Zbeïda Belhaj Amor est une jeune actrice tunisienne à l’affiche d’«Une histoire d’amour et de désir», second long métrage de Leyla Bouzid, actuellement dans les salles tunisiennes et françaises. Ce jeune talent campe le rôle de Farah, étudiante tunisienne installée à Paris et aux prises à des interrogations liées à l’intimité, aux amours, aux origines. Lumière sur Zbeïda Belhajamor, notre découverte de la rentrée.
«Une histoire d’amour et de désir» de Leyla Bouzid questionne le rapport au corps, relate un enfermement identitaire masculin, met à nu des tabous dans la société maghrébine liés à la découverte du corps, de la sexualité, du désir. Pour un premier rôle, était-ce aisé pour vous de vous embarquer dans cette aventure cinématographique ?
C’est pour toutes ces raisons que vous venez d’énumérer que je me suis embarquée dans cette aventure. Ce sont des sujets qu’on ne traite pas assez au cinéma, on n’interroge pas assez le rapport à la fragilité masculine, la virilité, les traditions, la transmission, la sexualité. C’est aussi un film qui incite à se réconcilier avec un pan de sa culture. L’intelligence du scénario m’avait frappée lors de sa lecture et c’était un honneur pour moi de faire partie de ce beau projet.
Comment s’est déroulée cette expérience avec Leyla Bouzid ?
Cette expérience avec Leyla était une pure joie. Il y avait une bonne énergie qui régnait sur le plateau à chaque fois. Le partage et l’entente étaient toujours au rendez-vous. C’est une réalisatrice qui sait écouter ses acteurs, même quand leur langage n’est pas verbal. Elle a une douceur dans sa manière de diriger tout en ayant une forte détermination dans ses idées. C’était un vrai plaisir.
Nous découvrons, en tant que spectateurs, Sami Outalbali, votre partenaire sur grand écran. Comment a été entretenue cette alchimie ?
Avec Sami tout a été évident dès le début, dès la première rencontre. Dès les premières scènes qu’on a jouées ensembles je savais que ça allait marcher. Alors on a voulu garder cette authenticité et ce naturel devant la caméra et on a décidé avec Leyla de ne pas répéter ensemble et de se rencontrer face caméra et devant les spectateurs au fur et à mesure du film. Je dirais que notre force c’est ce mystère qu’on a su garder.
Peut-on comparer les deux «Farah», celles d’«A peine j’ouvre les yeux», le précédent long métrage de Bouzid, et d’ «Une histoire d’amour et de désir», son second ?
Leyla s’est inspirée du personnage de Farah de son premier long métrage pour écrire «Une histoire d’amour et de désir». On retrouve une certaine liberté et une soif de vie dans les deux personnages avec un physique qui se ressemble. Je pense que c’est au spectateur de répondre à cette question. S’il veut comparer, voir une continuité ou au contraire séparer les deux.
Le film est fait de non-dits. C’est même son point fort…
Il y a effectivement beaucoup de non-dits. Mais il faut reconnaître qu’ils sont facilement décryptables. Leyla a même laissé une marge à chacun de comprendre comme il veut et selon sa propre philosophie de la vie certains non-dits. Je trouve cela d’un grand intérêt et vous aussi apparemment, si j’en crois la façon dont vous me posez la question.
A travers des dialogues ou même des vidéos, le film rappelle le contexte socio-politique algérien et tunisien en perpétuelle effervescence. Selon vous, ce même contexte pousse-t-il à l’affranchissement / au changement / à la libération, sur le plan personnel ?
Les luttes et les mouvements pour l’émancipation dans nos pays (je parle surtout de mon pays, la Tunisie que je connais bien) n’ont, bien sûr, pas attendu notre film pour naître et se développer. Mais l’histoire du film et ce qu’elle véhicule vient en pleine phase de mutations nouvelles de nos sociétés où deux camps s’affrontent, l’un moderniste et l’autre passéiste et rétrograde qui veut imposer des boulets de canon et des pesanteurs à la société. Je crois d’ailleurs savoir que, même pour l’Algérie, les choses avancent et le combat pour l’émancipation a ses porte-drapeaux dont beaucoup sont des artistes et des gens des arts et des lettres; des journalistes aussi. Naturellement, le personnel ne peut se dissocier du collectif lorsqu’il est fort et impactant.
Comment trouvez-vous les réactions ou les retours du public tunisien ?
Le public tunisien a aimé, selon ce que j’ai pu voir comme réactions sur place. Jeunes et moins jeunes sont venus voir le film et sont sortis émus et remués de cette histoire qui relate des choses qui leur rappellent leurs vies ou celles de gens qu’ils connaissent.
Quels sont vos prochains projets ?
Je suis de plus en plus en contact avec nombre d’intervenants du cinéma. On apprend à se connaître et c’est déjà très important pour une jeune actrice comme moi.
Désormais connue sous le pseudonyme Z.I.T.C.H, l’artiste et sa commissaire questionnent le plaisir féminin à travers 82 dessins, cartels, titres insolites en dialecte tunisien, en français et en anglais à Tunis, dans un endroit qui a fait office de galerie de dessins pendant trois jours d’affilée. Sous la houlette d’Emna Lakhoua, commissaire de l’événement, accrochage, décor et atmosphère créées ont garanti une immersion distinguée. La jeune artiste, dans sa première« S-exposition», tenait à délier les langues autour du plaisir sexuel. A partir des échanges des visiteurs, ce rendez-vous artistique a permis de lever le voile sur les systèmes de conditionnement sociaux. Il a eu également pour objectif de pousser les jeunes à organiser une expo avec un format différent et à des prix accessibles. Rencontre avec Z.I.T.C.H.
Votre « S-exposition » est l’aboutissement d’une frénésie de dessins. D’où a émergé cet intérêt pour la thématique de la sexualité féminine ?
C’est parti d’un constat, après de vifs et riches échanges avec Emna Lakhoua, commissaire et scénographe, autour de la thématique et sur le contenu de ma première exposition. J’ai réfléchi longuement, en me référant à mon couple. J’ai constaté qu’être en couple nous place dans un conditionnement, et que la vie à deux était surtout régie par des codes sociaux et des règles, alors qu’elle est supposée être réelle, fluide, spontanée : des règles pesantes, patriarcales, archaïques, héritées des générations d’antan. La femme est souvent montrée ou évoquée comme étant la prude introvertie, retirée, réticente, objectivée, effacée face à l’homme, ce mâle, qui est souvent associé à sa libido et à ses actes sexuels. La femme, en évoquant sa sexualité, est toujours réduite et exclue, et on ne prend pas en compte son plaisir. La sexualité, dans l’inconscient collectif, n’est plus un jeu, c’est juste une performance et c’est dérangeant.
Maintenant que votre «S-exposition» s’est achevée, quelle conclusion en retenez-vous ?
Je me sentais conditionnée dans des performances machinales au fur à mesure que je dessinais. Depuis que je l’ai pris comme un jeu, ma vie a changé et ma perception de cet univers est plus libre, plus limpide. Ce travail a forcément eu un impact positif sur ma vie personnelle. Beaucoup de données ont changé. C’est un déclenchement qui me permettra de m’y étaler davantage.
Il y a eu des déclics et un contexte propice à cette création. Lesquels ?
Covid-19, confinement, enfermement, le fait d’être en couple… ça devient aussitôt frénétique. Dessiner du matin au soir, regarder des films, découvrir des modèles réels. Alimenter sans cesse mon imaginaire… Mon prochain travail sera concrétisé sur la prochaine année, et je me consacrerai aux Tunisiens, à leur rapport à la sexualité. Je les prendrai en photos, j’écrirai leur histoire, et je les redessinerai. Les dessins, c’est comme des sketchs. L’objectif sur le long terme, c’est de reprendre la peinture, piocher davantage dans la recherche autour de la sexualité. Actuellement, à travers cette exposition, ma vision de la thématique reste un peu générale, éparpillée, mais c’est aussi l’occasion pour moi d’exprimer ma confusion par rapport à la sexualité. Il y a une raison à ces 82 dessins : chacune et chacun y trouvera son compte, des dessins qui feront réfléchir les personnes présentes, qui les pousseront à échanger autour du sujet de la sexualité. Si j’avais mis 5 œuvres, il n’ y aurait pas eu autant de discussions, de dialogues. Là, il y a eu tout un parcours, une déambulation, autour de cette thématique. Et c’était mon but !
Les réactions étaient comment ?
Epoustouflantes ! J’aurais dû mettre un micro pour les enregistrer et garder les discussions des gens présents. (Rires) Très rares ont été choqués. Les retours sont extraordinaires. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus vus comme «Citoyens du monde» grâce à internet. De nos jours, on est beaucoup plus ouverts sur le monde et tout est à la portée.
En creusant davantage dans la thématique de la sexualité féminine, quels sont vos prochains objectifs ?
Je voudrais comprendre pourquoi c’est aussi tabou. Pourquoi il y a autant de pudeur ? Pourquoi on est autant conditionnés ? C’est le moment de choisir mon sujet de mémoire et je vais en faire mon étude. Je ne peux pas donner ma réponse maintenant, c’est encore trop vague. La sexualité reste un champ très large. Je raconterai peut-être la sexualité sur le temps : du passé, en passant par le présent et le futur. Qu’est-ce qui la change ? L’impact ? Comment elle change au fur à mesure des époques ? Est-ce lié à un contexte politique, religieux ? Qu’est-ce qui provoque un changement de la sexualité collective au sein des sociétés ? Pourquoi sa perception et sa pratique changent – elles ? Nous verrons.
Pourquoi avoir organisé une « S-exposition » fermée au public et confidentielle ?
Je tenais, en premier lieu, à étudier les réactions, avoir des sondages, recenser les avis, les réactions, les discussions. Mon but c’est que le message passe sans heurter la sensibilité des gens. J’ai besoin de savoir ce qui se passe sur terrain pour mieux maîtriser la thématique et le sujet. Ça me permet de créer ma communauté aussi. Si je ne maîtrise pas le sujet, je n’aurais pas atteint mon but.
Souriant, accueillant, passionné, ambitieux dans l’âme, Youssef Meksi, jeune acteur découvert pendant le mois saint à la télé tunisienne dans «Ouled el ghoul», est avant tout musicien. Ses trois derniers morceaux lancés en ligne, «Masjoun», «Boutellis» et «Eddenya Dour», distinguent ce talent polyvalent. Rencontre avec un artiste, qui croit surtout à la fusion des disciplines et à l’esprit communautaire afin de pouvoir persévérer.
Commençons par le commencement : le grand public vous a découvert dans le feuilleton ramadanesque «Ouled el ghoul» en 2021, réalisé par Mourad Ben Cheikh et diffusé sur Attassia TV, mais votre véritable grand amour, c’est bien la musique. Comment cette aventure musicale a-t-elle commencé ?
Je suis heureux qu’on me le dise. C’est définitivement la concrétisation d’un long et dur travail et je ne peux qu’en être fier. Tout a commencé quand j’étais enfant, en primaire. Ma mère m’emmenait au conservatoire de musique de l’avenue de Paris à Tunis : je faisais du piano. On me l’apprenait sur deux heures, mais je m’ennuyais, au début. On me demandait de refaire le même morceau : c’était routinier, lourd et je n’apprenais pas grand-chose. Ça ne me passionnait pas du tout … j’ai arrêté pendant un moment, jusqu’à ce que je trouve une guitare fonctionnelle, mais inutilisée à la maison. Je regardais sur Youtube, j’écoutais… j’appliquais tout seul. La musique ne m’a pas appris qu’à faire de la musique : elle m’a appris à vivre et avoir le sens de la détermination : notre objectif, peu importe lequel, si on le veut, nous ne pourrons que l’obtenir. Au début, notre but, c’était d’user d’un seul instrument, mais au fur à mesure, et à force de persévérer, on se retrouve à manier plusieurs instruments et à composer, à faire l’arrangement, à enregistrer… Quand je me suis dit que je pouvais apprendre à connaître un instrument tout seul, tout le reste pouvait suivre. C’était le point de départ. L’étincelle…
Vous maniez combien d’instruments depuis vos débuts ?
Guitare, piano, les instruments à percussion, harmonica, melodica, les flutes, clarinette… une bonne panoplie (rires). Pendant la création musicale, j’y ajoutais des sonorités en tout genre. Je mélange les sono, j’expérimente. J’enrichissais mes textes une fois rédigés : j’ai d’ailleurs commencé à écrire dès le collège en faisant du rap (rires)… Des bribes de textes que j’ai bien évidemment gardées pour moi (rires). C’était trop drôle. Comme je ne savais pas convenablement jouer de la musique avant, je m’essayais à l’écriture. Et j’avais un peu trop confiance en moi : je me rappelle avoir eu le courage de m’être adressé très très jeune à la direction de la maison des jeunes à El Menzah VI pour un concert… alors que je n’avais rien de correctement préparé pour un concert (rires). J’étais obsédé de faire connaître ma musique : cet art a toujours eu une place prépondérante dans ma vie. Je l’avais dans le sang à tout moment et à tous les tournants de ma vie. Point de vie sans musique ! C’est une philosophie de vie, ce n’est pas que des notes. Même si mes études ont été légèrement impactées, ce n’était pas à cause seulement de la musique, c’était parce que je voulais être sur tout et faire tout à la fois, en m’essayant dans d’autres disciplines. J’ai fait du théâtre aussi, et du sport … j’ai touché à tout. Pour les études, j’étais à MSB, qui nécessitait aussi beaucoup de travail…Mon désordre est devenu ma stabilité et je faisais en sorte de tout fusionner.
Et puis, récemment, on peut dire que vous êtes bien parti dans la musique, avec le lancement de vos trois morceaux : «Eddenya Eddour», «Masjoun», «Boutellis»…
Et ce n‘est que le début : « Masjoun » était la première à paraître, avant mon road trip à Cuba. Un album entier est en cours. Le covid-19 m’a beaucoup ralenti. J’ai dû travailler à côté pour m’autofinancer. L’argent était surtout le problème… Les thèmes que j’ai traités sont des discussions intimes, propres à moi : mes pensées les plus enfouies, moi, m’interrogeant moi-même. Le «Helwess», comme on dit… Des personnages imaginés ont même pris la parole à un moment (rires).
Vous usez des réseaux sociaux, principalement Instagram, pour percer. Est-ce voulu ?
Au début, pas vraiment, ensuite, je me suis adapté. Avant de faire connaître mes travaux, je passais beaucoup de temps en solo, je partais en camping, en balade, en road trip, une guitare à la main… je prenais le large. Et autour de moi, des auditeurs attentifs commençaient à se former, avec des feedbacks. J’impactais des personnes positivement autour de moi, et pour moi, c’était essentiel, et cette audience grandissait… et les réseaux sociaux ont aidé, tout en ralliant mes études et mes activités professionnelles. Toute une dynamique diverse s’est créée. Je pensais qu’en étant seul, je pouvais tout faire, mais c’est impossible : le travail en communauté est essentiel et nécessaire pour percer. On ne peut avancer qu’ensemble : je suis communautaire et je crois au travail de toute une équipe, d’une famille. Le peu que j’ai bâti, je n’aurais pas pu le faire sans cette famille, et sans mon dévouement également. J’ai eu des proches en or au fur à mesure.
Vous avez vécu un road trip exceptionnel. Cela mérite le détour…Que pouvez-vous nous en dire ?
C’était un voyage qui a pris une tournure très inattendue en 2019 : je n’avais aucun objectif derrière. A un moment, j’ai pris mon sac à dos, et ma guitare, billet aller sans retour à Cuba… à cause de la richesse de son patrimoine musical. J’avais une caméra, et je devais filmer un doc. Une caméra, oui, ma seule compagne de voyage. Une fois sur place, je n’avais, ni où loger, ni quoi manger correctement, juste muni des moyens du bord. L’aventure à l’état brut. A Cuba, j’étais resté un mois, je m’étais fait un cercle, j’ai intégré un quartier, j’ai découvert toute une culture, j’ai approché un terrain autre : très loin de ce que je m’étais imaginé. Toutes les idées déjà reçues étaient fausses. Et le contenu du doc a filmé un aspect underground du pays, mes frasques, mes aventures dans des quartiers mal famés, des poursuites policières. Un ami portoricain m’a rejoint, on a survécu à un tremblement de terre violent avant de partir; ensuite à Miami, je m’étais installé là-bas, j’ai commencé à produire : tous ces moments étaient uniques et vitaux malgré tout. Mes parents en ont d’ailleurs souffert… je devais tout le temps les rassurer. A Miami, je m’étais intégré plus facilement, j’ai pu gagner ma vie modestement… j’ai fait de belles connaissances, avant de changer pour Nashville : j’ai finalement ramassé beaucoup plus d’argent que mon budget initial. J’étais très inspiré une fois de retour à Tunis. J’étais rentré, quelques jours avant la fermeture des frontières aériennes à cause du covid. Le doc n’est toujours pas monté, mais il est hors de question que je le laisse tomber. L’inattendu a construit quelque chose d’unique.
Vous êtes dans la transmission, vous donnez des cours pour jeunes passionnés de musique. Vous vous en sortez ?
Il faut bien que je finance ma musique, mais il s’agit d’une nouvelle expérience humaine et récente. J’ai découvert une facilité à transmettre l’information en bâtissant un lien unique avec les instruments. Réussir à transmettre cela à une personne est ma plus grande victoire. Un enfant autiste, fortement passionné par la musique et qui m’avait découvert dans «Ouled el ghoul», me stimule particulièrement. Je n’hésiterai pas à entreprendre toute piste qui m’apporterait un plus et me permettrait d’avancer.
Qu’est-ce que vous voudrez améliorer dans le secteur musical en Tunisie afin d’aider de jeunes passionnés comme vous à avancer ?
Il faut se démarquer des structures et des institutions, investir, et s’engager en comptant sur soi. De nos jours, avec Internet et les réseaux sociaux, on peut faire des miracles. Se démarquer de l’Etat, contourner, créer, rêver tout simplement.
Aspirez-vous à vous lancer à l’international ?
Les deux, idéalement : en Tunisie et à l’étranger. Mais peu importe l’opportunité qui se présentera, je saurai la saisir.
Et à un moment de votre carrière, vous vous êtes retrouvé exposé face au grand public en campant le rôle complexe de Kabyl, dans «Ouled el ghoul», une fiction télévisée à forte audience diffusée pendant le Ramadan 2021. Cette aventure, qui rime avec endurance et audace, vous a marqué…
J’en ai fait des castings, sans grande suite… des cours de théâtre aussi. Mais je dois dire que cette opportunité s’est présentée au gré du hasard. Je m‘étais déjà présenté au casting de «Flashback», réalisé par Mourad Ben Cheikh. Un passage dans un autre média pour parler de ma start up a poussé l’équipe à me contacter. On m’a proposé le rôle de «Youssef» le musicien, mais finalement tout a été changé à la dernière minute, et on m’a proposé le rôle de Kabyl, l’homosexuel. Un personnage qui ne me ressemble nullement : très humain, très introverti et j’ai apprécié le traitement parce qu’il ne s’agit pas d’un personnage créé pour faire le buzz, c’était un rôle subtilement traité, très bien construit, dénué de clichés, qui m’a hanté. J’étais fier de l’interpréter : il traite d’une cause humaine. La prise de risque était quand même importante : si je ne réussissais pas à bien interpréter le personnage, et en l’ayant eu en premier rôle dans mon parcours, cela pouvait mal tourner. Mais tout s’est très bien passé : les retours des gens étaient élogieux et, pendant le tournage, j’ai été entouré de professionnels comme Helmi Dridi, Wahida Dridi, Maram ben Aziza… J’en suis reconnaissant. Je n’ai retenu que du bon de cette expérience trépidante et si une saison deux est prévue, je ne peux être que de la partie. Je suis content d’alterner acting et chanson. Les deux se complètent. «Ouled el ghoul» m’a d’ailleurs beaucoup enrichi sur le plan musical aussi.
«Hezni Maak», votre start up sera lancée prochainement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
«Hezni Maak» est une application de co-voiturage de communauté sécurisée : au lieu d’y aller avec des gens qu’on ne connaît pas, dans ce contexte -là, l’application est destinée à la communauté qui entoure l’utilisateur et qu’on peut trouver à la faculté, au travail, en salle de sport, en restaurant, en café, aux environs : voisins, connaissances, collègues sont ciblés… et sera fonctionnelle au sein des facultés privées, à destination d’utilisateurs jeunes, pour commencer. L’expérience s’étendra au fur à mesure, et la stratégie économique proposée permet de faire des économies. Les utilisateurs peuvent accéder à la plateforme par mail, ainsi, tout le réseautage leur sera proposé. La fonction se fait en partenariat avec d’autres organismes, d’autres structures, qui offriront un service plus optimal. Ma conception de l’esprit communautaire se résume dans cette application.
Quels sont vos projets ?
Priorité à la musique. Sortir mon album, terminer mon documentaire. Lancer la start up officiellement. M’essayer à de nouvelles aventures de tournage (s’il y en a).
«L’Animed» est une plateforme de recherche et de mise en valeur de l’histoire de la Tunisie, et valorise des thématiques peu exploitées ailleurs. Bouthaïna Gharbi, docteure en mise en valeur du patrimoine culturel et CEO de l’entreprise, nous dévoile les dessous d’une aventure entrepreneuriale inédite, qui travaille sur la mise en valeur et la médiation du patrimoine culturel.
Comment l’aventure « Animed » a-t-elle commencé ?
Tout a commencé à travers l’association de plusieurs personnes autour d’un projet, qui consiste à mettre en place un circuit innovant, nommé «Le circuit Magon», qui est un itinéraire culturel de mise en valeur du patrimoine viticole et de l’homologie en Tunisie. Il s’agit d’un circuit à vocation culturelle qui relaye les circuits des sites archéologiques avec les caves des viti-vinicultures. On a eu une subvention de l’Union européenne pour créer ce circuit. En parallèle, à cette époque-là, j’ai été en Master spécialisé en patrimoine architectural du XIXe /XXe siècle à l’Ecole des beaux– arts, d’où mon intérêt pour le volet architectural archéologique. C’est ainsi que je m’étais retrouvée embarquée dans cette aventure avec plusieurs acteurs de la Tunisie, mais aussi de l‘Italie. L’objectif pressant était de créer des projets de mise en valeur du patrimoine. J’ai entamé une thèse de doctorat, toujours en parallèle sur la mise en valeur du patrimoine aussi. J’alternais les deux, tout en prenant conscience de la pertinence de cette recherche et de ce volet.
N’avez-vous pas eu des difficultés à démarrer ?
En effet, au départ, on voulait créer une association pour pouvoir lancer des projets autour de la mise en valeur du patrimoine. Les difficultés sont principalement liées à la réglementation tunisienne, la bureaucratie, et l’Etat tunisien était réticent par rapport à la thématique de la viticulture, de la vigne et du vin. On a, du coup, créé une entreprise très imprégnée par l’esprit de la société civile. On s’est regroupé avec, notamment, une amie à moi, Mila Lauretta, avec qui on a créé «l’Itinéraire Magon», dans le cadre d’une association qui n’a pas marché. L’entreprise culturelle qu’on a créée a vu le jour : elle est spéciale dans le sens où elle s’investit dans les causes patrimoniales, culturelles. Une partie des bénéfices servait à peaufiner, à alimenter cette responsabilité culturelle.
Quelle est votre définition de « responsabilité culturelle » ?
Les deux dernières années, on évoque souvent la « responsabilité sociale», les entreprises sociales et solidaires… Nous, on a commencé en 2017, et on voulait se focaliser sur la responsabilité culturelle, d’où la création d’ «Animed».
D’où vient ce nom «Animed» ?
«Med» se réfère à la Méditerranée et «Anime», en punique veut dire « prospérité » et «richesse». Le patrimoine étant une source de prospérité, de richesse intellectuelle, culturelle, économique. C’est ce qu’on essaie de mettre en avant : faire en sorte qu’il y ait de projets à portée sociale, culturelle et économique. Et on a une richesse culturelle et patrimoniale incommensurable : près de 30.000 sites archéologiques en Tunisie. Un chiffre approximatif, mais attesté, près de 1.000 sites attestés et classés. Cette richesse-là coïncide avec la pauvreté qui existe dans des zones tunisiennes, en partie de l’intérieur, où ces monuments existent. On se focalise sur ces régions-là, en les mettant en valeur, leur donner plus visibilité, les faire connaître par un large public à travers la digitalisation, les faire connaître auprès du Tunisien lambda, à travers notamment nos capsules, scientifiquement pertinentes. On crée un contenu attesté et la médiation fait en sorte que ces contenus peuvent circuler, les rendre accessibles, courts, à la portée, attractifs, divertissants. Tout un travail autour de la diffusion a été accompli, autour de la présentation, essentiellement et sur la langue utilisée : le dialecte pour toucher le Tunisien et le sous- titrage en anglais pour notre audience étrangère.
Vous proposez aussi des services inédits et innovants. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Toute une plateforme de visibilité, un site officiel, rassemble ces vidéos et les astuces et indications qui permettent à un voyageur lambda de mieux circuler dans nos régions, notamment à Hidra, Zaghouan, le Kef et autres : sur notre site, on lui facilite le trajet, on lui fournit des conseils, les moyens de transports, des propositions d’activité à faire, le logement… Rendre au maximum les déplacements à la portée, c’est notre but, avec une mise à jour des informations utiles, une facilité de manipulation, en usant d’une manière attestée et efficace de notre plateforme. Peu importe où ce voyageur se trouve dans le monde, il peut planifier son voyage en amont et venir. Pour rendre notre action pertinente, il faut favoriser les visites dans ces régions, entre autres, de cette manière.
De qui est composée votre équipe ?
Moi-même Bouthaina Gharbi, cofondatrice et manager d’ «Animed», docteure en mise valeur du patrimoine et entrepreneuse. Avec moi, l’équipe scientifique : Mounir Fantar, archéologue-scientifique, directeur des sites archéologiques. On est chargé de la révision scientifique. Pour information, le patrimoine tunisien est répertorié selon un découpage scientifique, par thème : Antiquité, époque romaine, etc. donc, on s’adapte pour le travail selon le site, avec un conservateur spécialiste en site archéologique. Le conservateur nous fournit en articles et en matière scientifique, avec une mise à jour continue des découvertes faites au jour le jour… On veille à faire une dernière vérification au niveau scientifique. Dans la médiation, Hela Djebby, conservatrice, qui écrit des scénarios, on les travaille ensemble, on retouche, «Hokka Hendi» gère des volets dans des tournages, drones, et gère la coordination de la partie audiovisuelle. Pour la partie plateforme, Mehdi Ridene, notre ingénieur, et Mariam KMS, community manager.
Comment se passe le contact avec les institutions étatiques comme l’INP ou autres ?
On travaille avec l’’INP et l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle. On est soutenu. On fait toutes et tous partie du milieu scientifique. On entretient une relation correcte. Je crois qu’on est la seule entreprise privée qui possède un partenariat avec l’Amvppc, et nous collaborons avec Mme Amel Hachana, dont elle fait partie. Un partenariat est en cours avec l’INP. Quand on a conçu le projet et on lui a réservé un budget, on est allé voir les institutions qui étaient coopératives.
Quel sera votre apport à la recherche scientifique ?
On essaie de mettre en place la logique de la recherche et du développement. On tend la main à des chercheurs, qui peuvent effectuer leurs recherches en dehors des centres de recherche. Je trouve que le secteur privé a besoin de la pertinence du monde de la recherche. La recherche doit être accessible, à la portée. Dans la recherche appliquée dans le domaine du patrimoine, il y a de bons résultats. On incite les gens à travailler dans ce domaine, large, exploitable, à portée économique. Il y a beaucoup de potentiel à faire et plusieurs disciplines à appliquer dans l’air du temps et à développer des initiatives autour. C’est un domaine vierge. Il suffit d’avoir la volonté et les outils nécessaires afin d’y arriver. On est en contact avec l’université d’Ibn-Charaf, afin de mieux approcher les étudiants, les accompagner dans leur recherche, voire à les embaucher. C’est une nécessité
Récemment et dans le cadre du Gabès Cinéma Fen, qui se poursuit en ligne, s’il y a une section qui a fasciné les spectateurs, pour la plupart jeunes, c’est bien la section VR Corner / Hackaton, destinée à la réalité virtuelle. Futuriste et intrigante, cette discipline s’impose d’édition en édition et attire la foule. Les étudiants de l’Institut supérieur des arts et métiers de Gabès (Isam Gabès) y ont participé. Cette année, 4 films ont été réalisés par 4 équipes et un prix a été dédié à la meilleure réalisation. Mohamed Arbi Soualhia, commissaire à la tête du VR Corner, nous parle de cet art avant-gardiste et de son évolution en dehors du festival.
Comment êtes-vous entré en contact avec l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » ?
J’ai travaillé dans quelques projets à l’ étranger, notamment sur des prototypes à Berlin et à Munich. Je travaillais dans le festival « Vision du réel » en Suisse. Je ne sais comment exactement l’équipe de « Gabès Cinéma Fen » a entendu parler de moi. Je suis de nature discrète. Ghofrane Haraghi (coordinatrice) et Fatma Cherif (directrice du festival) m’avaient contacté et m’ont proposé de démocratiser ce nouveau médium que la plupart des Tunisiens ignorent et qui n’est autre que la Réalité Virtuelle. Il ne s’agit pas de nouvelles techniques hautement modernes seulement, c’est une nouvelle forme d’art.
Pour le contenu de cette section, avez- vous eu carte blanche et entière liberté de gestion ou avez-vous reçu des recommandations de la part de l’équipe du festival ?
J’ai proposé des films. On se réunissait et on communiquait souvent jusqu’à l’établissement d’une sélection de films : une longue et une courte liste. A quel point la sélection des films en VR est-elle accessible ? En tant que public, nous n’en savons pas beaucoup sur les canaux de diffusion, leurs choix, leurs contenus, leurs genèse ? L’univers du VR reste encore inaccessible de nos jours. C’est juste. C’est, en effet, un peu compliqué pour l’instant, parce que les casques et les outputs ne sont pas à la portée de tout le monde. La section VR n’est pas programmée dans de nombreux festivals dans le monde. La distribution pose toujours problème, le monotising, aussi. Mais d’ici à cinq ans, à mon avis, ça se réglera. Le covid a ralenti son élan. Je reste enthousiaste quant à l’avenir du VR. C’est une question de temps. On n’en est qu’au début…
En Tunisie, on reçoit presque tout en retard en matière de nouvelles technologies. A Gabès, plus précisément, les notions liées aux arts restent basiques, classiques. L’art nouveau ou ses notions ordinaires restent peu accessibles, d’où l’émergence de cette résistance artistique. Pour vous, quand on fusionne toutes ces disciplines ensemble, peu importe leur différence, est-ce que cela attirera toujours le public ?
Le programme du « Gabès Cinéma Fen » fusionne cinéma, images et haute technologies. Un contenu qui ne fera qu’attirer les festivaliers et le public, des plus jeunes aux plus âgés, toutes tranches d’âges confondues. Il faut leur montrer ces formes d’art et les aider à raconter leurs histoires, les initier. Dans le cadre de cette expérience, ils étaient passionnés, proches des personnages en VR. L’expérience est inédite, riche en qualité technique. Le festival garantit l’aspect technique. D’autres films sont interactifs : leur contenu est riche. Le spectateur/participant peut même aider les protagonistes, enlever les casques, proposer des solutions, intervenir. Et l’édition connaît de nouveaux membres et de nouveaux talents jeunes, qui promettent réellement et qui apportent de la fraîcheur et une dynamique nouvelle.
Peut-on en savoir plus sur le hackathon ?
Cette compétition est composée de quatre groupes, formés l’année dernière dans des ateliers, dans lesquels ils apprennent tout : le prototype de création, au scénario VR. Ils n’ont pu tout faire à cause du covid. Des scénarios ont émergé, des figurants ont été aussi dénichés pour le tournage, des moyens du bord qui ont permis à des jeunes de conclure des projets de fin d’études de qualité en 48h. J’ai été fier d’y participer et on compte maintenir et cette section et cette compétition.
Quel est le point commun qui rassemble tous les films sélectionnés et quel est votre définition du VR ?
On voulait diversifier les genres : fictions, documentaires, courts, longs métrages, et diversifier les sujets proposés, comme l’écologie, l’identité, les origines ethniques. Des thèmes universels. On a aussi touché à l’art, comme celui de Héla Lamine, et de l’expérimentation puisée dans des sons, de la musique. Le VR peut nous téléporter dans des univers fantastiques, parallèles, qui sortent de l’ordinaire. Il téléporte mentalement dans des ailleurs et des contrés nouvelles. Le plus long des films en VR que j’ai découvert est de 45 min. Ceux proposés ici sont courts. Le VR fait rêver, voyager et des médias internationaux en usent déjà comme « The Guardian », « Arte » etc, afin de faire voyager leur audience.
Salma Ksontini, jeune curatrice tunisienne, a géré récemment la section «K-Off», dans le cadre de la 3e édition de Gabès Cinéma Fen. Elle a déniché différents talents locaux singuliers, distingués. Une expérience intense qu’elle partage avec nous dans le cadre d’un échange fructueux.
Vous avez fait vos preuves récem- ment en dirigeant la section «K-Off» consacrée aux artistes visuels tunisiens dans le cadre de « Gabès Cinéma Fen ». Comment a eu lieu la prise de contact avec toute l’équipe ?
J’ai interviewé Malek Gnaoui, il y a plus d’un an dans le cadre du Tasawar Curatorial Studio. On a échangé, parlé du secteur, des arts, etc. Il m’a proposé de participer à cette aventure deux mois après. Il en a parlé à Fatma Kilani et j’ai embarqué. On m’a expliqué ma mission : gérer les artistes tunisiens dans le cadre de cette section « K-Off » en tant que curatrice / commissaire. J’accompagne le travail de plusieurs artistes locaux simultané- ment jusqu’à l’aboutissement. On a commencé par la prospection, le choix des artistes, leur sélection et on s’est restreint à la scène tunisienne, opter pour une tranche d’âge jeune. Ça a facilité le contact entre nous toutes et tous. L’échange fut fructueux. J’ai cherché, de mon côté, différents profils en faisant du porte- à- porte (rires), en les dénichant, un peu partout… J’ai vu le travail d’un bon nombre d’artistes proposé dans le cadre d’expo, ou de ma participa- tion dans des festivals.
Avant d’embarquer pour cette aventure, qu’avez-vous accompli ?
J’ai fait du «Design espace», à la faculté, qui m’a beaucoup servi au «K-Off» et, actuellement, j’essaie de finaliser mon master en théorie de l’art aux Beaux arts de Nabeul. J’ai travaillé sur «Interférence», «Tasawar Curatorial Studios», «Houmtek…»
Pouvez-vous revenir sur votre prise de contact avec de nombreux artistes participants ?
Ghassen Chraifa, je l’ai découvert dans «Culture solidaire», du B7L9. Il connaissait Malek aussi. Rim Harrabi, je la connais «d’Interférence», le festival d’art visuel. Ahmed ben Nssib, je l’ai connu par hasard à travers sa maman en 2018. Son travail était époustouflant. Dorra Dalila pareil. Asma Laâjimi a fait une première : je l’ai connue à Djerba. Cheb Terro, c’était le challenge par excellence : son travail tournait autour de la scène underground, il évoquait l’Underplanet et maniait la vidéo qui devait être un moyen de médiation. Tout un monde ! Leurs œuvres se distinguaient par une technique propre à chaque artiste. Ils avaient une définition propre à eux et ne se ressemblaient pas. Et leurs œuvres tournaient autour de l’image en mouvement, décortiquée et mise en valeur dans un même espace mais vécu, chacun et chacune à sa manière. Il était hors de question de se restreindre : ils étaient libres de créer. Et moi-même, je ne pouvais les enfermer dans des mondes qui ne sont pas les leurs. J’étais dans un poste d’observation : j’étais au centre et je devais sonder autour de moi en cherchant qu’est-ce qui pourrait être intéressant et qu’est-ce qui pourrait ouvrir des pistes, à travers l’animation, le dessin, l’analogie. Il y a le langage cinématographique qui se rapproche de l’art vidéo. J’étais dans une recherche artistique fructueuse que j’ai pu mener à bout via ces œuvres-là. On échangeait beaucoup les idées.
Quelles sont les difficultés que vous avez eues ?
C’est qu’on soit aussi jeunes, toutes et tous. Pour l’aspect technique, on n’est pas toutes et tous censés manipuler ou accomplir les mêmes techniques : je suis moi-même dans l’apprentissage. C’était bénéfique pour tout le monde et on a toutes et tous appris ensemble au fur et à mesure. Je ne parlerai pas de «Difficultés », c’est un mot lourd tout de même, mais je dirai plus un défi. Il fallait gérer tout, j’étais le maillon central.
Quels ont été les retours du public à « Gabès Cinéma Fen »?
Des retours excellents et variés : les spectateurs laissaient libre court à l’interprétation. C’était le but. Ils se sont déchaînes à trouver plusieurs thématiques, ils étaient observateurs. C’était intéressant. On a mis en place une scénographie imposante, intimiste, ancrée sur la vidéo. Chaque spectateur a pu voir plusieurs œuvres à sa manière. Il a fait chaud aussi. Beaucoup, beaucoup (rire). Mais tout s’est bien passé en général, en s’adaptant au contexte sanitaire critique, bien entendu. Les sensibilités diffèrent d’une présentation à une autre. Les artistes programmés pendant cette 3e édition peuvent ouvrir les portes et inciter d’autres à se lancer. L’espace « K-Off » qu’on a ouvert fera office de résidence d’artistes après.
Souhir Ben Amara a rempilé sur le petit écran dans «El Foundou», dirigée par Sawssen Jomni. Succès public garanti qui survient après son passage sur scène, dirigée par Cyrine Gannoun et au cinéma, dans l’onirique «Tlamess» de Alaa Eddine Slim. Rencontre avec une valeur sûre qui s’innove.
«El Foundou», série ramadanesque réalisée par Sawssen Jomni, est votre dernier travail en date. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle ?
C’est la complexité du rôle. C’est ce que porte le personnage comme contradictions. Ce qu’il porte comme traumatisme, comme trame dramatique. Son aspect fragile. Ce rôle dans «El Foundou» est très différent de ce que je suis. Plus il est loin de ce que je suis et de ce que je ressens, mieux c’est. C’est ainsi que je peux me sentir dans la création et dans la recherche. Avec Sawssen Jomni, le contact s’est très bien déroulé. On se connaît depuis longtemps, même si ça faisait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Elle a évolué. Elle a le sens du détail. C’est une réalisatrice qui opte davantage pour les gros plans : c’est une approche que j’apprécie. Il y a beaucoup de confiance entretenue entre nous deux.
Est-ce que vous êtes de ces artistes qui trouvent qu’une réalisatrice femme travaille différemment qu’un réalisateur homme ? Est-ce que vous trouvez que leur sensibilité diffère ?
C’est la même chose pour moi. J’apprécierais plus s’ils étaient différents. Chacun sa vision, son approche, sa méthode de diriger les acteurs. Ça ne peut être qu’enrichissant. Il faut certes assurer, mais c’est surtout un exercice qui s’adapte à la vision, à la façon de travailler de l’acteur.
«El Foundou» a reçu un accueil public largement favorable, mais a été par moments critiqué à cause de l’image dite « péjorative qu’il véhicule de la femme ». Je cite également « de la violence physique explicite », etc. Qu’avez-vous à dire sur ces critiques ?
Ce qui se passe dans la vraie vie est mille fois plus grave que ce qu’on peut voir dans une fiction. Ce qu’on ne voit pas est pire. Admettons que tout ceci existe, ça choquera quand même quand on le voit. Autant voir la réalité telle qu’elle est. Par ailleurs, on peut se sentir responsables quand on sait que cet ailleurs-là, ou la rue, est certes tout aussi cruel, mais on pourrait, en tant qu’artiste, pousser davantage vers le rêve, vers plus de valeurs. Un artiste ne fait pas dans le social et ne remédie pas forcément à ces problèmes sociaux. Le débat sur la violence reste large. : C’est la force de l’image et on est dans l’ère de l’image : qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce que qu’on doit dissimuler ? La violence et le sang que l’histoire a connus sont bien plus graves que ce qui a été montré dans l’histoire du cinéma. Mais est-ce qu’il faut questionner le traitement ? Et comment est-il filmé ? Est-ce qu’il est adapté à la réalité, à la nôtre ? Est-ce à l’artiste d’y remédier ? Large débat et j’interroge.
Juste avant «El Foundou», le public vous a découvert sur scène dans «Club de chant» de Cyrine Gannoun. Pourtant, le théâtre ne vous est pas très familier. Qu’avez-vous à dire sur cette expérience ?
Je me suis promis d’en faire dès que l’occasion se présente. Dans «Club de chant», j’étais dans la découverte, dans l’épanouissement, le plaisir, la fatigue, dans les doutes. Je m’en suis pris au personnage et vice-versa. Il y a des couches profondes. On peut s’exploiter en tant que citoyenne, artiste, femme. Il y a des disciplines inatteignables dans le théâtre. Le théâtre est dénué de faux semblants: ce n’est sûrement pas mentir sur scène.
Durant votre carrière, une prise de risque reste tout de même distinguée : c’est celle de votre rôle dans «Tlamess» d’Alaa Eddine Slim, un long métrage qui a subit les aléas de la crise sanitaire lors de sa sortie en salles mais qui a fait échos dans le monde entier…
Ce qui stimule, c’est ce saut dans le vide. L’intégration d’une dimension autre, que j’ignore et que je continuerai à ignorer même en lisant le scénario plusieurs fois. Je ne connaîtrai cette expérience qu’en la vivant. Je n’ai pas beaucoup, réfléchi, hésité ou discuté du thème. Dans «Tlamess», il n’y avait pas de dialogues. Ce qui nous pousse à nous focaliser sur la communication non verbale, ce que transmet l’artiste comme affection ou feeling. C’est spécial pour l’acteur, pour le public. On est dans la contemplation. Tous les retours sont tellement différents. «Tlamess» était une véritable aventure. Je disais souvent que le film doit se voir avec le cœur.
La culture et les arts subissent de plein fouet les conséquences du covid-19, de la politique et de l’économie en berne. Qu’avez-vous à dire en tant qu’artiste désireuse d’y remédier en Tunisie ?
C’est une accumulation de dégâts provoqués successivement pendant les dix dernières années. Honte à nos politiciens de nos jours. Ils devraient davantage entretenir le pays et mettre leurs différends de côté. Je refuse en tant qu’artiste de voir la Tunisie faire faillite sur tous les plans : Toutes les décisions qu’un artiste doit prendre doivent être prises en considération par la classe politique.
Après «Ambulance» et «El Maestro», «El Harga» de Lassaâd Oueslati est sans doute l’ultime distinction en date de son scénariste Imed Eddine Al Hakim. Les deux travaillent en étroite collaboration depuis quelques années. A travers son écriture, Imed Eddine a secoué le public tunisien en levant le voile sur la migration clandestine, ce fléau social ravageur. Rencontre.
Comment vous vous êtes retrouvé à tisser un scénario autour de la migration clandestine ?
L’idée a émergé juste après la fin de l’aventure «El Maestro». Le sujet a été évoqué avec Lassaâd Oueslati, le réalisateur. Une 2e saison d’«El Maestro» n’était pas envisageable. On s’est dit qu’il fallait plutôt traiter d’un autre phénomène social d’envergure comme celui de la «Migration clandestine». Un phénomène qui n’a pas été traité auparavant, en profondeur à la télévision. Et c’est ce qu’on s’était fixé de faire : traiter de cette thématique à la racine. Les gens entendent parler vaguement de ce phénomène, notamment dans les infos. On s’est dit pourquoi ne pas en faire un traitement artistique à travers lequel on pourrait tout filmer : la barque, les différents profils des migrants, ce qui les a poussés à le faire, se jeter en mer, filmer en haute mer tout le cauchemar, le calvaire, le processus et opter pour des personnages inspirés de la réalité pour que les téléspectateurs s’y retrouvent, tout en évitant l’aspect technique, les statistiques, l’aspect méthodique qui englobent «El Harga». On entretient la tragédie autour, le drame, les histoires pour capter l’attention. D’où l’empathie, la sympathie et la haine ou le rejet qu’on peut éprouver envers les personnages. L’aspect analytique n’était pas à l’ordre du jour : ça pouvait ne pas intéresser les téléspectateurs. L’écriture de «Harga» est nouvelle, innovatrice et est inspirée d’une réalité nouvelle : la différence entre la fiction et la réalité reste très légère.
Comment définirez-vous cette écriture nouvelle ?
C’est cette réalité qu’on peut fusionner avec la fiction : le docu-fiction à la télé. Le feuilleton rassemble les deux, même au niveau de l’image. En Tunisie, c’est une première. Des extraits pourront servir pour des enquêtes, pour des cours, pour de la recherche et de l’archivage autour de la migration. Les personnages sont plus vrais que nature.
«Harga» peut sensibiliser sans pour autant proposer des solutions. Etait-ce voulu ?
Une création artistique n’a pas comme mission ou objectifs de trouver des solutions et d’en proposer. C’est le rôle de tout le monde y compris du public de trouver des solutions. On se doit de mettre en lumière une création porteuse d’une cause, d’une manière différente, attractive, propre à nous. De telle sorte que quand les gens regardent la série, ils peuvent se sentir concernés et impliqués. Ce n’est pas à nous d’échafauder des solutions à la migration. Relater les faits, faire un état des lieux détaillés, parler de ce fléau, c’est notre mission. Le patriotisme, l’appartenance, la déchéance des citoyens, le chômage, la misère, la hiérarchie, la corruption, l’absence de l’Etat et j’en passe… De la matière à présenter, on en avait et on l’a traité d’une manière limpide, sans artifices, directe, ce qui a touché le public en profondeur. Une réalité qu’on sent dans les personnages, dans les décors, les lieux, dans ses détails… C’est ce qui a permis aux gens de s’identifier, de s’y retrouver. Le maquillage chez les personnages se voit à peine. L’allure, les expressions, les habits sont plus vrais que vrais et c’est proche de la réalité. La réalité rime avec tous ces détails.
Avez-vous préféré ne pas creuser davantage dans certains aspects liés à ce thème sensible ?
On a évité l’autocensure et opté pour la critique, en toute liberté. Les aspects qu’on a évités de mettre en avant sont liés aux textes de loi relatifs aux centres de détention et à la migration. Des textes qui changent en permanence. On a préféré y faire allusion sans détailler. Le téléspectateur n’approuve pas les chiffres, les lois et les données techniques : on a voulu relater. Ce phénomène date de décennies et il y a avait déjà beaucoup à dire.
Concernant le scénario, l’avez-vous à un moment improvisé/modifié ?
Ce texte ou ce scénario n’est pas un texte saint : on croit au changement et il peut changer selon les décors, les visions du réalisateur, selon les circonstances. Des ajouts peuvent se faire dans le dialogue, les répliques, les prises, que personnellement, je trouve mieux. Le savoir-faire chez l’équipe technique et l’instinct de Lassaâd Oueslati ont fait la réussite du travail. Les changements qui ont eu lieu devaient se faire, étaient adéquats et ont eu lieu avec l’accord du réalisateur.
Vous comptiez partir tourner en Italie, avant la pandémie…
Tout un acte allait se faire là-bas avec Ahmed Hafiane. Un acte qui a dû être supprimé et remplacé par un autre qui doit se faire en Tunisie. La tâche était très dure. Le travail a été écrit pendant le tournage, souvent au fur à mesure. Les scènes qui ont été tournées comme s’ils étaient en Italie sont réussies. Mention spéciale à Nahla Smati qui a travaillé dur sur le décor. Le téléspectateur a le sens de l’observation de nos jours. La partie du «Centro» devait être tournée Italie. Tout a été fait ici.
Qu’est-ce qui a changé pour le scénariste que vous êtes entre «El Harga» et «El Maestro», réalisé en 2019 ?
J’ai cette conscience qu’après chaque travail, je dois m’améliorer et travailler plus sur mon écriture. «El Maestro» est le tout premier feuilleton que j’ai écrit. «El Harga», je n’y suis pas satisfait à 100% également. On s’évalue après chaque travail. Il est réussi et c’est tant mieux mais, la prochaine fois, il faut mettre la barre plus haut. Dans «El Maestro», tout s’est déroulé dans des décors fermés, dans «El Harga», j’avais plus d’espace. Je m’informe sur les créations étrangères, afin de m’améliorer et d’affiner davantage mon écriture. C’est mon but ultime.
Vos deux derniers scénarios écrits étaient d’ordre dramatique. Vous avez travaillé également sur une comédie «L’ambulance», toujours avec Lassaâd Oueslati. Y a-t-il une différence entre les deux genres? Êtes-vous plus à l’aise dans la comédie ou dans le drame ?
Ma première expérience était dans la comédie. Je me vois dans les deux. Faire rire les gens à travers une situation qui fait rire est un bon exercice. Et dans «Ambulance», c’était le cas. Même si je m’étais plus penché vers le drame dernièrement, j’aime beaucoup cette comédie qui filme une prise de position et met en scène des acteurs ou comédiens qui ne sont pas spécialistes en la matière. C’est enrichissant de les voir dans différents créneaux. La comédie ne s’arrête pas que sur des comédiens précis de nos jours…
Etes-vous plus à l’aise en tant que scénariste à la télévision ou au cinéma ?
A la télévision. Dans une série, je peux m’exprimer plus librement et le format des séries a évolué de nos jours. Elles touchent plus les gens. Dans le cinéma, il y a beaucoup plus de problèmes notamment liés aux subventions et aux financements. Je veux travailler des films qui me plaisent sans qu’on m’impose une vision autre, propre à d’autres. Je n’approuve pas le cinéma commercial. Je veux un cinéma qui soit porteur de l’identité de mon pays sans ingérences locales ou étrangères. Je veux évoquer à mon aise les problèmes liés à notre nation, au pays. Je prends l’exemple du cinéma iranien et japonais qui reste typique et porteur des valeurs et des maux de ces nations. Écrire pour le cinéma ou la télé, c’est la même chose. Et dans «Harga», on s’exprime beaucoup à travers l’image, avec moins de dialogues comme au cinéma.
Si vous deviez commenter le paysage audiovisuel actuel, que diriez-vous ?
Réaliser «El Harga», El Maestro», et même «Nouba» était une bataille menée contre la médiocrité. L’objectif est de disséquer les problèmes sociaux, de les dénoncer et de raconter les maux des gens à travers l’art. Aujourd’hui, des productions médiocres ont vu le jour. Et c’est grave. On n’est pas dans un esprit compétitif et on ne dépend pas de la pub forcément. «El Watania» fournit un budget qu’un producteur exécutif s’approprie pour créer. On n’a juste plus besoin de voir autant de navets et de travail d’un niveau aussi bas. Les générations actuelles et futures ne méritent pas cela. Subir autant de violence physique et verbale non justifiée sur nos écrans est aberrant. On est libre de nous exprimer, pourquoi ne pas le faire à bon escient ? Où est la Haica ? Il y a des pratiques qui doivent cesser et des lois qui doivent être appliquées avec rigueur. Cette soif de sensationnalisme et de buzz doit cesser. Et vive les médias publics qui modèrent finalement le contenu. Il y a une différence entre divertissement, recherche de l’audimat à tout prix et qualité de l’œuvre.
Yasmine Bouabid a crevé le petit écran tunisien dans deux rôles aux antipodes l’un de l’autre. Elle interprète Mariem, jeune fille naïve, éperdument amoureuse et issue d’un milieu rural dans «Ouled el Ghoul» qui fait face aux difficultés de la vie estudiantine et sociale dans un Tunis impitoyable, tandis que «Waad» reste intrépide et engagée jusqu’au bout de son épopée dans cette odyssée télévisée nommée «Harga». L’artiste montante est à l’image de cette génération prometteuse d’acteurs en devenir et nous le fait bien savoir.
Vous êtes sans doute la révélation de 2021 pour les Tunisiens : vous campez simultanément deux rôles remarquables dans deux productions ramadanesques. Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre parcours bien avant «Harga» et «Ouled el Ghoul» ? Comment avez-vous attrapé ce virus de l’acting ?
J’ai commencé ma carrière en 2014, mais je rêvais de devenir actrice depuis mon plus jeune âge. Quand j’avais 13 ans, j’ai intégré pour la première fois un cours de théâtre, et, à l’âge de 15 ans, j’ai commencé à faire mes premiers castings. Mais j’ai vraiment décidé d’en faire un métier après un moment triste dans ma vie. Un tournant qui m’a permis de comprendre que je n’avais pas envie de vivre de regrets et qu’il fallait que je me lance dans ce que j’aimais sans trop me soucier de l’avis des autres, y compris celui de mes proches. Au début, j’ai travaillé dans le cinéma tunisien, ensuite j’ai décidé de faire une formation, en auditionnant pour une école de théâtre en Italie où j’ai fait de l’acting et de la dramaturgie. J’ai eu des expériences au théâtre, à la télé italienne et dans une série canadienne. Actuellement, je suis à Londres où je compte faire un master en acting. Pour en arriver à «Harga» et à «Ouled el Ghoul», il a fallu travailler pendant 6 ans, me préparer artistiquement mais aussi sur le plan humain, mental et physique. Le travail d’acteur n’est pas facile, ce n’est pas que le côté glamour qu’on voit et qui nous fait rêver : c’est un travail riche, exceptionnel, qui nous fait découvrir l’aspect émotif de l’être humain et qui nous permet de raconter des histoires à travers le corps et les émotions, mais c’est aussi un travail fait de rejet, de larmes et de longues attentes entre un projet et un autre. C’est pour cette raison qu’il faut travailler sur soi et trouver tous les jours un bon équilibre mental pour tenir la cadence.
Vous vous distinguez notamment grâce à un atout fort : vous êtes polyglotte à la perfection. D’où vous vient cette passion pour les langues ? Est-ce selon vous crucial pour percer ?
Ce n’est pas vraiment une passion, ce sont plutôt les circonstances de la vie qui ont fait qu’aujourd’hui je parle presque parfaitement quatre langues. La plupart des Tunisiens maîtrisent le français et l’arabe, en ce qui concerne l’italien et l’anglais je remercie ma mère. L’italien car elle est d’origine italienne, l’anglais, car, quand j’étais jeune, elle a beaucoup insisté pour que je suive des cours, et même si, à l’époque, je ne pouvais pas en voir les côtés positifs, aujourd’hui je me rends compte de l’importance d’être polyglotte en 2021. Donc oui, de mon point de vue c’est crucial pour percer car c’est ce qui fait que je peux bouger et travailler entre différents pays, mais c’est aussi crucial pour l’esprit parce que ça nous permet de nous ouvrir à n’importe quelle culture et rencontre. Dans la plupart des pays que je visite, j’arrive à communiquer avec ceux qui m’entourent, à apprendre d’eux et à ne pas rester coincée dans ma propre vision des choses.
«Waad» dans «Harga» est un rôle profondément humain, engagé et qui a sans doute nécessité une endurance physique. Quel a été le plus dur à interpréter dans ce rôle ? Avez-vous des points communs avec votre personnage ? Qu’est-ce qui vous a attiré en «Waad» ?
La première fois que j’ai rencontré Lassaâd Oueslati, ce n’était pas pour le rôle de « Waad ». J’allais interpréter la fille d’Ahmed el Hafiene, qui devait être avec nous dans la série mais qui, malheureusement à cause de la Covid, n’a pu travailler sur le projet. C’était un rôle secondaire et j’en avais déjà fait d’autres avant, donc même si j’étais très heureuse de pouvoir participer à un tel projet, j’étais assez confiante pour pouvoir m’en sortir. Sauf qu’après m’avoir connue et découvert mon expérience, Lassaad a décidé de me donner le rôle de «Waad». Et la confiance en moi que j’avais s’est transformée en peur, car je sentais une pression et je me sentais responsable de devoir bien interpréter un rôle aussi important dans une série télé. Lassaâd Oueslati a vu en moi quelque chose que moi-même je ne voyais pas à ce moment-là. Il m’a fait confiance, m’a aidée à sortir de ma zone de confort, m’a permis de faire mes preuves et de révéler à moi-même mes capacités. Je pense, donc, que le plus dur était de dépasser cette peur, et plus les jours de tournage passaient, plus je suivais mon instinct, plus je faisais confiance au réalisateur, plus de belles choses se créaient. En ce qui concerne les points communs avec ce personnage, je pense que la « Waad » que vous avez vue c’est moi : c’est une facette de ma personnalité, comme tout autre personnage que j’ai interprété jusqu’à maintenant. Je pense que si une autre actrice avait interprété « Waad », vous n’aurez pas vu le même personnage. Chaque acteur ou actrice insuffle sa propre émotion et son instinct dans la création d’un personnage, et à travers le texte et les circonstances du scénario, il / elle fait vivre une partie de lui/elle-même pour humaniser le scénario qu’il/ elle a entre les mains. C’est ce qui m’a toujours fascinée dans le métier d’acteur : pouvoir vivre plusieurs vies à la fois.
Peut-on considérer «Harga» comme un tournant dans votre carrière ?
Je pense que oui. «Harga» m’a permis d’avoir confiance en mes capacités et m’a fait comprendre que je peux transmettre des émotions à ceux/celles qui me regardent. Je ne sais pas si ça va être un tournant dans mon parcours professionnel, mais d’un point de vue personnel, c’était une aventure qui a complètement changé le rapport que j’ai avec ce métier.
Votre rôle dans «Ouled el Ghoul» est aux antipodes de celui dans «Harga». Encore une fois, c’est votre pratique d’un accent rural tunisien qui fait écho. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rencontre avec ce personnage ? Quel a été le plus dur pour vous à jouer dans «Ouled el Ghoul» ?
Mariem m’a aidé à fermer un cercle : pour arriver à jouer ce rôle, j’ai dû rouvrir des tiroirs de ma mémoire où j’avais caché des souvenirs de quand j’étais plus jeune. Au début, sa façon de réagir à certaines situations m’énervait, mais en même temps, je savais qu’un acteur devait toujours trouver le moyen d’être en phase avec son personnage, et c’est pour ça que j’ai commencé à voir Mariem comme une version plus jeune de moi qui n’a pas l’expérience et l’âge que j’ai et donc, elle ne va pas avoir forcément la même manière que moi d’affronter les difficultés de la vie. On voit quand même une évolution du personnage du début à la fin: l’évolution d’une jeune femme qui, face aux difficultés, apprend à réagir au lieu de rester en retrait comme elle a toujours fait. Le personnage de Mariem dans « Ouled el Ghoul » a eu un effet cathartique sur moi : je lui dois beaucoup.
Envisagez-vous de vous consacrer au théâtre, au cinéma ou autres ?
Tant que je peux m’exprimer et faire ce que j’aime, je ne veux pas me limiter à un seul moyen d’expression. Je veux suivre le mouvement, et accepter ce que la vie va m’offrir comme expériences. Mais j’aimerais beaucoup écrire un film prochainement.
Avez-vous hésité à percer à travers le petit écran en Tunisie plus tôt qu’à travers une autre discipline/art ?
Je crois beaucoup au destin et je pense que les choses se sont passées de la bonne manière jusqu’ici. On m’a posé plusieurs fois la question de pourquoi je n’ai pas eu avant l’occasion de me montrer à la télé tunisienne, et je répondais qu’il y a toujours un timing parfait pour toute chose. Qui sait ? Peut-être que je n’aurais pas pu me faire connaître dans d’autres rôles, peut-être que je n’aurais pas été prête. Je pense aussi que le «mindset» (état d’esprit) joue un rôle très important. La personne que j’étais il y a deux ans n’aurait pas pu endurer une telle exposition à l’opinion des autres et donc aux commentaires positifs comme à la critique. Les deux sont dangereux: la critique peut créer une image faussée de nous-mêmes qui ne correspond pas à la réalité mais plutôt à une perception subjective. Les commentaires positifs peuvent booster ton ego un peu trop et ne pas te permettre de te remettre en question et d’évoluer. Il faut donc être stable mentalement pour ne pas se faire influencer par ce qui se passe autour. En conclusion, je suis très contente d’avoir eu mes premiers rôles à la télé tunisienne après 6 ans. En Italie on dit «chi va piano, va sano e va lontano». (Rire)
Parallèlement, vous gérez une marque de bijouterie «Monraï Shop». D’où vous vient cette passion ?
Monraï est un autre canal que j’utilise pour exprimer ma créativité. Ceux qui me connaissent depuis toujours savent que je ne sors jamais de chez moi sans avoir mis mes accessoires. Ça me permet aussi d’avoir une stabilité financière que je n’ai pas en tant qu’actrice entamant son parcours. J’ai fait plusieurs petits boulots avant de créer ce projet, mon petit bébé. J’ai été serveuse, baby-sitter, j’ai travaillé dans l’événementiel. Sauf que j’avais vraiment envie de faire quelque chose qui me donne la possibilité d’être mon propre boss, d’être libre de travailler à n’importe quel moment de la journée et de faire des castings à côté. Monraï a aujourd’hui un peu plus d’un an, avec des hauts et des bas car quand je suis en tournage c’est difficile de s’en occuper, mais elle m’apporte beaucoup de satisfaction. Dans le futur, je prévois de lancer la marque en Europe et je veux créer une petite structure pour pouvoir déléguer une partie du boulot et me concentrer sur l’évolution du projet.
Quels sont vos prochains projets ?
Je n’aime pas en parler en général, je suis assez superstitieuse. (Rire) Ce qui est sûr c’est que je vais continuer à créer, en espérant pouvoir le faire à l’échelle internationale un jour. On se donne rendez-vous dans 5 ans pour voir où j’en serai. (Rire)