » s’inspire d’une œuvre peu accessible au grand public et étouffe finalement sous son poids.
« Personnelle », comme son titre l’indique ? Le mot est faible. Du haut de ses 27 ans, fraîchement diplômée, l’artiste Dorrine Nasri se dévoile à son public pendant un mois, lors d’une première exposition. Pour le 27 avril et en guise de portails d’accès à son jardin dissimulé, elle a mis en place, dans l’enceinte de la librairie « Fahrenheit 451 », ses propres tableaux picturaux : ceux qu’elle a esquissés depuis une dizaine d’années jusqu’à nos jours. Immersive à souhait, son œuvre est certes intimiste, mais finit par dérouter à coup de messages subtilement féministes.
« Melancholia », « Vicieuse », ou encore « Radio silence », « Rébellion » ou « la gambadeuse »… Autant d’appellations pour cette jeune dame dans tous ses états, qu’on voit défiler devant nos yeux sur une quinzaine de tableaux… en portraits seulement. Une quinzaine de tableaux … ou sur ce qu’il en reste. Dorrine Nasri, architecte de formation, et artiste peintre de vocation, a descellé le monde dans lequel a longtemps gambadé son personnage féminin et est parvenue à toucher un bon nombre d’acheteurs.
Nous partons à la découverte d’une jeune femme, émanant de son imaginaire. Est-ce son reflet ? Est-ce elle ? Impossible de le deviner en découvrant son exposition, mais les états d’âme exprimés sont les siens : «une affirmation de soi », elle l’avoue haut et fort. Des ressentis et un vécu qui ont forgé sa propre personnalité au fil des années et ont été endossés par cette jeune inconnue imaginée le temps d’une exposition. « Il s’agit de ma première exposition personnelle, comme son nom l’indique, propre à moi, qui m’a permis de connaître un public intéressant et intéressé. Il fallait sauter le pas. », déclare-t-elle. Faits de peinture à l’huile, les tableaux sont inspirés d’un support réel, des influences, des photos, et, d’un tableau à un autre, elle fignole, remodèle, modifie, crée.
Le jet spontané a commencé depuis ses 17 ans. De nos jours, et 10 ans plus tard, les autres créations ont suivi. « Je ressens les changements, mes changements, mon évolution que je reflète». Elle enchaîne : « Mon exposition prône un certain féminisme, peu farouche ». Des messages subtils mais facilement décelables évoquent frontalement la condition de la femme : la pression qu’elle subit, d’ordre social, parental, familial, conjugal… son quotidien qui rime souvent avec « résistance ». « Sur l’un des tableaux, on voit un œil qui explose, en référence, à un ras-le-bol, une pression ; le fardeau d’une existence ». Dorrine a contracté le virus de la peinture très tôt, depuis sa plus tendre enfance, grâce à sa mère, également peintre. Cette dernière l’initiait à la lecture, quand l’artiste, au lieu de lire, redessinait les illustrations des livres pour enfants et tissait de nouvelles histoires autour. Dorrine Nasri exposera jusqu’au 27 mai à la librairie Fahrenheit 451 à Carthage.